Date : 20050704
Dossier : IMM-7080-04
Référence : 2005 CF 938
Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LA JUGE SNIDER
[1] Le demandeur, Kulanthaivelu Ratnavelu, est un Tamoul hindou du Nord du Sri Lanka et un citoyen de ce pays. Il demande l'asile parce qu'il craint d'être persécuté par l'armée sri-lankaise et par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) et d'être pris pour cible par ces organisations. Le 22 juillet 2004, un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés) (la Commission) a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu'il n'était pas crédible et que sa crainte n'était pas fondée. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.
Question en litige
[2] Il faut déterminer en l'espèce si la Commission a commis une erreur : a) en interprétant mal la preuve ou b) en ne tenant pas compte de la preuve dont elle disposait.
Analyse
[3] C'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique au contrôle judiciaire d'une conclusion relative à la crédibilité. En d'autres termes, je ne peux infirmer la décision que si elle n'est pas du tout étayée par la preuve.
[4] L'événement qui, selon le demandeur, l'a poussé à quitter le Sr Lanka est survenu en octobre 2003, lorsque les TLET lui ont demandé de conduire un bateau pour eux ou de faire en sorte que son fils se joigne à eux. La Commission s'est attardée à cet événement et a conclu qu'il ne s'était pas produit. Comme il s'agissait d'un élément déterminant, elle a rejeté la demande du demandeur. Selon le propre témoignage du demandeur, ce ne sont pas les problèmes qu'il a eus dans le passéavec les TLET qui l'ont incité à quitter le Sri Lanka. Aussi, pour avoir gain de cause, le demandeur doit me convaincre que la Commission a eu tort de conclure que les incidents survenus en 2003 ne se sont pas produits.
[5] Les principaux éléments de la décision de la Commission peuvent être résumés comme suit :
_ le demandeur n'a pas mentionné l'événement d'octobre 2003 aux autorités au point d'entrée au Canada;
_ la Commission a rejeté la demande d'asile parce que le demandeur n'avait pas un « profil » susceptible d'attirer l'attention des TLET;
_ le demandeur a témoigné « de façon vague et évasive au sujet des éléments essentiels » ;
_ le demandeur avait vécu à Vavuniya durant trois ans - de janvier 2000 à octobre 2003 - sans avoir eu aucun contact avec les TLET.
[6] Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur à l'égard de chacun de ces éléments. Je vais maintenant passer en revue les motifs qu'elle a donnés pour chacun.
a) Omission dans les notes prises au point d'entrée
[7] La Commission a constaté que le demandeur n'avait pas parlé des événements allégués à l'agent d'immigration qu'il a rencontré au point d'entrée. Elle a indiqué : « Les propos [du demandeur] n'ont pas trait aux événements récents [...] ayant trait à l'ASL, ce qui, encore une fois, suggère au tribunal que les événements récents ont été fabriqués pour étayer la demande d'asile » . Le demandeur soutient qu'il n'a rien omis, mais qu'il a répondu aux questions d'une manière générale et a parlé des TLET.
[8] Un examen des notes prises au point d'entrée révèle que le demandeur n'a pas décrit les événements allégués à l'agent d'immigration à son arrivée au Canada. Ces incidents étaient fondamentaux en l'espèce. Il ne s'agit pas d'un cas où le demandeur a simplement omis certains détails. En l'espèce, le demandeur n'a pas décrit les incidents sur lesquels il allait ensuite fonder sa demande. La Commission a le droit de s'appuyer sur des contradictions entre les notes prises au point d'entrée et un témoignage ultérieur. Bien qu'il ne soit pas déterminant en soi aux fins de la décision du tribunal, le fait qu'un demandeur ne mentionne pas les événements qui l'ont poussé à quitter son pays amène certainement à se demander si les événements dont il fait ensuite mention sont vrais ou servent seulement à ajouter du poids à sa demande d'asile.
b) Réponses évasives
[9] La Commission a mentionné à plusieurs reprises dans ses motifs que le témoignage du demandeur était décousu et vague. Le demandeur soutient que la Commission aurait dû tenir compte de son manque d'instruction.
[10] La Commission a eu la possibilité d'apprécier elle-même le témoignage du demandeur. Elle a tenu compte de la déclaration du conseil selon laquelle le demandeur « s'éparpille parce que c'est dans sa nature » . Elle n'était cependant pas d'accord avec lui. Elle a rappelé que le demandeur avait su se montrer « éloquent » et qu'il avait « fait grand étalage de ses connaissances sur la situation politique actuelle du Sri Lanka » . Elle a conclu que le demandeur :
... se mêlait, hésitait et devenait incohérent seulement au sujet des événements récents qui l'ont apparemment poussé à quitter le pays, ce qui donne à croire au tribunal qu'il fabriquait les événements pour étayer sa demande d'asile.
[11] L'appréciation des témoignages est au centre du travail de la Commission. Contrairement à moi, la Commission a pu observer le comportement du demandeur pendant son témoignage. Dans ses motifs, elle a décrit avec soin de quelle façon le témoignage du demandeur changeait lorsqu'il parlait des événements allégués. Les remarques de la Commission et les conclusions qu'elle a tirées sont, « en l'absence d'une erreur manifeste à la lecture du dossier, [...] inattaquables » (Ankrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 385). La conclusion qu'elle a tirée de la manière dont le demandeur a témoigné n'est pas déraisonnable. Je ne relève aucune erreur.
c) Profil
[12] La Commission a indiqué :
Par ailleurs, le tribunal n'arrive pas à croire que le demandeur d'asile, sans profil particulier, qui a apparemment fait de durs travaux pour les TLET trois ans plus tôt suscite tout d'un coup un intérêt si vif que ces derniers sont venus le chercher à Vavuniya parce qu'il savait naviguer.
[13] Le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte de son témoignage selon lequel il était recherché par les TLET pour conduire un bateau d'un type particulier et qu'il avait donc un « profil » qui en faisait une cible des TLET.
[14] Un examen de la transcription révèle cependant qu'il est loin d'être clair que le demandeur possède des compétences particulières. Lorsqu'on lui a demandé ce que ce type de bateau avait de particulier, le demandeur a parlé de la puissance du moteur et a dit qu'il avait suivi une formation particulière en 1982. Il n'a rien répondu lorsqu'on lui a demandé si ce bateau pouvait être conduit par n'importe qui. La Commission a pris en considération ce témoignage ainsi que le fait que le demandeur avait, dans le passé, effectué de « durs travaux » pour les TLET, mais non conduit des bateaux particuliers pour eux.
[15] La Commission a souligné que les documents sur les conditions existant au Sri Lanka indiquaient que les TLET recrutent de jeunes hommes et de jeunes femmes et non des personnes âgées de plus de 50 ans comme le demandeur. Elle pouvait à juste titre se fonder sur cette constatation et sur la description incomplète des compétences particulières que le demandeur prétendait avoir pour conclure que ce dernier n'avait pas le profil des personnes recherchées par les TLET et pour ne pas ajouter foi à sa version des événements.
d) Années passées à Vavuniya
[16] La Commission a rappelé que le demandeur avait vécu à Vavuniya durant trois ans sans qu'il ne lui arrive rien et a semblé mettre en doute sa crédibilité pour cette raison. Le demandeur soutient qu'il ne lui est rien arrivé pendant ces trois ans parce que les TLET étaient interdits à Vavuniya avant 2002. Selon lui, la Commission a agi de manière abusive en s'appuyant sur l'absence de contacts avec les TLET pendant cette période pour mettre en doute sa crédibilité.
[17] Je constate en premier lieu qu'il n'est pas clair que la Commission a considéré qu'il s'agissait d'un facteur déterminant. La Commission n'a pas conclu, comme elle aurait pu le faire, qu'il n'était pas vraisemblable que le demandeur, après avoir vécu en paix durant trois ans à Vavuniya, ait été soudainement contacté par les TLET. La Commission semble s'être servi de cette partie du témoignage du demandeur pour montrer à quel point les réponses de ce dernier étaient vagues.
[18] En outre, même si cela peut être interprété comme une raison de ne pas croire le demandeur, je ne vois rien là d'incorrect. Il est exact que les TLET n'ont été autorisés à se trouver dans la ville qu'à compter de 2002, mais la preuve documentaire indique qu'ils menaient des activités partout dans la région. Ainsi, la Commission aurait pu conclure qu'il n'était pas crédible que les TLET aient laissé le demandeur en paix pendant trois ans si, vu ses compétences et son profil, ils voulaient recruter son fils.
Conclusion
[19] Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Aucune partie n'a proposé une question de portée générale à des fins de certification.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. que la demande soit rejetée;
2. qu'aucune question de portée générale ne soit certifiée.
« Judith A. Snider »
Juge
Traduction certifiée conforme
Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7080-04
INTITULÉ : KULANTHAIVELU RATNAVELU
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 29 JUIN 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 4 JUILLET 2005
COMPARUTIONS:
Helen Luzius POUR LE DEMANDEUR
Neeta Logsetty POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Helen Luzius POUR LE DEMANDEUR
Avocate
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada