Date : 20051007
Dossier : IMM-6049-05
Référence : 2005 CF 1374
ENTRE :
DAHAGONIYA H. MEDAWATTE
RATHNAYAKA INDRAWATHIE MENIKE
DAHAGONIYA KUSH ISURAKA MEDAWATTE
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET
DE LA PROTECTION CIVILE
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
(Prononcés de vive voix à l'audience le 7 octobre 2005)
LE JUGE HARRINGTON
[1] J'ai entendu une affaire très troublante il y a à peu près une heure. Les Medawatte ont été mal représentés par leur ancien avocat. On leur a ordonné de quitter le Canada dans quelques jours. Si leur avocat avait fait ce qu'il devait faire, à savoir présenter une demande leur permettant de rester au Canada pour réclamer le statut de résident permanent sur la base de motifs d'ordre humanitaire, la décision concernant la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire aurait déjà été rendue. Il n'appartient pas à la Cour d'établir si la demande aurait été accueillie, le cas échéant.
[2] Les Medawatte sont des Sri-Lankais dont la demande du statut de réfugié a été rejetée. Ils ont demandé la tenue d'un examen des risques avant renvoi (ERAR) à la suite de la décision portant qu'ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. Les résultats de cet examen leur sont également défavorables.
[3] Ils ont présenté une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en même temps que leur demande d'ERAR, ou du moins c'est ce qu'ils croyaient avoir fait. En juillet 2004, ils ont acquitté à la banque les droits prescrits. Le gouvernement détient la somme en question depuis ce temps. Ils ont donné le reçu à leur avocat, rempli tous les formulaires, payé ses honoraires et obtenu de lui un reçu.
[4] L'avocat n'a rien fait en ce qui concerne la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire; il ne l'a pas présentée; il n'a rien fait!
[5] Lorsque la décision défavorable de l'ERAR a été rendue en février dernier, les Medawatte et leur avocat se sont présentés au bureau de l'agente. Le renvoi vers le Sri Lanka avait été suspendu à ce moment à la suite du tsunami, une suspension qui a été levée il y a seulement un mois environ. Les Medawatte ont fait mention de leur demande fondée des motifs d'ordre humanitaire en instance. L'agente a dit qu'elle n'en savait rien, mais les a bien sûr cru. Après tout, il s'agissait d'une assertion faite par un membre du barreau de la Colombie-Britannique. L'agente a dit que les Medawatte ne seraient pas renvoyés jusqu'à ce que la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire soit réglée.
[6] Il y a peu de temps, la visite fatidique a eu lieu. On a dit aux Medawatte qu'ils devaient se présenter pour leur renvoi. Ils ont appris avec surprise et effroi qu'il n'y avait aucune demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en instance. Elle n'avait jamais été présentée. Ils ont congédié leur avocat et ont engagé une avocate, qui les a aidés à déposer une plainte au barreau. Elle a aussi demandé le sursis du renvoi.
[7] L'agent de renvoi a reçu énormément de documents, versé des notes au dossier et écrit aux Medawatte, disant qu'il avait pris en considération tous les faits mais qu'il n'allait pas différer le renvoi. Sa décision fait présentement l'objet d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, mais elle demeure exécutoire en l'absence d'un sursis.
[8] Il est bien établi que pour obtenir un sursis, les demandeurs doivent prouver que la demande principale soulève une question sérieuse, qu'ils subiraient un tort irréparable en cas de refus de leur octroyer un sursis et que la prépondérance des inconvénients penche en leur faveur.
[9] Comme on peut s'y attendre, le ministre est très sympathique à la cause des Medawatte, mais souligne qu'il n'est pas responsable de la situation dans laquelle ils se trouvent. C'est leur avocat qui les a induits en erreur et, en tout état de cause, la décision de l'ERAR a déjà démontré qu'ils ne courraient aucun risque s'ils retournaient au Sri Lanka.
[10] Il existe une jurisprudence abondante en la matière selon laquelle une partie doit subir les conséquences des actes de son avocat. Je suis du même avis. Si la cause a été mal préparée, si la jurisprudence pertinente n'a pas été portée à l'attention de la Cour dans une affaire au civil ou si les témoins ont été mal choisis, c'est la partie concernée qui doit en subir les conséquences.
Y a-t-il toutefois une différence entre la faute de commission et la faute d'omission? Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une tâche mal exécutée par un avocat. Il n'a pas fait quelque chose qu'il aurait dû faire. Dans la décision Andreoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 1111; 2004 A.C.F. 1349 (QL), il avait été décidé que les demandeurs s'étaient désistés de leur revendication du statut de réfugié parce que l'interprète du bureau de leur avocat n'avait pas communiqué un changement d'adresse aux autorités. J'ai conclu dans cette affaire que la Commission avait puni les demandeurs pour la négligence d'un tiers en décidant qu'ils étaient responsables de leur propre malheur. En outre, le rejet de la revendication serait allé à l'encontre des principes de justice naturelle. J'ai tenu les propos suivants :
Je rends la présente ordonnance, en ayant en tête les propos de Lord Denning dans Doyle c. Olby (Ironmongers) Ltd. (1969) 2 All E.R. 119, qui à la page 121 énonçait :
We never allow a client to suffer for the mistake of his counsel if we can possibly help it. We will always seek to rectify it as far as we can. We will correct it whenever we are able to do so without injustice to the other side. Sometimes the error has seriously affected the course of the evidence, in which case we can at best order a new trial.
Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où l'avocat a mal plaidé sa cause sur le fond. Il s'agit plutôt d'une affaire qui n'a jamais été entendue à cause d'une erreur administrative qui s'est produite au bureau de l'avocat.
[11] Cette affaire n'a pas été tranchée dans le contexte du critère à trois volets applicable à l'octroi d'un sursis. Bien que l'article 48 de la LIPR confère un pouvoir discrétionnaire limité à l'agent de renvoi, il a été établi que d'autres facteurs que les préparatifs de voyage, comme l'année scolaire (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 682), sont pertinents dans certains cas. Dans la décision Simoës c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219, le juge Nadon a dit qu'un agent de renvoi peut tenir compte des « demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face » .
[12] Même si ce n'est pas tout à fait le cas en l'espèce, il est question d'enfants fréquentant l'école qui ont oublié la langue de leur pays d'origine, et la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire aurait déjà été réglée.
[13] À mon avis, il existe une question sérieuse à trancher, de même qu'une preuve d'un tort irréparable et la prépondérance des inconvénients favorise manifestement les demandeurs. Le tort irréparable serait le suivant : si la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire était accueillie, le fait pour les enfants touchés de quitter leur école au Canada et de recevoir une instruction dans une autre langue au Sri Lanka pour ensuite revenir ici quelques mois ou un an plus tard pourrait se révéler catastrophique.
[14] La mesure de renvoi est suspendue en attendant le règlement définitif de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agent de renvoi.
[15] Entre-temps, les Medawatte doivent présenter sur-le-champ leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. J'exhorte aussi le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à traiter la demande dans les plus brefs délais. Soit les Medawatte peuvent rester au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire, soit il leur est interdit de le faire. Si cela leur est interdit, plus tôt ils retourneront dans leur pays d'origine, mieux ce sera pour leurs enfants.
« Sean Harrington »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6049-05
INTITULÉ : DAHAGONIYA H. MEDAWATTE ET AUTRES
c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET
DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 OCTOBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS ET
DE L'ORDONNANCE : LE 7 OCTOBRE 2005
COMPARUTIONS :
Nicole Hainer POUR LES DEMANDEURS
Jonathan Shapiro POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Elgin, Cannon & Associates POUR LES DEMANDEURS
Vancouver (Colombie-Britannique)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada