Date : 19980805
Dossier : IMM-3465-98
ENTRE :
MOHAMED BULLE BARRE,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE EN CHEF ADJOINT RICHARD
[1] Le demandeur sollicite une nouvelle ordonnance de sursis d'exécution de la mesure d'expulsion prise contre lui.
[2] Le 10 juillet 1998, le demandeur a déposé une demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 6 juillet 1998 de le renvoyer en Somalie. Dans sa demande d'autorisation, il demandait le prononcé d'une ordonnance de sursis d'exécution de la mesure d'expulsion prise contre lui.
[3] Le juge Teitelbaum a entendu la demande de sursis d'exécution du demandeur le 23 juillet 1998 et l'a rejetée le 29 juillet 1998. Il a conclu que, bien que le demandeur puisse être exposé à un risque ou puisse subir un préjudice irréparable, ce fait pris isolément n'était pas une raison suffisante de ne pas l'expulser du Canada. Le demandeur n'avait pas prouvé qu'il avait une cause défendable, et la prépondérance des inconvénients favorisait l'exécution de la mesure d'expulsion.
[4] Pour parvenir à sa décision, le juge Teitelbaum a pris en considération le fait que le demandeur avait obtenu le droit d'établissement comme réfugié au sens de la Convention en 1990 et avait emprunté la voie du crime. Le délégué du ministre a jugé que le demandeur constituait un danger pour le public. Le demandeur n'a pas contesté la validité de la mesure d'expulsion.
[5] Le 10 juillet 1998, le demandeur a déposé une nouvelle demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 28 février 1997 par laquelle le délégué du ministre a déclaré que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration. Le demandeur sollicite maintenant une ordonnance reportant l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre lui.
[6] Le demandeur n'a invoqué aucun argument, ni par écrit ni oralement devant le juge Teitelbaum, sur la question de savoir si le délégué du ministre avait commis une erreur en exprimant l'avis qu'il constituait un danger pour le public au Canada.
[7] Le demandeur prétend qu'il existe une question sérieuse à juger en l'espèce parce que le ministre s'est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques pour exprimer cet avis. Cette preuve se rapporte à une conversation téléphonique au cours de laquelle un agent de correction a informé un agent d'immigration que le demandeur s'était vu refuser une libération conditionnelle. Le demandeur était présent à l'audience tenue par la Commission des libérations conditionnelles.
[8] Par ailleurs, l'avocat du demandeur a obtenu copie, le 22 juillet 1998, c'est-à-dire avant l'audience présidée par le juge Teitelbaum, de tous les documents examinés par le délégué du ministre. L'avocat du défendeur affirme que, en dehors du fait que le demandeur conteste la décision du ministre sur la base de l'utilisation d'éléments de preuve extrinsèques, le demandeur sollicite la même réparation et fait valoir les mêmes droits que dans le cadre de la première demande soumise au juge Teitelbaum. Le dossier complet renfermant les éléments de preuve extrinsèques a été remis à l'avocat du demandeur avant l'audition de la première demande par le juge Teitelbaum.
[9] L'avocat du défendeur soutient qu'un demandeur raisonnablement diligent aurait pu découvrir les renseignements à ce moment-là et les invoquer à l'audition de la première demande.
[10] Le défendeur prétend qu'il y a chose jugée en l'espèce. L'avocat qui le représente a invoqué le passage suivant de l'ouvrage de George Spencer Bower intitulé The Doctrine of Res Judicata, 2e éd. (London: Butterworths, 1969), à la page 160 :
[traduction] [C]haque fois qu'il est prouvé que la partie déboutée a omis de soulever au cours des débats, dans ses observations, dans sa preuve ou autrement une question qu'elle aurait pu soulever en sa faveur comme moyen de défense ou comme motif à l'appui de sa cause sans nuire à sa position ou à ses droits dans l'action en cours ou dans une action subséquente, et qu'il lui incombait donc de soulever, la décision générale défavorable, malgré qu'elle ne contienne aucune déclaration expresse à cet effet, est réputée être une décision défavorable particulière concernant la question qui n'a pas été soulevée, exactement comme si elle avait été expressément soulevée par la partie et expressément décidée contre elle. Il en est ainsi que la question ait simplement été omise par inadvertance ou ait fait l'objet d'une supposition expresse ou tacite.
[11] L'avocat a également invoqué l'affaire Raman c. Canada (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 300, à la page 305, dans laquelle le juge Gibson a déclaré :
Rien n'a changé depuis le dépôt de la première demande de sursis d'exécution de la mesure d'exclusion, sauf que le requérant a produit des éléments de preuve additionnels particuliers à la question du préjudice irréparable auquel, selon lui, il s'exposerait dans l'éventualité de son retour au Nigeria. Le requérant demande la même réparation et fait valoir les mêmes droits que dans la première demande. Le requérant conteste la même action de l'intimé. Il n'a nullement expliqué pourquoi les nouveaux éléments de preuve n'avaient pas pu être produits à l'audition de la première demande de sursis d'exécution, sauf à invoquer le manque de temps pour faire des recherches et pour rassembler les éléments de preuve.
[12] Les renseignements qui, selon l'avocat du demandeur, sont des éléments de preuve extrinsèques ont été communiqués à l'avocat le 22 juillet 1998, mais celui-ci les a reçus, ainsi que d'autres documents, à 19 h. Puisqu'il en est ainsi, je ne suis pas disposé à affirmer que l'avocat aurait pu les invoquer à l'audience le lendemain ou qu'il n'a pas fait preuve de diligence.
[13] Il incombe au demandeur qui sollicite un sursis d'exécution de prouver qu'il existe une question sérieuse à juger, qu'il subirait un préjudice irréparable si la réparation n'est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients le favorise.
[14] S'agissant de la question sérieuse à juger, je doute que les renseignements que l'avocat du demandeur considère comme des éléments de preuve extrinsèques tombent dans cette catégorie. Ce sont des renseignements que le demandeur connaissait, et la seule chose qu'il n'a apprise que le 22 juillet 1998, c'est que ces renseignement avaient été fournis à l'agent d'immigration.
[15] Même si je concluais que l'espèce soulève une question sérieuse, je ne suis pas appelé à contrôler la décision du juge Teitelbaum. Celui-ci a conclu que la prépondérance des inconvénients favorisait le défendeur dans les circonstances, et que le demandeur n'avait pas rempli chacune des trois conditions du critère. À mon avis, la prépondérance des inconvénients continue de favoriser le défendeur.
[16] La demande de sursis d'exécution est rejetée.
J. Richard
Juge en chef adjoint
Ottawa (Ontario)
Le 5 août 1998
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR : IMM-3465-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : MOHAMED BULLE BARRE C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA ET VANCOUVER VIA TÉLÉCONFÉRENCE
DATE DE L'AUDIENCE : LE 5 AOÛT 1998
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT
EN DATE DU : 5 AOÛT 1998
COMPARUTIONS :
SANDRA BROUDY POUR LE DEMANDEUR
LORI JANE TURNER POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MCPHERSON, ELGIN & CANNON POUR LE DEMANDEUR
VANCOUVER (C.-B.)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada