Date : 20030710
Dossier : IMM-4515-02
Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON
ENTRE :
MOHAMMAD ABU-FARHA et
AHMAD ABU-FARHA
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
VU LA DEMANDE présentée par les demandeurs pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 6 septembre 2002, laquelle a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger;
LA COUR ORDONNE :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l'objet du contrôle est annulée et la demande des demandeurs de protection à titre de réfugiés et de reconnaissance qu'ils sont des personnes à protéger est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué procède à une nouvelle audition et qu'il statue à nouveau sur l'affaire.
« Frederick E. Gibson »
____________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Date : 20030710
Dossier : IMM-4515-02
Référence : 2003 CF 860
ENTRE :
MOHAMMAD ABU-FARHA et
AHMAD ABU-FARHA
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE GIBSON
[1] Les présents motifs font suite à l'audience tenue le 8 juillet 2003 relativement à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle la SPR a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, selon la définition de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1], et qu'ils ne sont pas des personnes à protéger au sens de l'article 97 de cette loi. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 28 août 2002.
[2] Les demandeurs sont des frères. Ce sont des Palestiniens et d'anciens résidents des « territoires occupés » où la majorité des membres de leur famille vit toujours. Ils sont apatrides mais sont venus au Canada avec des passeports jordaniens. Au moment de leur audience devant la SPR, ils étaient étudiants et résidaient au Canada sur la base de visas d'étudiant valides.
[3] Mohammad est l'aîné des deux demandeurs. Au moment de l'audience devant la Cour, il était âgé de vingt-trois (23) ans. Il est arrivé au Canada en novembre 1998. Il est retourné chez lui, dans les territoires occupés, à l'été 2000.
[4] Ahmad est arrivé au Canada en septembre 2000.
[5] Les deux demandeurs ont déposé leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention en janvier 2001. Ils ont tous les deux déposé auprès de la SPR des certificats daté du 27 février 2001 mentionnant qu'ils sont enregistrés en tant que réfugiés palestiniens auprès de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Leurs enregistrements sont « sous » le même numéro de carte d'enregistrement. Les deux certificats mentionnent qu'ils ont été délivrés à la demande particulière du demandeur[2].
[6] Dans les motifs de sa décision, la SPR a écrit :
[...] Il n'y a rien dans l'exposécirconstancié de chacun des demandeurs d'asile qui se rapporte à des expériences spécifiques récentes, ayant une incidence sur eux en tant que personnes, sauf pour ce qui est de leurs réflexions sur ce qui leur est arrivé lorsqu'ils étaient très jeunes. Il n'y a rien de plus récent, rien qui indique qu'ils ont étévictimes de persécution, qu'ils craignent d'être torturés ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités, en tant que jeunes hommes[3].
[7] La SPR a exprimé des doutes au sujet du retard mis par les demandeurs pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention après leur arrivée au Canada ainsi qu'au sujet du fait que Mohammad pouvait se réclamer à nouveau de la protection de son pays. La SPR a conclu que cela n'était pas crédible qu'aucun des demandeurs n'ait :
[...] été au courant du système qui fait que le Canada accorde l'asile à des personnes qui en ont besoin. Ils sont tous deux de jeunes gens instruits. Il y a une association arabe ici, à Ottawa, qui offre des conseils à ce sujet et qui, en fait, effectue beaucoup de travail de traduction pour les demandeurs d'asile. Aussi, s'il y avait eu une crainte réelle de persécution ou une inquiétude réelle qu'ils soient soumis à des traitements ou peines cruels et inusités ou s'il y avait eu une crainte réelle de torture, je me serais attendu, avec raison, à ce que ces jeunes hommes prennent certaines mesures, au lieu de rester passifs à l'égard de ce mécanisme de protection, dont ils venaient tout juste d'entendre parler[4].
[8] Les demandeurs ont relaté des difficultés plus récentes auxquelles ils ont chacun eu à faire face dans les territoires occupés. Ils ont exprimé des craintes qu'ils seraient harcelés jusqu'à la persécution de la part des autorités israéliennes et qu'ils seraient exploités par des groupes palestiniens radicaux.
[9] La SPR a conclu que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils avaient besoin de la protection du Canada, soit à titre de réfugiés au sens de la Convention, soit parce qu'ils risquaient d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités ou d'être torturés « [...] dans leur pays » , ce qui signifie les territoires occupés, si je comprends bien ce que la SPR a voulu dire. Il convient de souligner que la SPR n'a aucunement fait mention des certificats de l'UNRWA dont elle disposait. Il n'a pas été contesté devant la Cour que la SPR avait omis de faire part aux demandeurs de ses réserves relativement au fait qu'ils avaient apparemment omis de se renseigner auprès de l'association arabe, une omission qui a clairement été interprétée par la SPR comme incompatible avec une véritable crainte de persécution. Les demandeurs n'ont donc pas eu l'occasion de réagir à ces réserves.
[10] De plus, dans l'affaire El-Bahisi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5], dans laquelle M. le juge Denault avait à statuer sur une demande de contrôle judiciaire équivalente fondée sur une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par une personne apatride dont la résidence habituelle avait été un camp de réfugiés dans la bande de Gaza, le juge Denault a fait un commentaire concernant l'omission de tenir compte précisément d'un document de l'UNRWA qui reconnaissait le demandeur en cause comme réfugié. Il a écrit :
La première erreur tient au fait que le tribunal n'a pas pris expressément en considération l'existence du document de l'UNRWA. Bien que le tribunal ne soit pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve documentaire produits, j'estime qu'il devrait considérer les preuves importantes ou celles qui portent expressément sur la revendication particulière du requérant, surtout lorsque le document en cause mentionne nommément le requérant et lui reconnaît le statut de réfugié. De plus, selon le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié [...], la reconnaissance antérieure du statut de réfugié, de la part de l'UNRWA, est pertinente au statut d'une personne en vertu de la Convention : [renvoi omis]
[11] Après avoir cité le guide, le juge Denault s'est appuyé sur le commentaire suivant tiré de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Ward[6]:
[...] Bien qu'il ne lie pas officiellement les États signataires, ce guide a été approuvé par les membres du comité exécutif du HCNUR, dont le Canada, et les tribunaux des États signataires se sont fondés sur lui.
[12] Le juge Denault a conclu suivant le passage reproduit ci-dessous :
Cela étant, la reconnaissance antérieure du requérant comme réfugié, qui lui a valu la protection de l'UNRWA, est convaincante, sans être il est vrai décisive, et la Commission aurait dû en traiter dans sa décision.
[13] J'en viens à la même conclusion en l'espèce. Bien que ni l'une ni l'autre, et peut-être les deux cumulativement, des omissions précédentes de la part de la SPR ne puisse être déterminante, chacune, et certainement les deux cumulativement, justifie qu'un tribunal différemment constitué de la SPR statue à nouveau relativement à la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce.
[14] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision faisant l'objet du contrôle sera annulée et la demande des demandeurs de protection à titre de réfugiés et de reconnaissance qu'ils sont des personnes à protéger sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué procède à une nouvelle audition et qu'il statue à nouveau sur l'affaire.
[15] L'avocate du défendeur disposera de sept (7) jours à compter de la date des présents motifs pour faire signifier et déposer des observations concernant la certification d'une question grave de portée générale découlant des présents motifs. Par la suite, l'avocat des demandeurs disposera de sept (7) jours pour répondre et l'avocate du défendeur disposera de trois (3) jours pour répondre aux observations présentées par les demandeurs. Par la suite, une ordonnance mettant en application le résultat des présents motifs sera rendue.
« Frederick E. Gibson »
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Juge
Ottawa (Ontario)
Le 10 juillet 2003
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-4515-02
INTITULÉ : MOHAMMAD ABU-FARHA ET AL c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 8 JUILLET 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : Le 10 juillet 2003
COMPARUTION :
Rezaur Rahman Pour les demandeurs
Susanne Pereira Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pfeiffer & Associates Pour les demandeurs
Avocats
157, rue McLeod
Ottawa (Ontario)
K2P OZ6
Sous-procureur général du Canada Pour le défendeur
Ministère de la Justice
Pièce 2294, Édifice commémoratif de l'Est
284, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A OH8
[1] L.C. 2001, ch. 27.
[2] Dossier du tribunal, volume 1, pages 83 et 85.
[3] Dossier du tribunal, volume 1, page 4.
[4] Dossier du tribunal, volume 1, pages 4 et 5.
[5] (1994), 72 F.T.R. 117 (C.F. 1re inst.).
[6] [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 713 et 714.