Dossier : IMM-6232-03
Ottawa (Ontario), le 25 mai 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL
ENTRE :
SAEIDEH ATOOFI
ARMAN ADELI RAHJERI
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 22 juillet 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile de la demanderesse.
LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[2] La présente demande repose uniquement sur les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à la vraisemblance. La Commission a rejeté la demande d'asile des demandeurs parce qu'elle a jugé non crédible la preuve présentée par la demanderesse. La Commission est bien placée pour trancher les questions relatives à la crédibilité puisqu'elle a un accès direct au témoignage des témoins et est habituellement la mieux placée pour évaluer leur crédibilité. En conséquence, la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable, voir Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Dans l'arrêt Aguebor, la Cour d'appel fédérale a dit :
Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.
[3] Suivant la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11, avant qu'une conclusion de la Commission en matière de crédibilité puisse être annulée, il faut que l'un des critères suivants soit établi :
1. la Commission n'a pas fourni de motifs valables à l'appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas suffisamment crédible;
2. les inférences tirées par la Commission reposent sur des conclusions d'invraisemblance qui, selon la Cour, ne sont tout simplement pas fondées;
3. la décision est fondée sur des inférences qui ne s'appuient pas sur la preuve; ou
4. la conclusion relative à la crédibilité repose sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.
[4] Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité doivent donc faire l'objet d'une grande retenue judiciaire et ne devraient être annulées qu'en conformité avec les critères susmentionnés. La Cour ne devrait pas substituer son opinion à celle de la Commission pour ce qui est de la crédibilité ou de la vraisemblance, sauf dans « les cas les plus manifestes » .
SOMMAIRE
[5] La demanderesse et son fils mineur, Arman Adeli Rahjeri, sont des citoyens de l'Iran, le demandeur mineur étant né en Espagne. Ils allèguent craindre d'être persécutés du fait de leurs croyances religieuses et de leur appartenance à un groupe social. Initialement, les demandeurs avaient fondé leur demande sur les mêmes moyens que ceux invoqués dans la demande d'asile qu'ils avaient présentée en Allemagne et qui avait été rejetée, savoir qu'ils craignaient d'être persécutés en raison des activités de l'ex-mari de la demanderesse en Iran. À l'audition de sa demande au Canada, la demanderesse a insisté sur le fait qu'elle s'était récemment convertie au christianisme en Allemagne ainsi que sur deux nouvelles allégations : la violence que lui avait fait subir son ex-mari et la crainte que ses beaux-parents lui fassent perdre la garde de son fils si elle était renvoyée en Iran. La Commission a énoncé plusieurs motifs à l'appui de sa conclusion que les allégations de la demanderesse n'étaient pas crédibles, et elle a conclu essentiellement que ces allégations étaient sans fondement ou qu'elles visaient tout simplement à soutenir la thèse de la demanderesse. La Commission a donc refusé de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugiés.
FAITS
[6] La demanderesse et son ex-mari ont quitté l'Iran en 1996. Ils se sont rendus à Cuba et ensuite en Espagne, où leur fils est né. Par la suite, ils se sont rendus en Allemagne où ils ont présenté sans succès une demande d'asile. La demanderesse a admis que son ex-mari et elle avaient donné aux autorités allemandes de faux noms et de faux titres de voyage et qu'ils avaient maintenu ces mensonges jusqu'à ce qu'ils interjettent appel de la décision défavorable qui avait été rendue sur leur demande. La Commission a noté que la demanderesse n'avait pas fourni de preuve à l'appui de l'allégation suivant laquelle elle avait clarifié la situation lorsqu'elle avait interjeté appel de la décision rendue sur sa demande en Allemagne.
[7] En avril 2000, après le rejet de leur demande en Allemagne, la demanderesse et son ex-mari ont été baptisés dans l'Église catholique. Le 21 mars 2001, la demanderesse et son ex-mari ont divorcé et elle a obtenu la garde de leur fils. L'ambassade d'Iran en Allemagne a mis à jour leur livret d'identité iranien afin qu'il fasse état de leur divorce. Le 3 août 2002, après qu'eut été rejeté l'appel interjeté par la demanderesse et son ex-mari contre la décision défavorable rendue sur leur demande d'asile en Allemagne, la demanderesse et son fils sont entrés au Canada et ont présenté une demande d'asile. L'ex-mari de la demanderesse est resté en Allemagne, a épousé une Allemande et a obtenu le droit de s'établir dans ce pays.
[8] Avant de quitter l'Allemagne, la demanderesse n'a pas dit à son ex-mari qu'elle emmenait leur fils au Canada. Le 19 août 2002, elle a téléphoné à son ex-mari pour lui dire où se trouvait leur fils, et il lui a téléphoné depuis sur une base hebdomadaire. Le lendemain du jour où il a appris où se trouvait son fils, soit le 20 août 2002, l'ex-mari de la demanderesse a téléphoné au Consulat du Canada à Berlin pour que celui-ci l'aide à ravoir son fils, précisant qu'il devait bientôt se remarier et qu'il voulait que son fils lui soit remis avant que la demanderesse ne soit expulsée en Iran.
[9] La demande de la demanderesse en Allemagne, qui a été rejetée, reposait sur les activités illégales qu'aurait exercé son mari d'alors en Iran : il aidait des gens à obtenir des passeports et des permis de sortie de façon illégale. Cette allégation constituait également le fondement principal de la demande contenue dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), lequel faisait également état de sa conversion au christianisme. Le 11 février 2003 et le 17 avril 2003, l'avocat actuel de la demanderesse a soumis d'autres documents écrits à la Commission.
[10] Le défendeur prétend que la Commission a pour la première fois été informée que la demanderesse ne donnerait pas suite à la demande contenue dans son FRP par lettre de son avocat datée du 13 juin 2003, soit environ 3 semaines avant l'audience. Cette lettre informait aussi la Commission des allégations de la demanderesse suivant lesquelles elle avait fait l'objet de violence conjugale. Cependant, la demanderesse soutient que ces questions avaient déjà été soulevées dans deux paragraphes du FRP. De plus, selon le défendeur, la demanderesse n'a pas dit dans la lettre du 13 juin que ces allégations devaient constituer le nouveau fondement de sa demande, qui, comme l'a mentionné l'avocat de la demanderesse, était restée la même, soit celle figurant dans son FRP. Le 25 juin 2003, environ une semaine avant l'audience, l'avocat de la demanderesse a envoyé à la Commission copie d'une lettre envoyée à l'ambassade du Canada à Berlin, dans laquelle il disait que sa cliente craignait que son ex-mari cherche à renvoyer leur fils en Iran pour que celui-ci soit élevé par ses grands-parents paternels.
DÉCISION DE LA COMMISSION
[11] La Commission a jugé que la demanderesse n'était pas crédible. Elle a donné plusieurs motifs à l'appui de sa décision, notamment les motifs suivants :
a. la demanderesse a initialement fondé la demande exposée dans son FRP sur les activités illégales qu'exerçait son ex-mari en Iran;
b. la demanderesse a fait preuve de malhonnêteté lorsqu'elle a présenté sa demande d'asile en Allemagne et, bien qu'elle ait fourni des documents confirmant ce fait, elle n'a fourni aucun élément de preuve démontrant qu'elle avait clarifié la situation avec les autorités allemandes en appel;
c. la demanderesse a prétendu que son ex-mari était violent. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de cette allégation et qu'il s'agissait là d'une tentative de « soutenir la demande d'asile » ;
d. la demanderesse a soutenu qu'elle craignait que les parents de son ex-mari obtiennent la garde de son fils si elle était renvoyée en Iran. La Commission a apprécié cette allégation au regard des éléments de preuve soumis et a conclu que ce n'était là « que des supputations » de la part de la demanderesse;
e. la demanderesse a soutenu qu'elle craignait d'être persécutée en raison de sa conversion au christianisme si elle était renvoyée en Iran, mais la Commission a conclu qu'étant donné le moment choisi par la demanderesse pour se convertir au christianisme et l'absence de motifs clairs permettant de justifier cette conversion, il s'agissait d'une « conversion pour des raisons de convenance » destinée à soutenir sa demande d'asile.
ANALYSE
[12] La principale question en l'espèce consiste à déterminer si la demanderesse « craign[ait] [ou non] avec raison d'être persécutée » , et, à la lumière des critères susmentionnés, un très lourd fardeau incombe à ceux qui cherchent à faire annuler des conclusions quant à la crédibilité. Toutefois, dans l'arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302, à la page 305 (C.A.F.), on a dit clairement que la Commission devait avoir des motifs valables de conclure que le demandeur n'était pas suffisamment crédible. Les affaires Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989) 99 N.R. 168 (C.A.F.), et Owusu - Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1990), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), sont deux affaires où des décisions ont été annulées parce que les inférences tirées par la Commission reposaient sur des conclusions d'invraisemblance qui n'étaient pas en soi de telle nature. Dans Frimpong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1980), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), une décision de la Commission a été annulée parce qu'elle reposait sur des inférences qui ne s'appuyaient pas sur la preuve. Comme on l'a dit dans la décision Bains, il en est ainsi parce qu'une cour de révision, selon la nature des invraisemblances alléguées, se trouve dans une position aussi bonne que celle dans laquelle se trouve la Commission pour apprécier la validité des invraisemblances alléguées.
[13] Appliquant cette jurisprudence à la présente affaire, je vais examiner chacun des moyens invoqués par la demanderesse et contrôler la décision de la Commission. La demanderesse fonde essentiellement sa demande sur les trois moyens suivants : des allégations de violence conjugale et de crainte de représailles; la crainte d'être persécutée en raison de sa conversion au christianisme; et la crainte que les parents de son ex-mari lui fassent perdre la garde de son fils. Pour ce qui est de l'allégation de la demanderesse suivant laquelle son ex-mari était violent, la Commission a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de celle-ci et a conclu qu'il s'agissait d'une tentative de « soutenir la demande d'asile » . La demanderesse prétend craindre d'être persécutée du fait de sa conversion au christianisme si elle est renvoyée en Iran. La Commission a toutefois conclu qu'étant donné le moment choisi par la demanderesse pour se convertir au christianisme et l'absence de motifs clairs permettant de justifier cette conversion, il s'agissait d'une « conversion pour des raisons de convenance » destinée à soutenir sa demande d'asile. La Commission a également apprécié l'allégation relative à la garde du fils de la demanderesse au regard des éléments de preuve soumis et a conclu que ce n'était là « que des supputations » de la part de la demanderesse.
CONCLUSION
[14] Après avoir examiné attentivement les motifs de la décision ainsi que les allégations des parties, je conclus que la Commission a examiné tous les moyens invoqués à l'appui de la demande de la demanderesse et a apprécié chacun d'eux à la lumière des éléments de preuve dont elle était saisie. Je suis convaincu que la décision rendue par la Commission s'appuie sur la preuve et que la Commission a fourni des motifs valables à l'appui de sa conclusion suivant laquelle la demanderesse n'était pas suffisamment crédible. Je ne vois donc pas, compte tenu de la norme de la décision manifestement déraisonnable, où la Commission a pu faire erreur. Au contraire, les conclusions que la Commission a tirées sur la question de la crédibilité sont bien motivées et tiennent compte de l'ensemble de la preuve soumise à la Commission.
[15] On a demandé aux avocats des parties s'ils avaient une question à certifier à proposer et ils ont tous deux répondu qu'ils n'en avaient pas.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
- La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.
« Simon Noël »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6232-03
INTITULÉ : SAEIDEH ATOOFI ET AUTRES
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 MAI 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE NOËL
DATE DES MOTIFS : LE 25 MAI 2004
COMPARUTIONS :
Anthony Norfolk POUR LES DEMANDEURS
Caroline Christiaens POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat POUR LES DEMANDEURS
(Vancouver)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada