Date : 2003-03-28
Dossier : IMM-1843-02
Référence neutre : 2003 CFPI 367
Ottawa (Ontario), le 28 mars 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY
ENTRE :
ALI SADEGHI FAR
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Ali Sadeghi Far est un citoyen iranien de 32 ans. Il a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada en 2000. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé sa revendication dans une décision datée du 18 mars 2002, principalement parce qu'il n'y avait pas de preuve digne de foi pour l'appuyer. M. Sadeghi Far prétend que la conclusion de la Commission n'était pas justifiée par la preuve dont elle était saisie et qu'elle a été mal expliquée.
[2] La famille de M. Sadeghi Far est opposée au régime islamique révolutionnaire. Son père et son frère ont fait partie des moudjahiddines. Le temps venu, ils ont tous deux quitté l'Iran, comme l'a fait le reste de sa famille alors que M. Sadeghi Far y est demeuré. Après le départ de sa famille en1995, M. Sadeghi Far a été arrêté et questionné au sujet de ses allées et venues et de ses activités.
[3] Il a aussi été arrêté à plusieurs autres reprises par la suite. En 1997, il a été faussement accusé d'avoir déchiré une photo d'un candidat à la présidence. Il a été détenu pendant quatre jours et battu. En 1998, il a été détenu après avoir organisé une réception intime chez lui. Les autorités ont cru qu'il s'agissait d'une réunion politique. Il a été mis en prison pendant sept jours. En 1999, il a été détenu deux fois, chaque fois pendant une journée, afin d'être questionné au sujet d'un voisin qui était un étudiant activiste.
[4] M. Sadeghi Far prétend que les événements qui ont mené à son départ de l'Iran se sont produits à la fin de 1999. Il travaillait dans une entreprise de nettoyage à sec. Les deux propriétaires étaient quelque peu actifs politiquement et s'opposaient aux autorités en place. Ils ont participé à des manifestations d'étudiants. En décembre 1999, les autorités ont fait une descente dans l'entreprise. M. Sadeghi Far prétend qu'il était sorti manger à ce moment et qu'il a reçu un appel d'un collègue nommé Touraj, l'avertissant de ne pas revenir au travail. Le demandeur s'est caché sur l'avis de ses parents. Il a appris par la suite, par des parents, que les autorités avaient posé des questions à son sujet parce qu'elles avaient trouvé des photos de lui participant aux manifestations étudiantes. Il a également appris que Touraj avait quitté l'Iran.
[5] M. Sadeghi Far affirme qu'il est demeuré caché deux mois pendant que des mesures étaient prises pour qu'il puisse quitter le pays à destination de la Turquie. Il a passé quelque temps dans ce pays et il est finalement arrivé aux États-Unis. Il a revendiqué le statut de réfugié là-bas, mais il avait l'impression que ses chances étaient meilleures au Canada, même si ses parents et sa soeur n'avaient pas réussi à obtenir le statut de réfugié au Canada. Il dit qu'il a délibérément exagéré sa revendication aux États-Unis afin d'obtenir sa libération. Une fois libéré, il s'est rendu à la frontière canadienne et a revendiqué le statut de réfugié à Niagara Falls.
A. La question principale - Les conclusions de la Commission sur la crédibilité
[6] M. Sadeghi Far conteste les fondements à partir desquels la Commission a jugé que son récit des événements n'était pas digne de foi et met en cause la pertinence des raisons qu'elle a données pour parvenir à ses conclusions.
[7] La Commission a dit douter de façon générale de la véracité de la preuve appuyant la demande de M. Sadeghi Far. Elle a tiré une conclusion déterminante en affirmant que les événements de la fin de 1999, notamment la descente par les autorités dans les locaux de l'entreprise de nettoyage à sec et la recherche subséquente du demandeur, ne se sont jamais produits. Elle n'a donc pas cru que M. Sadeghi Far s'était caché ou avait fui son pays parce qu'il craignait pour sa sécurité personnelle.
[8] Les conclusions de la Commission s'appuient sur un certain nombre d'éléments de preuve, de même que sur l'absence d'éléments de preuve dans certains domaines. Elle estime que le fait que M. Sadeghi Far ait un lien familial avec Touraj, son collègue dans l'entreprise de nettoyage à sec constitue une [TRADUCTION] « coïncidence étonnante » . Le demandeur a déclaré qu'il avait donné le numéro de téléphone du cousin de son père à Touraj après avoir été informé de la descente. Ce lien lui a permis de rester au courant des événements qui ont suivi. À l'audition devant la Commission, M. Sadeghi Far a prétendu que les deux familles, en fait, se connaissaient. Cela n'avait pas été indiqué dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Cet élément de preuve a pris la Commission par surprise et, comme elle l'a mentionné, elle a conclu que cela constituait une [TRADUCTION] « coïncidence étonnante » qui a semé le doute sur la version des événements donnée par M. Sadeghi Far. Elle a également qualifié ce contact de [TRADUCTION] « réseau de communications complexe » .
[9] La Commission a également noté une divergence entre les renseignements contenus dans le FRP de M. Sadeghi Far, qui fait référence au membre de la famille qui était en contact avec la famille de Touraj comme étant son « cousin » , par opposition à sa déposition verbale dans laquelle il a fait référence à cette personne en l'appelant le [TRADUCTION] « cousin de son père » .
[10] D'autres aspects de la preuve ont rendu la Commission perplexe. Elle a estimé ne pas avoir obtenu d'explication satisfaisante quant à savoir pourquoi M. Sadeghi Far est demeuré caché pendant deux longs mois s'il savait que sa sécurité personnelle était en jeu. Elle s'est demandé pourquoi les autorités avaient ciblé le demandeur puisqu'il n'avait participé à aucune activité politique et qu'il n'avait pas, en fait, participé à des manifestations ou à d'autres événements politiques. En fait, ses collègues ne participaient pas non plus à des manifestations - ils étaient simplement observateurs. Il ne pouvait y avoir aucune photographie authentique le montrant dans des manifestations puisqu'il n'y portait aucun intérêt et qu'il n'avait jamais participé à aucune. De son propre aveu dans sa déposition, il se tenait loin de la politique et menait une vie normale à Téhéran. La Commission a conclu que les autorités ne s'intéressaient tout simplement pas à M. Sadeghi Far, pas plus qu'à ses collègues de travail.
[11] La Commission a aussi été manifestement troublée par la décision du demandeur de faire une fausse déclaration aux autorités américaines de l'immigration. Il y a une différence marquée entre son récit aux États-Unis et celui qu'il a donné au Canada. Aux États-Unis, il a prétendu avoir participé activement aux manifestations étudiantes et à d'autres activités politiques, et avoir été détenu pendant des périodes comparativement longues. Compte tenu de ses doutes au sujet de la preuve fournie par M. Sadeghi Far, la Commission a conclu qu'il avait menti aux États-Unis comme au Canada.
[12] Il n'y avait aucune preuve corroborante devant la Commission pour ce qui a trait à la descente ou aux suites de celle-ci. Cette prétention n'était appuyée sur rien, à l'exception de la déposition de M. Sadeghi Far et de son FRP.
[13] La Commission peut ou peut ne pas avoir été justifiée d'entretenir des doutes au sujet de la preuve ayant trait aux liens familiaux de M. Sadeghi Far avec son collègue de travail, des communications qui ont découlé de ces liens et à son usage alternatif des termes « cousin » et « cousin de son père » . Ce qui est certain, c'est que le langage qu'elle a utilisé pour décrire ces questions semble quelque peu excessif. Mais, en réalité, compte tenu de la preuve dont était saisie la Commission et de son analyse générale, il s'agit de questions relativement mineures. Elles ne justifieraient pas en elles-mêmes de conclure que le récit des événements fait par M. Sadeghi Far n'était pas digne de foi. Toutefois, quand ils sont lus dans leur totalité, les motifs révèlent d'autres raisons, beaucoup plus solides, qui appuient les conclusions de la Commission.
[14] Dans l'ensemble, la Commission a jugé que le scénario n'était pas plausible. Elle a cru improbable que les autorités aient été à la recherche du demandeur. Il n'était pas intéressé à la politique et il n'y prenait aucune part. Il n'avait pas participé aux manifestations. Aucune de ses arrestations n'était liée à un activisme politique de sa part. Son association avec ses collègues de travail, qui n'avaient pris part que de façon éloignée aux manifestations, n'était pas très proche. Il n'y avait pas de preuve corroborante concernant la descente. En outre, la Commission avait des doutes généraux sur la véracité du témoignage de M. Sadeghi Far au vu de la version différente des événements qu'il a donnée aux États-Unis.
[15] À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle les événements de la fin 1999, qui constituent le fondement de la crainte de persécution de M. Sadeghi Far, ne se sont jamais produits peut être appuyée par la preuve et elle a été expliquée de façon pertinente. Je ne peux conclure qu'elle était manifestement déraisonnable.
B. La qualification par la Commission des mauvais traitements en tant que « discrimination » et non de « persécution »
[16] À la fin de ses motifs, la Commission s'est demandé si les allégations de mauvais traitement faites par M. Sadeghi Far équivalaient à de la persécution, ou s'il s'agissait de discrimination. L'avocat du demandeur a prétendu que la Commission devait avoir présumé, pour les fins de cette discussion, que M. Sadeghi Far avait en fait été maltraité et qu'elle a donc pas réussi à expliquer correctement pourquoi les arrestations, les agressions et les recherches n'équivalaient pas à de la persécution.
[17] À mon avis, à ce point de la décision, la Commission avait manifestement jugé que les événements précipités de 1999 n'avaient pas eu lieu. Elle se demandait simplement si les arrestations précédentes, dont la survenance n'avait pas été remise en doute, équivalaient à de la persécution. La Commission a fait référence à la nature relativement mineure des arrestations et au fait que M. Sadeghi Far lui-même ne les considérait pas comme des motifs suffisants pour quitter l'Iran. Dans ce contexte, les motifs de la Commission, bien que brefs, sont adéquats.
[18] Par conséquent, il n'y a pas de raison de modifier les conclusions auxquelles est arrivée la Commission et la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée aux fins de la certification.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée.
« James W. O'Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1843-02
INTITULÉ DE LA CAUSE : ALI SADEGHI FAR
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 18 MARS 2003
ET JUGEMENT PAR : LE JUGE O'REILLY
COMPARUTIONS :
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Stephen Jarvis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Avocat
Bureau 100, 166, rue Pearl
Toronto (Ontario) M5H 1L3
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)