Date : 20041124
Dossier : IMM-695-04
Référence : 2004 CF 1654
Toronto (Ontario), le 24 novembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
THEVARAJAH, ANTON FELIX
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] L'épouse et les trois enfants de M. Thevarajah ont été acceptés au Canada en tant que réfugiés. Lui n'a pas été aussi chanceux. La vie de cette famille à Jaffna, au Sri Lanka, a été brisée par la guerre civile, et les enfants couraient le risque d'être recrutés par les LTTE. M. Thevarajah a réussi en 1997 à envoyer son fils et ses deux filles à Colombo, puis de Colombo au Canada. Lui et son épouse se sont enfuis en Inde par bateau en 1998, puis ont poursuivi leur chemin jusqu'à Singapour en 2001. Mme Thevarajah est arrivée au Canada en juin 2001.
[2] M. Thevarajah n'a pu se rendre au Canada depuis Singapour qu'en novembre 2002, et sa demande d'asile n'a été instruite qu'en décembre 2003. La situation avait alors évolué au Sri Lanka, et les commissaires de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) qui ont entendu sa revendication n'ont pas été convaincus qu'elle était fondée. La Commission n'a pas admis qu'il était vraisemblable que, en cas de retour au Sri Lanka, il serait persécuté pour une raison prévue par la Convention, ou serait exposé à une menace pour sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités. Par ailleurs, la Commission a estimé que, même s'il devait connaître des difficultés dans le Nord, il pourrait se réinstaller à Colombo. La Commission a donc rejeté sa revendication.
[3] M. Thevarajah sollicite le contrôle judiciaire de cette décision, en invoquant les trois moyens suivants :
a) la Commission a commis une erreur de droit parce qu'elle a appliqué le mauvais critère de persécution,
b) la Commission a négligé de tenir compte de certains éléments de preuve, et
c) la Commission a conclu à tort qu'il pouvait se réinstaller à l'intérieur du Sri Lanka.
La Commission a-t-elle commis une erreur dans l'application du critère de la crainte fondée de persécution?
[4] La crédibilité n'a pas été un facteur significatif dans les conclusions de la Commission. Elle a admis que M. Thevarajah avait été, pas plus tard qu'en juillet 1997, l'objet de tentatives d'extorsion de la part des LTTE. Elle a conclu cependant, se fondant sur le témoignage du demandeur, que les LTTE n'avaient pas alors insisté davantage et n'avaient pas causé d'autres ennuis au demandeur au cours des onze mois suivants, avant son départ du Sri Lanka.
[5] La Commission a jugé aussi que le revendicateur n'avait pas apporté la preuve qu'il était surveillé par les autorités srilankaise. Lui et son fils avaient été brièvement détenus par l'armée lorsqu'ils s'étaient rendus à Colombo en mars 1997. Cependant, il y était retourné avec ses filles quelques mois plus tard, sans que rien n'arrive.
[6] Les motifs de la décision de la Commission montrent que la Commission a appliqué le critère exposé dans le jugement Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680. Le critère est de savoir s'il existe un « risque raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » que le revendicateur sera persécuté s'il est renvoyé au Sri Lanka. Selon la Commission, aucun fondement objectif n'autorisait cette conclusion.
[7] D'après M. Thevarajah, les épreuves qu'il a traversées autorisent une crainte fondée de persécution. La persécution passée, devrait, tout comme les événements les plus récents, être considérée lorsqu'il s'agit de savoir si une crainte est fondée : Retnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 132 N.R. 53 (C.A.). Sa crainte subjective peut être fondée sur des actes répréhensibles commis contre sa famille dans le passé : Salibian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.), aux paragraphes 15 et 16.
[8] Le défendeur dit, et je partage son avis, que la Section de la protection des réfugiés a tenu compte des événements qui avaient eu lieu avant 1997, mais qu'elle avait quand même le loisir de considérer aussi que M. Thevarajah était demeuré au Sri Lanka pendant 11 mois, sans avoir d'ennuis, après la dernière tentative d'extorsion. La preuve de menaces antérieures n'était pas convaincante au point de contraindre la SPR à conclure, comme dans l'arrêt Salibian, que la crainte de persécution était fondée.
La Commission a-t-elle négligé de tenir compte de certains éléments de preuve?
[9] Selon M. Thevarajah, la preuve documentaire que la SPR avait devant elle montrait que les LTTE continuaient en 2002 de tourmenter les Tamouls, en escroquant et en enrôlant les notables. L'armée continuait elle aussi en 2000 de maltraiter les Tamouls, en les utilisant comme boucliers humains. Aucun des articles faisant état de tels abus n'était mentionné dans les motifs de la SPR. La Commission n'est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve, mais, lorsqu'un tel élément de preuve contredit directement ses conclusions, elle doit en faire état : Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 27 Imm. L.R. (2d) 101, à la page 105 (C.F. 1re inst.); Ragunathan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] A.C.F. no 253 (C.A.).
[10] Selon le défendeur, la totalité de la preuve documentaire examinée par la Commission, notamment le rapport du Département d'État mentionné dans ses motifs, montrait que, en 2002, il n'y a pas eu d'arrestations systématiques, les détentions étaient brèves et, contrairement aux années antérieures, les arrestations arbitraires et les perquisitions domiciliaires étaient devenues moins fréquentes. La Commission avait le droit de préférer la preuve documentaire la plus récente et la plus digne de foi, et elle n'était pas tenue de faire état de chaque article dans ses motifs.
[11] La Commission a d'ailleurs fait état d'un document récent présenté par le demandeur, un reportage de la British Broadcasting Corporation où l'on pouvait lire que la lutte pour le pouvoir politique se poursuivait au Sri Lanka. Elle a estimé que ce rapport ne permettait pas de supposer que le demandeur était exposé à un risque accru dans son pays d'origine.
[12] Je ne puis voir dans le dossier aucun élément indiquant que la Commission a négligé de tenir compte d'une preuve documentaire qui va à l'encontre de ses conclusions. En conséquence, je ne vois, dans la manière dont la Commission a considéré la preuve, aucune erreur sujette à révision.
La Commission a-t-elle eu tort de conclure à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur?
[13] M. Thevarajah a soulevé plusieurs points concernant la conclusion de la Commission selon laquelle il pouvait se réinstaller à Colombo.
[14] D'abord, le demandeur affirme qu'il n'a pas été suffisamment informé que la question d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) serait débattue devant la SPR. Il dit que le formulaire de présélection de la Section de la protection des réfugiés ne précise nulle part que cette question serait soulevée durant l'audition de sa revendication. Il affirme aussi que la Commission ne l'a pas interrogé sur les possibilités de relocalisation et qu'elle a manqué à un principe fondamental de justice naturelle parce qu'elle ne lui a pas donné l'occasion de dissiper ses doutes à ce sujet : Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 163 N.R. 232 (C.A.F.)
[15] Le défendeur s'est opposé à ce que la nécessité d'un avis soit débattue durant l'audition de la présente affaire, puisqu'aucune allégation de préjudice ou d'absence d'équité procédurale n'apparaît dans l'avis de demande, l'affidavit ou l'exposé des arguments du demandeur. Par ailleurs, le défendeur fait valoir que les autorités invoquées par le demandeur sont antérieures à l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Dans une procédure de demande d'asile introduite en vertu de la LIPR, un revendicateur sait au départ qu'il doit prouver qu'il court un risque où qu'il se trouve dans son pays d'origine.
[16] Je ne crois pas que le principe d'un avis suffisant, principe exposé dans les arrêts Rasaratnam et Thirunavukkarasu, précités, ne soit plus applicable selon la LIPR. Toutefois, je relève que la question de la relocalisation à Colombo a de fait été soulevée durant l'audience tenue devant la Commission, par l'avocat du demandeur, aux pages 124 et 125 du dossier certifié du tribunal, et que le demandeur a eu l'occasion d'expliquer pourquoi il lui serait difficile de vivre à Colombo ou dans toute autre région du Sri Lanka tenue par l'armée. L'avocate du demandeur avait d'ailleurs abordé la question dans ses conclusions finales.
[17] Il ressort clairement du dossier que le demandeur savait qu'il lui incombait d'établir pourquoi il ne pouvait retourner dans une région quelconque du Sri Lanka. S'il n'a pas réussi à le prouver, il ne s'ensuit pas que l'équité procédurale lui a été refusée devant la Commission.
[18] Le demandeur affirme ensuite que, puisqu'il n'a aucun parent à Colombo et puisque sa famille se trouve maintenant au Canada, il était excessif pour la Commission de dire qu'il pouvait se réinstaller dans cette ville ou dans une autre région du Sri Lanka tenue par les forces gouvernementales. La Commission a ignoré le fait que le demandeur n'avait pas de parenté à Colombo et que ses enfants étaient au Canada, et, selon le demandeur, elle a donc commis une erreur sujette à révision en ce qui a trait à la PRI : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269; Sooriyakumaran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1998), 156 F.T.R. 285.
[19] La Commission a également oublié que M. Thevarajah avait vécu en tant que réfugié de fait, en Inde, durant trois ans. Il aurait rapidement des ennuis avec le gouvernement pour avoir quitté illégalement le Sri Lanka et, bien qu'il ait un acte de naissance, il n'a pas de carte d'identité nationale. Le Sri Lanka étant un État unitaire, le demandeur serait exposé à la persécution n'importe où dans le pays, en particulier à Colombo, la ville où siège le gouvernement.
[20] Selon le défendeur, M. Thevarajah n'a pas prouvé qu'il serait exposé, dans toute région du pays, au prétendu risque, c'est-à-dire aux exactions des LTTE : arrêt Thirunavukkarasu, précité. Il n'a pas apporté la preuve qu'il serait soumis à la persécution ou à un risque de préjudice s'il se réinstallait à Colombo. L'absence de parents dans un endroit sûr n'est une cause objectivement raisonnable de rejet de la PRI que si telle absence met en péril la vie et la sécurité de l'intéressé : décision Ranganathan, [2001] 2 C.F. 164.
[21] La Commission doit être persuadée, selon la prépondérance des probabilités, que (1) il est improbable que la PRI entraîne une persécution pour le revendicateur, et que (2) en tout état de cause, il n'est pas excessif que le revendicateur doive chercher refuge à l'endroit visé par la PRI : arrêt Rasaratnam, précité. La norme de contrôle applicable ici aux conclusions de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable : Mohammed c. Canada (MCI) 2003 CF 954, [2003] A.C.F. no 1217.
[22] À mon avis, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de dire que M. Thevarajah aurait pu trouver refuge à Colombo en 2002, même s'il avait encore besoin d'être protégé contre les LTTE, ce que la Commission n'a pas admis, quelque cinq années après que lui et sa famille avaient suscité la dernière fois leur intérêt. La Commission n'avait devant elle tout simplement aucun fait pouvant la convaincre que le demandeur était une cible pour le gouvernement, si ce n'est l'unique bref incident de détention en 1997. Il n'a pas de carte nationale d'identité, et cela pourrait lui causer des ennuis, mais il a encore son acte de naissance et il pourrait demander une autre carte d'identité.
[23] Si la Commission avait conclu que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté aux mains d'une autorité centrale, alors il aurait été excessif pour elle d'attendre de lui qu'il se réfugie dans une autre région du pays tenue par ladite autorité : Sharbdeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 300 (C.A.F.), et Balasubramaniam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1452 (1re inst.) (QL). Toutefois, la Commission n'avait devant elle aucune preuve autorisant cette conclusion.
[24] M. Thevarajah se trouve dans une situation fâcheuse, qui pourrait fort bien légitimer une demande fondée sur des considérations humanitaires. Mais je ne puis trouver dans les conclusions de la Commission aucune erreur de fait ou de droit pouvant justifier l'intervention de la Cour. Par conséquent, sa demande sera rejetée.
[25] L'avocat du demandeur a proposé que la Cour certifie une question grave de portée générale, celle de savoir si la Commission peut conclure à l'existence d'une PRI dans un État unitaire où la persécution présumée est le fait du gouvernement en place. Le défendeur s'oppose à cette question parce que selon lui elle n'est tout simplement pas justifiée par les circonstances de cette affaire. Le fond de la décision de la Commission était que le demandeur ne courait aucun risque de persécution. Je partage l'avis du défendeur. Aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande est rejetée.
2. Aucune question n'est certifiée.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-695-04
INTITULÉ : THEVARAJAH, ANTON FELIX demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 22 NOVEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : LE 24 NOVEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
I. Francis Xavier
POUR LE DEMANDEUR
Kareena R. Wilding
POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
I. Francis Xavier
Avocat
Scarborough (Ontario)
POUR LE DEMANDEUR
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041124
Dossier : IMM-695-04
ENTRE :
THEVARAJAH, ANTON FELIX
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE