Date : 20210827
Dossier : IMM-7283-19
Référence : 2021 CF 892
Ottawa (Ontario), le 27 août 2021
En présence de l’honorable madame la juge Roussel
ENTRE :
|
DOR, MFRO, DARO
|
demandeurs
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], rendue le 20 novembre 2019, rejetant l’appel des demandeurs pour défaut de compétence en vertu de l’alinéa 110(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Les demandeurs soutiennent que cette disposition contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte].
[2]
Ce n’est pas la première fois que cette disposition fait l’objet d’une contestation constitutionnelle. En effet, dans l’affaire Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 [Kreishan], la Cour d’appel fédérale devait déterminer si l’alinéa 110(2)d) de la LIPR contrevenait à l’article 7 de la Charte. Elle a jugé que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR ne met pas en jeu l’article 7 de la Charte.
[3]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Contexte factuel
[4]
La demanderesse et ses deux (2) fils mineurs sont citoyens de la Colombie.
[5]
La demanderesse est psychologue de profession. De 2008 à 2017, elle travaille dans une clinique de santé mentale en tant que coordonnatrice du programme de réhabilitation en dépendance. Grâce à de l’information qu’elle reçoit dans le cadre de son travail et transmet aux autorités, une perquisition a lieu dans un centre de vente et de distribution de drogues. La demanderesse reçoit alors plusieurs menaces de narcotrafiquants que son travail porte préjudice à leurs activités et qu’elle et sa famille devront en subir les conséquences. La demanderesse et son époux déposent une dénonciation à la police et au bureau du procureur le 2 février 2017.
[6]
Quelques semaines plus tard, elle reçoit un autre message lui disant que si elle aime ses enfants, elle devrait quitter la ville. Elle retourne au bureau du procureur le 21 mars 2017 avec son époux. On leur dit que le cas a été assigné à un procureur et qu’ils doivent attendre que celui-ci entre en contact avec eux.
[7]
Le matin du 27 mars 2017, alors qu’elle sort de sa maison avec son époux, ce dernier aperçoit un homme qui porte une arme à la ceinture et qui s’approche d’eux. Il pousse la demanderesse à l’intérieur de la maison et enferme la famille dans les toilettes. Ils entendent des coups de feu, mais leur voisin, qui est policier, intervient et les délinquants quittent les lieux. La demanderesse et sa famille décident alors de déménager. Quelques jours après leur départ, la sœur de la demanderesse se rend à leur maison pour récupérer certains de leurs effets personnels et trouve un colis au garage contenant une menace.
[8]
Le 13 avril 2017, l’époux de la demanderesse reçoit un message dans lequel on lui dit que la demanderesse a fait perdre une affaire très lucrative aux délinquants et que pour cette raison leur famille allait disparaitre. La mère de la demanderesse reçoit à son tour quelques jours plus tard une menace par écrit. La demanderesse et sa famille quittent donc la Colombie pour faire une demande d’asile au Canada.
[9]
Le 27 avril 2017, la demanderesse et sa famille arrivent au Canada par un point d’entrée terrestre depuis les États-Unis et demandent l’asile. Puisqu’ils ont de la famille au Canada, leurs demandes sont jugées recevables et déférées à la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Celle de l’époux de la demanderesse est toutefois suspendue aux termes du paragraphe 103(1) de la LIPR.
[10]
Le 3 septembre 2019, la SPR rejette les demandes d’asile des demandeurs. Elle conclut que les demandeurs ont une possibilité de refuge interne ailleurs en Colombie et qu’il ne serait pas déraisonnable pour eux de s’y réfugier.
[11]
Les demandeurs portent la décision de la SPR en appel devant la SAR. Ils demandent la suspension de la prise de décision sur la compétence de la SAR pour entendre l’appel jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada interjetée à l’encontre de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Kreishan.
[12]
Dans une décision rendue le 20 novembre 2019, la SAR refuse la demande de suspension au motif qu’elle doit appliquer le droit tel qu’il existe au moment de la prise de décision. Elle rejette également l’appel pour défaut de compétence, les demandeurs étant visés par l’alinéa 110(2)d) de la LIPR. Elle conclut que, puisque les demandeurs sont des personnes arrivées directement des États-Unis, mais dont les demandes d’asile ont été jugées recevables en vertu de l’article 159.5 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], malgré l’alinéa 101(1)e) de la LIPR, ils ne bénéficient pas d’un appel de la décision de la SPR à la SAR en vertu de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR.
[13]
La présente demande de contrôle judiciaire vise cette décision de la SAR.
[14]
Le 28 décembre 2020, les demandeurs déposent un avis de question constitutionnelle et la preuve de sa signification aux procureurs généraux de toutes les provinces et de tous les territoires, ainsi qu’au procureur général du Canada conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF]. Un avis de question constitutionnelle amendé est signifié aux procureurs généraux et déposé le 14 janvier 2021 pour tenir compte du changement de la date de l’audience. Aucun procureur général n’est intervenu dans la présente affaire.
III.
Contexte législatif
[15]
Il est utile de rappeler le contexte dans lequel s’inscrit la présente demande de contrôle judiciaire. Celui-ci est décrit par la Cour d’appel fédérale dans les décisions Kreishan et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72.
[16]
Aux termes du paragraphe 99(3) de la LIPR, toute personne qui se présente à un point d’entrée au Canada dans l’intention d’y demander l’asile doit présenter sa demande à un agent d’immigration. L’agent décide si la demande est recevable, auquel cas il la défère à la SPR pour détermination conformément au paragraphe 100(1) de la LIPR. Selon l’alinéa 101(1)e) de la LIPR, la demande est irrecevable si le demandeur arrive, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle.
[17]
Le paragraphe 102(1) de la LIPR précise que les règlements prévoient notamment, en vue du partage avec d’autres pays de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile, la désignation des pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture (LIPR, al 102(1)a)), l’établissement de la liste de ces pays, laquelle est renouvelée en tant que de besoin (LIPR, al 102(1)b)), et les cas et les critères d’application de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR (LIPR, al 102(1)c)). La désignation d’un pays dépend d’un nombre de facteurs. Parmi ceux-ci, il y a le fait que le pays soit partie ou non à un accord avec le Canada concernant le partage de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile (LIPR, al 102(2)d)).
[18]
À ce jour, les États-Unis sont le seul pays désigné pour l’application de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR. Cette désignation est prévue à l’article 159.3 du RIPR (modifié par DORS/2004-217 à l’art 2), qui est entré en vigueur le 29 décembre 2004, au même moment que l’Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugiés présentées par des ressortissants de pays tiers, signé le 5 décembre 2002 et communément appelé l’Entente sur les tiers pays sûrs [ETPS].
[19]
L’ETPS a notamment pour objectifs de favoriser un traitement ordonné des demandes d’asile, d’améliorer le partage des responsabilités et la coopération entre le Canada et les États-Unis, et d’éviter d’enfreindre indirectement le principe de non-refoulement.
[20]
Selon l’article 2 de l’ETPS, l’entente ne s’applique pas aux demandeurs d’asile qui sont citoyens du Canada ou des États-Unis ou qui, n’ayant pas de nationalité, ont leur résidence habituelle au Canada ou aux États-Unis.
[21]
L’article 4 de l’ETPS prévoit que « la partie du dernier pays de séjour »
examine la demande de statut de réfugié de toute personne arrivée à un point d’entrée d’une frontière terrestre des deux (2) pays. Le « dernier pays de séjour »
est défini comme « le pays, soit le Canada, soit les États-Unis, dans lequel le demandeur du statut de réfugié était physiquement présent immédiatement avant de faire sa demande du statut de réfugié à un point d’entrée situé à une frontière terrestre » (ETPS, art 1)
. En d’autres termes, le demandeur d’asile qui arrive à un point d’entrée terrestre du Canada depuis les États-Unis ne peut présenter sa demande d’asile au Canada. La responsabilité de sa demande incombe aux États-Unis. Si le demandeur d’asile se présente à un point d’entrée terrestre des États-Unis en provenance du Canada, c’est le Canada qui est responsable de traiter la demande. Ceci a pour but de prévenir la course au droit d’asile (asylum shopping) (Kreishan au para 1).
[22]
L’ETPS prévoit des exceptions à l’obligation de présenter la demande d’asile dans le dernier pays de séjour. À titre d’exemple, le Canada conserve la responsabilité de la détermination du statut de réfugié des demandeurs d’asile en provenance des États-Unis qui ont des membres de la famille au Canada ou qui sont des mineurs non accompagnés. Ces exceptions sont mises en œuvre par l’article 159.5 du RIPR, qui accorde une dispense à l’application de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR dans certaines situations.
[23]
Le 29 juin 2010, la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8 [Loi sur des mesures de réforme], introduit plusieurs amendements à la LIPR, y compris la création de la SAR. Deux (2) ans plus tard, la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, LC 2012, c 17 [LVPSIC] est adoptée. Le sommaire de la LVPSIC précise que la LIPR est modifiée afin, notamment, de prévoir un traitement accéléré des demandes d’asile. La LVPSIC introduit d’autres amendements à la LIPR, incluant de nouvelles restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR, dont l’alinéa 110(2)d) de la LIPR.
[24]
L’alinéa 110(2)d) de la LIPR se lit comme suit :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[25]
Ainsi, selon l’alinéa 110(2)d) de la LIPR, les demandeurs d’asile qui ont transité par les États-Unis et dont les demandes d’asile sont jugées recevables en vertu de l’article 159.5 du RIPR, et malgré l’alinéa 101(1)e) de la LIPR, n’ont pas le droit d’interjeter appel de la décision de la SPR devant la SAR. Ils doivent plutôt présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire auprès de cette Cour pour l’examen de la décision de la SPR.
[26]
Pour une meilleure compréhension du mandat et des pouvoirs de la SAR, la Cour réfère le lecteur aux paragraphes 41 à 45 de l’arrêt Kreishan, ainsi qu’à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica].
[27]
En l’espèce, il suffit de mentionner que les appels devant la SAR procèdent généralement sans audition, selon le dossier qui a été présenté à la SPR (LIPR, para 110(3)), et que de nouveaux éléments de preuve ne peuvent être présentés à la SAR qu’à la condition que les critères explicites du paragraphe 110(4) de la LIPR et les facteurs développés par la jurisprudence soient respectés. La SAR peut tenir une audience si le dossier satisfait au critère à trois (3) volets énoncé au paragraphe 110(6) de la LIPR. Bien que la SAR doive servir de « filet de sécurité »
pour corriger les erreurs de droit ou de fait de la SPR (Huruglica au para 98), l’appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo (Huruglica au para 79).
IV.
Questions en litige
[28]
Les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision de la SAR au motif que l’absence du droit d’appel à la SAR, prévu à l’alinéa 110(2)d) de la LIPR, viole leur droit à l’égalité réelle et ainsi porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte. Ils demandent à la Cour de déclarer les sous-alinéas 110(2)d)(i) et (ii) de la LIPR inconstitutionnels et inopérants conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[29]
Les demandeurs allèguent essentiellement que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR établit une distinction « explicite »
fondée sur des motifs énumérés (la « nationalité »
et l’âge) et sur des motifs analogues (la citoyenneté et la famille), car il accorde un droit d’appel à la SAR « aux Étatsuniens [sic] et aux demandeurs sans nationalité résidant habituellement aux États-Unis »
qui bénéficient d’une exclusion à l’ETPS, et l’interdit explicitement aux autres demandeurs d’asile visés par une dispense à l’ETPS. De plus, ils allèguent que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR a un effet distinct préjudiciable sur les familles colombiennes, les femmes, les enfants et les personnes souffrant d’une incapacité physique ou mentale, puisqu’il leur impose un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage préexistant.
[30]
Le défendeur soutient que l’argument des demandeurs est sans fondement puisque les demandeurs n’ont pas établi que la distinction en l’espèce – le passage des demandeurs d’asile par les États-Unis – est une caractéristique personnelle qui est fondée sur un motif énuméré ou analogue.
[31]
De plus, le défendeur fait valoir que les demandeurs invoquent pour la première fois dans leur mémoire supplémentaire que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR crée une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, un concept qui existe en droit canadien depuis l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c Simpson-Sears, [1985] 2 RCS 536. Bien qu’il existe un pouvoir discrétionnaire permettant à cette Cour d’examiner de nouvelles questions, dans les présentes circonstances, tous les faits et éléments liés aux nouveaux arguments étaient connus des demandeurs au moment de la présentation de la demande d’autorisation et de la mise en état du dossier, de sorte que la nouvelle question aurait dû être soulevée en temps opportun, à l’étape de la demande d’autorisation. Le défendeur soutient qu’accepter de nouveaux arguments de droit complexes après l’expiration du délai fixé pour le dépôt de la preuve par affidavit lui cause un préjudice.
[32]
Il ajoute de manière subsidiaire que les éléments de preuve présentés par les demandeurs n’établissent pas que l’absence de droit d’appel à la SAR a un effet disproportionné sur les Colombiens, les femmes, les enfants et les personnes handicapées. Enfin, le défendeur soutient que si la Cour était d’avis que la disposition contestée opère bel et bien une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, ou par effet préjudiciable, une telle distinction n’est pas discriminatoire.
[33]
En réponse à l’argument du défendeur qu’ils soulèvent pour la première fois les effets préjudiciables de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR, les demandeurs indiquent que, même si leurs arguments n’ont pas été formulés dans le mémoire initial à la lumière du critère établi par la Cour suprême du Canada dans Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 [Fraser], tous leurs arguments concernant les effets préjudiciables de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR s’y trouvaient. Ils ont simplement été reformulés à la lumière du critère établi dans l’arrêt Fraser, paru après le dépôt du dossier des demandeurs. Ils font valoir que le défendeur a eu amplement de temps pour demander un délai supplémentaire afin de déposer des affidavits ou de présenter des observations additionnelles.
[34]
La Cour convient avec le défendeur qu’un nouvel argument ne devrait pas être soulevé à l’étape du mémoire supplémentaire (AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 19 aux para 72, 74; Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 864 aux para 25-29; Al Mansuri c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22).
[35]
Toutefois, après examen du mémoire initial des demandeurs, la Cour constate que même si leurs observations auraient pu être mieux articulées, les demandeurs soulevaient néanmoins une panoplie d’arguments concernant les effets de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR. Les termes « effets préjudiciables »
sont même utilisés au paragraphe 58 du mémoire initial des demandeurs et certains des arguments présentés ne cadrent tout simplement pas avec un argument concernant une distinction fondée uniquement sur l’origine nationale ou la citoyenneté.
[36]
Le manque de compréhension allégué par le défendeur ne peut justifier le refus de la Cour d’entendre l’argument des demandeurs. De par les indices qui se trouvaient dans le mémoire initial des demandeurs, le défendeur aurait dû anticiper l’argument de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Il a choisi de ne pas contre-interroger les affiants des demandeurs et de ne déposer aucun affidavit additionnel, prenant ainsi le risque que la Cour ne soit pas du même avis.
[37]
Avant de clore sur les questions en litige, un commentaire s’impose. Lors de l’audience, la Cour a demandé aux parties si elle pouvait se prononcer sur la question constitutionnelle puisqu’elle était soulevée pour la première fois devant cette Cour. Il est bien établi que, sauf en cas d’urgence, les questions constitutionnelles ne peuvent être soulevées pour la première fois devant la juridiction de révision si le décideur administratif avait le pouvoir et la possibilité pratique de les trancher (Okwuobi c Commission scolaire Lester‑B‑Pearson; Casimir c Québec (Procureur général); Zorrilla c Québec (Procureur général), 2005 CSC 16 aux para 38-40; Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129 au para 33; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 aux para 46, 55; Al-Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1000 au para 7 [Al-Abbas]).
[38]
Les parties ont soutenu que, puisque la SAR n’avait pas la compétence pour entendre l’appel, les questions constitutionnelles ne pouvaient être soulevées que devant cette Cour. Les demandeurs ont indiqué que dans l’affaire YZ c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892 [YZ], les demandeurs avaient essayé de contester la constitutionnalité du régime relatif aux pays d’origine désignés en interjetant appel devant la SAR. La SAR a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR et que la seule question qu’elle pouvait trancher était celle de savoir si les conditions énumérées à cet alinéa étaient effectivement remplies (YZ au para 5).
[39]
En l’espèce, les demandeurs font valoir que s’ils avaient soulevé l’argument constitutionnel devant la SAR, ils auraient reçu la même réponse. Ils ajoutent qu’ils ont d’ailleurs demandé à la SAR de suspendre le dossier en attente de la décision dans Kreishan, mais que celle-ci a refusé de le faire.
[40]
La Cour fait sien le raisonnement du juge John Norris dans la décision Al-Abbas. Dans cette affaire, le demandeur avait présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la SAR rejetant son appel pour défaut de compétence. Le demandeur invoquait dans sa demande que le paragraphe 36(1) de la Loi sur des mesures de réforme était inconstitutionnel parce qu’il portait atteinte à ses droits en vertu des articles 7 et 15 de la Charte. La disposition contestée avait pour effet d’interdire l’appel devant la SAR d’une décision de la SPR rendue sur une question renvoyée à la SPR avant la date d’entrée en vigueur de cet article. L’argument constitutionnel n’avait pas été soulevé devant la SAR. Sur la question de la compétence de cette Cour pour trancher la contestation constitutionnelle dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, le juge Norris indiquait ce qui suit:
[12] Bien que le législateur ait clairement conféré à la SAR la compétence pour trancher des questions relatives à la Charte, il est tout aussi clair qu’il voulait empêcher les personnes se trouvant dans la situation du demandeur de s’adresser à la SAR à quelque fin que ce soit, y compris pour formuler des arguments constitutionnels. Il s’agit là d’une nuance que l’on ne retrouve pas habituellement dans la jurisprudence relative à la compétence des tribunaux administratifs à l’égard de la Charte. Je constate toutefois que la Cour est parvenue à des conclusions analogues en ce qui concerne les restrictions du droit d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration (voir Kroon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 697, aux par. 32 et 33; Ferri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 RCF 53, 2005 CF 1580, aux par. 35-48 [Ferri]; Benavides Livora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 104, au par. 10; et Singh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 455, aux par. 55 et 56). Bien que la remarque qui suit ne soit pas déterminante, il vaut aussi la peine de signaler que la SAR a elle‑même tiré une conclusion semblable en ce qui concerne son défaut de compétence pour trancher un appel visé par les restrictions du droit d’interjeter appel devant la SAR que l’on trouve au paragraphe 110(2) de la LIPR, même lorsque l’appel porte sur la contestation de la constitutionnalité de cette disposition (voir, par exemple, Re X, 2013 CanLII 76400, aux par. 14 à 18 (CA CISR) et Re X, 2016 CanLII 106279, aux par. 6 à 17 (CA CISR).
[41]
Selon le juge Norris, le fait de trancher la question constitutionnelle pour la première fois dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire « ne constitu[ait] pas une façon inacceptable de court-circuiter le décideur à qui a[vait] été confiée la tâche de trancher la question en premier lieu »
(Al-Abbas au para 14). Nonobstant cette conclusion, il a toutefois refusé d’examiner le bien-fondé des arguments constitutionnels en raison de l’insuffisance du dossier de preuve qui lui avait été soumis.
[42]
La Cour constate également que les arguments constitutionnels ne semblent pas avoir été soulevés devant la SAR dans l’affaire Kreishan. Malgré cela, la Cour ainsi que la Cour d’appel fédérale se sont penchées sur la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR eu égard à l’article 7 de la Charte.
[43]
Par conséquent, la Cour considère qu’elle peut se prononcer sur l’argument constitutionnel soulevé par les demandeurs.
V.
Analyse
A.
Norme de contrôle
[44]
De manière générale, la norme de contrôle applicable à l’interprétation faite par la SAR de sa compétence pour entendre un appel en vertu de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 115).
[45]
Toutefois, les demandeurs contestent la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR et demandent à la Cour de le déclarer inopérant. Puisque la SAR ne s’est pas prononcée sur la question et que la Cour joue le rôle d’un tribunal de première instance, aucune norme de contrôle n’est applicable en l’espèce.
B.
L’article 15 de la Charte
[46]
L’article 15 de la Charte se lit comme suit :
|
|
[47]
Le cadre d’analyse applicable à une demande fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte a été réitéré à maintes reprises par la Cour suprême du Canada. Il s’agit d’une analyse en deux (2) étapes qui a pour objet de promouvoir l’égalité réelle.
[48]
Pour établir une violation prima facie du paragraphe 15(1) de la Charte, le demandeur doit d’abord démontrer que la disposition contestée crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. Ensuite, et dans l’affirmative, la loi contestée doit imposer un fardeau ou nier un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage, y compris un désavantage historique subi (Ontario (Procureur général) c G, 2020 CSC 38 au para 40; Fraser aux para 27, 30; Québec (Procureure générale) c Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17 au para 25; Centrale des syndicats du Québec c Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18 au para 22; Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30 aux para 19-20 [Taypotat]; Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5 aux para 324, 418 [Québec c A.]; Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 au para 61).
[49]
La Cour suprême du Canada a confirmé que la même approche à deux (2) étapes s’applique, peu importe si la discrimination alléguée est directe ou indirecte (Fraser au para 48).
C.
Application
(1)
Première étape : Distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue
a)
À première vue
[50]
Les demandeurs soutiennent d’abord que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR crée une distinction « explicite »
fondée sur la « nationalité »
, un motif énuméré, et la citoyenneté, un motif analogue, entre, d’une part, les citoyens américains et les personnes sans nationalité qui résident habituellement aux États-Unis, et, d’autre part, les citoyens de tous les autres pays. Ils soutiennent que les Américains et les personnes sans nationalité qui résident habituellement aux États-Unis, étant exclus de l’application de l’ETPS, ont la possibilité d’interjeter appel à la SAR d’une décision défavorable de la SPR, alors que les ressortissants de tous les autres pays qui ont bénéficié d’une exception à l’ETPS n’y ont pas droit.
[51]
Le défendeur fait quant à lui valoir que la seule distinction établie par l’alinéa 110(2)d) de la LIPR est fondée sur le passage par les États-Unis, un motif qui n’est pas énuméré ou analogue. De plus, il soutient que les affaires YZ et Feher c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 335, sur lesquelles s’appuient les demandeurs, ne s’appliquent pas en l’espèce. Contrairement à ces affaires, l’alinéa 110(2)d) de la LIPR ne fait pas de distinction entre les différents demandeurs d’asile en fonction de leur origine nationale ou de leur citoyenneté. Tous les demandeurs d’asile, peu importe leur origine nationale ou leur citoyenneté, qui arrivent au Canada par un point d’entrée terrestre depuis les États-Unis n’ont pas accès à la SAR. Le défendeur invite la Cour à suivre la décision dans Altamirano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 964 [Altamirano], qui a déterminé que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR ne crée pas une distinction fondée sur l’origine nationale (Altamirano aux para 10-11).
[52]
Compte tenu de la manière dont l’alinéa 110(2)d) de la LIPR interagit avec l’article 159.3 du RIPR et l’ETPS, la Cour est disposée à présumer, pour les fins de son analyse, que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR crée une distinction fondée sur l’origine nationale et la citoyenneté entre, d’une part, les demandeurs d’asile américains et les demandeurs sans nationalité résidant aux États-Unis, et, d’autre part, les citoyens de tous les autres pays.
[53]
Quant à l’application de la décision de cette Cour dans Altamirano, la Cour note qu’il s’agit d’une décision de treize (13) paragraphes où la Cour a refusé de déclarer invalide l’alinéa 110(2)d) de la LIPR au motif que le demandeur n’avait pas signifié d’avis de question constitutionnelle conformément à l’article 57 de la LCF. Rien n’indique que le demandeur dans cette affaire avait présenté un argument quant à la distinction entre les demandeurs d’asile américains et sans nationalité qui résident habituellement aux États-Unis et les demandeurs d’asile d’autres nationalités ou citoyennetés. La lecture de la décision ne permet pas non plus de déterminer clairement si la conclusion de la Cour se fonde sur le premier ou deuxième volet de l’analyse du paragraphe 15(1) de la Charte.
[54]
Les demandeurs allèguent également que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR établit une distinction explicite fondée sur l’âge, un motif énuméré, et le « groupe social famille »
, qu’ils invitent la Cour à reconnaitre comme motif analogue. Les demandeurs reprochent à la disposition contestée d’accorder aux demandeurs d’asile ayant de la famille au Canada et aux mineurs non accompagnés le bénéfice d’une exception à l’ETPS, pour ensuite leur refuser un droit d’appel à la SAR.
[55]
Comme pour l’origine nationale et la citoyenneté, la Cour est disposée à présumer, pour les fins de son analyse, que la manière dont l’alinéa 110(2)d) de la LIPR interagit avec l’article 159.5 du RIPR crée une distinction fondée sur l’âge.
[56]
Concernant le « groupe social famille »
, les demandeurs invitent la Cour à le reconnaitre comme motif analogue. Ils expliquent que la Cour suprême du Canada a suggéré dans plusieurs affaires que la famille est un motif analogue (Symes c Canada, [1993] 4 RCS 695 aux pp 762, 770, 825; Thibaudeau c Canada, [1995] 2 RCS 627 au para 212; Fraser aux para 114, 123). Ils soutiennent que le « groupe social famille »
doit recevoir une interprétation large et libérale et qu’il satisfait les critères articulés dans l’arrêt Corbière c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203 [Corbière], qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction qui se fonde notamment sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle [Corbière au para 13].
[57]
À cet égard, les demandeurs allèguent que le « groupe social famille »
a été clairement reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, comme un motif qui se fonde sur des caractéristiques immuables. De plus, la Cour d’appel fédérale, cette Cour ainsi que de nombreuses décisions de la SPR et de la SAR ont reconnu que le « groupe social famille »
a souffert de désavantages et de discrimination. Enfin, le « groupe social famille »
est protégé par la législation sur les droits de la personne en droit canadien, et plus particulièrement aux articles 3(3)d), e) et f), et 96 de la LIPR, l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, le préambule de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960 c-44 et la Déclaration universelle des droits de l’Homme, NU Ass Gén Rés 217 A (III), 10 décembre 1948.
[58]
Comme dans l’arrêt Fraser, la Cour n’est pas à l’aise de reconnaitre un nouveau motif analogue fondé sur la famille, puisque le dossier et les observations des parties ne fournissent pas l’éclairage nécessaire pour étudier les répercussions d’une telle mesure (Fraser aux para 116-123). Les demandeurs se contentent d’indiquer que « le groupe social famille »
satisfait le critère établi dans Corbière sans toutefois définir ce groupe avec précision. Vu les observations et la preuve limitées sur la question, la Cour ne croit pas qu’il serait approprié qu’elle se prononce sur cette question dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.
b)
Par effet préjudiciable
[59]
Les demandeurs allèguent que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR crée une distinction par suite d’un effet préjudiciable sur les familles colombiennes, les femmes, les enfants et les personnes souffrant d’une incapacité mentale ou physique. N’ayant pas accès à la SAR, ces groupes de demandeurs d’asile reçoivent des « filets de sécurité de moindre qualité »
parce qu’ils sont privés de :
(1) un tribunal quasi judiciaire suis [sic] generis indépendant ayant plus d’expertises/ connaissances que la SPR au niveau des questions de droit et parfois des faits;
(2) l’application de moins de retenue que la Cour fédérale;
(3) une audience de vive voix devant un ou trois commissaires incluant le recours à l’assistance active d’un avocat/interrogatoires/ contre-interrogatoires/objections, de témoignages d’experts et de témoins et de l’enregistrement de l’audience;
(4) la nomination ou au remplacement d’un représentant désigné s’il est inadéquat pour protéger les enfants et les personnes souffrant d’un trouble mental;
(5) un séjour plus long au Canada avec un sursis réglementaire à la déportation;
(6) la présentation de nouvelles preuves médicales et psychologiques ainsi que les preuves documentaires non disponibles ou accessibles devant la SPR permettant de rétablir leur crédibilité ainsi que l’absence de possibilité de refuge interne ou de protection étatique;
(7) la possibilité de contrer une conclusion de connaissances spécialisées de la SPR;
(8) l’intervention du HCR;
(9) la possibilité de se voir accorder le statut de réfugié ou le statut de personne protégée rapidement;
(10) la considération de la mise à jour du cartable de documentation nationale sur le pays du propre chef de la SAR;
(11) le bénéfice de procédures souples et d’un cadre juridique informel et expéditif;
(12) l’application des Directives du Président selon l’alinéa 159(1)h) de la LIPR qui reconnaissent le désavantage historique et le besoin d’une égalité réelle pour les sous-groupes femmes(incluant famille), enfants, personnes vulnérables.
[Notes en bas de pages omises.]
[60]
Concernant l’effet préjudiciable sur les familles colombiennes, les demandeurs allèguent, entre autres, être persécutés en Colombie en raison de leur appartenance au « groupe social famille »
. Selon eux, la preuve démontre que depuis plus de 10 ans, de nombreuses familles colombiennes fuient les cartels, le recrutement des enfants et la violence domestique en Colombie. Selon le témoignage de l’experte professeure et avocate américaine Elissa Steglich, il appert que les demandes d’asile présentées aux États-Unis sous le « groupe social famille » sont vouées à l’échec, car les familles nucléaires ne s’y qualifient pas comme groupe social. Les demandeurs font valoir que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR prive donc les familles colombiennes arbitrairement de la SAR sous la fausse prémisse qu’elles ont eu le choix de présenter leur demande d’asile aux États-Unis alors que, dans les faits, le Canada est le seul choix viable pour ces familles se trouvant aux États-Unis. De plus, en écourtant le séjour des demandeurs ayant de la famille au Canada afin d’en dissuader d’autres à venir au Canada, la disposition a pour effet de causer une immixtion arbitraire dans la liberté des demandeurs de s’associer avec leur famille.
[61]
En ce qui a trait aux effets préjudiciables sur les femmes, la demanderesse témoigne qu’elle demande l’asile comme « femme dirigeante psychologue luttant contre la dépendance aux drogues en Colombie »
. Les demandeurs soutiennent que, selon un rapport du Haut-Commissariat des Nations-Unis pour les réfugiés produit au dossier, les femmes dirigeantes sont ciblées par les groupes armés et qu’il s’agit du motif de persécution le plus souvent invoqué par les femmes colombiennes qui demandent l’asile au Canada. Toujours selon l’experte professeure et avocate Elissa Steglich, les demandes d’asile de femmes fuyant les cartels ou la violence intrafamiliale sont aussi vouées à l’échec aux États-Unis. Les demandeurs font valoir que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR a donc un effet disproportionné sur les femmes colombiennes. Il a « l’effet rétrograde non désiré de punir les femmes qui fuient la violence en les soumettant à un collimateur de recours dispendieux et peu généreux contrairement aux articles 15, 26 et 28 de la Charte et aux alinéas 3(3) d) e) f) de la LIPR
. »
[62]
Les demandeurs s’appuient également sur les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Ils soutiennent qu'elles reconnaissent « les nombreux problèmes particuliers auxquels se heurtent les femmes lors de leur audience dont la crainte de persécution est liée au genre : le syndrome de la femme battue; le traumatisme; la honte; la difficulté à exposer leur dossier et à obtenir des preuves et la pauvreté »
.
[63]
Quant à l’effet préjudiciable de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR sur les enfants, les demandeurs allèguent que les enfants colombiens accompagnés de leurs parents fuient les cartels et le recrutement par des groupes armés non étatiques. Ils s’appuient sur un rapport du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, intitulé « Demandeurs d’asile, réfugiés et migrants à statut précaire »,
pour démontrer qu’une grande partie des demandeurs d’asile au Canada sont des mineurs et qu’en conséquence, la disposition les affecte disproportionnellement. Les demandeurs s’appuient aussi sur les Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié [Directives no 3] et font valoir que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR a pour effet de priver les enfants d’importantes mesures d’adaptation mises en place par ces directives.
[64]
Ils allèguent que la demanderesse souffre notamment de dépression et d’anxiété, ce qui l’empêche de fonctionner normalement. Malgré cela, elle a été nommée comme représentante désignée de ses deux (2) enfants mineurs, dont l’un a été diagnostiqué avec une maladie rare et incurable au Canada. La demanderesse reconnait avoir omis de présenter une preuve de sa condition mentale et de la condition médicale de son enfant devant la SPR. Toutefois, elle allègue que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR a pour effet de priver ses enfants, victimes d’un représentant désigné inapproprié, de la possibilité de le faire substituer devant la SAR et de bénéficier pleinement des Directives no 3 et de l’article 170(e) de la LIPR, qui prévoit le droit de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations devant la SPR.
[65]
Selon les demandeurs, l’absence du droit d’appel à la SAR aurait un effet dévastateur sur les mineurs non accompagnés, pouvant même les mener au suicide. Ils s’appuient sur l’affidavit de la pédopsychiatre et professeure Cécile Rousseau, ainsi que sur la décision Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651 [Médecins Canadiens], qui indique qu’il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne (Médecins Canadiens au para 445).
[66]
Enfin, les demandeurs soutiennent que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR empêche les demandeurs d’asile souffrant d’une incapacité mentale ou physique de présenter de nouvelles preuves cruciales à leur cas, faisant ainsi obstacle aux Directives numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, qui rappellent l’engagement continu de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR] à prendre des mesures d’adaptation d’ordre procédural pour ces personnes afin qu’elles ne soient pas désavantagées lorsqu’elles présentent leur cas.
[67]
Outre les preuves ci-dessus mentionnées, les demandeurs ont produit la preuve suivante :
(1) des rapports statistiques de la CISR sur le taux d’acceptation des demandeurs d’asile provenant de divers pays entre 2015 et 2020;
(2) une publication du Haut-Commissariat des Nations-Unis intitulée « Ce qu’il faut savoir des passages irréguliers à la frontière »;
(3) le témoignage d’expert écrit de l’avocat Bruno Gélinas-Faucher, membre des barreaux du Québec, de l’Ontario et de l’État de New York, indiquant qu’il ne connait pas d’exception aux États-Unis au droit d’interjeter appel pour les non-citoyens ayant bénéficié d’une exception à l’ETPS;
(4) le témoignage écrit du Dr Ezat Mossallanejad, un intervenant œuvrant auprès des demandeurs d’asile victimes de torture, qui affirme être au courant que les personnes qui sont victimes de torture peuvent présenter de la preuve médicale et psychologique devant la SAR, mais que plusieurs demandeurs d’asile victime de torture n’ont pas accès à la SAR et la possibilité de présenter une telle preuve;
(5) le témoignage écrit de Sylvie Laurion, psychologue œuvrant auprès des demandeurs d’asile, sur l’importance des rapports psychologiques devant les instances de la CISR, dont la SAR et sur les obstacles et difficultés pour les demandeurs d’asile d’avoir accès à ces rapports; et,
(6) l’affidavit de la demanderesse principale qui affirme, entre autres, qu’elle est persécutée en Colombie par des narcotrafiquants puissants car elle s’est consacrée à combattre la dépendance aux drogues en tant que psychologue, qu’elle ignorait qu’elle devait parler de sa condition mentale et celle de son fils qui est atteint d’une maladie rare, qu’elle a omis d’inclure un rapport psychologique pour sa condition mentale, qu’elle ignorait sa pertinence et qu’elle n’aurait pas eu les ressources financières pour payer un psychologue devant la SPR.
[68]
Après examen du dossier, la Cour ne peut souscrire aux arguments des demandeurs que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR crée une distinction par effet préjudiciable sur les familles colombiennes, les femmes, les enfants et les personnes souffrant d’une incapacité mentale ou physique.
[69]
La discrimination par suite d’un effet préjudiciable survient lorsqu’une loi en apparence neutre a une incidence disproportionnée sur des membres de groupes bénéficiant d’une protection contre la discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue. Plutôt que cibler explicitement les membres de groupes protégés contre une différence de traitement, la loi les désavantage indirectement (Fraser aux para 30, 45-48).
[70]
Il appartient aux demandeurs de démontrer prima facie que la loi a un effet disproportionné à leur égard du fait de leur appartenance à un groupe énuméré ou analogue (Fraser au para 52; Taypotat au para 21).
[71]
Selon l’arrêt Fraser, deux (2) types d’éléments de preuve sont particulièrement utiles pour prouver qu’une loi a un effet disproportionné sur des membres d’un groupe protégé, soit la preuve sur la situation du groupe et la preuve sur les conséquences de la loi (Fraser au para 56). Idéalement, les allégations de discrimination par suite d’un effet préjudiciable doivent être appuyées par ces deux (2) types de preuve. Même si ces deux (2) types de preuve ne sont pas toujours requis, la preuve doit comprendre davantage qu’une accumulation d’intuitions (Fraser aux para 60-61; Taypotat au para 34). Il faut également plus qu’une preuve statistique générale ayant peu ou pas de lien avec le contexte particulier de l’affaire (Taypotat aux para 31-32; Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 181 aux para 61, 80).
[72]
La Cour estime que la preuve présentée n’établit pas que l’absence d’un droit d’appel à la SAR a un effet disproportionné sur les demandeurs en raison de leur appartenance à un groupe énuméré ou analogue. La preuve est fragmentaire et comporte des lacunes importantes.
[73]
Les données statistiques fournies par les demandeurs concernant le succès des demandeurs d’asile selon leur pays d’origine sont trop générales. Les statistiques sur les appels présentés par pays de persécution n’indiquent pas les raisons qui ont justifié le rejet d’appel pour défaut de compétence de la SAR. Selon les explications fournies par la SAR, la catégorie « Rejetés – défaut de compétence de la SAR »
englobe les demandes d’asile présentées par des étrangers désignés, les demandes d’asile rejetées à l’égard desquelles la SPR a tiré une conclusion d’absence de minimum de fondement, les demandes d’asile rejetées qui ont été déférées parce qu’elles étaient visées par une exception prévue à l’ETPS, et les demandes d’asile ayant fait l’objet d’un désistement prononcé par la SPR. Elles ne font pas état non plus de la proportion des demandeurs d’asile qui sont des femmes, des enfants ou des personnes souffrant d’incapacité physique ou mentale, ou encore des motifs de persécution allégués. De plus, les pays mentionnés correspondent au premier pays de persécution déclaré par le demandeur à la SPR et ne reflètent pas nécessairement l’origine nationale ou la citoyenneté des demandeurs d’asile. Enfin, il est indiqué que les tableaux englobent tous les appels interjetés: les appels interjetés par les demandeurs d’asile ou par le ministre n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision de la SAR, et ceux ayant fait l’objet d’un renvoi à la SAR par la Cour fédérale.
[74]
Quant aux statistiques sur les demandes d’asile présentées par pays à la SPR, celles-ci ne démontrent pas le nombre de demandeurs d’asile qui sont arrivés par les États-Unis. Selon les explications qui accompagnent les données statistiques, les tableaux englobent tous les types de cas déférés à la SPR, y compris les demandes d’asile renvoyées par la Cour fédérale ou la SAR en vue d’un nouvel examen, ainsi que d’autres types d’affaires instruites par la SPR, comme les demandes de réouverture.
[75]
Les demandeurs ne peuvent soutenir qu’il s’agit d’une preuve statistique démontrant des « disparités claires et constantes dans la façon dont une loi affecte un groupe de demandeurs »
(Fraser aux para 62-63; Taypotat au para 33). Même si ces statistiques fournissent des renseignements relatifs à certaines catégories générales, la Cour n’est pas en mesure de tirer les conclusions souhaitées par les demandeurs.
[76]
Quant à la preuve des experts sur le droit américain, Elissa Steglich et Bruno Gélinas-Faucher, qui affirment, entre autres, qu’un demandeur d’asile ayant profité d’une exception à l’ETPS bénéficie d’un droit d’appel aux États-Unis, peu importe sa nationalité, et que les demandes d’asile fondées sur la violence domestique et criminalisée n’ont que peu de chance d’être accordées, la Cour estime que cette preuve est insuffisante et qu’elle manque de contexte. Les affiants ne fournissent aucun contexte législatif et n’offrent aucune explication sur le processus applicable aux demandeurs d’asile. La Cour ne peut fonder une conclusion d’effet préjudiciable sur ce qui lui a été présenté en l’espèce. Par ailleurs, ce n’est pas parce que les États-Unis ont choisi d’accorder un droit d’appel aux demandeurs d’asile ayant profité d’une exception à l’ETPS que l’absence d’un droit d’appel au Canada crée un effet disproportionné sur les demandeurs d’asile dans la même situation.
[77]
De même, les deux (2) rapports du Haut-Commissariat des Nations Unies portent sur les passages irréguliers des demandeurs d’asile à la frontière. Le rapport intitulé « Les arrivées irrégulières à la frontière : informations générales janvier-mai 2019 »
mentionne que la majorité des demandeurs qui traversent la frontière de manière irrégulière sont des familles, des parents seuls accompagnés de leurs enfants, des couples et des personnes voyageant seules. Il mentionne également que le tiers des entrées irrégulières au Québec, dans les premiers mois de l’année 2019, étaient des enfants qui accompagnaient leurs parents. La Cour s’interroge sur la pertinence de cette preuve. Dans un premier temps, elle porte sur les demandeurs d’asile qui traversent la frontière de manière irrégulière. Ces demandeurs d’asile bénéficient d’un droit d’appel à la SAR. Dans un deuxième temps, elle ne démontre pas la composition des demandeurs d’asile qui présentent une demande à un point d’entrée terrestre en provenance des États-Unis. La Cour ne peut conclure de cette preuve que l’absence d’un droit d’appel à la SAR a un effet disproportionné sur un groupe protégé par un motif énuméré ou analogue.
[78]
Les témoignages écrits du Dr. Rousseau, du Dr. Laurion et de l’intervenant auprès des demandeurs d’asile victimes de torture ne sont d’aucun secours aux demandeurs. D’abord, il n’a pas été démontré que les demandeurs ont été victimes de torture. Ensuite, la Cour est d’avis que les demandeurs mettent trop d’emphase sur la possibilité de présenter de la nouvelle preuve médicale ou psychologique devant la SAR. Si la SAR procédait à une analyse de novo, il y aurait peut-être lieu de se demander si le refus d’accès à la SAR aurait un impact démesuré sur les personnes souffrant d’une incapacité physique ou psychologique, considérant les obstacles à la présentation de preuve médicale ou psychologique devant la SPR, exposés dans les témoignages écrits du Dr. Rousseau et du Dr. Laurion. Ce n’est cependant pas le cas. La SAR base son analyse sur le dossier de la SPR et n’accepte d’admettre de nouveaux éléments de preuve que s’ils satisfont les critères législatifs et jurisprudentiels (LIPR, para 110(4); Huruglica au para 79). L’appel devant la SAR n’est pas l’occasion de pallier les lacunes du dossier devant la SPR. Les demandeurs doivent mettre de l’avant leur meilleure preuve et présenter leurs meilleurs arguments devant la SPR.
[79]
De plus, la preuve ne permet pas d’établir qu’un droit d’appel à la SAR règlerait les difficultés que peuvent avoir certains demandeurs d’asile à avoir accès aux professionnels de santé mentale. Certes, les demandeurs bénéficieraient d’un délai plus long pour ce faire. Toutefois, la Cour n’a aucune donnée sur les délais que doivent encourir les demandeurs d’asile pour avoir accès aux professionnels, tant au Québec qu’ailleurs au Canada, ou sur le délai moyen avant que la SAR ne se prononce sur un appel. Elle n’a également aucune information sur le nombre de rapports psychologiques qui sont acceptés par la SAR dans le cadre d’un appel, quels sous-groupes les ont présentés et quel est le contexte factuel ayant mené à leur dépôt.
[80]
Bien que les Directives du président reconnaissent la vulnérabilité de certains groupes de demandeurs d’asile et qu’elles s’appliquent à l’ensemble des sections de la CISR, elles ont aussi pour objet d’accommoder, au niveau procédural, les difficultés que peuvent avoir des demandeurs à présenter leur dossier. Elles précisent également les considérations pertinentes dans l’évaluation des demandes et de la preuve. Les avocats doivent demeurer aux aguets des difficultés que pourraient avoir leurs clients à témoigner et, le cas échéant, communiquer leurs inquiétudes à la SPR. Ils doivent également insister auprès de leurs clients de l’importance à communiquer tous les facteurs qui pourraient réduire leurs chances d’être reconnus comme réfugiés.
[81]
Pour conclure, même si elle reconnait qu’il y a des désavantages qui découlent de l’absence d’un droit d’appel à la SAR, la Cour est d’avis que les demandeurs n’ont pas démontré, à même la preuve produite, que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR a un effet qu’on peut qualifier de « disproportionné »
sur les familles colombiennes (en raison de leur origine nationale ou citoyenneté, la famille n’étant pas un motif analogue reconnu), les femmes, les enfants ou les personnes souffrant d’incapacité physique ou psychologique.
[82]
Étant disposée à présumer que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR crée une distinction fondée sur l’origine nationale, la citoyenneté et l’âge en raison de la manière dont la disposition interagit avec les articles 159.3 et 159.5 du RIPR et l’ETPS, la Cour entend maintenant examiner si l’alinéa 110(2)d) de la LIPR satisfait au deuxième volet de l’analyse du paragraphe 15(1) de la Charte.
(2)
Deuxième étape : Renforcer, perpétuer ou accentuer un désavantage
[83]
La deuxième étape de l’analyse sous le paragraphe 15(1) de la Charte est de déterminer si la disposition contestée est discriminatoire parce qu’elle impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage, y compris le désavantage historiquement subi (Fraser aux para 27, 50, 76; Taypotat au para 20; Québec c A au para 331).
[84]
La Cour ne peut souscrire à l’argument des demandeurs que l’interdiction d’interjeter appel à la SAR sous-entend que leurs craintes soient moins dignes de protection que celles des Américains ou des demandeurs sans nationalité qui résident habituellement aux États-Unis. La raison pour laquelle les demandeurs d’asile américains et sans nationalité qui y résident habituellement sont exclus de l’application de l’ETPS, et ont donc accès à la SAR, est qu’ils ne peuvent pas faire une demande d’asile aux États-Unis pour une crainte de persécution aux États-Unis. En effet, les États-Unis ne sont pas leur premier pays d’arrivée sûr, mais bien leur pays de résidence. Ce n’est pas en raison d’une quelconque perception que leurs demandes ont plus de valeur ou qu’ils méritent plus de protection.
[85]
Il en est de même pour l’argument des demandeurs selon lequel l’alinéa 110(2)d) de la LIPR est discriminatoire envers les demandeurs qui ont des membres de la famille au Canada et les mineurs non accompagnés puisqu’il les prive de l’accès à la SAR.
[86]
Même si la famille constituait un motif analogue de discrimination selon le paragraphe 15(1) de la Charte, les demandeurs n’ont apporté aucune preuve d’un désavantage systémique ou historique auquel feraient face les demandeurs d’asile qui ont de la famille au Canada. C’est au contraire parce que ces demandeurs ont de la famille au Canada que leurs demandes peuvent être entendues par la SPR (RIPR, art 159.5). Si ce n’était pas le cas, leurs demandes seraient irrecevables et ils seraient renvoyés aux États-Unis.
[87]
Dans le cas des mineurs non accompagnés, il est évident que l’exception à l’irrecevabilité de leur demande prévue à l’article 159.5 du RIPR se rattache à leur condition de personne plus vulnérable. Toutefois, la Cour ne considère pas, pour reprendre les termes des demandeurs, que l’absence d’un droit d’appel à la SAR « perpétue le stéréotype que les enfants soient des objets de droit et non des sujets de droit et qu’à ce titre, ils méritent de souffrir »
ou qu’il renforce le désavantage « que les enfants doivent toujours subir le sort ou le choix de leurs parents »
.
[88]
Comme il a été mentionné dans Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84 [Gosselin], les distinctions fondées sur l’âge sont courantes et nécessaires pour maintenir l’ordre dans notre société et n’évoquent pas automatiquement le contexte d’un désavantage préexistant qui donne à croire à l’existence d’une discrimination et à la dénégation arbitraire de privilèges (Gosselin au para 31).
[89]
La restriction du droit d’appel doit être examinée dans son contexte législatif global, ce qui comprend l’ETPS (Fraser au para 42). L’ETPS a pour objet de permettre au Canada et aux États-Unis de mieux gérer la circulation des demandeurs d’asile et de partager la responsabilité de l’examen des demandes d’asile entre les deux (2) pays. Bien que l’ETPS prévoit des exceptions pour certains demandeurs d’asile, la règle demeure celle de l’irrecevabilité des demandes lorsque les demandeurs d’asile se présentent à un point d’entrée terrestre. Ces exceptions sont précisées à l’article 159.5 du RIPR et tiennent compte de la vulnérabilité des demandeurs d’asile mineurs et du principe de la réunification des familles énoncé dans la LIPR. Puisque ces demandeurs d’asile ont la possibilité de faire une demande d’asile dans un pays sûr, le législateur canadien a jugé qu’une décision négative de la SPR par rapport à leur demande doit être considérée comme définitive. La vulnérabilité des demandeurs d’asile mineurs n’est pas accentuée parce qu’une disposition de la LIPR ne leur confère pas un plus grand avantage procédural.
[90]
Il importe de rappeler que c’est le fait d’arriver d’un pays désigné partie à un accord, soit les États-Unis, qui prive les demandeurs d’asile d’un droit d’appel à la SAR, peu importe leur origine nationale, leur citoyenneté, leur genre, leur âge ou leur déficience. S’ils avaient présenté leurs demandes d’asile ailleurs qu’à un point d’entrée terrestre, ces mêmes demandeurs bénéficieraient d’un droit d’appel à la SAR puisqu’ils ne seraient pas assujettis à l’ETPS.
[91]
Or, les demandeurs n’ont pas contesté la constitutionnalité de l’ETPS en l’instance.
[92]
En somme, la Cour rejette l’argument des demandeurs selon lequel la disposition contestée a pour effet d’élargir la disparité vécue par les demandeurs les plus vulnérables en raison d’un recours plus dispendieux et moins généreux devant cette Cour. Bien que les motifs de contrôle judiciaire soient plus étroits que les motifs d’appel à la SAR, la Cour ne peut conclure que la différence de traitement procédural a pour effet, comme le prétendent les demandeurs, de perpétuer des désavantages ou l’application de stéréotypes ou préjugés à l’égard des demandeurs d’asile colombiens, femmes, enfants ou personnes souffrant d’une déficience physique ou mentale.
VI.
Conclusion
[93]
Pour les raisons mentionnées plus haut, les arguments fondés sur le paragraphe 15(1) de la Charte ne peuvent réussir. Les demandeurs n’ont pas établi que les distinctions pouvant découler de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR étaient discriminatoires.
[94]
Puisque les demandeurs n’ont pas démontré qu’un droit garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte a été violé, il n’est pas nécessaire pour la Cour d’examiner si l’alinéa 110(2)d) de la LIPR est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.
[95]
Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
VII.
Question certifiée
[96]
Dans leur mémoire supplémentaire, les demandeurs demandent à la Cour de certifier la question suivante :
Est-ce que les alinéas 110(2) d) i) ii) de la LIPR portent atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte) d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte, et sont par conséquent inopérants conformément au paragraphe 51(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. ? [sic]
[97]
Les critères pour la certification d’une question sont bien établis. La question proposée doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. De plus, la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur l’affaire. Une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont propres à l’affaire ne peut soulever une question dûment certifiée (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, aux para 46‑47; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au para 36; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, aux para 15‑17; Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au para 4; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au para 9; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, aux pars 28‑29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, aux para 11‑12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637 (CAF) (QL), au para 4).
[98]
La Cour est d’accord avec les parties que la question soulève une question importante qui transcende les intérêts des parties en l’espèce et qui serait déterminante quant à l’issue d’un appel. La Cour reformulerait toutefois la question proposée et certifierait ce qui suit :
L’alinéa 110(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 porte-t-il atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte?
JUGEMENT au dossier IMM-7283-19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et
La question de portée générale suivante est certifiée :
L’alinéa 110(2)(d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 porte-t-il atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte?
« Sylvie E. Roussel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-7283-19
|
|
INTITULÉ :
|
DOR, MFRO, DARO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 21 JANVIER 2021
|
|
JUGEMENT ET motifs :
|
LA JUGE ROUSSEL
|
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 27 AOÛT 2021
|
|
COMPARUTIONS :
Claudia Andrea Molina
|
Pour leS demandeurS
|
Michel Pépin
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet Molina Inc.
Montréal (Québec)
|
Pour leS demandeurS
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour le défendeur
|