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Date : 20000404


Dossier : IMM-3158-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 4 AVRIL 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


ENTRE :


MAKHAN SINGH SIDHU

demandeur


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur




ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est renvoyé devant un tribunal constitué de membres différents pour réexamen.


« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.






Date : 20000404


Dossier : IMM-3158-99


ENTRE :


MAKHAN SINGH SIDHU

demandeur


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur




MOTIFS DE L'ORDONNANCE




LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « la Commission » ), rendue le 2 juin 1999, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur revendique le statut de réfugié au motif qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa religion, d'opinions politiques présumées et de son appartenance à un groupe social, soit les personnes voulant l'indépendance du Panjab.

[3]      Le demandeur prétend qu'en raison de sa religion, étant un sikh amritdhari (baptisé), la police le perçoit comme un partisan de la séparation du Khalistan.

[4]      Le frère du demandeur était membre du parti Akali Dal Mann, un parti faisant la promotion de l'idée d'une patrie indépendante pour les sikhs. En octobre 1993, la police est venue à la résidence de la famille du demandeur pour arrêter son frère. Cependant, étant donné que ce dernier était parti au Canada (il a fui l'Inde en janvier 1993 et il a depuis obtenu le statut de réfugié), le demandeur a été arrêté à sa place.

[5]      Le demandeur dit qu'il a été torturé au poste de police pendant environ dix minutes. À la suite de l'intervention du conseil du village, il a été libéré le lendemain.

[6]      En décembre 1994, trois amis du frère du demandeur ont rendu visite au demandeur et sont restés dîner. Le demandeur prétend que quelques jours plus tard, la police l'a encore arrêté et l'a accusé d'avoir aidé des militants. Le demandeur dit qu'il a été torturé pendant environ vingt minutes et qu'il a été détenu pendant deux nuits.

[7]      Craignant d'être persécuté à nouveau par la police, le demandeur a vécu chez des amis jusqu'en octobre 1996, et ne pouvant plus supporter la situation, il a décidé de quitter l'Inde pour venir au Canada.

[8]      La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas établi par une preuve crédible et digne de foi qu'il y aurait une possibilité raisonnable qu'il soit persécuté s'il retournait en Inde.

[9]      La Commission a conclu que le témoignage du demandeur sur la répression qu'il a subi en raison de son appartenance à un un groupe religieux n'a pas été appuyé par la preuve documentaire1 qui donne à penser que les sikhs ne risquent plus d'être persécutés comme par le passé. Confronté à ce fait, le demandeur a admis n'avoir jamais été sujet à des restrictions quant à son culte.

[10]      Pour ce qui est du témoignage du demandeur sur son engagement politique, la Commission a conclu à un manque de cohérence dans son récit, notamment à l'égard des dates auxquelles il aurait accompagné son frère lors de voyages politiques et à l'égard du degré de sa participation dans le mouvement pour le Khalistan, un élément qui, par surcroît, n'a pas été mentionné dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

[11]      De plus, à l'égard de la crainte de persécution du demandeur en raison de ses opinions politiques présumées, la Commission a pris en considération une preuve documentaire2, qui démontre que seuls les individus haut placés courent un risque, pour conclure que le demandeur ne risquait rien.

[12]      Finalement, la Commission a conclu que les deux rapports médicaux3 déposés par le demandeur au soutien de sa revendication ne corroboraient pas son récit relatif à la torture, étant donné qu'ils ne faisaient pas mention des causes qui ont donné lieu aux soins allégués.

[13]      La Commission a conclu que le troisième rapport médical4 manquait de crédibilité étant donné qu'il ne mentionnait que l'incident de torture de 1993 (d'une durée plus courte que celui de 1994) et qu'il ne traitait pas des problèmes de genou du demandeur (la partie du corps affectée par la torture alléguée). La Commission a par conséquent conclu que le demandeur n'avait pas été torturé et elle a alors affirmé qu'elle n'accordait pas de valeur probante aux autres documents déposés par le demandeur.

[14]      Pour ces motifs, la Commission a rejeté la revendication du statut de réfugié du demandeur.

ANALYSE

[15]      D'abord, je traiterai de la norme de preuve applicable à la détermination de l'existence d'une crainte fondée de persécution. Dans ses motifs, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas établi par une preuve crédible et digne de foi [traduction] « qu'il y aurait une possibilité raisonnable qu'il soit persécuté » s'il était renvoyé en Inde.

[16]      L'avocate du demandeur soumet qu'en utilisant le mot [traduction] « aurait » , la Commission a utilisé une norme de preuve plus exigeante et ainsi commis une erreur de droit. À l'appui de son argument, l'avocate invoque la décision Yeboah c. M.E.I.5

[17]      Cependant, dans Yeboah, la Cour avait à examiner le fait que la principale question qui se posait à la Commission était de savoir si le demandeur serait persécuté, ce qui obligeait le demandeur à établir qu'il serait persécuté. En l'espèce, la Commission a évalué correctement le bien-fondé de la crainte de persécution du demandeur, en disant qu'il n'y aurait pas de possibilité raisonnable qu'il soit persécuté. Donc, je suis d'avis que l'argument de l'avocate du demandeur n'est pas bien fondé.

[18]      L'avocate du demandeur soutient que la Commission a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées et sur des conclusions qui ne s'appuyaient pas sur la preuve portée à sa connaissance. Je ne suis pas d'accord. Après avoir examiné le dossier, je suis d'avis que l'évaluation des faits à laquelle la Commission a procédé n'était pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour. Donc, je m'en remets à la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve présentée par le demandeur n'était pas crédible en ce qui a trait à son engagement politique et à la torture.

[19]      L'avocate du demandeur fait valoir que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire récente, qui était contraire à la preuve documentaire « moins à jour » sur laquelle elle s'est fondée.

[20]      En fait, l'avocate soutient, entre autres choses, que la Commission n'a pas tenu compte d'un document récent, déposé en réponse à la Demande d'information en date du 17 septembre 19986, intitulé « Harassement of members of AISSF » , qui donne à penser qu'il subsiste un « risque important » pour les activistes du Khalistan et les membres de leurs familles. En tenant compte du fait qu'il n'est pas contesté que le demandeur est le frère d'un activiste du Khalistan, je suis d'avis qu'il était effectivement déraisonnable de la part de la Commission de ne pas considérer ce document pertinent.

[21]      Bien que je sois d'accord pour dire que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, a le pouvoir discrétionnaire d'évaluer la preuve documentaire et de tirer des conclusions de fait raisonnables fondées sur la preuve qui lui est présentée, à mon avis, il est déraisonnable de ne pas faire mention d'un document plus récent présenté par un des experts que la Commission considère comme crédible, et à qui elle se réfère pour appuyer sa conclusion selon laquelle il n'y a pas de risque de persécution fondé sur la religion. À cause de cela, la Commission a commis une erreur susceptible de révision qui justifie l'intervention de la Cour.

[22]      À la lumière de ce qui précède, il n'est pas nécessaire que j'aborde les autres motifs soulevés par l'avocate du demandeur.

[23]      Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est renvoyé devant un tribunal composé de membres différents pour réexamen.


« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

4 avril 2000


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              IMM-3158-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MAKHAN SINGH SIDHU c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE :          30 mars 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TREMBLAY-LAMER


EN DATE DU :              4 avril 2000


COMPARUTIONS :

Mme Kamaljit Kaur Lehal              POUR LE DEMANDEUR
M. Victor Caux                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lehal & Company

Avocats

Delta (Colombie-Britannique)          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR LE DÉFENDEUR


__________________

1      Pièce A-13 : Réponse à la Demande d'information; pièce A-4 : US Department of State, India Country on Human Rights Practices for 1998.

2      Pièce A-2(1.1a) : Réponse à la Demande d'information.

3      Pièces P-8 et P-9.

4      Pièce P-15.

5      (1993) 21 Imm. L.R. (2d) 81.

6      Pièce A-19.

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