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Date : 20050306

Dossier : T-1864-00

Référence : 2005 CF 333

ENTRE :

                                                           JOHN LETOURNEAU

                                               et LETOURNEAU LIFE RAIL LTD.

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                             CLEARBROOK IRON WORKS LTD.

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                Il s'agit d'une action qui concerne une allégation de contrefaçon de brevet à l'égard d'un étançon de rampe protectrice facilement démontable, incorporant un appui à double patte décalée, destiné à une utilisation sur le bord supérieur d'un mur de béton préfabriqué et fixé soit dans des manchons d'ancrage coulés dans le mur, soit par boulonnage au mur. Les étançons et le garde-corps métallique qui s'y rattache étant installés, au-dessus d'un plancher coiffant les murs, les ouvriers sont empêchés de s'écarter du bord du bâtiment.

[2]                Par leur requête, les demandeurs cherchent à faire radier tout ou partie du paragraphe 22 de la troisième défense et demande reconventionnelle modifiée, qui renvoie à l'article 76 de la Loi sur les brevets et aux articles 366 et 368 du Code criminel, qui prévoient des sanctions pénales pour des exposés faux dans le cas des brevets et pour des faux dans le second cas. Je passe maintenant aux antécédents pertinents de l'affaire.

LES ANTÉCÉDENTS PERTINENTS

[3]                La troisième défense et demande reconventionnelle modifiée du 10 janvier 2005 alléguait qu'avant le début de la présente action, l'un des demandeurs avait induit en erreur un employé de la défenderesse au sujet du contenu de la demande de brevet en instance et :

22.           [traduction] Du fait du comportement décrit aux paragraphes 19 à 21 de la troisième défense modifiée, le brevet 136 est nul et n'est pas susceptible d'exécution contre la défenderesse. De plus, et à titre subsidiaire, les demandeurs n'ont droit à aucune réparation en equity ou d'autre nature de la défenderesse, comme ils l'allèguent ou autrement. La défenderesse fait valoir et invoque l'article 76 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, chapitre P-4, modifiée, ainsi que les articles 366 et 368 du Code criminel du Canada.

La défenderesse soutient également que cette ruse équivalait à la présentation d'une demande trompeuse à la défenderesse et qu'elle avait pour double intention d'une part, de faire valoir faussement et trompeusement des droits que les demandeurs n'avaient pas et, d'autre part, de laisser croire faussement et trompeusement à la défenderesse qu'elle avait porté atteinte aux droits des demandeurs. En réalité, la mention même d'une ruse est en fait une mention de tromperie ou de leurre. C'est le paragraphe 22 ou, à titre subsidiaire, la dernière phrase du paragraphe du paragraphe 22 que les demandeurs cherchent à faire radier.

[4]                La réponse des demandeurs au paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle, exposée dans la troisième réponse et défense à la demande reconventionnelle modifiée du 20 janvier 2005, est que l'erreur dans l'un des chiffres figurant dans un dessin de l'étançon aurait dû être détectable immédiatement par la défenderesse, mais que, de toute façon :

[traduction] Pour apporter une réponse supplémentaire au paragraphe 22 de la troisième défense modifiée, les demandeurs font valoir que l'article 76 de la Loi sur les brevets et le Code criminel du Canada sont en dehors de la compétence de la Cour et que les renvois à ces textes ne révèlent aucune cause raisonnable d'action, sont gênants et devraient être radiés.

En soulevant la question du défaut de cause raisonnable d'action, du caractère gênant et de la radiation du paragraphe 22 dans leur défense à la demande reconventionnelle, les demandeurs, tout en répondant par un acte de procédure à la demande reconventionnelle, ne sont pas empêchés par la doctrine de la préclusion de présenter la présente requête en radiation de tout ou partie du paragraphe 22.

[5]                L'article 76 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, chapitre P-4 prévoit notamment :


EXPOSÉ FAUX, FAUSSES INSCRIPTIONS, ETC.

