Date : 20020201
Dossier : IMM-4679-00
Référence neutre : 2002 CFPI 89
ENTRE :
SHARON JACKSON
demanderesse
et
LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande, présentée en application du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration [ci-après désignée la Loi], en vue du contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur la Cour fédérale d'une décision datée du 5 mai 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après désignée la Commission] a statué que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
[2] L'avocat de la demanderesse a soulevé une question préliminaire oralement, laissant entendre qu'il y avait crainte raisonnable de partialité de la part du juge saisi.
[3] L'avocat de la demanderesse a avancé que le juge saisi avait fait preuve de partialité dans Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. n ° 499 (IMM-2429-00), une décision datée du 3 avril 2001 concernant un revendicateur kényan.
[4] Dans cette affaire, le même avocat avait laissé entendre que la présidente de l'audience avait fait montre de partialité, comme elle avait déclaré que la littérature anglaise ne concernait que les auteurs anglais et manqué fortement de respect à l'endroit des auteurs africains de langue anglaise. La présidente de l'audience, madame Beaubien-Duque, ne s'était pas récusée et avait rejeté l'allégation de crainte raisonnable de partialité. Elle a écrit ce qui suit dans sa décision :
[TRADUCTION]
Le tribunal a ensuite interrogé le revendicateur au sujet de ses cours. Il a déclaré que son programme portait sur la littérature anglaise et sur le commerce et qu'il étudiait des poèmes et des nouvelles. Lorsqu'on lui a demandé de nommer certains auteurs, le revendicateur a mentionné des noms africains. Le tribunal était surpris des réponses du revendicateur et lui a demandé pourquoi il ne mentionnait pas de noms d'auteurs anglais. Le revendicateur a répondu qu'il s'agissait d'auteurs africains qui écrivaient en anglais. Le tribunal ne juge pas la réponse du revendicateur acceptable. La littérature anglaise concerne des auteurs anglais. Le tribunal a de sérieux doutes quant à l'inscription du revendicateur à des cours de littérature anglaise.
[5] L'avocat de la demanderesse a allégué que ma décision dans Ithibu, précitée, particulièrement aux paragraphes 61 à 64, où j'ai rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée, donne lieu à une crainte raisonnable de partialité parce que j'étais en désaccord avec l'avocat du demandeur d'alors et que j'avais rejeté par conséquent l'argument selon lequel il y avait crainte raisonnable de partialité de la part de la présidente d'audience de la Commission.
[6] L'avocat de la demanderesse semble laisser entendre que, comme j'étais en désaccord avec son opinion dans Ithibu, précitée, il en découle aussi nécessairement une crainte raisonnable de partialité de ma part.
[7] L'avocat de la demanderesse fonde son argumentation sur le fait que tout le monde, sauf moi, avait considéré que la présidente d'audience avait fait preuve de partialité en écrivant ce qu'on peut lire au paragraphe 4 et que, comme je n'étais pas du même avis que tout le monde à ce sujet, on peut uniquement conclure qu'il y a crainte raisonnable de partialité de ma part.
[8] L'avocat du défendeur a soutenu, pour sa part, que la demande de récusation du juge saisi pour ce motif était futile et n'avait aucun fondement raisonnable.
[9] J'ai examiné avec soin la décision que j'ai rendue dans Ithibu, précitée, mais étant maintenant dessaisi, je ne peux véritablement faire de commentaires sur ma propre décision.
[10] Quoi qu'il en soit, j'ai essayé d'imaginer quel pourrait être le résultat si je devais suivre le raisonnement spécieux de l'avocat de la demanderesse. Chaque fois qu'un avocat avance qu'il faudrait accueillir une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal pour motif de crainte raisonnable de partialité, si le juge de la Cour fédérale est en désaccord il y aura crainte raisonnable de partialité de la part de ce juge, comme d'autres personnes pourront estimer qu'il y a dans le premier cas crainte raisonnable de partialité.
[11] Selon moi, lorsqu'un juge de la Cour fédérale rend une décision après avoir entendu les parties dans une cause donnée, cela donne parfois lieu à un appel et parfois non. Dans certains cas, la Cour d'appel fédérale décide d'annuler la décision, de rendre une autre décision ou de renvoyer l'affaire pour nouvel examen. Si la Cour d'appel fédérale décide que le juge de la Section de première instance a rendu une décision erronée, ce pourrait être pour de nombreux motifs différents, y compris la crainte raisonnable de partialité.
[12] Autant que je sache, la question d'une crainte raisonnable de partialité du fait de la décision que j'ai rendue dans Ithibu, précitée, n'a été soulevée ni devant la Section de première instance ni devant la Cour d'appel fédérale.
[13] À mon avis, l'avocat de la demanderesse n'a fait valoir aucune raison valable pour que j'aie à me récuser dans la présente affaire pour motif de crainte raisonnable de partialité.
La crainte raisonnable de partialité - le critère applicable
[14] Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, dans les termes qui suivent :
La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?
La Cour suprême du Canada a souscrit à ce critère et l'a appliqué de façon constante. Se reporter à cet égard à Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114 et Ruffo c. Conseil de la Magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267.
[15] Je conclus, par conséquent, qu'une personne raisonnable et bien renseignée serait d'avis que je rendrais une décision juste dans la présente affaire.
[16] La demande présentée par l'avocat de la demanderesse est par conséquent rejetée.
LES FAITS
[17] La demanderesse est née à Akwatia, au Ghana, le 16 mars 1968.
[18] De janvier 1992 à novembre 1999, la demanderesse et sa mère ont exploité deux magasins de chaussures, l'un dans le secteur de Kejetia et l'autre dans celui d'Alabar.
[19] La demanderesse et sa mère s'opposaient au gouvernement de J.J. Rawlings et à son parti du Congrès national démocratique (CND). Elles ont rejoint les rangs du Nouveau parti patriotique (NPP), la formation d'opposition, en 1996.
[20] La demanderesse soutient que, le 12 janvier 1998, sa mère a reçu une lettre signée par le premier magistrat de Kumasi, M. Nana Akwasi Agyemang, lui signifiant un avis d'éviction de deux semaines. La demanderesse affirme que la discrimination dont sa mère a été victime était liée au fait qu'elle appartenait au NPP.
[21] Deux semaines plus tard, la mère de la demanderesse a été évincée de son magasin et jetée en prison. Elle est décédée le 28 mai 1998, des suites des mauvais traitements qu'elle avait subis.
[22] La demanderesse a continué d'exploiter son propre magasin dans le secteur d'Alabar.
[23] Selon le témoignage de la demanderesse, le 5 octobre 1999, un groupe de citoyens de Kumasi ont organisé une manifestation semblable à celle qui avait eu lieu le 30 septembre 1999, exigeant le départ du chef du KMA, Nana Akwasi Agyemang.
[24] La manifestation a dégénéré en combat de rue et certains des manifestants ont essayé de pénétrer dans le magasin de la demanderesse. Celle-ci a tenté de les en empêcher afin d'éviter le pillage mais, dans la cohue, elle a été arrêtée par erreur et jetée en prison.
[25] Pendant deux semaines, elle a, selon ses affirmations, été sévèrement battue, torturée et violée. Elle a été interrogée au sujet de son appartenance à un parti politique, à savoir le NPP. Au cours de ces interrogatoires, elle a été forcée d'avouer que des membres du NPP et elle avaient frappé des agents de sécurité.
[26] Six semaines plus tard, le 20 novembre 1999, la demanderesse se serait enfuie avec l'aide d'un ami de son oncle. Elle serait passée par le Togo pour arriver au Canada le 25 novembre 1999. Elle a revendiqué le statut de réfugié le jour même.
[27] Selon ses affirmations, elle risque, si elle devait retourner au Ghana, d'être persécutée de fait de son sexe et de ses opinions politiques.
QUESTION EN LITIGE
[28] La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne risquait pas d'être persécutée du fait de son sexe ou de ses opinions politiques si elle devait retourner au Ghana?
