Date : 20050414
Référence : 2005 CF 503
Toronto (Ontario), le 14 avril 2005
En présence de Monsieur le juge Harrington
ENTRE :
FATJON HYKA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il y a une vendetta entre deux familles aux opinions politiques divergentes et séparées par un conflit concernant la même terre en Albanie.
[2] Fatjon Hyka est le troisième fils d'une vieille famille capitaliste du Kosovo et de l'Albanie. Il y a de nombreuses années, la propriété familiale a été expropriée par le régime communiste et elle a fini par tomber entre les mains de la famille Gjyshi, fidèle au régime. La famille d'origine n'a pas réussi, malgré ses efforts, à récupérer la terre, mais le vent du changement avait commencé à souffler. Au moment où l'histoire qui nous occupe commence, tous les intéressés pensaient que la loi pourrait changer dans un proche avenir, à la suite de quoi les Hyka pourraient peut-être récupérer leur terre ou du moins obtenir une indemnité monétaire pour leur perte.
[3] Le jeune Fatjon déclare qu'il a été enlevé par les frères Gjyshi et tenu en otage contre une rançon qui a été payée. Lorsqu'il a été relâché, ils lui ont dit que s'ils le reprenaient, ils le tueraient, lui et tous ses frères, [traduction] « fils de la pute nationaliste » .
[4] Les trois frères Hyka se sont enfuis au Canada, à différents moments, et y ont demandé asile. Les deux aînés ont obtenu le statut de réfugié, mais pas Fatjon. Il s'agit en l'espèce de l'examen de la décision qui le concerne.
[5] La Commission n'a pas été convaincue que Fatjon avait été persécuté en Albanie en raison de ses opinions politiques. Il a allégué que ses frères aînés étaient membres du Parti républicain, mais il ne l'était pas lui-même. Cette conclusion est inattaquable.
[6] La Commission n'a pas vraiment saisi l'enjeu de la propriété familiale. Elle a estimé que le demandeur n'a pas rendu un témoignage crédible et digne de foi concernant la récupération officielle de la terre par sa famille. C'est tout à fait vrai. Ainsi, puisqu'aucune loi en vigueur ne pouvait aider les Hyka et que la réforme agraire était en cours, « toute dispute à ce sujet aurait donc été sans fondement » . Les commissaires ont donc conclu que les allégations du demandeur concernant la propriété familiale n'étaient pas crédibles et que son histoire d'enlèvement en raison de l'intention des auteurs de garder la terre n'était pas crédible non plus. Sauf le respect que je dois aux commissaires, voilà une fausse conclusion. Le demandeur a reconnu que sa famille ne possédait pas la terre, mais, comme elle était sur le point de pouvoir la récupérer en vertu de la loi, les Gjyshi se sont chargés de la décourager.
[7] Comme les auteurs de l'enlèvement étaient masqués, on lui a évidemment demandé comment il avait reconnu les frères Gjyshi. Il a répondu qu'il avait entendu l'une de ces voix au téléphone peu avant. Il ne les avait pas vus depuis sept ans. Les commissaires ont estimé qu'il était impossible que le demandeur reconnaisse à la voix quelqu'un qu'il n'a pas vu depuis sept ans. Ils n'ont pas tenu compte du fait qu'il les avait entendus au téléphone et que, selon la mère de Fatjon, l'un d'eux bégayait nettement. Entendre et voir sont deux choses distinctes.
[8] Concernant le besoin de protection, le demandeur « n'a produit aucune autre preuve » . En fait, il y avait de nombreuses autres preuves, dont le témoignage de l'un de ses frères et les transcriptions des audiences des frères, versées au dossier. La mère du demandeur a également témoigné.
[9] Il y avait donc d'autres éléments de preuve. Si la Commission estimait qu'ils devaient être écartés, elle aurait dû s'en expliquer.
[10] L'examen de la jurisprudence à cet égard peut commencer et se terminer par la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 1998 A.C.F. no 1425, où le juge Evans a déclaré que la Cour peut conclure que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont [elle] dispose » , pour reprendre les termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, « du fait qu'[elle] n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont [elle] était saisi[e] et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de [la Commission] » .
[11] La Commission a-t-elle oublié des éléments de preuve? A-t-elle cru que le témoignage de la mère était une tentative pour consolider une cause faible? Le défendeur dit que le témoignage de la mère soulève plus de questions qu'il n'en résout. Voilà une raison de plus d'analyser ce témoignage.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 mai 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (dossier T-A-2-02276) est accueillie. L'affaire est renvoyée à la Commission pour réexamen par un autre groupe de commissaires. Il n'y a pas de question de portée générale à certifier.
« Sean Harrington »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4904-04
INTITULÉ : FATJON HYKA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : 13 AVRIL 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Monsieur le juge HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : 14 AVRIL 2005
COMPARUTIONS :
Michael Crane Pour le demandeur
Gordon Lee Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane
Avocat
Toronto (Ontario) Pour le demandeur
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada Pour le défendeur