76. Quiconque, relativement aux fins de la présente loi et en connaissance de cause, selon le cas_:

a) fait un exposé faux;

...

d) produit ou présente un document renfermant des renseignements faux,

commet un acte criminel et encourt, sur déclaration de culpabilité, une amende maximale de cinq cents dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l'une de ces peines.

FALSE REPRESENTATIONS, FALSE ENTRIES, ETC.

76. Every person who, in relation to the purposes of this Act and knowing it to be false,

(a) makes any false representation,

...

(d) produces or tenders any document containing false information,

is guilty of an indictable offence and liable on conviction to a fine not exceeding five hundred dollars or to imprisonment for a term not exceeding six months or to both.

Fox on Canadian Patent Law and Practice, 4e édition, 1969, Carswell, à la page 604, souligne que la Couronne [traduction] « ... intervient dans l'administration du droit des brevets en raison de sa compétence en matière pénale » , prévoyant par la Loi sur les brevets des sanctions sous forme d'amende et d'emprisonnement. Je fais ici remarquer que la Loi sur les Cours fédérales confère à la fois à la Section d'appel et à la Section de première instance une compétence en matière pénale :


4. Maintien_: Section de première instance

La section de la Cour fédérale du Canada, appelée la Section de première instance de la Cour fédérale, est maintenue et dénommée « Cour fédérale » en français et « Federal Court » en anglais. Elle est maintenue à titre de tribunal additionnel de droit, d'equity et d'amirauté du Canada, propre à améliorer l'application du droit canadien, et continue d'être une cour supérieure d'archives ayant compétence en matière civile et pénale.

[Non souligné dans l'original.]

4. Federal Court - Trial Division continued

The division of the Federal Court of Canada called the Federal Court - Trial Division is continued under the name "Federal Court" in English and "Cour fédérale" in French. It is continued as an additional court of law, equity and admiralty in and for Canada, for the better administration of the laws of Canada and as a superior court of record having civil and criminal jurisdiction.

[Emphasis added]

Cette compétence en matière pénale n'est pas une compétence pénale générale.

L'EXAMEN

[6]                Je commencerai par un examen du paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle dans le contexte d'une procédure criminelle ou quasi criminelle. Selon la procédure courante à la Cour fédérale, dans les poursuites en vertu de la législation sur la propriété intellectuelle, c'est la Couronne qui poursuit, par exemple dans l'arrêt The Queen c. Canadian Coat and Apron Supply Limited [1967] 2 R.C.É 53. Toutefois, cette poursuite était intentée en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.C. 1960, chapitre 45, qui visait les poursuites engagées par le procureur général devant la Cour de l'Échiquier du Canada. On peut également se reporter à la version actuelle de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, chapitre C-34, qui prévoit clairement à l'article 73 que le procureur général du Canada doit engager les poursuites devant la Cour fédérale.

[7]                Je reconnais qu'une poursuite de nature privée en matière pénale par voie de mise en accusation est toujours possible, avec le consentement d'un juge d'un tribunal compétent. Il est clair que le paragraphe 22 de la défense n'est pas une poursuite en vertu de l'article 76 de la Loi sur les brevets et la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître d'une poursuite fondée sur cet article.

[8]                Les articles 366 et 368 du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, chapitre C­-64, traitent respectivement de faux et d'emploi d'un document contrefait. Toutefois, le paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle est si déficient comme acte d'accusation, en tant qu'accusation écrite au sens du droit pénal, qu'il est manifeste que la défenderesse ne cherche pas à obtenir une réparation prévue au Code criminel. Je dois donc examiner le paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle, ou toute partie de celui-ci, pour apprécier s'il autorise ou fonde une cause raisonnable d'action ou de défense dans le cadre de la compétence de la Cour fédérale ou, subsidiairement, si les allégations qu'il contient, comme le prétendent les demandeurs, sont scandaleuses, préjudiciables ou susceptibles de retarder l'instruction équitable de l'action, ce qui renvoie ici aux alinéas 221(1)c) et d) des Règles consacrés à la radiation des actes de procédure.


[9]                J'observerais maintenant que la Cour fédérale, en l'absence d'une compétence législative claire comme dans l'arrêt Canadian Coat and Apron (précité), a toujours affirmé sans ambiguïté qu'elle ne possède aucune compétence générale en matière pénale. À cet égard, je renverrais, par exemple, à la décision Société canadienne des postes c. Syndicat des postiers du Canada [1989] 1 C.F. 98, aux pages 115 et 116. Dans cette affaire, le juge Rouleau était saisi d'une requête en radiation d'une déclaration qui invoquait une infraction quasi criminelle, en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes. Dans son raisonnement motivant la radiation de la déclaration pour défaut de cause raisonnable d'action, le juge Rouleau a fait observer que les articles de loi relatifs aux infractions quasi criminelles, qui sont de nature punitive, ne pouvaient constituer un fondement valable pour élargir la compétence de la Cour fédérale dans un procès en matière civile. Il a conclu, à la page 115, que la seule réparation prévue par la loi était le dépôt de dénonciations et les poursuites devant les tribunaux provinciaux. Il a ajouté :

Je voudrais également ajouter qumon avis, l'arrêt R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205 expose clairement qu'il n'y a pas de délit civil spécial fondé sur une violation seule de la loi mais plutôt qu'une cause d'action doit exister indépendamment et séparément en vertu des principes de la responsabilité civile délictuelle. En l'absence d'indices dans le Code canadien du travail ou dans la Loi sur la Sociétécanadienne des postes que ces lois envisagent une telle action, on ne peut présumer que la violation de leurs dispositions donne aux demandeurs une cause civile d'action [page 116].

En effet, ces dispositions législatives quasi criminelles ne fondent pas par elles-mêmes une cause d'action dans un procès civil. Dans son argumentation, la défenderesse dit qu'elle ne cherche pas à intenter une poursuite visant une infraction criminelle ou quasi criminelle ni à jeter les bases d'une injonction applicable à une activité criminelle. Naturellement, la chose n'est pas certaine lorsque qu'une partie fait valoir des faits et les conséquences qu'ils entraînent, comme on l'a fait aux paragraphes 19 à 21 de la défense et demande reconventionnelle, car le plaideur n'est pas lié ni limité par ces conséquences juridiques : voir, par exemple, Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd., décision non publiée du 13 novembre 2004 dans le dossier T-1822-97, 2004 CF 1672. Par conséquent, malgré ce qu'on a pu dire ou faire observer sur la présente requête, les demandeurs pourraient bien souhaiter poursuivre l'enquête préalable, ce qu'autorise la gestion de l'instance dans le cas d'une ordonnance de même date.


[10]            Adoptant une approche différente, la défenderesse soutient qu'une fois la compétence de la Cour fédérale établie, en l'occurrence en vertu de la Loi sur les brevets, la Cour dispose alors de tous les pouvoirs nécessaires pour exercer sa compétence : la Cour possède en effet les pouvoirs nécessaires pour accorder la réparation appropriée, que ce pouvoir soit ou non mentionné expressément dans la loi : New-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général) (2000) 2 C.P.R. (4th) 49 (C.A.F.) aux pages 52 et 53. Sur cette base, la défenderesse affirme que la Cour fédérale peut appliquer des lois si elles sont pertinentes par rapport à des questions relevant par ailleurs de sa compétence, même si la Cour ne peut pas connaître directement d'actions ou de poursuites fondées sur ces lois.

[11]            La décision 384238 Ontario Limited c. La Reine, [1982] 1 C.F. 61 (C.F. 1re inst.) fournit un autre exemple de cette argumentation. Elle visait la saisie de biens dont on prétendait qu'ils avaient été cédés à un tiers, la demanderesse, donc mis hors de la portée de la Couronne une fois le fait accompli. Les demanderesses, qui avaient acheté les biens, demandaient à la Couronne de les remettre. La Couronne, en réponse, s'est appuyée sur la législation ontarienne en matière de transferts frauduleux de biens comme moyen de défense. Toutefois, la décision 384238 Ontario n'est d'aucune aide particulière pour l'espèce, car ni l'article 76 de la Loi sur les brevets ni les articles 366 et 368 du Code criminel ne prévoient de moyens de défense.

[12]            L'arrêt Brewer Bros. c. Canada (Procureur général) (1991) 80 D.L.R. (4th) 321 (C.A.F.) est intéressant à ce sujet. Dans cette affaire, on alléguait la négligence de la Couronne à l'égard du cautionnement fourni par un exploitant d'un silo-élévateur qui avait fait faillite, ce qui avait causé des pertes économiques aux demandeurs. Dans cet arrêt, la Cour d'appel a fait observer que les dispositions relatives aux cautionnements dans la Loi sur les grains du Canada avaient été adoptées en vue d'un objectif, la protection des producteurs de grains dont les récoltes étaient confiées à un exploitant de silo-élévateur. Dans l'arrêt Brewer Bros., la Cour n'a pas considéré les dispositions législatives sur les cautionnements comme fondant une cause d'action, mais comme preuve à l'appui de l'obligation de diligence de droit privé :

On n'a pas prétendu et je ne maintiens pas que ces dispositions en elles-mêmes ont créé une responsabilité en faveur des intimés. Le juge de première instance a souligné, en employant les mots du juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, précité, que la « notion d'un délit civil spécial de violation d'une obligation légale qui donnerait droit à des dommages-intérêts sur simple preuve d'une violation et d'un préjudice doit être rejetée » bien que « [l]a preuve de la violation d'une loi, qui cause un préjudice, peut être une preuve de négligence » . Dans la même décision, à la page 225, le juge Dickson a déclaré ce qui suit : « La violation d'une loi, lorsqu'elle a une incidence sur la responsabilité civile, doit être considérée dans le contexte du droit général de la responsabilité pour négligence » . Il semble donc qu'on peut tenir compte des dispositions susmentionnées de la Loi pour établir l'existence d'un des éléments fondamentaux de la négligence - l'obligation dediligence.

La Loi fournit une forte preuve de l'existence d'une obligation de diligence de droit privé.

    [Pages 341 à 372]


[13]            L'élément important de l'arrêt Brewer Bros. est la relation claire et étroite entre le préjudice que la Loi vise à prévenir et le dommage subi par les demandeurs. En l'espèce, on peut raisonnablement soutenir qu'il y a un rapport entre l'article 76 de la Loi sur les brevets, qui prévoit une peine dissuasive très concrète pour la production ou la présentation d'un document contenant des renseignements faux, et l'acte qui aurait été commis : il existe donc un rapport direct et un motif pour une partie de l'allégation du paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle. Cependant, sur le fondement de l'arrêt Brewer Bros., il n'y a pas de rapport direct similaire entre les faits exposés dans la demande reconventionnelle et les articles 366 et 368 du Code criminel, qui portent généralement sur les faux et les documents contrefaits : le paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle ne peut, par référence à l'arrêt Brewer Bros., mener à une issue favorable, mais ralentira seulement la procédure, caractéristique du moyen de défense vexatoire, scandaleux et préjudiciable, susceptible de retarder l'instruction équitable de l'action.


[14]            À la lumière de l'arrêt Brewer Bros. de la Cour d'appel et des limites qu'inspire cette jurisprudence, soit la nécessité d'un rapport raisonnable entre la loi visée et le droit civil, je ne suis pas disposé non plus à élargir l'utilisation d'une disposition générale du Code criminel pour l'appréciation ou l'évaluation d'un comportement irrégulier, en m'appuyant sur la décision Montreal Fast Print Ltd. c. Polylock Corp. (1983) 74 C.P.R. (2d) 34 (C.F. 1re inst.) ou sur l'arrêt Bertram c. Canada, [1996] 1 C.F. 756 (C.A.F.). Dans la décision Montreal Fast Print, la question à trancher était la production de documents, dont on prétendait qu'ils étaient protégés : or la protection n'existait pas. Toutefois, le juge Walsh a fait référence de manière incidente à la jurisprudence selon laquelle, si un client souhaitait obtenir les conseils d'un avocat pour faciliter la commission d'un acte criminel ou d'une fraude, cette communication ne pourrait être considérée comme protégée. Il n'y a aucun rapport entre cette affaire et l'espèce. De même, dans l'arrêt Bertram, le juge Hugessen en appel, dans une digression sans pertinence directe, a considéré la protection comme viciée par la fraude. Il n'y a aucune relation entre ce principe touchant l'effet de la fraude et les faits allégués en l'espèce.

[15]            Dans son argumentation, l'avocat de la défenderesse a cherché à établir la pertinence des dispositions du Code criminel par un moyen légèrement différent, notant la compétence pénale de la Cour fédérale que confère l'article 4 de la Loi sur les Cours fédérales et l'article 20 de la Loi sur les Cours fédérales qui confère notamment une compétence dans les cas opposant des administrés en matière de brevets. Il va de soi que ces dispositions ne confèrent pas d'office à la Cour fédérale une compétence pénale limitée ou exploitable, cette compétence n'existant que lorsqu'il est satisfait au critère exposé dans l'arrêt ITO-International Terminal Ltd. c. Miida Electronics Inc. [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766. Il faut que la compétence soit conférée par la loi en question, ce qui était le cas dans l'arrêt Canadian Coat and Apron Supply (précité), mais non dans la décision Société canadienne des postes c. Syndicat des postiers du Canada (précitée).


[16]            Les observations de la défenderesse concernent également un aspect d'equity, soit la réparation en equity recherchée par les demandeurs sous forme d'injonction et de remise des articles contrefaisants et des bénéfices, qui relève du pouvoir discrétionnaire. La défenderesse fait valoir que cette prétention rend pertinent le comportement des demandeurs, faisant ici allusion à l'arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet-Dominion Inc. (1997) 73 C.P.R. (3d) 321 (C.A.F.). L'arrêt Beloit traitait, en partie, de la réparation discrétionnaire en equity que constitue la restitution des bénéfices et de la question de savoir si le principe s'appliquait dans le cas où l'entité cherchant à obtenir la restitution des bénéfices ne s'était pas présentée devant la Cour en situation régulière, car on alléguait qu'elle avait les mains sales ou avait fait preuve d'inertie ou donné son assentiment.

[17]            Dans l'arrêt Beloit, la Cour d'appel a apprécié le droit à une réparation en equity discrétionnaire à la lumière des faits, soit le long retard et la mauvaise foi dans l'exécution d'une d'une décision de la Section de première instance. En l'espèce, la défenderesse fait valoir cette base factuelle et objective aux paragraphes 19 à 21 de sa défense et demande reconventionnelle. Or on ne peut chercher à utiliser les peines prévues par la Loi sur les brevets et par le Code criminel pour apprécier ou élargir les allégations factuelles : ce moyen de défense, selon lequel le droit à des réparations en equity devrait dans une certaine mesure être apprécié en regard des dispositions pénales, n'apporte rien au titre d'une cause raisonnable de défense et même, comme je l'ai déjà signalé, introduit plutôt un élément scandaleux, vexatoire et préjudiciable au procès. L'arrière-plan factuel exposé dans la défense et demande reconventionnelle, s'il était établi en preuve, fournirait au juge du procès un matériel suffisant pour apprécier le comportement et l'effet de ce comportement sur l'admissibilité d'une réparation en equity de nature discrétionnaire.


[18]            On trouve cette approche factuelle dans l'arrêt Litwin Construction (1973) Ltd. c. Kiss (1988) 29 B.C.L.R. (2d) 88, de la Cour d'appel de Colombie-Britannique. L'arrêt Litwin n'apporte rien au moyen de défense fondé sur les dispositions pénales invoqué au paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle, car la Cour d'appel se limite à souligner que le critère utilisé par le juge de première instance, soit celui du comportement inéquitable et injuste qui produit un résultat contraire au sens correct de l'équité, des droits et du comportement, a donné lieu à une conclusion conforme à la doctrine moderne de la préclusion et [traduction] « ... la compétence en equity pour intervenir dans les cas où l'affirmation de droits légaux stricts pourrait être injuste ou inéquitable » (page 100). Dans l'arrêt Litwin Construction, la Cour d'appel a examiné un comportement de fait et non un comportement considéré à la lumière des critères législatifs. En l'espèce, il faut se rappeler qu'un seul des critères de la loi qu'avance la défenderesse est pertinent, soit celui de l'article 76 de la Loi sur les brevets, mais il ne fournit pas de moyen de défense.

[19]            Les considérations qui précèdent ne signifient pas que la Cour fédérale ne puisse être saisie d'une défense fondée sur l'abus de procédure. À cet égard, l'avocat de la défenderesse a renvoyé à l'arrêt Levi Strauss & Co. c. Goldrunner Apparel Inc. (1997) 76 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), où il était question de savoir si le paragraphe d'une défense, qui alléguait l'action frivole et vexatoire, dans un but de harcèlement et d'intimidation, était un moyen de défense approprié. Dans l'arrêt Levi Strauss, l'un des points soulevés était que le motif pour intenter l'action, soit le harcèlement et l'intimidation, ne constituait pas une défense. En l'espèce, la défenderesse est en mesure de souligner que l'ensemble de la défense et demande reconventionnelle, notamment le paragraphe 22 attaqué, fait partie de la demande reconventionnelle. Si l'abus de procédure peut être un moyen de défense valide, en l'espèce pour la demande reconventionnelle, il s'articule au recours abusif ou à la perversion de la procédure judiciaire. Cela nous ramène alors au comportement de fait des demandeurs, dont il est longuement question dans la défense et demande reconventionnelle, et qui n'a vraiment aucun rapport avec les dispositions pénales de la Loi sur les brevets ou du Code criminel.


CONCLUSION

[20]            On ne doit pas radier à la légère une défense qui présente quelque indice de légitimité, c'est-à-dire qui n'est pas simplement et manifestement futile, mais qui est susceptible de fournir un moyen de défense à invoquer. À la lumière des éléments factuels allégués aux paragraphes 19 à 21 de la défense et demande reconventionnelle, on peut soutenir que le paragraphe 22, aussi invoqué dans la demande reconventionnelle, n'est pas du tout nécessaire, mais tel n'est pas le critère applicable à la radiation.

[21]            En l'espèce, le moyen de défense qui s'appuie sur l'article 76 de la Loi sur les brevets peut être un argument à faire valoir sur le fondement de la relation entre cet article et les actes allégués, à partir de l'arrêt Brewer Bros. (précité). Par contre, l'applicabilité des articles 366 et 368 du Code criminel, allégation très grave, n'est pas seulement simplement et manifestement futile, mais elle est aussi scandaleuse, préjudiciable et susceptible de retarder l'instruction équitable de l'action.

[22]            La partie du paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle qui traite de l'article 76 de la Loi sur les brevets a peut-être une utilité, comme je l'ai indiqué. Par conséquent, tout le paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle est radié, mais avec possibilité de modifier le paragraphe de manière à supprimer tout renvoi au Code criminel du Canada.

[23]            Comme je l'ai déjà indiqué, il peut s'agir d'un cas où les demandeurs pourraient vouloir poursuivre l'interrogatoire préalable sur les allégations qui seront maintenues au paragraphe 22 de la défense et demande reconventionnelle. L'ordonnance y pourvoira.

[24]            Je remercie les avocats de leurs efforts et de la documentation intéressante qu'ils ont fournie.

« John A. Hargrave »

    Protonotaire

Traduction certifiée conforme

_______________________

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1864-00

INTITULÉ :               John Letourneau et al. c. Clearbrook Iron Works Ltd.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 14 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                   Le 6 mars 2005

COMPARUTIONS :

Paul Smith                                                         POUR LE DEMANDEUR

J. Kevin Wright                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul Smith Intellectual Property Law

Vancouver (Colombie-Britannique)                                POUR LE DEMANDEUR

Davis and Company

Vancouver (Colombie-Britannique)                                POUR LA DÉFENDERESSE


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