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Date : 20051019

 

Dossier : T-691-04

 

Référence : 2005 CF 1424

 

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL      

 

 

ENTRE :

 

                                                    BIOVAIL CORPORATION et

                        LABORATOIRES DES PRODUITS ÉTHIQUES ETHYPHARM

 

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

 

 

            LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN‑ÊTRE SOCIAL et

                                                        RHOXALPHARMA INC.

 

                                                                                                                                          défendeurs

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 


[1]        Il s’agit d’une demande présentée par Biovail Corporation (Biovail) et les Laboratoires des Produits Éthiques Ethypharm (Laboratoires Ethypharm) en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social de délivrer un avis de conformité (AC) au défendeur Rhoxalpharma Inc. (Rhoxal) relativement à une formulation de chlorhydrate de diltiazem à libération prolongée sous forme de capsule. Le recours a été introduit en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement).

 

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse Biovail, qui est le titulaire d’une licence exclusive se rapportant au brevet no 2,242,224, intitulé Microgranules à libération prolongée contenant du diltiazem comme principe actif, (le brevet 224), commercialise et vend la formulation visée par ce brevet au Canada sous la marque de commerce TIAZAC, en comprimés de 120 mg, 180 mg, 240 mg, 300 mg et 360 mg. Le propriétaire du brevet, Laboratoires des Produits Éthiques Ethypharm, a concédé une licence exclusive à Biovail et, à ce titre, cette dernière a soumis une liste de brevets en application du paragraphe 4(4) du Règlement. Le brevet 224 contient 36 revendications, parmi lesquelles trois revendications indépendantes sont en litige, à savoir les revendications 1, 35 et 36.

 

[3]               Le 19 février 2004, la défenderesse Rhoxal a signifié un avis d’allégation concernant le brevet 224 et, le 1er avril 2004, Biovail a intenté un recours visant à interdire au ministre de délivrer un AC à Rhoxal relativement à des capsules de chlorhydrate de diltiazem en doses de 120, 180, 240, 300 et 360 mg avant l’expiration du brevet 224.

 


1.         La formulation et les revendications en litige

 

[4]               Le diltiazem est utilisé dans le traitement de l’hypertension artérielle. Le médicament peut être introduit dans des microgranules à libération prolongée, qui peuvent être incorporées dans une capsule administrée une fois par jour. Les revendications suivantes figurent aux paragraphes 1, 35 et 36 du brevet 224 :

 

1.         Microgranules à libération prolongée (LP) contenant du diltiazem et exempts d’acide organique hydrosoluble, comprenant :

-           un support granulaire neutre enrobé par une couche active comprenant :

-           du diltiazem ou un sel pharmaceutiquement acceptable de ce dernier en tant que principe actif,

-           un agent tensio‑actif, et

-           un agent liant,

-           et une couche assurant la libération prolongée du principe actif (couche LP).     

 

35.       Microgranules à libération prolongée (LP) contenant du diltiazem et exempts d’acide organique hydrosoluble, comprenant :

 

-           un copolymère de polyméthacrylate recouvrant une formulation, ladite formulation comprenant :

-           un support granulaire neutre « Sugar Spheres »,

-           un agent liant, et

-           du diltiazem ou un sel pharmaceutiquement acceptable de ce dernier en tant que principe actif, où lorsque ingéré le diltiazem ou son sel pharmaceutiquement acceptable est libéré des microgranules à l’aide d’un agent tensio‑actif.

 

36.       Microgranules à libération prolongée (LP) contenant du diltiazem et exempts d’acide organique hydrosoluble, comprenant :

 

-           un copolymère choisi dans le groupe consistant de polyéthyle acrylate, de polyéthyle méthacrylate et de chlorure de triméthylammoniométhyle méthacrylate et des mélanges de ceux‑ci recouvrant une formulation, ladite formulation comprenant :


-           un support granulaire neutre « Sugar Spheres »,

-           un agent liant, et

-           du diltiazem ou un sel pharmaceutiquement acceptable de ce dernier en tant que principe actif; où lorsque ingéré le diltiazem ou son sel pharmaceutiquement acceptable est libéré des microgranules à l’aide d’un agent tensio‑actif.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

2.         Résumé des observations des parties

 

[5]               Selon l’avis d’allégation de Rhoxal :

(i)         La capsule de Rhoxal ne contient pas, au sens du brevet, que ce soit dans son noyau, sa couche active ou sa membrane extérieure, un surfactant agissant comme agent tensio‑actif. Le seul ingrédient dans la membrane extérieure qui pourrait s’apparenter à un agent tensio‑actif est le polysorbate, qui en soi n’agit pas comme un agent tensio‑actif;

 

(ii)        S'il englobe effectivement la capsule de Rhoxal, le brevet 224 est invalide étant donné que cette capsule est comprise dans l’état de la technique du brevet 2,111,085 (le brevet 085), lequel est antérieur au brevet 224;

 


(iii)       Le brevet 224 ne satisfait pas aux exigences qu’énonce le par. 4(4) du Règlement en ce qui concerne la soumission d’une liste de brevets : la date de dépôt du brevet 224 n’est pas antérieure à la date de la demande d’avis de conformité, de sorte qu’il ne pouvait être validement inscrit au registre des brevets.

 

[6]               Aucun des arguments de Rhoxal ne concernent la dernière allégation, de sorte qu’elle ne fait plus l’objet du litige.

 

[7]               Biovail fait valoir plusieurs arguments dans ses observations. Premièrement, elle prétend que la preuve que soumet Rhoxal va au delà de son avis d’allégation, qui est par conséquent insuffisant. Elle soutient ensuite que la capsule de Rhoxal contrefait le brevet 224 parce qu’elle contient deux agents tensio‑actifs (le polysorbate et le nonoxynol) dans la couche externe. En dernier lieu, elle réfute la thèse de Rhoxal suivant laquelle le brevet 224 est invalide pour cause d’antériorité.

 

3.         La preuve d’expert des parties

 

[8]               Tant les demanderesse que les défendeurs ont présenté, par divers moyens – affidavits, réponses, réponses aux réponses et contre‑interrogatoires, une imposante preuve d’experts qui reflète pleinement leurs positions respectives. En voici le résumé.

 


a) La preuve d’expert de Biovail

 

[9]               Mme Edith Mathiowitz, professeur de sciences et d’ingénierie médicales au Département de pharmacologie et de biotechnologie de l’Université Brown à Providence au Rhode Island et M. Pal Maes, vice‑président, technologie pharmaceutique, chez Biovail, ont présenté l’essentiel de la position de Biovail.

 

[10]           Mme Mathiowitz et M. Maes soutiennent que le polysorbate et le nonoxynol présents dans la couche à libération prolongée (couche LP) de la capsule de Rhoxal sont des agents tensio‑actifs qui sont utilisés au sens du brevet. Mme Mathiowitz explique qu’une fois que la capsule de Rhoxal est ingérée, le suc gastrique pénètre dans la bille de la couche LP et transporte le polysorbate et le nonoxynol dans la couche active où ils dissolvent le diltiazem, qui ensuite quitte la couche active : une telle migration du polysorbate et du nonoxynol contrefait donc la revendication 1 du brevet 224 (la revendication 1).

 

[11]           Biovail est aussi d’avis que parce qu’ils sont des agents tensio‑actifs, le polysorbate et le nonoxynol facilitent la libération du diltiazem peu importe où celui-ci est situé (la couche LP ou la couche active) et que, partant, cette interaction contrefait les revendications 35 et 36 du brevet 224. À l’appui de cet argument, Biovail se réfère aux trois documents dont il est question ci‑dessous :


-           Le fournisseur américain de Rhoxal, Andrx, a présenté la demande de brevet canadien (demande no 2,338,070) pour un produit qui est identique à la capsule de Rhoxal, et Biovail soutient que, suivant la divulgation, le polysorbate a été ajouté pour agir comme agent tensio‑actif afin de contribuer à la libération du principe actif;

 

-           Dans le cadre de la demande de brevet américain d’Andrx, la Food and Drug Administration (la FDA) a demandé par écrit à Andrx de modifier l’étiquetage proposé de son produit pour faire ressortir la présence du nonoxynol dans l’Eudragit NE30D et Biovail fait valoir que, dans sa réponse, Andrx n’a pas indiqué que le nonoxynol n’agissait pas comme agent tensio‑actif et qu’Andrx a modifié son étiquetage conformément à la demande;

 

-           Dans sa correspondance avec la FDA, Andrx fait référence à un article rédigé par le Dr A.Y. Lin intitulé « Study of Crystallization of Endogenous Surfactant in Eudragit NE30D - Free Film and its Influence on Drug Release Properties of Controlled Release Diphenhydramine HCT Pellets coated with Eudragit NE30D » et, selon Biovail, on y indique que même le nonoxynol situé dans l’enrobage joue un rôle (il améliore ou influence, selon sa concentration, la libération du principe actif).

 


b) La preuve d’expert de Rhoxal

 

[12]           Rhoxal s’appuie sur le témoignage de M. Weiner, un professeur émérite de la Faculté de pharmacie de l’Université du Michigan.

 

[13]           M. Weiner explique que bien qu’il y ait une quantité infime de polysorbate et de nonoxynol (deux agents tensio‑actifs courants) dans la couche LP, la capsule de Rhoxal ne contient pas d’agent tensio‑actif au sens du brevet 224 parce que lesdits polysorbate et nonoxynol ne sont pas situés dans la couche active (comme il est prévu dans la revendication 1 du brevet 224) et que leur quantité n’est pas suffisante pour qu’ils agissent, seuls ou ensemble, comme solubilisant du principe actif (le diltiazem) situé dans la couche active. La capsule de Rhoxal ne contrefait donc pas les revendications 1, 35, 36 du brevet 224.

 

4.         Faits non contestés concernant la capsule de Rhoxal

 

[14]           Afin de comprendre les questions en litige, il importe de relever certains des faits qui n’ont pas été contestés :

-           la capsule de Rhoxal ne contient pas d’agent tensio‑actif dans sa couche active;

-           la capsule de Rhoxal ne contient pas de polysorbate ni de nonoxynol (qui peuvent être utilisés comme agents tensio‑actifs) dans la couche LP (la couche externe);


-           l’avis d’allégation ne précise pas que le nonoxynol est un ingrédient contenu dans l’Eudragit NE30D qui fait partie de la couche LP de la capsule de Rhoxal.

 

5.         Questions en litige

 

[15]           Pour statuer sur la demande, il faut répondre aux questions suivantes :

-           L’avis d’allégation est‑il suffisant?

-           Rhoxal a-t-elle raison, compte tenu de la preuve et de l’interprétation que doit recevoir la revendication 1, d’alléguer que cette revendication n’a pas été contrefaite?

-           Rhoxal a-t-elle raison, compte tenu de la preuve et de l’interprétation que doivent recevoir les revendication 35 et 36 du brevet 224, d’alléguer que ces revendications n’ont pas été contrefaites?

-           Si nécessaire, le brevet 224 est-il invalide pour cause d’antériorité?

 

 

SUFFISANCE DE L’AVIS D’ALLÉGATION DE RHOXAL

 


[16]           Biovail prétend que l’avis d’allégation est insuffisant et que la preuve présentée par Rhoxal va au delà du contenu de l’avis d’allégation. Sur cette question, le fardeau de la preuve incombe à Biovail, mais, en vertu de l’alinéa 5(3)a) du Règlement, Rhoxal a l’obligation préliminaire de soulever de manière explicite la question de la non‑contrefaçon dans son avis d’allégation. (Voir Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., [2005] A.C.F. no 1318, 2005 CAF 270, au par. 13.)

 

[17]           Un des experts des demanderesses, Mme Mathiowitz, déclare dans son premier affidavit que la capsule de Rhoxal contient deux ingrédients qui sont des agents tensio‑actifs courants (le nonoxynol et le polysorbate). Elle soutient de plus que ces ingrédients sont des agents tensio‑actifs au sens du brevet 224 et que l’avis d’allégation est donc insuffisant.

 

[18]           M. Weiner, l’expert de la défenderesse Rhoxal, reconnaît que le nonoxynol et le polysorbate sont des agents tensio‑actifs courants, mais il soutient que les deux ingrédients ne sont pas des agents tensio‑actifs au sens du brevet 224 vu qu’ils sont utilisés à d’autres fins et qu’ils sont présents en quantités minimes.

 

[19]           La phrase suivante figure dans l’avis d’allégation :

[TRADUCTION] La capsule de Rhoxal ne contient pas, au sens du brevet, des microgranules comprenant un agent tensio‑actif.

 

 

 

[20]           Dans l’avis d’allégation, Rhoxal soutient que le seul ingrédient dans la capsule de Rhoxal qui peut être considéré comme un agent tensio‑actif est le polysorbate et que le polysorbate agit comme un adjuvant de biodisponibilité. En outre, Rhoxal affirme que le polysorbate est situé dans la couche LP de la microgranule de Rhoxal, alors que suivant la revendication 1 du brevet 224, l’agent tensio‑actif doit être situé dans la couche active.


 

[21]           Biovail conteste l’avis d’allégation en faisant valoir que Rhoxal n’y a pas divulgué la présence d’un second agent tensio‑actif potentiel, le nonoxynol. Rhoxal a admis que l’EUDRAGIT NE30D situé dans la couche externe contient une quantité minime de nonoxynol, agit comme émulsifiant et n’est pas situé à l’intérieur de la couche active interne. Biovail fait de plus valoir que Rhoxal n’a soumis aucune preuve indiquant que le polysorbate ne peut pas agir à la fois comme agent tensio‑actif et comme adjuvant de biodisponibilité.

 

[22]           Je suis d’avis qu’en l’espèce l’expression « au sens du brevet » rend l’avis d’allégation adéquat. Rhoxal allègue que la microgranule de Rhoxal ne contient pas d’agent tensio‑actif au sens du brevet. La juge Snider a relevé les éléments dont il faut tenir compte pour évaluer le caractère suffisant d’un avis d’allégation dans Pfizer Inc. c. Apotex Inc., [2004] A.C.F. no 326, 2003 C.F. 1426, (2004) 31 C.P.R. (4th) 214 (C.F. 1re inst.); conf. par (2004) 28 C.P.R. (4th) 400 (C.A.F.), au par. 32 :

Pour évaluer le caractère suffisant de l'avis d'allégation, on peut se servir des indications suivantes tirées de nombreux arrêts de la Cour d'appel fédérale, dont Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.); Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 73, p. 81 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001) 11 C.P.R. (4th) 417 (C.A.F.) :

 

 

* Une simple affirmation de non‑contrefaçon ne suffit pas.

 

 

* Il est loisible à la seconde personne de retenir certains renseignements concernant sa formulation tant qu'une ordonnance de confidentialité n'est pas prononcée.

 

 

* L'avis d'allégation sera suffisant si d'autres détails sont donnés pour expliquer les raisons pour lesquelles l'allégation de non‑contrefaçon constituait une preuve suffisante pour permettre à la Cour d'évaluer l'allégation.

 

 

 

[23]           La défenderesse Rhoxal ne s’en est pas tenue à une simple affirmation : elle a plutôt expressément déclaré que la microgranule de Rhoxal ne contient pas d’agent tensio‑actif au sens du brevet. L’avis d’allégation répond à l’argument relatif au polysorbate, mais il n’y est aucunement question du nonoxynol. Malgré cette omission, l’avis d’allégation sera adéquat si une divulgation subséquente permet d’évaluer l’allégation et de comprendre pourquoi compte tenu des circonstances une telle omission était justifiée. En l’espèce, d’autres détails ont été donnés par Rhoxal dans des documents produits conformément à une ordonnance de confidentialité et dans des documents produits lors du contre‑interrogatoire de ses témoins. De plus, par suite d’une ordonnance du protonotaire Lafrenière, Biovail et Rhoxal ont eu accès à des éléments de preuve concernant le nonoxynol. Enfin, les interrogatoires des experts ont aussi été utiles pour comprendre pleinement les allégations de Rhoxal.

 

[24]           Dans Merck Frosst Canada Inc. c. Minister of Health, [2000] A.C.F. no 785, (2000) 8 C.P.R. (4th) 87 (C.F. 1re inst.), conf. par [2001] A.C.F. no 715, 2001 C.A.F. 192, (2001) 12 C.P.R. (4th) 447 (C.A.F.), le juge Muldoon relève ce qui suit au paragraphe 8 :

Ainsi que notre Cour l'a signalé dans le jugement Syntex (U.S.A.) Inc. c. Novopharm Ltd. (1996), 65 C.P.R. (3d) 499 (C.F. 1re inst.), les faits articulés dans l'avis d'allégation doivent être suffisamment détaillés pour que, s'ils sont tenus pour avérés ou s'ils sont établis, ils puissent justifier les allégations de non‑contrefaçon formulées dans l'avis d'allégation.

 

 

(Voir également Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Limited, précitée, aux par. 14 à 16.)

 

 

 


 

[25]           Ayant examiné la documentation versée au dossier et lu les affidavits ainsi que la transcription des contre‑interrogatoires y afférents, je suis d’avis que si la véracité des faits articulés dans l’avis d’allégation était démontrée, on pourrait, pour autant que le brevet 224 soit bien interprété, conclure à l’absence de contrefaçon. Gardant à l’esprit l’argument de Biovail selon lequel le témoignage de M. Weiner (pour le compte de Rhoxal) allait au delà de l’avis d’allégation, je considère que cette preuve vient compléter les faits qui sont allégués dans l’avis. De plus, cette preuve complémentaire ne cause aucun préjudice étant donné qu’il appert du dossier que les parties ont eu tout loisir de répondre aux questions soulevées dans l’avis d’allégation. (Voir Pfizer Canada c. Nu-Pharm, 83 C.P.R. (3d), page 1, aux par. 15 et 17.)

 

ANALYSE

 

[26]           L’analyse comporte trois volets principaux. Premièrement, je vais examiner la nature de la demande, les principes directeurs en matière d’interprétation de brevet et la question du fardeau de la preuve. Deuxièmement, il faut interpréter les revendications en litige et déterminer si la capsule de Rhoxal contrefait les revendications 1, 35 et 36 du brevet 224. Troisièmement, si la capsule de Rhoxal contrefait effectivement le brevet 224, il faut déterminer si le brevet 224 a été antériorisé.

 

 

[27]           La revendication 1 du brevet 224 précise que l’agent tensio‑actif est situé à l’intérieur de la couche active (voir le paragraphe 4 de la présente décision). Il faut se demander si l’emplacement exact de l’agent tensio-actif est un élément essentiel de l’invention. Dans l’affirmative, la capsule de Rhoxal ne peut contrefaire la revendication 1 du brevet 224 étant donné que les agents tensio‑actifs sont seulement présents dans la couche LP. Dans le cadre de mon analyse, je devrai tenir compte des questions de la proximité et de la migration de l’agent tensio‑actif et de la quantité employée. Si nécessaire, je vais déterminer s’il existe d’autres raisons pour lesquelles le nonoxynol et le polysorbate sont présents dans la capsule de Rhoxal, par exemple pour agir comme adjuvant de biodisponibilité et comme émulsifiant plutôt que comme agent tensio‑actif.

 

[28]           Pour ce qui est des revendications 35 et 36, qui ne précisent pas où est situé l’agent tensio-actif, il s’agit de déterminer si le brevet 224 vise l’emploi de l’agent tensio‑actif où qu’il soit situé dans la couche LP ou seulement son emploi dans la couche active.

 

[29]           Si nécessaire, nous traiterons dans une troisième étape de la question de la validité du brevet 224.

1.         Rappel de quelques principes juridiques

a) La nature de la demande

 

[30]           Tout d’abord, comme la Cour d’appel fédérale l’a fait dans David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al., [1994] A.C.F. no 1629, [1995] 1 C.F. 588, (1994) 58 C.P.R. (3d) 209, à la page 216, il est important de préciser que le recours engagé par les demanderesses n’est pas une action en contrefaçon :

Toutefois, dans l'affaire Merck Frosst c. Canada, précitée [(1994), 55 C.P.R. (3d) 302, (C.A.F.)], la Cour a clairement statué que ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d'un brevet: il s'agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Cette décision doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion, tirée à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité), que la mise en marché du produit générique ne violerait pas le brevet du requérant.

 

 

 

b) Les principes directeurs en matière d’interprétation de brevet

 

[31]           La méthode généralement reconnue pour interpréter les brevets se dégagent de deux arrêts de la Cour suprême du Canada : Free World Trust c. Electro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66 et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67. Pour interpréter un brevet, il faut avoir recours à la méthode téléologique, méthode suivant laquelle la Cour, avec l’aide d’un lecteur versé dans l’art, doit déterminer ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments essentiels de son invention.

 

[32]           Dans Whirlpool, précité, le juge Binnie écrit ce qui suit à la page 1094 :


Il faut donc donner à un brevet une interprétation qui, selon l'art. 12 de la Loi d'interprétation, « soit compatible avec la réalisation de son objet ». L'intention est exprimée par des mots dont le sens doit être respecté, mais les mots eux‑mêmes sont utilisés dans un contexte qui fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu'une protection contre leur mauvaise interprétation. Dans Interprétation des lois (3e éd. 1999), P.‑A. Côté l'explique succinctement lorsqu'il écrit, à la p. 490: « Ce sens découle en partie du contexte de leur utilisation, et l'objet de la loi fait partie intégrante de ce contexte » (je souligne). Voir, dans le même sens, Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. Ces principes s'appliquent à l'interprétation des revendications en vertu de la Loi d'interprétation.

 

 

 

[33]           Pour interpréter un brevet, le juge peut tenir compte du témoignage des experts et, à la lumière de la divulgation et des illustrations, du contexte dans lequel s’inscrivent les revendications (voir Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., [2004] A.C.F. no 266, 2004 C.A.F. 63, aux par. 26, 27 et 28). Il importe également de souligner qu’il n'y a pas de « [...] contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis ». (Voir Free World, précité, page 1044).

 

c) Le fardeau de la preuve

 

[34]           La Cour est tenue de présumer que les énoncés de fait à l’appui de l’allégation de non‑contrefaçon sont exacts, et la demanderesse Biovail doit par conséquent établir, selon une preuve prépondérante, qu’ils peuvent être retenus (Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1996] A.C.F. no 1333 (C.A.F.), 205 N.R. 331, au par. 8; Biovail Corporation et al c. Canada (Ministre de la Santé) et al., [2004] A.C.F. no 526, (2004) FC 257, (2004) 32 C.P.R. (4th) 210 (C.F. 1re inst.), au par. 28). Il incombe donc à Biovail de démontrer, par une preuve prépondérante, l’absence de fondement des allégations de non‑contrefaçon.


 

2.         L’interprétation des revendications 1, 35 et 36 du brevet 224 et la question de la contrefaçon

 

a)         Un élément commun : l’emploi d’un agent tensio‑actif

 

[35]           En l’espèce, il faut notamment déterminer si, selon l’inventeur du brevet 224, la présence d’un agent tensio‑actif était un élément essentiel des revendications 1, 35 et 36. À mon avis, une interprétation téléologique de ces revendications amène à conclure que pour l’inventeur la présence d’un agent tensio‑actif était manifestement un élément essentiel du brevet 224.

 

[36]           Chacune des revendications en litige fait expressément mention d’un agent tensio‑actif. Ainsi, dans la revendication 1 il est fait mention d’« un support granulaire neutre enrobé par une couche active comprenant [...] un agent tensio‑actif  » et le passage suivant figure dans les revendications 35 et 36 :

lorsque ingéré le diltiazem ou son sel pharmaceutiquement acceptable est libéré des microgranules à l'aide d'un agent tensio‑actif. [Non souligné dans l'original.]

 

 

 

[37]           Dans chacune des trois revendications en litige il est manifestement question d’un élément essentiel lorsqu’il est fait mention d’un agent tensio‑actif. En adoptant une interprétation téléologique on arrive par conséquent à la conclusion que, selon l’inventeur, la présence d’un agent tensio‑actif était un élément essentiel des revendications 1, 35, et 36 du brevet 224.


 

 

 

[38]           Les deus experts, Mme Mathiowitz et M. Weiner conviennent que la présence d’un agent tensio‑actif est un élément essentiel des trois revendications du brevet 224. Dans les exemples donnés dans le brevet, on utilise comme agent tensio‑actif du sulfate sodique de lauryle, qui pendant des décennies a été employé dans des capsules ou des comprimés pour solubiliser un principe actif difficile à dissoudre (comme le diltiazem). L’agent tensio‑actif sert à solubiliser le principe actif.

 

b)         Revendication 1 du brevet 224

 

[39]           Bien qu’il ne fasse aucun doute que l’agent tensio‑actif est un élément essentiel, il faut quand même procéder à la deuxième partie de l’analyse et donc déterminer si la microgranule de Rhoxal contrefait le brevet 224. Dans son avis d’allégation, Rhoxal prétend que son produit ne contient pas d’agent tensio‑actif au sens du brevet à cause de l’emplacement de cet agent. Pour résoudre cette question il faut aussi tenir compte du rôle de l’agent tensio‑actif à l’intérieur des capsules.

 


[40]           Rhoxal présente trois principaux arguments expliquant pourquoi la présence de deux agents tensio­‑actifs reconnus, le polysorbate et le nonoxynol, ne contrefait pas le brevet 224. Le premier argument a trait à la distance entre l’agent tensio‑actif et la couche active, et le deuxième fait appel à la théorie de la migration des agents tensio‑actifs. Le troisième argument se fonde sur le rôle du polysorbate et du nonoxynol à l’intérieur des capsules de Rhoxal.

 

[41]           Rhoxal prétend que la revendication 1 n'est pas contrefaite en raison de la proximité de l'agent tensio‑actif et de la couche active. Selon elle, il appert de la revendication 1 que l'agent tensio‑actif doit se trouver dans la couche active de la microgranule pour que le produit de Rhoxal soit visé par cette revendication. Rhoxal fait valoir que le polysorbate comme le nonoxynol sont présents dans la couche LP externe et non dans la couche active. La défenderesse Rhoxal soutient en outre qu'en ce qui concerne la revendication 1, la présence d'un agent tensio‑actif dans la couche active est un élément essentiel du brevet 224.

 

i)          Proximité de l’agent tensio‑actif

 

[42]           Biovail fait valoir que la présence d’un agent tensio‑actif est un élément essentiel de la revendication 1, mais qu’il n’est pas essentiel qu’il se trouve dans la couche active interne. Biovail soutient que le polysorbate et le nonoxynol ont manifestement été ajoutés à la formulation de Rhoxal pour faciliter la libération du principe actif et pour agir comme agents tensio‑actifs. La demanderesse Biovail a fourni des preuves que l’ajout de polysorbate à la couche LP pourrait faciliter la libération du principe actif. (Voir le paragraphe 11 de la présente décision.)


 

[43]           Selon Rhoxal, l’argument de la proximité est valable en ce qui concerne la revendication 1. Une simple lecture de cette revendication démontre que pour celle‑ci il était prévu que l’agent tensio‑actif serait présent dans la couche active. En outre, le brevet cite huit exemples pour expliquer l’invention et tous font mention d’un agent tensio‑actif présent dans la couche active. Il importe également de souligner que 34 des 36 revendications prévoient expressément la présence de l’agent tensio‑actif à l’intérieur de la couche active. Il ressort de la preuve d’expert que l’agent tensio‑actif est toujours dans la couche active interne et non dans la couche LP; selon M. Weiner, l’invention vise à remplacer un acide organique par un autre mécanisme qui facilite la dissolution du diltiazem. En l’espèce, l’agent tensio‑actif est présent en quantité suffisante dans la couche active pour solubiliser et libérer du diltiazem. (Voir le dossier de requête de Rhoxal, onglet 8, page 592.)

 

[44]           En ce qui concerne la revendication 1, Mme Mathiowitz, l’expert qui a témoigné pour le compte de Biovail, n’a pas été en mesure de réfuter la thèse selon laquelle l’agent tensio‑actif doit être incorporé dans la couche active de la microgranule. Mme Mathiowitz ne peut dire avec certitude si l’agent tensio‑actif doit être présent dans la couche active pour être efficace, mais elle convient qu’il doit se trouver dans la couche active pour être visé par la revendication 1. (Voir le dossier de requête, onglet 6, page 310 et onglet 8, page 398.) Biovail concède que la capsule de Rhoxal ne contient pas d’agent tensio‑actif dans sa couche active. Par conséquent, en ce qui concerne la revendication 1 du brevet 224, il faut conclure à l’absence de contrefaçon.


 

ii)         La théorie de la migration des agents tensio‑actifs

 

[45]           Biovail soutient de plus que les agents tensio‑actifs migrent dans la couche active après l’ingestion et que ce processus contrefait la revendication 1 du brevet 224. Pour sa part, Rhoxal prétend que la revendication 1 ne concerne pas une capsule dont l’agent tensio‑actif migre dans la couche active après l’ingestion. Rhoxal est d’avis qu’il n’y a aucune preuve que les agents tensio‑actifs dans la capsule de Rhoxal migrent effectivement de cette manière.

 

[46]           Par souci de clarté, il y a lieu de souligner que le brevet 224 ne fait aucunement appel à cette théorie de la migration selon laquelle le polysorbate et le nonoxynol situés dans la couche LP de la capsule de Rhoxal migreraient dans la couche active interne pour libérer le diltiazem. Toutes les revendications – sauf les revendications 35 et 36 que nous examinons plus loin – de même que l’exposé de l’invention et les exemples renvoient à un agent tensio‑actif situé dans la couche active. En plus de l’absence d’explication scientifique du concept de migration (des commentaires seront formulés à ce sujet dans les paragraphes qui suivent), le brevet ne mentionne nullement la migration. Une telle migration de l’agent tensio‑actif n’est pas visée par la revendication 1.

 


[47]           J’aimerais également ajouter que la preuve démontre clairement que la quantité de polysorbate et de nonoxynol dans la capsule de Rhoxal est minime comparativement à la quantité d’agent tensio‑actif prévue dans le brevet 224 et que des données crédibles indiquent qu’une quantité aussi négligeable ne pourrait solubiliser le principe actif. Je suis d’accord avec M. Weiner qu’il faudrait beaucoup plus de polysorbate et de nonoxynol pour atteindre le seuil de

concentration permettant de dissoudre le diltiazem. (Voir le dossier de Rhoxal, premier contre‑interrogatoire de M. Weiner, onglets I‑4, pages 179, 187 à 188 et 191.) La théorie de la migration montre qu’il y aurait une dilution des agents tensio‑actifs pendant leur déplacement de la couche LP à la couche active interne et qu’une quantité aussi minime ne peut devenir un agent soluble efficace du diltiazem dans le cas ou au moment où elle atteindrait la couche interne. L’explication de M. Weiner à cet égard était convaincante.

 

iii)        Le rôle de l’agent tensio‑actif

 

[48]           Enfin, la preuve indique que le polysorbate et le nonoxynol sont présents en quantités minimes dans la couche LP non pas pour agir comme agents tensio‑actifs, mais, s’agissant du polysorbate, comme adjuvant de biodisponibilité et, s’agissant du nonoxynol, comme émulsifiant. Le rôle du polysorbate consiste à s’assurer que l’enrobage est distribué également sur la microgranule. Mme Mathiowitz, dans son contre‑interrogatoire, a déclaré qu’elle ne serait pas étonnée que le polysorbate présent dans la capsule de Rhoxal soit utilisé à une telle fin. (Voir le dossier de Rhoxal, volume 6, page 320.) Le dossier montre également que le nonoxynol est employé en petites quantités comme émulsifiant. (Voir le dossier de Biovail, volume 4, onglet B, 18 NN.)


 

[49]           En conclusion, je suis d’avis que la capsule de Rhoxal ne contrefait pas la revendication 1 du brevet 224 pour les raisons suivantes :

-           la présence d’un agent tensio‑actif est un élément essentiel de la revendication 1 du brevet 224;

-           l’emplacement de l’agent tensio‑actif à l’intérieur de la couche active est également un élément essentiel du brevet 224;

-           rien dans le brevet 224 ne justifie le recours à une théorie de la migration selon laquelle une quantité minime d’agent tensio‑actif dans la couche LP migrerait vers la couche active et solubiliserait le diltiazem;

-           la preuve indique que dans les capsules de Rhoxal le polysorbate agit comme adjuvant de biodisponibilité alors que le nonoxynol agit comme émulsifiant.

 

c)         Revendication 35 et 36

 


[50]           Le raisonnement suivi relativement à la revendication 1 ne saurait s’appliquer aux revendications 35 et 36 du brevet 224. Leur libellé est différent et il n’implique pas que l’agent tensio‑actif se trouve dans la couche active. Contrairement à la première revendication, les revendications 35 et 36 visent pour l’essentiel des microgranules à libération prolongée comprenant un support granulaire (sugar spheres), un agent liant et du diltiazem, où lorsque ingéré le diltiazem est libéré des microgranules « à l’aide d’un agent tensio‑actif ». Seule la composition de l’enrobage différencie les revendications 35 et 36 et cette caractéristique n’est pas pertinente en l’espèce. Ces deux revendications seront par conséquent examinées ensemble.

 

[51]           Dans le brevet 224, les revendications 35 et 36 sont les deux seules revendications (sur un total de 36) qui ne prévoient pas expressément que l’agent tensio‑actif est situé dans la couche active interne. À la page 1098 de l’arrêt Whirlpool, précité, le juge Binnie a reconnu qu’un tribunal peut prendre connaissance du mémoire descriptif pour déterminer le sens d’un mot dans un contexte particulier :

J'estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, y compris le dessin, pour comprendre le sens du mot « ailette » utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle était écrite et, ainsi, interprétée.

 

 

Toutefois, en l’espèce, l’examen porte non pas sur la signification possible des mots, mais plutôt sur la manière dont il faut les interpréter dans les revendications 35 et 36. En d’autres termes, il s’agit de déterminer pourquoi ces revendications ne précisent pas où se trouve l’agent tensio‑actif, alors que dans toutes les autres on précise que l’agent est présent dans la couche active.

 

[52]           Dans une telle situation, il faut interpréter les revendications d’une manière qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Il faut s’en tenir à ce qui est réellement dit, la portée des revendications ne devant pas être élargie. Le texte doit être précis.

 

[53]           Biovail soutient que les revendications 35 et 36 sont des revendications indépendantes et qu’elles ne requièrent pas que l’agent tensio‑actif se trouve à un emplacement précis à l’intérieur des microgranules mais simplement que « lorsque ingéré le diltiazem [soit] libéré des microgranules à l'aide d'un agent tensio‑actif ».

 

[54]           Rhoxal fait valoir que pour libérer le diltiazem, l’agent tensio‑actif doit être présent en quantité suffisante dans la couche interne pour solubiliser le diltiazem. Elle avance de plus que la revendication 1 est une revendication structurelle (elle décrit la structure de la microgranule) alors que les revendications 35 et 36 sont des revendications fonctionnelles (elles décrivent les propriétés fonctionnelles des microgranules), de sorte que le choix d’un libellé différent pour les revendications 35 et 36 indique que l’inventeur cherchait à ce que son invention soit visée par les deux types de revendications.

 

[55]           Pour résoudre le litige relatif aux revendications 35 et 36, il faut examiner le brevet 224. Il ne serait pas approprié de s’en tenir à une lecture des revendications 35 et 36 sans prendre en compte le contexte global. Nous devons considérer le mémoire descriptif dans son ensemble, y compris la divulgation, pour comprendre le sens dans lequel le breveté a utilisé un mot ou une expression et pour cerner ce qu’il souhaitait voir englober dans la revendication. Les parties se sont référées à une traduction anglaise du brevet français original (no de la publication internationale : WO 97/23219). J’ai examiné les deux versions.

 

[56]           Une description des microgranules est donnée dans l’exposé de l’invention :

[TRADUCTION] « Les microgranules, suivant l’invention, contiennent un support granulaire neutre, enrobé d’une couche active contenant du diltiazem, ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, un agent tensio‑actif et un agent liant, ainsi qu’une couche permettant la libération prolongée du principe actif (ci‑après appelée couche LP (voir Dossier de Biovail, Volume 1, onglet 4B, page 146). » [Non souligné dans l'original.]

 

 

Cette description des microgranules mentionne deux couches : une couche active où est situé l’agent tensio‑actif et une autre couche (la couche LP).

 

[57]           Il y a également lieu de souligner que dans les cas où le brevet décrit des composantes de la couche LP (la couche externe), les agents tensio‑actifs ne comptent jamais parmi les ingrédients. (Voir le dossier de Biovail, volume 1, onglet 4‑B, pages 2, 3 et 4).

 

[58]           Pour ce qui est des microgranules à simple couche ou à double couche, on précise dans tous les cas que l’agent tensio‑actif est présent dans la couche active. (Voir le dossier de Biovail, volume 1, onglet 4‑A, pages 5 et 6). Les microgranules contiennent toutes un agent tensio‑actif dans leur couche active mais n’en contiennent pas dans leur couche externe (couche LP). (Voir le dossier de Biovail, volume 1, onglet 4‑A, pages 7 et 8).

 

[59]           Les 8 exemples donnés par l’inventeur comptent parmi leurs ingrédients un agent tensio‑actif présent dans la couche active et nulle part ailleurs.(Voir le dossier de Biovail, volume 1,onglet 4,pages 9 à 55.)

 

[60]           Comme je l’ai déjà souligné, sauf pour les revendications 35, 36 et 34, les revendications restantes prévoient explicitement la présence d’un agent tensio‑actif dans la couche active. (Voir le dossier de Biovail, volume 1, onglet 4B, pages 56 à 61.)

 

[61]           Les revendications 35 et 36 sont rédigées de façon à établir un lien étroit entre le diltiazem et l’agent tensio‑actif c.‑à‑d. que le diltiazem est libéré à l’aide d’un agent tensio‑actif.

 

[62]           De plus, comme je l’ai déjà fait remarquer, aucune preuve scientifique ne vient nous aider à comprendre comment l’agent tensio‑actif situé dans la couche LP pourrait quitter la couche externe pour migrer dans la couche active et aider à libérer le diltiazem. Au contraire, Mme Mathiowitz, l’expert de Biovail, a admis ne pas avoir vérifié la validité de la théorie de la migration (bien que Biovail ait eu des échantillons de la capsule de Rhoxal en sa possession), et elle a dit ne pas vouloir émettre d’hypothèses concernant cette théorie et qu’elle n’attesterait pas que la migration a effectivement lieu. (Voir le dossier de Rhoxal, onglet 6, page 317 et onglet 8, page 389.)

 


[63]           Au contraire, c’est Rhoxal qui prétend qu’une quantité suffisante d’agent tensio‑actif doit se trouver proche de l’ingrédient actif pour être solubilisé. Un agent tensio‑actif prend un temps fini pour migrer à travers un liquide, quel qu’il soit, et par conséquent son emplacement est un facteur essentiel pour atteindre rapidement le seuil de concentration de l’agent tensio‑actif autour de l’ingrédient actif nécessaire à l’efficacité de ce dernier. En l’insérant ailleurs, on rend la libération de l’ingrédient actif imprévisible, ce qui n’est pas conforme à l’intention de l’inventeur. (Voir le premier affidavit de M. Weiner et le dossier de Rhoxal volume 2, onglet 8, pages 586, 587, 592 et 594.)

 

[64]           Ayant examiné le brevet 224 et ayant constaté que l’agent tensio‑actif est toujours, sauf pour les revendications 35 et 36 qui ne précisent pas où il se trouve, situé dans la couche active interne, je conclus que l’inventeur avait l’intention d’inclure l’agent tensio‑actif dans la couche interne active et non ailleurs. Voilà l’interprétation que doivent recevoir les revendications 35 et 36. Toute autre interprétation serait contraire à l’objectif du brevet 224, au concept qui y est exposé et aux exemples qui y sont donnés. Il n’est jamais question d’utiliser l’agent tensio‑actif ailleurs qu’à l’intérieur de la couche active. Suivant le processus de mise au point des comprimés de Biovail, l’agent tensio‑actif est situé à l’intérieur de la couche active interne. La cohérence et l’uniformité sont nécessaires pour bien comprendre un brevet. Conclure que l’agent tensio‑actif peut se trouver ailleurs que dans la couche active ne serait pas conforme au concept élaboré par l’inventeur. Enfin, attribuer un plus grand rôle à l’agent tensio‑actif ne serait pas conforme à la description que fait l’inventeur dans son brevet.

 


[65]           Puisque que j’ai déjà conclu que la couche active de la capsule de Rhoxal, qui contient du diltiazem, de la povidone et de l’ethylcellulose, ne contient pas d’agent tensio‑actif, il ne peut y avoir contrefaçon des revendications 35 et 36 étant donné que les agents tensio‑actifs ne sont présents que dans la couche LP. Pour arriver à cette conclusion j’ai tenu compte de l’interprétation qu’il convient de donner au brevet 224, de la preuve et des observations soumises par les parties.

 

[66]           Biovail ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, par une preuve prépondérante, que l’allégation de non‑contrefaçon de Rhoxal n’est pas justifiée. Par conséquent, l’ordonnance demandée par Biovail ne peut être prononcée.

 

3.         Autres questions

 

[67]           Vu les conclusions que j’ai tirées, il n’y a pas lieu d’aborder les autres questions que les parties ont soulevées, dont la question de la validité du brevet 224.

 

DÉPENS

 

[68]           Rhoxal a demandé que des dépens avocat‑client soient adjugés. Je ne peux accueillir sa demande. Compte tenu de la position qu’elle a adoptée, Biovail a fait preuve de sérieux et de professionnalisme et a elle a fait valoir des arguments légitimes sur lesquels il y avait lieu de statuer.

 

[69]           Les dépens sont payables par Biovail à Rhoxal.

 


 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

-           La demande est rejetée avec dépens.

 

 

    « Simon Noël »    

   Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-691-04

 

INTITULÉ :                                                   Biovail Corporation et al. c. Le ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Mardi, 20 septembre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Le juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                                  19 octobre 2005

 

 

COMPARUTIONS :                         Douglas Deeth

Heather Watts

pour les demanderesses

 

Marie Lafleur

Martin Sheehan

Alain LeClair

pour la défenderesse RhoxalPharma Inc.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Deeth Williams Wall s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)                                

pour les demanderesses

 

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 pour la défenderesse RhoxalPharma Inc.

 

Eric Peterson

Ministère de la Justice

Sous‑procureur général du Canada

Bureau régional de l'Ontario

pour le défendeur le ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social

 

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