Ottawa (Ontario), le 20 avril 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
ALICIA ARIAS URENA
JOSELYN MARIA GAMBOA ARIAS
ELBER DEL CARMEN GAMBOA ARIAS
TATIANA MARIA GAMBOA ARIAS
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs (une famille du Costa Rica) n'ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personnes à protéger. Sa conclusion est fondée sur la disponibilité de protection de l'État au Costa Rica. Ils présentent une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Je suis d'avis d'accueillir leur demande.
CONTEXTE
[2] M. Badilla est le demandeur principal et Mme Urena est son épouse. Les autres demandeurs sont leurs enfants. La demande de M. Badilla se fonde sur la crainte d'être persécuté par Ana Lidiet Toruno (Toruno) et par les forces policières locales. Les demandes des quatre autres demandeurs sont fondées sur leur statut de membres de la famille du demandeur principal.
[3] M. Badilla est un représentant de commerce prospère, ayant de nombreux contacts au Costa Rica. Sa famille a été heureuse et comblée jusqu'à la fin de l'année 2001. Au mois d'août de cette année-là, Mme Toruno a approché M. Badilla, et lui a présenté un plan visant à aider des gens du Costa Rica à obtenir de l'argent prétendument donné par des philanthropes des États-Unis. Mme Toruno a invité M. Badilla à l'aider à trouver des personnes qui seraient intéressées à fournir mille colones. Elle a proposé d'ouvrir un compte contenant l'argent de chaque individu, ainsi que l'argent des dons en provenance des États-Unis.
[4] Environ 2000 participants intéressés ont été recrutés grâce aux contacts de M. Badilla et par le bouche à oreille. Mme Toruno a rencontré ces gens, en groupe de 400, lors de cinq réunions, en août et en septembre. Au cours des réunions, Toruno a expliqué sa proposition, a recueilli l'argent de ces personnes de même que leur numéro d'identification nationale. Elle leur a demandé de revenir au même endroit le 23 septembre pour y recevoir des cartes bancaires qui serviraient à accéder aux nouveaux comptes. M. Badilla était présent à chaque rencontre. Le 23 septembre, Mme Toruno ne s'est pas présentée et personne n'a reçu de carte bancaire.
[5] Après avoir tenté en vain de retrouver Mme Toruno, M. Badilla a déposé une plainte pour fraude à la police à Ciudad Neily, le 25 septembre. Il ne s'est pas rendu à la police locale à Laurel, parce que le père de Mme Toruno y travaillait comme agent. Bien que les forces policières de Ciudad Neily aient accepté la plainte, M. Badilla n'a pas eu de nouvelles pendant des semaines, voire des mois.
[6] En février 2002, M. Badilla prétend avoir reçu (à son domicile) une lettre anonyme contenant des menaces de mort contre son épouse et ses enfants. Il s'est à nouveau rendu à la police de Ciudad Neily où on lui a dit que la note ne prouvait rien. À ce moment-là, M. Badilla s'est également enquis auprès de la police de sa plainte pour fraude.
[7] Mme Toruno aurait appris que M. Badilla l'avait dénoncée à la police et, le 16 mars 2002, lorsque M. Badilla n'était pas chez lui, elle s'est rendue au domicile de sa famille (accompagnée de deux agents de police en civil) et a menacé de tuer Mme Urena et ses enfants. M. Badilla est retourné à la police de Ciudad Neily et a tenté de retirer la plainte pour fraude, mais la police ne l'a pas permis. Il a affirmé à la police qu'il était menacé et que lui et sa famille avaient besoin de protection, mais la police a répondu qu'elle ne pouvait rien faire pour le protéger.
[8] En avril 2002, M. Badilla a reçu des appels anonymes d'une personne affirmant que ses enfants seraient tués. Il allègue avoir par conséquent retiré ses enfants de l'école pendant deux mois. Le 20 octobre, M. Badilla a été arrêté alors qu'il conduisait sa voiture à Perez Zeledon, puis il a été agressé par deux agents de police sortis d'une voiture banalisée. Il prétend qu'ils lui ont dit de cesser de tenter de dénoncer Mme Toruno, sans quoi on ferait du mal à ses enfants. À nouveau, M. Badilla allègue avoir contacté la police, se rendant cette fois au poste central, mais on a refusé de l'aider.
[9] Le 5 novembre 2002, le domicile de sa famille a été pillé et son chien abattu. Lorsque M. Badilla a demandé l'aide de la police de Laurel, on a refusé de l'aider dès qu'il a prononcé le nom de Mme Toruno. La famille a quitté le Costa Rica le 19 novembre 2002. Elle est arrivée au Canada et a présenté ses demandes d'asile le jour même.
LA DÉCISION
[10] La SPR a admis qu'il était possible que M. Badilla ait été menacé par Mme Toruno (dont le père est depuis longtemps un agent de police très influent) et par les agents de police locaux. Elle a également reconnu que M. Badilla a tenté, à plusieurs reprises, d'obtenir la protection de l'État et qu'on a refusé de l'aider. La SPR a rejeté le témoignage de M. Badilla concernant ses tentatives de demander l'aide de la police au poste central, après avoir été battu par les agents de police en octobre, car cette tentative ne figurait pas dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) et M. Badilla ne pouvait pas expliquer de façon satisfaisante pourquoi il avait omis ce renseignement.
[11] La SPR a rejeté les demandes d'asile de la famille, jugeant que l'État du Costa Rica est en mesure de protéger ses citoyens. La Commission a adopté le raisonnement suivi dans l'affaire TA2-14980 (l'affaire du guide jurisprudentiel (GJ)), une décision de la SPR que le président juge concluante, en vertu de l'alinéa 159(1)h) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), quant à la disponibilité de protection de l'État au Costa Rica, en ce qui concerne les allégations de risque liées à l'orientation sexuelle ou à la criminalité en général.
[12] La Commission a rejeté l'allégation des demandeurs, à savoir que l'affaire du GJ est un précédent pouvant être écarté parce que, en l'espèce, les agents de persécution n'étaient pas des agents de police. La SPR a refusé la distinction sous le motif que la preuve documentaire révélait l'existence de moyens permettant de lutter contre la corruption au sein des services d'application de la loi du Costa Rica.
[13] La SPR a conclu, selon la preuve dont elle a été saisie et l'affaire du GJ, que le Costa Rica est un pays disposant [traduction] « d'une infrastructure bien établie permettant d'accéder à la protection de l'État et d'enquêter sur les failles du système » . La Commission a souligné plus précisément l'existence du Organismo Investigacion Judicial (OIJ) et du bureau de l'ombudsman, que M. Badilla n'a pas consultés. La SPR a également conclu que pour réfuter la protection de l'État, le demandeur doit avoir tenté en vain, à au moins cinq ou six reprises, de signaler le problème à la police, à l'intérieur du ressort immédiat.
[14] Enfin, la SPR a pris note de l'évaluation psychologique concernant la famille. Bien que le rapport affirme que M. Badilla [Traduction] « semble toujours craindre les policiers et affirme se sentir très nerveux en présence d'agents de police » , la Commission a conclu que M. Badilla n'a pas de problèmes psychologiques l'empêchant de demander la protection de l'État au Costa Rica.
QUESTIONS
[15] Les questions soulevées par les demandeurs sont regroupées sous les sous-titres suivants.
ABSENCE DE LIEN
[16] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur susceptible de révision en rejetant leur demande pour absence de lien avec l'un des motifs prévus dans la Convention. Or, la question du lien n'a jamais été considérée comme étant problématique, ni avant ni pendant l'instance, et la SPR n'en a aucunement fait mention dans ses motifs, à l'exception de la première page où elle indique qu'aucun lien n'a été établi. Les demandeurs prétendent donc que la SPR a commis une erreur en n'étayant pas cette conclusion.
[17] Le défendeur soutient que la SPR a conclu, à juste titre, que les demandes présentées par les demandeurs n'avaient aucun lien avec la définition de persécution figurant dans la Convention, du fait qu'ils étaient victimes d'un crime, groupe qu'on a constamment refusé de considérer comme visé par les motifs mentionnés. Il n'était pas nécessaire que la Commission mentionne clairement que la question du lien se posait, car elle se pose toujours. Quoi qu'il en soit, le défendeur affirme que même si la SPR a commis une erreur dans son appréciation de la question du lien, cette conclusion n'était pas d'importance capitale dans la décision, puisque celle-ci repose sur la conclusion relative à la protection de l'État.
[18] À mon avis, en dernière analyse, la question du lien n'entre pas en ligne de compte. D'une part, l'avocat des demandeurs reconnaît que si aucune erreur n'a été commise en ce qui concerne la conclusion relative à la protection de l'État, la demande des demandeurs ne peut pas être accueillie. D'autre part, l'avocat du défendeur a concédé, à l'audience, que si la Commission avait commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l'État, la demande devrait être accueillie parce que la SPR n'a pas effectué d'analyse en vertu de l'article 97 (personne à protéger) de la LIPR.
DÉFAUT D'EXAMINER L'ÉVALUATION PSYCHOLOGIQUE
[19] Les demandeurs prétendent que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport psychologique relativement à la question de la protection de l'État. Ils notent que le psychologue indique clairement que M. Badilla continue de craindre les policiers et que la Commission n'en a pas tenu compte au moment d'évaluer sa capacité de se prévaloir lui-même de la protection de l'État au Costa Rica.
[20] Le défendeur allègue que la SPR a simplement préféré certaines preuves documentaires à d'autres preuves du genre, qu'il s'agit d'une question de pondération (qui relève de la Commission) et que l'évaluation de la preuve psychologique et de ses répercussions sur la question de la protection de l'État n'est ni abusive ni arbitraire.
[21] Je ne suis pas d'accord avec les demandeurs en ce qui concerne le fait que la SPR aurait omis de prendre en considération l'état psychologique de M. Badilla. La Commission a conclu que le rapport avait peu de valeur quant à la question objective de la protection de l'État. Elle a noté la crainte continue des policiers qu'a exprimée M. Badilla, mais a conclu que son état psychologique ne l'empêchait pas de se prévaloir de la protection de l'État. La Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.
PROTECTION DE L'ÉTAT
[22] Les demandeurs ont fait valoir que la SPR avait commis une erreur lorsqu'elle a conclu que M. Badilla [Traduction] « n'avait pas fait d'efforts raisonnables pour épuiser toutes les options qui s'offraient à lui » . La preuve documentaire révèle que les enquêtes que l'OIJ a faites à son propre sujet se sont avérées inefficaces et que le bureau de l'ombudsman n'a pas de pouvoirs d'exécution. Après avoir reconnu que M. Badilla avait tenté en vain de demander la protection de la police à cinq ou six reprises, la Commission n'a pas expliqué pourquoi une septième tentative d'obtenir l'aide d'un autre poste de police aurait pu aboutir, alors que les autres tentatives avaient été vaines. Comme l'OIJ et l'ombudsman n'auraient pas pu les aider, les demandeurs ont jugé qu'il n'était pas nécessaire de tenter d'obtenir l'aide de ces organismes simplement pour en démontrer l'inefficacité.
[23] Les demandeurs soutiennent également que la SPR a commis une erreur en s'appuyant sur l'affaire du GJ. Ils répètent que, dans l'affaire du GJ, les auteurs des crimes étaient des entités privées, alors qu'en l'espèce les policiers étaient les agents de persécution actifs. De plus, dans l'affaire du GJ, la personne avait demandé l'aide de la police une seule fois, et n'avait jamais essayé de nouveau, alors que dans la présente affaire, M. Badilla a tenté à plusieurs reprises de demander la protection de la police.
[24] Le défendeur réplique que la conclusion de la Commission était fondée sur la preuve documentaire en ce qui concerne la situation au Costa Rica et que la préférence accordée à certains éléments de preuve documentaire plutôt qu'à d'autres est une question de pondération à l'égard de laquelle il faut faire preuve d'une grande retenue. La preuve concernant l'OIJ, à laquelle font référence les demandeurs, date de plusieurs années et n'a pas été citée dans l'affaire du GJ.
[25] En ce qui concerne l'argument que la SPR a imposé une exigence injustement élevée, à savoir l'épuisement de toutes les possibilités de protection de l'État, le défendeur renvoie à l'affaire Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), et allègue que les énoncés contestés ne font que paraphraser les exigences formulées dans l'affaire Kadenko. L'application de principes dérivés de la jurisprudence ne constitue pas une erreur. En
outre, le défendeur affirme qu'à la lumière du contexte, la SPR a compris que le critère visait à déterminer s'il était « raisonnable » d'exiger des demandeurs de rechercher d'autres possibilités de protection de l'État.
[26] En ce qui concerne l'utilisation de l'affaire du GJ, le défendeur soutient que la législation prévoit précisément l'utilisation des guides jurisprudentiels et que la Cour a toujours appuyé une telle pratique.
[27] Je crois que la conclusion de la Commission, à savoir qu'il existe des avenues efficaces de protection de l'État qui n'ont pas été utilisées par les demandeurs, n'est pas fautive. La preuve documentaire démontre effectivement l'efficacité du bureau de l'ombudsman dans les cas de corruption policière. La preuve documentaire produite par les demandeurs concernant l'OIJ date de plusieurs années et, bien qu'il eût été préférable (particulièrement à la lumière de son contenu) pour la SPR de le mentionner, la Commission n'était pas obligée de le faire. Il lui était également loisible de conclure, vu les incohérences inexpliquées entre le témoignage de M. Badilla et son FRP, que M. Badilla n'a pas cherché l'aide de la police au poste central après avoir été agressé par des agents de police en octobre 2002.
[28] Bien que je garde certaines réserves quant à savoir si la SPR a énoncé correctement le critère applicable aux efforts consentis par les demandeurs pour obtenir la protection de l'État, je suis prête à lui accorder le bénéfice du doute à ce sujet. Toutefois, je ne suis pas prête à lui accorder le bénéfice du doute quant à l'application du critère.
[29] La Commission a mentionné les efforts consentis par les demandeurs pour distinguer l'affaire du GJ de leur situation. Elle affirme ce qui suit :
[traduction] La preuve documentaire soumise au tribunal dans l'affaire du GJ et au présent tribunal indique des solutions permettant de lutter contre la corruption à l'intérieur des services d'application de la loi au Costa Rica. Je conclus donc que la décision TA2-14980 s'applique en l'espèce, puisque la disponibilité de la protection de l'État au Costa Rica a été analysée en détail et que le raisonnement s'applique aux faits de la présente affaire. Par conséquent, j'adopte le raisonnement suivi dans la décision TA2-14980.
[30] Dans Koroz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 261 N.R. 71 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a conclu qu'un tribunal peut « adopter le même raisonnement qu'un autre tribunal » s'il est saisi de la même preuve documentaire pour conclure à l'existence d'une possibilité de refuge dans le même pays. La Cour a souligné que cela « ne revient pas à dire qu'une formation peut automatiquement adopter les conclusions de fait d'autres formations » . Lorsqu'il s'agit de déterminer des faits « concernant la situation qui régnait au pays vers la même époque, une formation peut se fonder sur le raisonnement d'une formation antérieure au sujet de la même preuve documentaire. » Enfin, la Cour a déclaré que « lorsqu'une formation estime qu'elle doit adopter l'analyse d'une autre formation au sujet de la même preuve concernant une telle question, rien ne l'empêche légalement de se fonder sur cette analyse » .
[31] Ce raisonnement s'applique également à la question de la crainte objective ou de la protection de l'État : Olah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 ACF 382; Piber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 ACF 769; Zambo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 23 Imm. L.R. (3d) 267 (C.F. 1ère inst.).
[32] L'alinéa 159(1)h) de la LIPR prévoit les guides jurisprudentiels. La disposition indique :
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
159.(1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d'office des quatre sections; à ce titre : [...] h) après consultation des vice-présidents et du directeur général de la Section de l'immigration et en vue d'aider les commissaires dans l'exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel; |
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Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27
159.(1) The Chairperson is, by virtue of holding that office, a member of each Division of the Board and is the chief executive officer of the Board. In that capacity, the Chairperson [...] (h) may issue guidelines in writing to members of the Board and identify decisions of the Board as jurisprudential guides, after consulting with the Deputy Chairpersons and the Director General of the Immigration Division, to assist members in carrying out their duties; and
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[33] La politique sur l'utilisation des guides jurisprudentiels (politique no 2003-01 en vigueur le 21 mars 2003) prévoit, entre autres, ce qui suit :
On s'attend des commissaires qu'ils suivent le raisonnement exposé dans une décision qui sert de guide jurisprudentiel, conformément au texte d'accompagnement, à moins qu'il n'existe une raison de ne pas le faire, lorsque les faits sous-jacents ressemblent suffisamment à l'affaire qui doit être tranchée pour justifier l'application du raisonnement du guide jurisprudentiel.
Un commissaire doit expliquer pourquoi il ne souscrit pas au raisonnement formulé dans un guide jurisprudentiel lorsque, compte tenu des circonstances de l'affaire, on s'attendrait à ce qu'il observe le guide jurisprudentiel. [Non souligné dans l'original.]
[34] En ce qui concerne l'affaire du GJ (TA2-14980), l'énoncé du président présentant la portée du guide jurisprudentiel, si je ne m'abuse, va comme suit :
[Traduction] Demandeurs costaricains cherchant à obtenir une protection du fait de leur crainte de la criminalité. La question pertinente dans la présente décision, constituant le fondement du guide jurisprudentiel, est la définition de la disponibilité de la protection de l'État.
[35] Sans diminuer la valeur ou les avantages des guides jurisprudentiels, il me semble qu'ils ne suppriment ni n'allègent automatiquement l'obligation de la Commission de comparer les faits sous-jacents du guide jurisprudentiel à ceux de la question dont elle a été saisie. Dans l'affaire qui nous intéresse, les demandeurs ont souligné ce qui semble, à première vue, être des différences importantes entre les faits sous-jacents de l'affaire du GJ et ceux liés à la situation des demandeurs. Hormis les citer, la SPR ne traite pas des distinctions présentées. La Commission ne fournit aucune explication (sauf l'existence de la preuve documentaire) quant aux raisons pour lesquelles elle considère que les fondements factuels des deux cas sont tels que le raisonnement du GJ s'applique.
[36] La Commission n'étudie pas non plus les explications de M. Badilla concernant le fait qu'il n'a pas demandé l'aide de l'ombudsman. La SPR renvoie aux commentaires de M. Badilla, à savoir que le bureau est situé [traduction] « à San Jose, très loin de l'endroit où nous sommes » et qu'il « ne savait pas vraiment à quoi servait le bureau de l'ombudsman » . Cependant, M. Badilla a également affirmé, en réponse à la question du président de l'audience qui voulait savoir pourquoi, s'il devait retourner au Costa Rica, il ne pourrait pas porter plainte au bureau de l'ombudsman, qu'il avait peur que Mme Toruno leur fasse du mal. Il avait ajouté : [traduction] « je crains qu'avec tout ce qui m'est arrivé, et la façon dont les attaques directes ont été exécutées, si j'amorce d'autres procédures, c'est là qu'ils auront l'occasion de me faire du mal » (transcription, p. 28).
[37] Dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193, Mme la Juge Tremblay-Lamer affirme ce qui suit au paragraphe 15 :
Cependant, à mon avis, les arrêts Ward et Kadenko ne sauraient signifier qu'une personne doit épuiser tous les recours disponibles avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l'État (voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 536 (1re inst.) (QL), et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 123 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.)). La situation est plutôt la suivante. Lorsque les représentants de l'État sont eux-mêmes à l'origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n'est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l'État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve. Comme je l'ai expliqué dans Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1081 (IIJCan), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.), le jugement Kadenko n'est guère pertinent lorsque « [...] les policiers n'ont pas seulement refusé de protéger les demandeurs, ce sont eux qui se sont livrés aux actes de violence » ; décision Molnar, précitée, au paragraphe 19.
[38] À la note 3, la juge Tremblay-Lamer poursuit :
Effectivement, cette particularité a aussi été reconnue dans des décisions subséquentes dans lesquelles une distinction a été faite d'avec la décision Molnar : voir T.C. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 1337 (QL), et Bandula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1341 (QL). Il convient également de préciser que, dans la décision T.C., la Cour a jugé non crédible le témoignage du demandeur selon lequel les autorités s'étaient livrées aux actes de persécution.
[39] M. Badilla a tenté plusieurs fois, sur une période d'environ un an et demi, de se prévaloir de la protection de la police. Il s'est rendu à deux postes de police différents au sujet de diverses questions : une première plainte pour fraude, une plainte mentionnant que lui et sa famille avaient reçu des menaces de mort (corroborée par la lettre anonyme), une demande de protection de la police après que Mme Toruno a menacé les demandeurs à leur domicile (accompagnée de deux agents), une plainte indiquant qu'il avait été battu par deux policiers (la SPR a conclu qu'il n'avait pas signalé cet incident) et une plainte disant que son domicile avait été pillé et que son chien avait été tué. La police n'a rien fait pour protéger la famille des menaces constantes.
[40] Cette preuve, de pair avec le fait que la Commission a reconnu que les policiers comptaient parmi les auteurs des actes commis contre les demandeurs, obligeait à mon avis la SPR à expliquer pourquoi elle a jugé que les faits sous-jacents de l'affaire du GJ étaient tels que le raisonnement qui y était exposé s'appliquait également à la présente affaire. En concluant ainsi, je ne veux pas dire qu'il faille imposer une telle exigence dans chaque cas. Il existera sans aucun doute des situations où deux affaires auront manifestement un fondement factuel semblable. Dans de tels cas, je doute fortement qu'une analyse ou une explication des motifs qu'avait la Commission pour appliquer le guide jurisprudentiel s'avèreront nécessaires. Toutefois, dans les cas où il existe d'importantes différences dans les faits, et où la Commission se reporte spécifiquement à ces différences, elle devra, à mon avis, s'en expliquer.
[41] Je crois également qu'il incombait à la SPR, en l'espèce, d'appliquer spécifiquement le critère visant à déterminer si, dans les circonstances, les demandeurs devaient raisonnablement épuiser tous les recours. Bien que la Commission note la richesse de la preuve documentaire concernant l'efficacité de l'ombudsman, rien n'indique qu'elle ait abordé la question de savoir qu'il existait des mesures opportunes et significatives que le bureau pouvait mettre en oeuvre immédiatement afin de protéger un plaignant contre d'autres abus de la part de la police. C'est l'une des raisons pour lesquelles M. Badilla n'a pas demandé l'aide de ce bureau.
[42] La SPR avait peut-être de bonnes raisons de disposer de la présente affaire comme elle l'a fait. Cependant, les demandeurs ont droit à une décision motivée, tout comme la Cour appelée à trancher la demande de contrôle judiciaire. Faute d'explication ou d'analyse sur les questions évoquées, la conclusion concernant l'existence de la protection de l'État est, à mon avis, manifestement déraisonnable et ne peut pas être maintenue.
[43] Les avocats n'ont pas formulé de question à être certifiée et les faits de la présente affaire sont uniques.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour nouvel examen devant une commission différemment constituée.
« Carolyn Layden-Stevenson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2738-04
INTITULÉ : OLMAN GAMBOA BADILLA
ALICIA ARIAS URENA
JOSELYN MARIA GAMBOA ARIAS
ELBER DEL CARMEN GAMBOA ARIAS
TATIANA MARIA GAMBOA ARIAS
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 14 AVRIL 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
COMPARUTIONS:
J. Byron M. Thomas POUR LES DEMANDEURS
Janet Chisholm POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
J. Byron M. Thomas
Avocat
Toronto (Ontario) POUR LES DEMANDEURS
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR L'INTIMÉ