Date: 20010112
Dossier: IMM-4282-99
OTTAWA (ONTARIO), LE 12 JANVIER 2001
DEVANT : MONSIEUR LE JUGE NADON
ENTRE :
SHARAM PAHLEVAN MIR AGHA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Marc Nadon
JUGE
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
Date: 20010112
Dossier: IMM-4282-99
ENTRE :
SHARAM PAHLEVAN MIR AGHA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE NADON
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 7 juillet 1999, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention pour le motif qu'il était soustrait à l'application de la Convention par la section E de l'article premier de celle-ci.
[2] Les faits sont ci-après énoncés. Le demandeur est un citoyen iranien qui est arrivé aux États-Unis en 1974, son père, qui était militaire, ayant été affecté dans ce pays. Le demandeur a obtenu le statut de résident permanent aux États-Unis le 18 mars 1977, où il a résidé jusqu'en 1985 (il avait alors 19 ans). Il a été accusé, à titre de jeune contrevenant et de jeune adulte, de diverses infractions : en 1983-1984, il a été accusé d'homicide involontaire commis au volant d'un véhicule et d'utilisation non autorisée d'un véhicule volé. En 1985, il a été accusé de possession d'une arme automatique et d'infractions connexes. Son père l'a forcé à retourner en Iran pour le punir (et pour éviter les conséquences juridiques, comme la Commission l'a souligné).
[3] Le demandeur est donc retourné en Iran, où il a été recruté pour le service militaire. Il a déserté et s'est enfui en Turquie, où il a communiqué avec le consulat américain. Toutefois, les autorités turques se sont emparées de lui avant que le consulat américain puisse l'aider et l'ont expulsé en Iraq où il a été arrêté et interrogé. Par la suite, le demandeur a essayé d'entrer en Iran, mais les forces de l'opposition kurde l'ont attrapé et l'ont détenu pendant six mois. Il a ensuite joint un groupe kurde avec lequel il est subséquemment entré en Iran, mais il a été arrêté par les gardes révolutionnaires iraniens. Pendant qu'il était en prison, il a été torturé et il a essayé de se suicider. Il a également été condamné à mort, mais cette peine a été remplacée par une peine d'emprisonnement de cinq ans, par une peine de flagellation et par une amende. Le demandeur a été mis en liberté en 1992, mais en échange de sa mise en liberté, on l'a forcé à terminer son service militaire. Pendant qu'il servait dans le militaire, le demandeur a encore une fois été arrêté pour avoir organisé des activités politiques. Sa conjointe a également été arrêtée. Ils ont tous les deux été interrogés et battus; après avoir été battue, la conjointe a avorté. L'intéressé et sa conjointe ont finalement réussi à s'enfuir de l'Iran en passant par la Turquie et, après avoir séjourné à Cuba et aux États-Unis, ils sont arrivés au Canada le 6 décembre 1995 et ont revendiqué le statut de réfugié le 20 juin 1997. La Commission a conclu que la revendication de la conjointe était fondée.
[4] Comme je l'ai déjà mentionné, la Commission a refusé la revendication du demandeur pour le motif qu'il était soustrait à l'application de la Convention par la section E de l'article premier, qui prévoit ce qui suit :
Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.
[5] La Commission a entendu le témoignage de Christine Anne Racine, agente spéciale de l'Immigration and Nationalization Service américain (l'INS), qui a témoigné que le demandeur continuait à être un résident permanent tant qu'un juge de l'immigration ne concluait pas le contraire.
[6] Devant la Commission, le demandeur a soutenu qu'il ne pouvait pas conserver son statut aux États-Unis, et ce, pour plusieurs raisons : il avait signé un formulaire de départ volontaire au mois de décembre 1995, il avait été absent des États-Unis pendant dix ans et il avait effectué son service militaire dans l'armée iranienne. Toutefois, la Commission n'a pas retenu l'argument du demandeur, compte tenu de la preuve dont elle disposait, selon laquelle le demandeur résidait en permanence aux États-Unis lorsqu'il avait revendiqué le statut de réfugié au Canada. Le raisonnement de la Commission, qui figure à la page 4 de ses motifs, est ci-après énoncé :
[TRADUCTION]
La preuve démontrait également qu'après être devenu résident permanent des États-Unis, l'intéressé avait récemment agi de façon qu'il soit sérieusement possible, sinon probable, que les autorités américaines contestent la validité continue de pareil statut et renvoient l'affaire aux autorités judiciaires compétentes. Toutefois, compte tenu de la preuve, la section du statut ne croit pas qu'il soit sérieusement possible, sinon probable, que les autorités judiciaires ne reconnaissent plus le statut de l'intéressé et lui dénieraient le droit de retourner au pays.
[7] En outre, la Commission a fait remarquer que tous les membres de la famille du demandeur (sauf une soeur) sont citoyens américains ou résident aux États-Unis. La Commission a également fait remarquer que le demandeur n'avait pas pu retourner aux États-Unis parce qu'il avait été recruté par l'armée, en Iran, et qu'il avait été emprisonné en Iraq, en Turquie et en Iran. La Commission a également fait observer que le demandeur avait essayé de communiquer avec les autorités américaines après avoir déserté et s'être enfui en Turquie. En outre, la Commission estimait que le demandeur n'avait pas essayé de se réclamer de la protection des États-Unis lorsqu'il était entré dans ce pays en 1995, et qu'il avait volontairement renoncé à la protection des États-Unis uniquement en vue de solliciter un refuge ailleurs -- à savoir au Canada. La Commission a donc conclu que le demandeur était soustrait à l'application de la Convention par la section E de l'article premier de celle-ci.
[8] Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il satisfait aux paramètres de la section E de l'article premier, et ce, pour les motifs suivants : il soutient que son droit de retourner aux États-Unis est incertain et que, cela étant, il n'appartenait pas à la Commission de déterminer ce qui arriverait s'il tentait d'y retourner. Le demandeur se reporte sans doute à la conclusion de la Commission que j'ai citée -- à savoir que, même si l'INS allait contester la validité de son statut et renvoyer son cas à un juge de l'immigration, ce juge ne lui dénierait probablement pas, de l'avis de la Commission, le droit de retourner aux États-Unis.
[9] Le demandeur se fonde sur des renseignements figurant dans le Canada-U.S. Business Immigration Handbook, selon lesquels une personne est réputée avoir abandonné son statut de résident permanent si elle séjourne à l'étranger pendant plus d'un an. Le Guide renferme des conseils au sujet de la façon de conserver le statut de résident permanent : par exemple, produire des déclarations de revenu pour résidents américains, avoir des plaques d'immatriculation américaines, maintenir un domicile aux États-Unis, travailler aux États-Unis et y posséder des biens. Compte tenu de ces renseignements et du fait qu'il a quitté les États-Unis en 1985 et qu'il n'y est retourné que brièvement en 1995, le demandeur soutient que son statut aux États-Unis est précaire et que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il était une personne qui était soustraite à l'application de la Convention par la section E de l'article premier de celle-ci.
[10] À première vue, il peut sembler surprenant que la Commission ait d'abord conclu que le statut du demandeur aux États-Unis est précaire et qu'elle ait ensuite conclu qu'un juge de l'immigration reconnaîtrait probablement le statut du demandeur et autoriserait celui-ci à retourner aux États-Unis. Cette question a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mahdi c. MCI, (1995) 32 Imm.L.R. (2d) 1. Dans l'affaire Mahdi, une demanderesse somalienne avait revendiqué le statut de réfugié au Canada même si elle résidait en permanence aux États-Unis (elle avait initialement dissimulé ce fait en revendiquant le statut de réfugié au Canada). La Commission avait conclu que la demanderesse était une réfugiée, mais sur demande du ministre, elle avait révoqué le statut de la demanderesse à la suite de la présentation d'une preuve selon laquelle la demanderesse résidait en permanence aux États-Unis. En accueillant la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse, la Cour d'appel fédérale a fait les remarques suivantes, à la page 5 :
[...] la question véritable que la Commission devait trancher dans cette affaire était la suivante : l'intimée était-elle, lorsqu'elle a demandé son admission au Canada, une personne qui était encore reconnue par les autorités compétentes des États-Unis comme un résident permanent de ce pays[1]? La preuve a révélé que l'intimée, après être devenue un résident permanent des États-Unis, avait agi de telle sorte qu'il était désormais très possible, voire probable, que les autorités américaines ne la reconnaîtraient plus comme un résident permanent et pour cette raison lui refuseraient le droit de retourner aux États-Unis. La Commission devait certainement prendre en considération cette possibilité pour savoir s'il était établi, selon la prépondérance des preuves, que les autorités américaines reconnaissaient encore l'intimée comme un résident permanent.
[11] Si j'applique ces remarques à l'affaire dont je suis ici saisi, la question à trancher est de savoir si les autorités américaines reconnaissent encore le statut de résident permanent du demandeur. Dans l'affaire Mahdi, comme dans la présente espèce, la demanderesse avait longtemps été absente des États-Unis. Toutefois, contrairement à ce qui est ici le cas, il n'était pas clair, dans l'affaire Mahdi, que les autorités américaines reconnaîtraient encore le statut de la demanderesse, compte tenu de son absence. En l'espèce, la Commission disposait de certains éléments de preuve, sous la forme d'une lettre envoyée à Immigration Canada par l'INS le 8 février 1999 ainsi que de la preuve présentée par Mme Racine, confirmant que le demandeur avait conservé son statut aux États-Unis. Cela étant, il était donc à mon avis raisonnable pour la Commission d'arriver à la conclusion qu'elle a tirée.
[12] La présente espèce est en outre fort semblable à l'affaire Hadissi c. MCI, [1996] A.C.F. no 436, dont cette cour a été saisie et dans laquelle une citoyenne iranienne avait obtenu le statut de résidente permanente aux États-Unis, mais avait revendiqué le statut de réfugiée au Canada. Dans l'affaire Hadissi, la Commission avait reconnu que les résidents permanents des États-Unis peuvent perdre leur statut s'ils demeurent à l'extérieur du pays pendant une période prolongée, mais elle a également fait remarquer que cette déchéance n'est pas automatique. En outre, comme en l'espèce, rien ne montrait que la demanderesse eût de fait perdu son statut de résidente permanente; au contraire, selon la preuve, elle avait toujours qualité de résidente. La Commission a donc conclu que la demanderesse était soustraite à l'application de la Convention par la section E de l'article premier. Le juge en chef adjoint Jerome a rejeté la demande de contrôle judiciaire que la demanderesse avait présentée; au paragraphe 14, il a fait les remarques suivantes :
Appliquant ce principe à l'affaire en instance, je ne peux conclure que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ait commis quelque erreur susceptible de contrôle judiciaire dans sa décision. La Commission a correctement identifié la question à trancher et, après examen des preuves et témoignages, a décidé qu'il n'y avait rien qui corroborât l'assertion faite par la requérante que les autorités américaines ne reconnaîtraient pas son statut de résidente permanente. Au contraire, il ressort du témoignage concluant des deux agents d'immigration américain et canadien que Mme Hadissi a toujours la qualité de résidente permanente. Donc, au contraire de ce qui se passait dans l'affaire Mahdi, il n'y a en l'espèce aucune preuve établissant de façon sérieuse la possibilité que les autorités américaines ne reconnaissent plus son statut de résidente permanente et lui dénient le droit de revenir aux États-Unis.
[13] À mon avis, le raisonnement du juge en chef adjoint Jerome est tout à fait pertinent en l'espèce. Comme dans l'affaire Hassidi, où la Commission avait tenu compte du fait qu'il était possible que la demanderesse perde son statut de résidente permanente, mais ne disposait d'aucune indication montrant que cette dernière avait de fait perdu son statut, la Commission a tenu compte en l'espèce du fait que l'INS pourrait contester la validité du statut du demandeur, mais elle a finalement conclu, en se fondant en partie sur la preuve présentée par Mme Racine et sur la lettre du 8 février 1999 que l'INS avait envoyée à Immigration Canada, que le demandeur ne se verrait probablement pas dénier le droit de retourner aux États-Unis.
[14] La lacune fatale dans l'affaire Mahdi se rapportait au fait que la Commission n'avait pas tenu compte de la possibilité que les autorités américaines ne reconnaissent plus le statut de la demanderesse dans ce pays. Je fais ici face à une situation différente, une situation qui se rapproche davantage, comme je l'ai dit, de l'affaire Hassidi. En l'espèce, en concluant que les autorités américaines reconnaîtraient probablement le statut du demandeur et l'autoriseraient à retourner aux États-Unis, il importe de se rappeler que la Commission a examiné le contexte factuel suivant : les liens familiaux étroits que le demandeur avait aux États-Unis, y compris la citoyenneté de sa fille; le fait que l'absence du demandeur des États-Unis ne lui était pas imputable (étant donné que son père l'avait forcé à retourner en Iran et que, pendant qu'il était en Iran, il avait été emprisonné; le fait qu'il avait communiqué avec le consulat américain lorsqu'il s'était enfui en Turquie; le fait qu'il ne s'était probablement pas réclamé de la protection des États-Unis lorsqu'il était retourné dans ce pays au mois de novembre 1995). À coup sûr, la Commission a examiné tous les éléments de preuve en rendant sa décision et, en particulier, elle s'est fondée sur la preuve concluante fournie par l'INS, confirmant que le demandeur avait de fait conservé son statut de résident permanent même au mois de février 1999.
[15] Dans la décision Shahpari c. Canada (MCI) (1998), 146 F.T.R. 102, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a statué que la présentation par le ministre d'une preuve permettant de conclure que le demandeur peut rentrer dans un pays donné entraînait un déplacement du fardeau de la preuve, le demandeur devant alors expliquer la raison pour laquelle il ne le peut pas. À la page 105, le juge Rothstein a fourni les explications ci-après énoncées :
[11] Par ailleurs, les requérantes ne tirent aucun avantage du fait que la requérante ait détruit sa carte de résidente. À tout le moins, la présentation par l'intimé d'une preuve prima facie établissant que la section E de l'article premier s'appliquait entraînait un déplacement du fardeau de la preuve, la requérante devant alors expliquer la raison pour laquelle elle ne pouvait obtenir une nouvelle carte après avoir détruit la carte qu'elle avait en sa possession. Or, la requérante n'a fourni aucune explication sur ce point.
[12] Les requérantes se fondent sur la décision Wassiq, précitée. Cependant, les faits de cette affaire sont très différents de ceux de l'espèce. Dans cette affaire, des éléments de preuve établissaient que les requérants avaient été avisés par le gouvernement allemand qu'ils ne pouvaient rentrer au pays. En l'espèce, les requérantes n'ont pas présenté de tels éléments de preuve. La présentation par l'intimé d'une preuve prima facie permettant à la formation de conclure que les requérantes pouvaient rentrer en France entraînait un déplacement du fardeau de la preuve, les requérantes devant alors expliquer la raison pour laquelle elles ne le pouvaient pas.
[16] En l'espèce, le demandeur n'a pas soumis d'éléments de preuve démontrant qu'il n'a plus son statut aux États-Unis si ce n'est qu'il a laissé entendre qu'il pourrait perdre son statut à cause de sa longue absence et du départ volontaire. Toutefois, à mon avis, il était loisible à la Commission de ne pas accorder trop d'importance à cet élément de preuve et il était raisonnable pour elle de le faire; quant au fait que le Guide laisse entendre qu'une personne pourrait perdre son statut après une longue absence, la Commission disposait d'une preuve concluante fournie par Mme Racine selon laquelle cette déchéance n'était pas automatique; il s'agissait d'une décision discrétionnaire. Quant à la mesure de départ, la Commission soupçonnait qu'elle avait uniquement été prise parce que le demandeur ne s'était pas prévalu de son statut.
[17] La véritable question dont je suis saisi est de savoir si, compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission était arrivée à une conclusion qu'elle pouvait avec raison tirer. J'ai minutieusement examiné la preuve et les motifs de la Commission et je ne suis pas convaincu qu'elle ait commis une erreur, et ce, qu'il s'agisse d'une erreur de fait ou d'une erreur de droit, en concluant qu'un juge de l'immigration américain reconnaîtrait probablement le statut du demandeur et l'autoriserait à retourner aux États-Unis.
[18] À ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Marc Nadon
Juge
OTTAWA (Ontario),
le 12 janvier 2001.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-4282-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : SHARAM PAHLEVAN MIR AGHA c. le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : le 8 août 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Nadon en date du 12 janvier 2001
ONT COMPARU :
Denis Buron POUR LE DEMANDEUR
Christine Bernard POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Denis Buron POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada