Date : 19980211
Dossier : T-2327-97
ENTRE :
ALEC CHINGEE, SHARON SOLONAS,
TANIA SOLONAS, ELIZABETH SOLONAS,
et PATRICK PRINCE en leurs qualités respectives
de chef et de conseillers de la bande indienne de McLeod Lake,
demandeurs,
- et -
HARRY CHINGEE, VICTOR CHINGEE, GILBERT CHINGEE,
et le MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD,
et le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
défendeurs.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
JOHN A. HARGRAVE,
PROTONOTAIRE
[1] Par leur requête, qui est à l'origine des présents motifs, les demandeurs sollicitaient de la Cour une directive commandant à l'administrateur-séquestre de la bande indienne de McLeod Lake (la " bande "), nommé par la Cour, ainsi qu'à Duz Cho Logging Limited (" Duz Cho ") de faire procéder à une vérification judiciaire des finances de la bande et de Duz Cho, l'entreprise d'exploitation forestière de la bande. Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.
LES FAITS
[2] L'affaire a commencé par une demande de contrôle judiciaire visant l'élection, le 19 octobre 1997, du chef et des conseillers de la bande. En novembre de 1997, la Cour, sur requête des intimés individuels, défendeurs en l'espèce, a nommé Arthur Anderson Inc. administrateur-séquestre chargé de s'occuper des affaires de la bande et de Duz Cho. En décembre de 1997, la Cour a ordonné que la procédure de contrôle judiciaire soit introduite sous forme d'action. Conformément à l'ordonnance de la Cour, les demandeurs ont déposé une déclaration le 24 décembre 1997, puis les défendeurs individuels ont déposé, le 8 janvier 1998, une défense et une demande reconventionnelle, et la Couronne a déposé sa défense le 28 janvier 1998. Les demandeurs, enfin, ont déposé leur défense à la demande reconventionnelle le 29 janvier 1998.
[3] Disons, pour revenir un peu en arrière, qu'en novembre de 1997 un comptable agréé employé à l'occasion par la bande, affirme sur affidavit, avoir relevé des irrégularités dans la comptabilité de la bande. C'est en partie ce témoignage qui est à l'origine de la désignation d'un administrateur-séquestre. Plus tard, le 1er décembre 1997, l'administrateur-séquestre prépare un rapport déposé auprès de la Cour le 5 février 1998. Dans son rapport, Arthur Anderson Inc. évoque les présumés problèmes dans la gestion financière de la bande et de Duz Cho, y compris certaines irrégularités comptables, que le cabinet est, semble-t-il, parvenu à régler. L'administrateur-séquestre précise cependant n'avoir procédé qu'à un examen préliminaire, n'ayant pas pour mandat de mener une vérification judiciaire ou autre expertise des transactions financières passées. Les demandeurs sollicitent, par la présente requête, un élargissement du mandat de Arthur Anderson Inc. afin, justement, d'y inclure la vérification des transactions financières passées.
ANALYSE
[4] La déclaration et la demande reconventionnelle se situent au coeur de ma décision. La déclaration est brève et précise. On y lit que les demandeurs ont été élus respectivement chef et conseillers de la bande en octobre 1997. Les demandeurs ont alors notifié aux demandeurs, Harry Chingee et Victor Chingee, le fait qu'ils n'étaient plus chef et conseiller de la bande. Selon la déclaration, également, le troisième défendeur individuel, Gilbert Chingee, avait vu le conseil de bande précédent mettre fin à ses fonctions d'administrateur de la bande vers le mois de juin 1997 : après l'élection, les demandeurs ont à nouveau mis fin à ses fonctions. Or, la déclaration allègue que les défendeurs individuels ont refusé de renoncer à leurs fonctions, et que la Couronne a refusé de reconnaître les demandeurs, ou quiconque, comme chef et conseillers de la bande.
[5] Essentiellement, les demandeurs sollicitent premièrement un jugement déclaratoire confirmant la validité de l'élection du mois d'octobre 1997; deuxièmement, la reconnaissance, par le ministre des Affaires indiennes et du Nord, des demandeurs en tant que chef et conseillers de la bande et, troisièmement, une interdiction faite aux défendeurs individuels d'agir en tant que chef, conseiller et administrateur de la bande.
[6] Dans leur demande reconventionnelle, les défendeurs commencent par affirmer que les défendeurs demeurent respectivement chef, conseiller et administrateur de la bande, même s'ils reconnaissent que la demanderesse, Elizabeth Solonas, est peut-être, elle aussi, conseillère. Puis, toujours dans leur demande reconventionnelle, les défendeurs affirment que l'élection du mois d'octobre avait pour but de prévenir l'achèvement d'une vérification des affaires de la bande et de Duz Cho, vérification entreprise par Harry Chingee et Victor Chingee, en leurs qualités de chef et de conseiller, agissant au nom de la bande. C'est pourquoi, selon la demande reconventionnelle, les défendeurs individuels ont obtenu de la Cour la désignation d'un administrateur-séquestre. À titre de réparation, les défendeurs individuels sollicitent de la Cour une déclaration constatant l'invalidité de l'élection du mois d'octobre 1997 et confirmant que les défendeurs sont, respectivement, chef, conseiller et administrateur de la bande. Ils demandent également des dommages-intérêts à plusieurs titres, y compris l'emploi abusif des procédures de la Cour et la rémunération de l'administrateur-séquestre, ainsi qu'une injonction interdisant aux demandeurs de se présenter comme étant respectivement chef et conseillers de la bande.
[7] Bref, les demandeurs et les défendeurs individuels sollicitent de la Cour une déclaration concernant la validité de l'élection du mois d'octobre 1997, ainsi que diverses mesures de redressement sous forme d'injonction, de déclaration et d'indemnisation.
[8] Les circonstances précises de l'affaire qui sont à l'origine de la présente requête font une large place à l'affidavit de Mme Kerry Buxton, comptable agréée, qui, pendant dix mois, en 1994 et 1995, était vérificateur de Duz Cho et a, par la suite, offert gratuitement ses conseils aux comptables de la bande. Pendant une brève période, du 25 septembre 1997 à la mi ou fin octobre, Mme Buxton était employée par la bande qui l'avait chargée d'une vérification interne des affaires de la bande et de Duz Cho. L'" impression préliminaire " qu'elle retirait de son examen des registres comptables de la bande, à l'époque du premier de ses deux affidavits du 6 novembre 1997, était que [TRADUCTION] " ... la comptabilité et les pratiques comptables de la bande comportent d'importantes irrégularités " (paragraphe 5). Dans une lettre envoyée, le 5 novembre 1997, de sa propre initiative à la Cour, reprise dans l'affidavit déposé le 6 novembre à l'appui de la requête visant la désignation d'un administrateur, elle recommande [TRADUCTION] "... une vérification opérationnelle complète, surtout en ce qui concerne la Duz Cho Logging Limited et les programmes d'assistance sociale de McLeod Lake ". Elle précise, cependant, que son examen à elle n'était pas exhaustif et n'avait pas pour but de déceler des malversations ou des intentions frauduleuses.
[9] Je ne reprendrai pas dans le détail les irrégularités citées par Mme Buxton, et je dirai simplement qu'il s'agit d'irrégularités au niveau de la propriété des équipements d'exploitation forestière, au niveau de la distribution des aides sociales, de la répartition des logements et des allocations de bien-être, des avances consenties aux employés et aux sous-traitants de Duz Cho, au niveau des inscriptions comptables et des transferts de fonds. Plusieurs des observations de Mme Buxton visent certains des demandeurs.
[10] Plus récemment, ainsi que je l'ai indiqué, Arthur Anderson Inc. a déposé, le 5 février 1998 devant la Cour, son rapport du 1er décembre 1997. Ce rapport porte principalement sur la mise sous séquestre de la bande et de Duz Cho. Il ne s'agit pas d'une vérification judiciaire mais, sur certains points, le rapport fait pièce aux allégations avancées par Mme Buxton dans ses affidavits.
[11] À l'heure actuelle, les demandeurs et les défendeurs individuels réclament tous une vérification judiciaire. Selon les demandeurs, il y aurait lieu de la confier à Arthur Anderson Inc., qui connaît bien maintenant les affaires de la bande et de Duz Cho. Les défendeurs individuels estiment, eux, que Arthur Anderson Inc., qu'ils avaient eux-mêmes fait nommer administrateur-séquestre, sera prédisposé à leur encontre. Les défendeurs individuels ont formulé, à l'encontre de Arthur Anderson Inc., des allégations qui ne sont en l'espèce pas pertinentes. L'avocat de Arthur Anderson a, avec raison, refusé de se laisser entraîner sur ce terrain-là, à moins de se le voir demander par la Cour. C'est également mon avis.
[12] L'avocat de la Couronne se situe lui à un niveau pratique. Ce qui intéresse la Couronne, c'est la répartition régulière et ordonnée des fonds fédéraux. La Couronne procédera probablement à sa propre vérification, au moins dans la mesure où elle s'intéresse à l'emploi des fonds versés à la bande par l'intermédiaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Sauf ordonnance de la Cour, les demandeurs et les défendeurs individuels n'auront pas accès aux résultats d'une telle vérification. La Cour pourrait également ordonner la tenue d'une vérification judiciaire complète, ce qui pourrait être l'occasion pour la Couronne d'élargir le champ de sa propre vérification, la Couronne pouvant, du moins dans un premier temps, assumer les frais de la vérification des activités l'intéressant particulièrement, la bande assumant les frais des autres volets de la vérification.
[13] L'avocat de la Couronne évoque alors, avec beaucoup d'à-propos, une question d'ordre tout à fait pratique : si une vérification permettrait peut-être effectivement de faire le point sur les allégations de malversations, ou de mauvaise gestion financière, formulées dans les affidavits, il se demande ce que la question de la vérification peut bien avoir à faire avec la question très précise dont est saisie la Cour, à savoir la validité de l'élection.
[14] La désignation d'un administrateur-séquestre est accessoire par rapport à la question de la validité de l'élection. Lorsque la protection d'un bien dans l'intérêt des ayants-droit l'indique ou l'exige, la Cour peut désigner un administrateur-séquestre afin de s'occuper des affaires d'une entreprise, y compris des affaires d'une bande indienne. C'était le cas en l'espèce, et l'administrateur-séquestre, semble-t-il, a été désigné car ni l'un ni l'autre des chefs et de leurs conseillers de bande respectifs n'a pu agir avec efficacité. Une telle désignation s'accompagne invariablement d'une vérification des comptes, y compris d'une analyse des opérations comptables passées, comme c'est effectivement le cas en l'espèce. La désignation de Arthur Anderson Inc. en tant qu'administrateur-séquestre reste en vigueur jusqu'à ce que la Cour révoque cette désignation ou jusqu'à ce que les questions qui opposent les parties soient tranchées en justice. L'administration des affaires de la bande par un administrateur et un comptable s'avère nécessaire en l'occurrence, mais ce n'est pas la question sur laquelle s'opposent les parties. L'attention qu'elles consacrent aujourd'hui aux questions de comptabilité a peut-être porté les parties à perdre de vue leurs objectifs initiaux et axé cette action sur la réfutation des allégations formulées dans les affidavits, allégations qui n'ont pourtant rien à voir avec la question que la présente action devait permettre de trancher.
[15] Très simplement, la question qui se pose à la Cour est celle de la régularité de l'élection du mois d'octobre 1997. Il y aura lieu d'évoquer sur ce point la procédure électorale habituellement suivie par la bande. Une vérification judiciaire des transactions opérées autrefois par la bande et par Duz Cho parviendra peut-être à calmer le jeu, ou à mettre à jour certaines malversations, mais une telle vérification n'a aucune pertinence ou utilité en l'occurrence puisqu'il s'agit de trancher la demande et la demande reconventionnelle. Une telle vérification ne ferait qu'accroître les frais de la bande et risquerait aussi d'allonger les procédures en cours.
CONCLUSION
[16] La lecture de la requête et de la documentation déposées par les demandeurs et par les défendeurs individuels m'a d'abord porté à penser qu'une vérification des finances de la bande et de Duz Cho permettrait peut-être de régler les différends qui opposent les factions, permettant ainsi aux membres de la bande d'aller de l'avant. Mais, après avoir écouté les arguments avancés par les parties, et replacé la requête dans le contexte des plaidoiries, je me rends compte qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la requête, et cela pour deux raisons : la première, qui est une raison de droit, et la seconde, qui est une raison d'ordre pratique.
[17] D'abord, une vérification judiciaire des finances de la bande n'a, comme je l'ai dit, rien à voir avec la question dont est saisie la Cour, qui est la question de savoir si l'élection de la bande a effectivement eu pour effet de transférer aux demandeurs les fonctions de chef et de conseillers ou, si l'élection n'est au contraire pas valide et que les défendeurs individuels demeurent respectivement chef, conseiller et administrateur de la bande.
[18] Puis, pour être efficace, toute résolution des différends qui opposent les demandeurs, les défendeurs individuels et leurs factions respectives, doit être une résolution interne à la bande et non pas imposée par le biais d'une vérification qui ne donnera pas nécessairement satisfaction aux deux factions.
[19] Malgré les plaidoiries éloquentes des avocats des demandeurs et des défendeurs individuels, j'estime devoir retenir l'avis exposé par l'avocat représentant la Couronne. La tenue éventuelle d'une vérification ne concerne ni la demande, ni la demande reconventionnelle. La requête est rejetée.
(Signature) " John A. Hargrave "
Protonotaire
Vancouver (Colombie-Britannique)
Le 11 février 1998
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-2327-97 |
INTITULÉ : ALEC CHINGEE, SHARON SOLONAS, TANIA SOLONAS, ELIZABETH SOLONAS et PATRICK PRINCE, en leurs qualités respectives de chefs et de conseillers de la bande indienne de McLeod Lake, |
demandeurs,
- et - |
HARRY CHINGEE, VICTOR CHINGEE, GILBERT CHINGEE, et le MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD et le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, |
défendeurs.
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (C.-B.) |
DATE DE L'AUDIENCE : le 9 février 1998 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR DE M. John A. Hargrave, protonotaire
DATE : le 11 février 1998 |
ONT COMPARU :
Me Robert Lonergan pour le demandeur |
Me Stan Ashcroft pour le défendeur |
Me Gerald Donegan pour le ministre et le procureur général du Canada |
Me Laura Donaldson pour l'administrateur-séquestre |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Robert Lonergan pour le demandeur |
Me Stan Ashcroft pour le défendeur |
Me Laura Donaldson pour l'administrateur-séquestre |
Me Gerald Donegan pour le ministre et le procureur général du Canada |