Date : 20210716
Dossier : IMM‑3267‑20
Référence : 2021 CF 752
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2021
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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CHHROVY TANG
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demanderesse, Chhrovy Tang, est une résidente permanente canadienne vivant au Québec. Elle avait présenté une demande visant à parrainer sa mère pour que celle‑ci obtienne la résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial. L’agent des visas avait conclu que Mme Tang répondait aux exigences. Elle avait ensuite été invitée à demander un certificat de sélection du Québec [CSQ] au gouvernement du Québec et à le présenter à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. L’une des exigences pour la délivrance d’un CSQ est que le répondant démontre une capacité financière suffisante pour remplir ses obligations de parrainage.
[2]
Après avoir amorcé le processus de demande, Mme Tang et son époux avaient perdu leur source de revenus. En raison de cette perte de revenu, ils n’étaient plus en mesure de démontrer leur capacité financière à subvenir aux besoins de la mère de Mme Tang et, par conséquent, n’étaient pas admissibles à un CSQ. Sur les conseils de son avocat, la demanderesse n’avait pas demandé un CSQ. En l’absence du CSQ requis, Mme Tang a sollicité le rejet de sa demande visant à parrainer sa mère.
[3]
Mme Tang a interjeté appel du rejet auprès de la Section d’appel de l’immigration [la SAI], au motif que la celle‑ci était en mesure d’examiner s’il y avait des considérations d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. La SAI a rejeté l’appel, jugeant que le défaut de demander un CSQ équivalait à une omission de déposer une demande de parrainage conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et que la SAI n’avait donc pas compétence pour examiner l’appel.
[4]
Mme Tang sollicite maintenant, au titre de l’article 72 de la LIPR, le contrôle judiciaire de la décision rendue le 25 février 2020 par la SAI. La demande soulève une seule question, soit de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas possible d’interjeter appel de la décision de rejet parce qu’une demande n’avait pas été déposée.
[5]
Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que la décision de la SAI était raisonnable. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.
II.
Les dispositions législatives applicables
[6]
La LIPR prévoit le droit d’interjeter appel, auprès de la SAI, du rejet d’une demande de visa présentée au titre du regroupement familial lorsque la demande a été déposée conformément au règlement (LIPR, art 63(1)). Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR], prescrit la forme et le contenu de la demande et établit également que, pour l’application du paragraphe 63(1) de la LIPR, la demande de parrainage qui n’est pas faite en conformité avec le RIPR est réputée non déposée (RIPR, art 10(1), 10(6)).
[7]
La demande de parrainage d’un membre de la catégorie du regroupement familial doit comprendre un engagement du répondant à soutenir financièrement le membre de la famille. Le répondant doit également démontrer sa capacité à fournir ce soutien (RIPR, art 130‑131). Lorsqu’un répondant réside au Québec, une demande de parrainage ne sera approuvée que si l’agent dispose d’éléments de preuve démontrant que les autorités compétentes de la province de Québec étaient d’avis que le répondant était en mesure de remplir ses obligations en matière de soutien financier (RIPR, art 137).
[8]
Par souci de commodité, les dispositions applicables de la LIPR et du RIPR sont reproduites à l’annexe A du présent jugement.
III.
La norme de contrôle
[9]
Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a confirmé que la présomption relative à la norme de la décision raisonnable s’appliquait aux questions de compétence et d’interprétation législative (para 65‑68, 115). La question soulevée en est une d’interprétation de la loi habilitante de la SAI, et aucun des motifs qui pourraient justifier une dérogation à l’application de la norme de contrôle présumée n’est présent (Vavilov aux para 23, 33, 53; Pepa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 348 au para 16). Une décision sera raisonnable si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et […] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles »
(Vavilov au para 85).
IV.
Analyse
[10]
Lorsqu’elle a rejeté l’appel pour défaut de compétence, la SAI a d’abord donné un aperçu du processus de parrainage lorsque, comme en l’espèce, le répondant réside au Québec. La description du processus offerte par la SAI n’est pas contestée et est utile :
[traduction]
[10] Afin de mieux comprendre les particularités des parrainages pour les cas du Québec, je crois pertinent d’offrir un survol du processus de parrainage. La demande de parrainage concerne le répondant et elle est habituellement traitée par le [Centre de traitement des demandes de Mississauga], au Canada. La demande de visa de résident permanent concerne le demandeur et est habituellement traitée par le bureau des visas. Des formulaires spécifiques à chacune de ces demandes doivent être remplis. Celui concernant les appelants s’intitule « Demande de parrainage, entente de parrainage et engagement » et se trouve au cahier d’appel. Sous la section « Engagement par le parrain et le cosignataire », on peut y lire les termes selon lesquels un répondant ou un parrain s’engage, vis‑à‑vis le gouvernement du Canada, à subvenir aux besoins de la personne parrainée et les obligations auxquelles il est tenu. Le formulaire indique clairement que cet engagement vise les résidents de toutes les provinces sauf ceux du Québec. Par conséquent, il est clair qu’une démarche complémentaire est requise avec le Québec pour que la demande de parrainage puisse être considérée comme complète.
[11] Mais cette démarche ne peut pas être initiée par un répondant auprès du Québec sans que les autorités fédérales ne se soient d’abord penchées sur la qualité de répondant du parrain, ni sur l’éligibilité du demandeur à être parrainé dans la catégorie souhaitée. Ce n’est qu’une fois cette éligibilité confirmée que le répondant pourra se tourner vers la province de Québec et soumettre une demande d’engagement et c’est en l’espèce ce que l’appelant fut invité à faire. Dans le cas présent, je comprends donc que lorsque l’agent a statué sur la conformité de la demande de parrainage selon l’article 10, il l’a fait sans examiner la question de l’engagement de l’appelant auprès du Québec puisque, dans la séquence du processus pour les cas du Québec, cette demande est initiée par la décision d’éligibilité de l’agent. Néanmoins, je suis d’avis que la demande d’engagement est un prérequis pour que la demande de parrainage soit considérée comme complète […]
[11]
Après avoir reproduit les parties applicables du RIPR et de la LIPR, la SAI a conclu que la demande était incomplète. Le défaut de Mme Tang de signer un engagement ou de présenter une demande à la province de Québec selon les articles 131 et 137 du RIPR a fait en sorte que la demande n’avait pas été déposée conformément au règlement. Mme Tang n’avait aucun droit d’appel au titre du paragraphe 63(1) de la LIPR.
[12]
Ayant jugé que la demande était incomplète, la SAI a également fait remarquer que conclure autrement encouragerait les répondants à contourner le système d’immigration spécial mis en place avec le Québec. Les appelants seraient encouragés à présenter leur demande de parrainage en sachant qu’ils ne satisfont pas aux exigences financières pour le faire. De plus, les appelants auraient aussi accès à un examen des considérations d’ordre humanitaire sans que les décideurs aient accès au résultat de l’évaluation financière.
[13]
Mme Tang fait valoir que son appel n’est pas différent d’une situation où une demande de CSQ a été rejetée, et qu’il est absurde de l’obliger à présenter aux autorités provinciales une demande qu’elle sait vouée à l’échec. Elle cite la décision Lim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 657, pour affirmer que les lois ne doivent pas être interprétées « automatiquement et sans réflexion »
, et que l’objet de la LIPR est de permettre l’immigration, non de l’empêcher.
[14]
La décision Lim reflète les principes généralement non controversés selon lesquels les lois ne doivent pas être lues et interprétées « automatiquement et sans réflexion »
, et l’objet de la LIPR est de permettre l’immigration, non de l’empêcher (au para 21). Cependant, ces principes ne sont guère utiles pour Mme Tang en l’espèce. L’interprétation par la SAI des dispositions applicables du RIPR et de la LIPR n’était ni automatique ni sans réflexion.
[15]
Mme Tang n’a pas joint tous les renseignements et documents requis à sa demande. Compte tenu de ce fait incontesté, la SAI a examiné les dispositions législatives applicables et les a pris en considération dans leur contexte. Elle a notamment apprécié l’objet des dispositions législatives et l’incidence de l’adoption d’une interprétation différente de celles‑ci. La SAI a conclu que la demande n’était pas conforme au paragraphe 10(1) du RIPR.
[16]
Dans son examen du sens du paragraphe 63(1) de la LIPR, la SAI aborde le texte des dispositions dans son contexte élargi, y compris l’objet de la Loi. La conclusion de la SAI, selon laquelle le défaut d’inclure les documents requis avait fait en sorte que la demande n’avait pas été déposée conformément au règlement, cadre avec le texte, le contexte et l’objet du paragraphe 63(1) de la LIPR (Vavilov, aux para 119‑120). La SAI conclut raisonnablement qu’il y a une différence entre une demande de CSQ rejetée et l’absence de demande. Le résultat est également conforme aux décisions antérieures de la SAI (voir Magiafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CanLII 46838 (CA CISR) aux para 11‑12; Tazehdal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 129940 (CA CISR) aux para 12, 16‑17; voir également Al Mashtouli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 94 au para 11).
[17]
Mme Tang soulève un certain nombre d’autres arguments, dont aucun n’est convaincant. Elle soutient qu’une entrée dans les notes du Système mondial de gestion des cas indique qu’une décision favorable quant à l’admissibilité du répondant a été rendue et que, par conséquent, le paragraphe 10(1) a été respecté. Ce n’est pas le cas. Dans le contexte du processus tel qu’énoncé dans le RIPR, l’entrée indique au mieux l’achèvement d’une étape du processus avec succès.
[18]
Mme Tang fait également valoir une autre interprétation de l’alinéa 137b) du RIPR, un argument qui, même s’il était convaincant, ce qui n’est pas le cas, ne rend pas la décision de la SAI déraisonnable. Une autre interprétation en soi ne rend pas déraisonnable une interprétation par ailleurs raisonnable.
[19]
Enfin, des observations sont présentées au sujet des responsabilités professionnelles du conseil qui a conseillé à Mme Tang de présenter une demande à la province de Québec, compte tenu de sa situation financière. Je ne suis pas convaincu de la pertinence ou du bien‑fondé de ces observations dans le contexte particulier de la présente demande.
V.
Conclusion
[20]
La décision de la SAI est intelligible, transparente et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles. La demande sera rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3267‑20
LA COUR STATUE :
La demande est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
« Patrick Gleeson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur
Annexe A
Loi sur l’immigration et al protection des réfugiés, LC 2001, c 27
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
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Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227
Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3267‑20
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INTITULÉ :
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CHHROVY TANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 17 mai 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GLEESON
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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Le 16 juillet 2021
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COMPARUTIONS :
Emile Jean Barakat
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Pour la demanderesse
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Simone Truong
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Emile Jean Barakat
Montréal (Québec)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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