ANALYSE
[29] Non, la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que la demanderesse ne risquait pas d'être persécutée du fait de son sexe ou de ses opinions politiques.
NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE
[30] Il est nécessaire, d'abord et avant tout, d'établir quelle est la norme de contrôle judiciaire notre Cour doit appliquer à l'égard de la Commission. Généralement, la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de droit et de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable, tandis que la norme applicable aux questions de pur droit est celle du bien-fondé juridique.
[31] Dans Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (C.F. 1re inst.), le juge Evans a déclaré ce qui suit :
[par. 45] D'un autre côté, la décision de la section du statut de réfugié relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam, interprété comme il se doit, constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable.
[32] Plus tard, dans Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 300 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier en est venu à la conclusion suivante :
[par. 5] La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.) (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.
[33] Dans Boye c. Canada (M.E.I.) (1994), 83 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a déclaré ce qui suit :
[par. 6] De plus, la section du statut de réfugié peut tirer une conclusion défavorable à l'égard de la crédibilité du demandeur en raison de l'invraisemblance de son récit, pourvu que l'on puisse raisonnablement dire que les déductions qu'elle fait existent. Le tribunal peut régulièrement tirer des conclusions défavorables à l'égard de la crédibilité d'un individu, à condition qu'il motive sa décision dans des termes clairs et sans équivoque.
[34] En l'espèce, les questions soulevées par la demanderesse concernent des faits. La norme de contrôle judiciaire applicable, par conséquent, est celle de la décision manifestement déraisonnable.
ALLÉGATION DE PARTIALITÉ À L'ENDROIT DE LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE
[35] Au début de la deuxième séance qui a eu lieu le 5 mai 2000, l'avocat de la demanderesse a présenté une motion demandant au tribunal de se récuser, alléguant une crainte raisonnable de partialité de la part de la présidente d'audience, Jeannine Beaubien-Duque. Selon la demanderesse, la présidente de l'audience avait fait preuve de partialité dans l'affaire numéro M98-07759, qui concernait un revendicateur kényan également défendu par Me Stewart Istvanffy. Dans cette affaire, la présidente avait déclaré que la littérature anglaise ne se rapportait qu'aux auteurs anglais et fait montre, de la sorte, d'un manque de respect profond pour les auteurs africains écrivant en anglais.
[36] Dans la présente affaire, la demande de récusation présentée par Me Istvanffy a été rejetée. La Commission a déclaré ce qui suit à la page 3 de sa décision :
Le tribunal a réagi au ton agressif et aux remarques insultantes du conseil en lisant certains articles du Code de déontologie du Barreau du Québec. Le tribunal a rejeté la demande du conseil. Appliquant les critères énoncés dans l'arrêt Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), le tribunal a déterminé qu'une personne raisonnable et avertie conclurait qu'il pouvait rendre une décision équitable.
[37] L'allégation de crainte raisonnable de partialité de la demanderesse n'est pas fondée. Si cette dernière craignait véritablement la violation de ses droits, elle aurait dû soulever une objection dès le départ, à la première séance tenue le 17 avril 2000, plutôt que d'attendre à la deuxième séance du 5 mai 2000. Dans Re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique Can., [1986] 1 C.F. 103, le juge MacGuigan a statué comme suit, à la page 113 :
Toutefois, même si l'on écarte cette renonciation expresse, toute la manière d'agir d'EACL devant le Tribunal constituait une renonciation implicite de toute affirmation d'une crainte raisonnable de partialité de la part du Tribunal. La seule manière d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion. En l'espèce, EACL a cité des témoins, a contre-interrogé les témoins cités par la Commission, a présenté un grand nombre d'arguments au Tribunal et a engagé des procédures devant la Division de première instance et cette Cour sans contester l'indépendance de la Commission. Bref, elle a participé d'une manière complète à l'audience et, par conséquent, on doit tenir pour acquis qu'elle a implicitement renoncé à son droit de s'opposer.
[Non souligné dans l'original.]
[38] C'est une règle de droit bien connue que celle selon laquelle il faut alléguer à la première occasion toute violation d'un principe de justice naturelle.
[39] Cela a été confirmé dans l'affaire Kostyshyn c. West Region Tribal Council [1992] A.C.F. n ° 731 (C.F. 1re inst.), où le juge Muldoon a statué qu'une partie devait « exprimer immédiatement son allégation » de déni de justice naturelle, et dans l'affaire Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. n ° 607 (C.F. 1re inst.), où le juge Pinard a fait référence à l'affaire Del Moral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. n ° 782 (C.F. 1re inst.). Dans Del Moral, précitée, le juge Dubé a conclu que « [l]a seule manière d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion » .
[40] En résumé, la demanderesse aurait dû en l'espèce réagir « à la première occasion » face à la violation alléguée des principes de justice naturelle, tel que l'a déclaré le juge MacGuigan dans In Re Tribunal des droits de la personne, précitée, soit à la première séance tenue le 17 avril 2000, si elle croyait véritablement qu'il y avait eu violation de ses droits. En attendant jusqu'à la deuxième séance, elle a renoncé à son droit de s'objecter. Je suis d'avis, par conséquent, que les allégations de partialité de la défenderesse ne constituent pas une question grave qui justifie l'intervention de la Cour.
CRÉDIBILITÉ DE LA DEMANDERESSE
Le propre magasin de chaussures de la demanderesse
[41] La demanderesse prétend qu'elle a été victime de persécution, et qu'elle continuera de l'être, en raison de son appartenance au parti politique NPP. La demanderesse soutient que sa mère a été évincée de force de son magasin de chaussures en raison de son appartenance au NPP. Le propre magasin de chaussures de la demanderesse, toutefois, bien qu'il ait été situé relativement près de celui de sa mère, n'a subi aucune atteinte jusqu'à son départ en novembre 1999. Cela a eu pour effet d'affaiblir la prétention de persécution du fait de ses opinions politiques. Aux pages 3 et 4 de sa décision, la Commission a écrit ce qui suit sur cette question :
Le tribunal a interrogé la revendicatrice à fond au sujet de sa mère et des deux magasins de chaussures. De l'avis du tribunal, les explications de la revendicatrice étaient généralement vagues et prêtaient à confusion. Elle a insisté sur le fait que sa mère avait été évincée de force en raison de son soutien ouvert au NPP. Or, le magasin exploité par la revendicatrice était situé à proximité de celui de sa mère et elle aussi avait ouvertement manifesté son appui au NPP. Pourtant, son magasin n'a jamais été fermé et selon ses affirmations, elle a continué à travailler jusqu'à son départ en novembre 1999, près de deux ans plus tard. La revendicatrice n'a fourni aucune justification satisfaisante pour expliquer pourquoi elle n'a pas été obligée de fermer boutique.
[42] La demanderesse n'a pu expliquer valablement ce fait d'une manière jugée satisfaisante par la Commission, ni n'a contesté dans son exposé cette conclusion de fait de la Commission.
La démolition du magasin de chaussures de la mère de la demanderesse
[43] La demanderesse raconte que, le 12 janvier 1998, sa mère a reçu une lettre signée par le premier magistrat de Kumasi, M. Nana Akwasi Agyemang, lui signifiant un avis d'éviction de deux semaines visant l'immeuble où se trouvait son magasin de chaussures. Deux semaines plus tard, la mère de la demanderesse aurait été évincée de force de son magasin. La demanderesse croit que l'éviction de sa mère était due à son appartenance au NPP. La Commission a toutefois relevé qu'était déjà prévue la démolition du secteur où se trouvait le magasin de la mère. Cela devient manifeste à la lecture des documents P-13 et P-14 joints à l'affidavit de la demanderesse sous la rubrique Pièce B. Ces éléments de preuve ébranlent l'allégation par la demanderesse de persécution du fait de ses opinions politiques.
[44] La pièce P-13 est une lettre datée du 28 janvier 2000, qu'on peut trouver à la page 32 du dossier de la demanderesse et où on peut lire ce qui suit :
[TRADUCTION]
[...] Je n'ai pas à vous rappeler l'horrible événement que vous avez vécu; il est si triste que votre chère mère ait perdu la vie par suite des démolitions ordonnées par ce monstrueux maire [...]
[45] La pièce P-14, figurant à la page 34 du dossier de la demanderesse, renferme une photographie prise du site de démolition. Lorsqu'on l'a interrogée à ce sujet, la demanderesse n'a pu répondre de manière satisfaisante à la Commission. La Commission a écrit par conséquent ce qui suit à la page 4 de sa décision :
Le tribunal a remarqué que, dans son témoignage et dans les documents soumis en preuve (pièces P13 et P14), la revendicatrice a laissé entendre à plusieurs reprises que le secteur était sur le point d'être démoli, sans toutefois être en mesure de clarifier ce point de manière satisfaisante. Le tribunal ne croit pas que sa mère était victime de persécution politique comme elle l'affirme.
[46] Comme la demanderesse a pu exploiter son entreprise pendant les deux années qui ont suivi l'éviction forcée de sa mère, il semblerait que la Commission en est venue à une conclusion de fait raisonnable à cet égard.
Arrestation par erreur de la demanderesse
[47] La demanderesse soutient que son arrestation, sa détention et tout ce qu'elle a subi pendant celle-ci était directement lié à ses opinions politiques, à savoir son appartenance au NPP. La Commission a écrit ce qui suit à ce sujet, à la page 4 de sa décision :
Selon la revendicatrice, elle aussi était persécutée en raison de ses opinions politiques, affirmant qu'elle avait été arrêtée à la suite de la manifestation du 5 octobre et détenue pendant six semaines. Elle soutient que son arrestation et les tortures qu'elle a subies en prison sont liées à son appartenance au NPP.
[48] À l'audience, la demanderesse a été interrogée sur les événements survenus le 5 octobre 1999. Elle a déclaré qu'en raison de la manifestation, elle avait été arrêtée et détenue en prison par erreur. On peut lire ce qui suit sur cette question, aux pages 4 et 5 de la décision de la Commission.
Le tribunal a retenu que la revendicatrice n'avait pas pris part à la manifestation comme telle et qu'elle était seulement sortie pour appuyer les manifestants quand ils sont passés devant son magasin. Quand on lui a demandé pourquoi elle n'avait pas participé à la manifestation dès le départ, elle a dit qu'elle était trop fatiguée. Commentant l'échauffourée entre la police et les manifestants devant son magasin, elle a affirmé qu'il s'agissait d'un malentendu. Elle n'est pas la seule à avoir été arrêtée.
[...] Le tribunal considère que les explications de revendicatrice n'incitent pas à croire que sa prétendue arrestation était imputable à des motifs politiques. De plus, compte tenu de son profil politique discret et du fait qu'elle n'a pas organisé la manifestation et qu'elle n'y a pas véritablement pris part, le tribunal accorde peu de foi aux allégations de la revendicatrice selon lesquelles son appartenance au NPP est à l'origine de ses problèmes.
[49] Encore une fois, il semblerait que la Commission était justifiée d'en venir aux conclusions de fait qui ont été les siennes à ce sujet.
Exactitude des dates
[50] La demanderesse semblait confuse quant aux dates exactes auxquelles certains événements importants seraient survenus et, par conséquent, la Commission s'est alors mise à douter encore davantage de sa crédibilité. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse fait état de manifestations ayant eu lieu le 30 septembre 1999 et le 5 octobre 1999. La demanderesse a écrit ce qui suit, qui figure à la page 20 du dossier certifié :
[TRADUCTION]
Le 5 octobre 1999, certains citoyens concernés de Kumasi ont organisé une manifestation dans toute la ville désignée sous le nom de « Ya Abrawo » , qui faisait suite à une autre manifestation semblable ayant eu lieu le 30 septembre 1999 et où l'on avait demandé le départ immédiat du chef du KMA, Nana Akwasi Agyemang.
[51] La Commission a examiné un article de journal soumis par la demanderesse au soutien de sa prétention selon laquelle des manifestations s'étaient déroulées le 30 septembre et le 5 octobre 1999. Dans l'hebdomadaire The Guide publié pour la période du 30 septembre au 6 octobre, on mentionne une manifestation ayant eu lieu le « jeudi précédent » et « qu'une autre manifestation était prévue pour le mardi » suivant. La Commission a conclu qu'on faisait alors allusion au 23 septembre et non au 30 septembre 1999. La Commission a déclaré ce qui suit, à la page 5 de sa décision :
Étant donné que le journal, un hebdomadaire, visait la semaine du 30 septembre au 6 octobre 1999, il est évident que la seule manifestation à laquelle il pouvait faire allusion était celle du 23 septembre (le jeudi précédent), également couvert par les autres journaux. Il n'est fait aucune mention d'une manifestation qui aurait eu lieu le 30 septembre comme l'écrit la revendicatrice dans son exposé. De l'avis du tribunal, cette contradiction importante mine la crédibilité de la revendicatrice.
[52] Il semblerait, en outre, que la manifestation prévue pour le 5 octobre 1999 ne s'est jamais déroulée. Selon un article sur Internet soumis par la demanderesse, la manifestation prévue pour le 5 octobre 1999 avait en fait été reportée et n'avait pas eu lieu. S'exprimant sur cette question, la Commission a écrit ce qui suit, aux pages 5 et 6 de sa décision :
Le tribunal a également demandé au Centre de documentation d'effectuer une recherche de renseignements au sujet de la manifestation du 5 octobre au cours de laquelle la revendicatrice soutient avoir été arrêtée. Le Centre n'a trouvé aucun renseignement à ce sujet. Le tribunal a informé le conseil et la revendicatrice de ce fait et leur a accordé le temps nécessaire pour répondre. Le conseil a soumis un document Internet indiquant que la manifestation du 5 octobre 1999 avait en fait été reportée. Elle n'a pas eu lieu. Le tribunal en conclut que la revendicatrice a monté cette histoire de toutes pièces pour être admise dans ce pays sans se plier aux exigences d'immigration. Dans l'ensemble, le tribunal considère que la revendicatrice n'est pas crédible.
[53] En réponse à la conclusion de la Commission, la demanderesse a écrit ce qui suit à la page 46, paragraphe 25, de ses observations :
[TRADUCTION]
25. Le tribunal a fait erreur dans son analyse d'un article sur Internet au moyen duquel nous avons démontré qu'une manifestation avait été organisée pour le 5 octobre 2000, puis annulée à la dernière minute. L'ACR n'avait pu trouver de preuve de l'existence de la manifestation et nous avons pu trouver cet article. Selon nous, il est clair que si on a prévu cette manifestation puis qu'on l'a annulée à la toute dernière minute, bien des personnes s'y seront rendues quand même parce que les gens pauvres ne lisent pas les journaux chaque jour; toutefois, le tribunal a mal interprété l'article sur Internet en disant simplement que la manifestation n'avait pas eu lieu (à la page 5 de la décision). De la sorte, le tribunal fait preuve d'un préjugé culturel important à l'endroit de la demanderesse et de tous les pays du Tiers monde.
[54] La demanderesse présente une théorie fondée sur de pures spéculations, qui ne fait pas apparaître comme déraisonnable la conclusion de fait tirée par la Commission. Il y a lieu de noter que l'article sur Internet n'a pas été produit par la Commission, mais bien par la demanderesse et son avocat au soutien de la revendication de cette dernière.
Rapport psychologique produit par David L.B. Woodbury
[55] La demanderesse a soumis un Rapport d'interview diagnostique rédigé par David L.B. Woodbury, son psychologue. Le rapport traitait du trouble de stress post-traumatique dont la demanderesse souffrirait en raison des mauvais traitements qu'elle a subis au Ghana.
[56] À titre de règle générale, un rapport médical ne peut empêcher la Commission d'évaluer par elle-même la crédibilité d'un revendicateur du statut de réfugié. Dans l'affaire Danailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1993] A.C.F. n ° 1019 (C.F. 1re inst.), le juge Reed a statué comme suit :
En ce qui concerne les arguments relatifs aux conclusions du tribunal sur la crédibilité, j'ai lu la transcription et la décision du tribunal avant d'entendre les prétentions des avocats. Ayant eu l'avantage d'entendre celles-ci, la seule conclusion qui s'impose est que la décision du tribunal était tout à fait justifiée compte tenu de la preuve dont il avait été saisi. Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.
[57] Dans l'affaire Madahar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1614 (C.F. 1re inst.), de même, un litige a été soulevé en regard de la preuve médicale soumise à la Commission. J'ai renvoyé à Kalia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1682 (C.F. 1re inst.), où le juge Pinard a conclu en ces termes :
Les commentaires qui précédent suffisent pour rejeter la demande, mais je voudrais aussi traiter du rejet, par la Commission, de la preuve médicale du requérant. À mon sens, il était loisible à la Commission de le faire car il a été conclu que les faits qui sous-tendaient les rapports en question n'étaient pas dignes de foi.
[58] Il est clair que, selon la jurisprudence de notre Cour, une opinion d'expert en médecine n'a de valeur que si la Cour juge crédibles les faits présentés par le professionnel concerné.
[59] Dans l'affaire Gyamfuah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1994] A.C.F. n ° 861 (C.F. 1re inst.), de même, le juge Simpson a statué comme suit :
En l'espèce, bien que l'avocat de la requérante ait prétendu que le paragraphe 2(3) s'appliquait, le témoignage de celle-ci n'était pas entièrement cru. Cela signifiait que le fondement factuel du rapport médical qui décrivait des blessures de torture et le trouble de stress post-traumatique avait été rejeté et que, nécessairement, le diagnostic n'était plus pertinent.
Persécution de la demanderesse du fait de son sexe
[60] Il y a lieu de mentionner qu'en l'espèce, la demanderesse a prétendu avoir été persécutée pour un second motif, soit du fait de son sexe. Cette question est clairement abordée aux paragraphes 26 à 30 de l'exposé supplémentaire de la demanderesse, sous la rubrique Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. La demanderesse soutient que la Commission n'a pas fait allusion à ce sujet, ni à l'audience ni dans ses motifs. La demanderesse a tort; on peut lire en effet ce qui suit à la page 6 des motifs :
[...] De plus, le tribunal constate qu'il n'existe aucun motif pour lequel la revendicatrice aurait été persécutée en tant que femme et constate que la revendicatrice ne s'est pas non plus acquitté du fardeau de la preuve à cet égard.
[61] Il est clair que la Commission a tenu compte du fait que la demanderesse est une femme, mais aucun élément de preuve n'a été présenté en vue de démontrer que la demanderesse risque, du fait qu'elle est une femme, d'être victime de persécution. La Commission n'a pas jugé approprié, par conséquent, d'examiner plus avant cette question.
[62] La demanderesse soutient ce qui suit au paragraphe 27 de son exposé supplémentaire :
[TRADUCTION]
Cette question aurait dû être examinée en ayant présentes à l'esprit les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.
[63] Elle a ensuite ajouté, au paragraphe 29 :
[TRADUCTION]
Le tribunal aurait dû se demander si les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe étaient applicables, et ces directives auraient dû être suivies tant dans le cadre de l'audience tenue que de la décision rendue.
[64] À mon avis, l'allégation de la demanderesse de persécution fondée sur le sexe constituait une question secondaire. La question fondamentale à trancher en l'espèce avait trait à l'allégation par la demanderesse de persécution du fait de ses opinions politiques, plus précisément de son appartenance au NPP. La Commission n'a pas commis une erreur révisable du simple fait qu'elle n'a pas formulé des commentaires élaborés sur cette question secondaire soit à l'audience, soit dans ses motifs. Cela d'autant que la question fondamentale a fait l'objet de commentaires très détaillés tant à l'audience que dans les motifs.
[65] La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.
[66] L'avocat de la demanderesse a demandé la certification des deux questions suivantes :
1. Un type d'audience a été mis au point à Montréal dans le cadre duquel on dit au revendicateur du statut de réfugié qu'il ne lui est pas nécessaire de raconter sa situation dans son Formulaire de renseignements personnels, on demande à l'agent d'audience de poser le premier des questions - un renversement de l'ordre habituel de présentation de la preuve - et on a ramené à l'essentiel le droit à une audition complète en mettant l'accent sur le contre-interrogatoire du revendicateur. Ce type d'audience a systématiquement donné lieu à des injustices. Le recours au nouveau type d'audience en matière de reconnaissance du statut de réfugié à Montréal viole-t-il les garanties juridiques prévues aux articles 7 et 12 et le droit à l'égalité prévu à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés? Les garanties conférées par la Charte et par le droit international en matière d'application régulière de la loi et d'audition équitable s'appliquent-elles aux audiences devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Convient-il que la Cour fédérale du Canada s'assure de l'application de ces garanties dans l'exercice de son rôle de surveillance et de contrôle à l'endroit de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?
2. La déclaration suivante a été faite dans une autre décision et la question de la crainte raisonnable de partialité a été soulevée au début de l'audience contre le président d'audience dans cette affaire, qui a écrit ce qui suit :
Le tribunal a ensuite interrogé le revendicateur au sujet de ses cours. Il a déclaré que son programme portait sur la littérature anglaise et sur le commerce et qu'il étudiait des poèmes et des nouvelles. Lorsqu'on lui a demandé de nommer certains auteurs, le revendicateur a mentionné des noms africains. Le tribunal était surpris des réponses du revendicateur et lui a demandé pourquoi il ne mentionnait pas de noms d'auteurs anglais. Le revendicateur a répondu qu'il s'agissait d'auteurs africains qui écrivaient en anglais. Le tribunal ne juge pas la réponse du revendicateur acceptable. La littérature anglaise concerne des auteurs anglais. Le tribunal a de sérieux doutes quant à l'inscription du revendicateur à des cours de littérature anglaise.
Cette manifestation de préjugé racial viole-t-elle les garanties conférées aux articles 7 et 12 et le droit à l'égalité prévu à l'article 15 de la Charte? Quel critère doit-il être appliqué par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en matière de crainte raisonnable de partialité?
[67] L'avocat du défendeur a soutenu que ces deux questions ne devraient pas être certifiées et a présenté ses arguments à ce sujet dans sa lettre datée du 17 janvier 2002.
[68] J'ai examiné avec soin ces questions ainsi que les arguments présentés verbalement à l'audience par l'avocat de la demanderesse et par écrit par l'avocat du défendeur.
[69] Je suis en accord avec les arguments soumis par le défendeur et, compte tenu du fait également que ces deux questions ont déjà été proposées dans Ithibu, précitée, et que j'ai déjà statué qu'elles ne soulevaient pas de questions graves de portée générale, aucune question ne sera certifiée.
« Pierre Blais »
Juge
Montréal (Québec)
Le 1er février 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20020201
Dossier : IMM-4679-00
Entre :
SHARON JACKSON
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-4679-00 |
INTITULÉ : |
SHARON JACKSON demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION défendeur |
LIEU DE L'AUDIENCE : |
Montréal (Québec) |
DATE DE L'AUDIENCE : |
Le 15 janvier 2002 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : |
Le juge Blais |
DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE : |
Le 1er février 2002 |
COMPARUTIONS : |
|
M. Stewart Istvanffy |
POUR LA DEMANDERESSE |
M. Michel Pepin |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : |
|
M. Stewart Istvanffy Montréal (Québec) |
POUR LA DEMANDERESSE |
M. Morris Rosenberg Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |