Date : 20020212
Dossier : IMM-1949-00
Référence neutre : 2002 CFPI 155
Ottawa (Ontario), le 12 février 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
GABRIELE WOHLMAYER
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du 7 mars 2000 par laquelle l'agente des visas Sara Trillo a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas aux critères d'admissibilité au statut de résident permanent énoncés dans la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et dans le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-1/72.
Les faits
[2] La demanderesse, une citoyenne allemande, a possédé et exploité de 1984 à 1998 une ferme en Irlande, où elle y faisait notamment l'élevage et la vente de bétail et de chevaux. Elle sollicite l'admission au Canada sous la catégorie de travailleur autonome. Le paragraphe 2(1) du Règlement définit ainsi la notion de travailleur autonome :
« travailleur autonome » s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.
"Self-employed person" means an immigrant who intends and has the ability to establish or purchase a business in Canada that will create an employment opportunity for himself and will make a significant contribution to the economy or the cultural or artistic life of Canada;
[3] La lettre de refus du 7 mars 2000 envoyée à la demanderesse se lit en partie comme suit :
[Traduction]Après examen attentif et exhaustif de votre demande, et comme je vous l'ai mentionné à l'entrevue, j'ai le regret de vous informer du refus de votre demande en raison du fait que, selon moi, votre entreprise envisagée ne contribuerait pas de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada. En outre, à la lumière de l'ensemble des renseignements que vous avez fournis, j'estime que vous n'avez pas suffisamment d'expertise en affaires et que vous n'êtes pas en mesure d'établir avec succès votre entreprise envisagée.
Les documents que vous avez fournis et ce que vous avez dit à l'entrevue ne m'indiquent pas que vous êtes en mesure d'établir une entreprise qui créera un emploi pour vous-même. Vous avez été incapable de démontrer que vous aviez déjà exploité une entreprise avec succès et que vous étiez en mesure de le faire. À l'entrevue, vous n'aviez aucun document prouvant que vous aviez réellement exploité une entreprise rentable. En outre, vous avez fourni la preuve que vous possédez actuellement au Canada une ferme grevée d'une hypothèque d'environ 50 000 $ et que vous ne détenez des avoirs liquides que d'environ 16 000 $, ce qui ne suffit pas, d'après moi, pour établir votre ferme au Canada et pour subvenir à vos besoins et à ceux de votre famille tout en effectuant les versements hypothécaires relatifs à la ferme. Je suis d'avis que vous n'avez pas l'expérience approfondie, les aptitudes, l'expertise, la capacité et les fonds nécessaires pour vous établir avec succès comme travailleuse autonome.
Pour toutes ces raisons, j'estime que vous ne seriez pas en mesure d'établir avec succès au Canada votre entreprise envisagée. Toutes les raisons de ce refus vous ont été expliquées à l'entrevue.
[4] La demanderesse sollicite l'annulation de cette décision pour les quatre motifs suivants :
(1) L'agente des visas a entravé à tort son pouvoir discrétionnaire en exigeant que la demanderesse démontre avoir de l'expérience dans la gestion d'une entreprise rentable;
(2) L'agente des visas a contrevenu à l'obligation élémentaire d'équité en n'avisant pas la demanderesse qu'elle doutait que celle-ci ait les fonds suffisants pour couvrir les dépenses d'exploitation à court terme de son entreprise envisagée et en ne lui fournissant pas une possibilité significative de répondre à ce doute;
(3) L'agente des visas a contrevenu à l'obligation élémentaire d'équité en n'avisant pas la demanderesse qu'elle croyait que l'entreprise envisagée n'apporterait aucune contribution importante au Canada et en ne lui fournissant pas une possibilité significative de répondre;
(4) La conclusion de l'agente des visas selon laquelle l'entreprise envisagée n'apporterait aucune contribution importante au Canada était erronée en droit ou tirée de façon abusive.
[5] La demanderesse soutient que l'agente des visas a mal évalué sa capacité d'exploiter une entreprise en tant que travailleuse autonome au Canada parce qu'elle a remplacé par un critère de rentabilité antérieure l'examen prescrit par le Règlement et le guide des politiques. Il ressort du dossier que la demanderesse n'a présenté aucun document indiquant qu'elle avait de l'expérience en affaires, des aptitudes en gestion ou le sens des affaires, ou qu'elle disposait des fonds suffisants pour les fins de son entreprise au Canada. L'agente des visas a conclu que la demanderesse n'avait fourni aucune preuve qu'elle avait déjà exploité une entreprise rentable et qu'elle était incapable de démontrer qu'elle avait déjà contribué au succès d'une entreprise. Je suis d'avis que cette mention de la rentabilité d'une entreprise n'entrave pas le pouvoir discrétionnaire de l'agente des visas. Par définition, une entreprise doit avoir une certaine rentabilité pour avoir du succès. Il est difficile d'imaginer qu'une entreprise non rentable puisse faire une contribution importante à l'économie canadienne, comme l'exige le Règlement. Je conclus donc que, faite dans le cadre de l'évaluation de la capacité de la demanderesse d'établir une entreprise au Canada, cette mention de la rentabilité était appropriée et que l'agente des visas n'a pas entravé son pouvoir discrétionnaire en la faisant.
[6] La demanderesse prétend que l'agente des visas a contrevenu à une obligation élémentaire d'équité à son endroit en ne lui fournissant pas la possibilité de « dissiper » l'impression (de l'agente) que son entreprise ne disposait pas de suffisamment de fonds. La demanderesse ajoute que l'agente des visas ne lui a pas fourni une possibilité adéquate de répondre sur un deuxième point vital, soit la question de la contribution au Canada de l'entreprise envisagée. Il est établi qu'en matière de questions d'équité de la procédure suivie par l'agent des visas, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. « Si la Cour est convaincue que la procédure est inéquitable, elle interviendra volontiers » . [Voir Dina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 186.]
[7] Il est important de souligner que le paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration prévoit que, dans le cadre d'une demande de résidence permanente, il incombe à la personne qui cherche à entrer au Canada de prouver qu'elle en a le droit. La tâche de l'agent des visas consiste à soupeser la preuve soumise par le demandeur. Comme la Cour l'a conclu dans Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1091 (C.F. 1re inst.) en ligne : QL :
[...] Étant donné qu'il incombe au requérant de présenter une preuve, il n'est pas évident que l'agent des visas devrait être obligé de lui faire part du « résultat intermédiaire » à chaque stade de la procédure.
Il ressort du contre-interrogatoire de l'agente des visas qu'elle a demandé à la demanderesse, au cours de l'audience, de lui fournir la preuve de ses antécédents professionnels, de ses avoirs et de son expérience en gestion, ce que la demanderesse ne lui avait pas fourni au moment de l'audience. L'agente des visas a inscrit l'entrée suivante dans les notes du STIDI qu'elle a prises au moment de l'audience : [Traduction] « J'estime que leur projet d'affaires n'est pas viable et je le leur ai dit, et j'estime qu'elle n'a ni la capacité ni l'expertise nécessaires pour gérer une entreprise viable au Canada » . Vu les circonstances de la présente affaire, la jurisprudence et l'article 8 de la Loi sur l'immigration, je suis d'avis que l'agente des visas n'était pas tenue de faire plus que ce qu'elle a fait en fournissant à la demanderesse la possibilité de dissiper ses doutes.
[8] Il ressort de la lecture de la lettre de refus envoyée à la demanderesse que la décision de l'agente des visas était fondée sur la conclusion selon laquelle la demanderesse n'avait pas démontrée être « en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à [...] contribuer de manière significative à la vie économique [...] du Canada » . L'agente des visas déclare ce qui suit dans son affidavit :
21. [Traduction] La demanderesse n'ayant présenté aucun document indiquant qu'elle avait de l'expérience en affaires, des aptitudes en gestion ou le sens des affaires, ou qu'elle disposait de suffisamment de fonds pour les fins de son entreprise au Canada, j'ai refusé sa demande. La demanderesse n'a fourni aucune preuve indiquant qu'elle avait déjà exploité une entreprise rentable et elle n'a pas été en mesure de démontrer qu'elle avait déjà contribué au succès d'une entreprise. En outre, à la lumière des renseignements dont je dispose, il n'y avait aucun élément de preuve indiquant que l'entreprise envisagée de la demanderesse contribuerait de quelque manière à rehausser la vie économique, culturelle ou artistique au Canada. La demanderesse n'a fourni aucun élément de preuve quant à la façon dont elle paierait ses dettes exigibles au Canada et dont elle subviendrait à ses besoins et à ceux de sa famille. Elle ne m'a pas convaincue qu'elle serait en mesure de s'établir avec succès au Canada. J'ai conclu qu'elle ne satisfaisait pas aux critères applicables aux travailleurs autonomes au sens du Règlement.
[...]
26. J'ai lu les allégations contenues dans les paragraphes 12 à 14 de l'affidavit de la demanderesse et je désire indiquer qu'au moment de l'entrevue, la demanderesse a seulement été en mesure de me fournir la preuve qu'elle possédait au Canada une ferme grevée d'un prêt hypothécaire de 52 000 $. Elle a été incapable de fournir la preuve qu'elle détenait les avoirs liquides nécessaires pour payer son hypothèque et pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
[9] Les tribunaux ne modifient pas à la légère les décisions des agents des visas. Dans Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 967, madame le juge Reed a déclaré au paragraphe 8 :
[...] Elles [les cours] n'annulent pas une décision simplement parce qu'elles auraient pu parvenir à une autre conclusion. Lorsqu'un décideur a exercé, de bonne foi et conformément avec les principes de justice naturelle, un pouvoir discrétionnaire accordé par la loi et lorsqu'il ne s'est pas fondé sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne modifient pas la décision. (Voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 et Lim c. Canada (M.E.I.) (1989), 8 Imm.L.R. (2d) 261, confirmé par (1991), 12 Imm.L.R. (2d) 161 (C.A.F.).
[10] Dans Hao c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 296, en ligne : QL, le juge Reed a examiné la jurisprudence de la Cour et a adopté la norme de la décision raisonnable simpliciter en tant que norme applicable au contrôle des décisions des agents des visas. J'adopte la même norme pour les fins du présent contrôle judiciaire.
[11] Dans l'affaire dont je suis saisi, l'agente des visas a conclu que la demanderesse n'était pas en mesure d'établir avec succès au Canada son entreprise envisagée étant donné qu'elle n'avait présenté aucune preuve documentaire démontrant qu'elle avait exploité une entreprise avec succès ou qu'elle était capable de le faire. L'agente des visas a accepté le fait que la demanderesse possédait en Nouvelle-Écosse une ferme grevée d'une hypothèque d'environ 50 000 $ ainsi que des avoirs liquides d'environ 16 000 $, ce qui, selon l'agente, ne suffisait pas pour que la demanderesse puisse établir son entreprise au Canada et subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille tout en effectuant les versements hypothécaires relatifs à la ferme. D'après l'agente des visas, la demanderesse n'avait pas l'expérience, les aptitudes, l'expertise, la capacité et les fonds nécessaires pour s'établir avec succès en tant que travailleuse autonome. Je suis d'avis que l'agente des visas pouvait raisonnablement tirer cette conclusion à la lumière du dossier.
[12] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai donc la présente demande.
[13] Après en avoir eu la possibilité, les parties n'ont pas demandé la certification d'une question grave de portée générale aux termes de l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Je ne me propose donc pas de certifier une question grave de portée générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1949-00
INTITULÉ : Gabriele Wohlmayer et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 11 octobre 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
EN DATE DU : 12 février 2002
ONT COMPARU
M. Lee Cohen POUR LA DEMANDERESSE
Mme Lori Rasmussen POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
M. Lee Cohen POUR LA DEMANDERESSE
M. Andrew J.M. Munro
Slone & Munro
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada