Date : 20010813
Dossier : IMM-4071-00
Référence neutre : 2001 CFPI 885
ENTRE :
MUHAMMED BABIR
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
(rendus à l'audience à Toronto (Ontario)
le 9 août 2001, comme elle est révisée)
[1] Le demandeur demande le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ), en date du 10 juillet 2000, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
[2] Il s'agit de savoir si le demandeur s'est vu priver d'un traitement équitable à cause des services de traduction inadéquats qui ont été fournis à son audience, surtout à la lumière du fait que, pour une bonne partie, la décision de la Commission reposait sur des conclusions relatives à la crédibilité et à l'invraisemblance.
[3] Le très récent arrêt de la Cour d'appel Mohammadian c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 916 (C.A.) est inapplicable. Dans cette affaire, le juge Pelletier avait certifié les questions ci-après énoncées conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration (la Loi) :
L'analyse de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Tran, précité, qui porte sur l'application de l'article 14 de la Charte dans des procédures de nature criminelle, s'applique-t-elle aux procédures devant la SSR, notamment :
1. L'interprétation fournie aux demandeurs doit-elle être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante?
2. Les demandeurs doivent-ils démontrer qu'ils ont subi un préjudice réel suite à la violation de la norme d'interprétation pour que la Cour puisse intervenir face à la décision de la SSR?
3. Lorsqu'il est raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur le fasse, comme c'est le cas lorsqu'il a de la difficulté à comprendre l'interprète, le demandeur doit-il présenter ses objections au sujet de la qualité de l'interprétation devant la SSR afin de pouvoir soulever la question de la qualité de l'interprétation comme motif justifiant le contrôle judiciaire?
Par « SSR » , le juge entend la section du statut de réfugié.
La Cour d'appel avait répondu aux questions 1 et 3 par l'affirmative et à la question 2, par la négative.
[4] Dans l'affaire Mohammadian, le paragraphe 18 de la décision du juge Stone est très important, et j'insisterai sur la dernière phrase en particulier :
Comme le juge Pelletier l'a fait remarquer, si l'argument invoqué par l'appelant est exact, l'intéressé qui a des problèmes en ce qui concerne la qualité de l'interprétation fournie à l'audience ne pourrait rien faire pendant toute la durée de l'audience, mais il pourrait néanmoins contester avec succès la décision à une date ultérieure. De fait, lorsque l'intéressé décide de ne rien faire même si la qualité de l'interprétation le préoccupe, la section du statut n'est pas en mesure de savoir que l'interprétation comporte des lacunes à certains égards. L'intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l'interprétation est exacte et pour faire savoir à la section du statut, au cours de l'audience, que la question de l'exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l'empêchent de le faire.
[5] Le demandeur soutient qu'il existe des circonstances exceptionnelles dans l'affaire dont je suis saisi. Un traducteur dit dans un affidavit que c'est le pire exemple de traduction qu'il ait jamais rencontré. Toutefois, ni le demandeur, ni son avocat ne se sont opposés à la traduction à l'audience.
[6] Le demandeur, dans son affidavit, explique pourquoi l'avocat et le commissaire ne pouvaient pas comprendre ni apprécier l'exposé des circonstances en l'instance et dit ensuite pourquoi il n'a pas formulé d'objection. Il déclare dans la dernière phrase du paragraphe 7 de son affidavit :
[TRADUCTION] De plus, comme je n'ai pas moi-même non plus de compétences quelles qu'elles soient en langue anglaise, je n'ai pas pu comprendre quoi que ce soit et, par conséquent, apprécier l'incapacité des interprètes en cause en l'espèce à interpréter de façon exacte et précise les propos du commissaire Whittaker, de M. Goldstein et de moi-même pendant toute l'instance.
[7] Cela n'est pas exact pour deux raisons. À la page 448 du dossier certifié, on trouve un échange entre le président de l'audience et le demandeur dans les termes suivants :
[TRADUCTION]
Q. M. Babir, vous répondez à la question sans attendre l'interprétation, ce qui nous montre que vous comprenez l'anglais. Vous venez juste de répondre à la question avant que l'interprète n'ait eu la possibilité d'interpréter. Cela montre que vous connaissez un peu l'anglais. Connaissez-vous l'anglais?
R. Un petit peu.
[8] Le demandeur a commencé à répondre aux questions posées en anglais sans attendre l'interprétation. Ensuite, il a reconnu qu'il savait un « petit peu » d'anglais. Si la traduction était aussi mauvaise que ce que disent les interprètes engagés par le demandeur, celui-ci ou son avocat aurait pu élever une objection à l'audience, ce qu'ils n'ont pas fait, bien que la charge de le faire incombe au demandeur. Par conséquent, le demandeur n'a pas répondu aux exigences de la troisième question dans l'affaire Mohammadian, précité, et il n'y a pas de circonstances exceptionnelles pour le libérer de ce fardeau.
[9] Je note aussi que la Commission a fondé sa décision sur d'autres invraisemblances qui n'ont pas été mises en cause par un élément de preuve particulier avancé par le demandeur. De plus, je suis convaincu que, sur le fond, il y a lieu de rejeter la présente demande.
[10] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« W.P. McKeown »
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 13 août 2001
Traduction certifiée conforme
Richard Jacques, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DE DOSSIER : IMM-4071-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : MUHAMMED BABIR c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : le 9 août 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : M. le juge McKeown
DATE DES MOTIFS : le 13 août 2001
ONT COMPARU :
A. Tom Leousis POUR LE DEMANDEUR
Kevin Lunney POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
A. Tom Leousis POUR LE DEMANDEUR
Hamilton (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada