Date : 20000526
Dossier : T-1222-99
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
demandeur
et
DEYAO GU
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE CAMPBELL
[1] En l'instance, il s'agit de déterminer si dans sa décision du 12 mai 1999 le juge de la citoyenneté a commis une erreur en approuvant la demande de citoyenneté canadienne du défendeur en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi)[1]. Selon moi[2], la réponse à cette question se trouve dans le critère énoncé par le juge Thurlow dans Re Papadogiorgakis [1978] 2 C.F. 208, à la p. 214, qui est rédigé comme suit :
Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [traduction] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .
[2] Il est convenu qu'on peut décrire les faits essentiels devant le juge de la citoyenneté comme suit :
1. M. Gu est entré au Canada à partir des États-Unis avec son épouse, en décembre 1994. Il détient un baccalauréat en génie chimique d'une grande université de Shanghai. Il a par la suite travaillé comme ingénieur chimiste à Nanjin pendant plusieurs années. En 1990, il est allé étudier à l'Université de Cincinnati et y a obtenu une maîtrise en génie chimique. Lorsqu'il étudiait aux États-Unis, sa femme et lui avaient laissé leur jeune enfant en Chine avec ses parents. Il a fait une demande d'immigration au Canada à partir des États-Unis et elle a été acceptée. Après qu'il se soit établi au Canada en 1994 et déménagé ses effets personnels qui se trouvaient aux États-Unis, sa femme et lui sont retournés en Chine pour emmener leur enfant au Canada.
2. Le 13 mars 1995, il est revenu au Canada avec sa femme et son enfant. Durant les quatre mois qui ont suivi, il a fait plusieurs demandes d'emploi au Canada. Il a eu la chance de trouver un poste chez Harcros Pigments Canada en Ontario. Après avoir pris son service dans cette entreprise, il a été envoyé en formation aux États-Unis pendant trois mois. Par la suite, on l'a envoyé à Shenzhen, en Chine, pour y diriger les opérations de l'entreprise sur place[3].
[3] Le juge de la citoyenneté a conclu que durant les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, le demandeur avait été présent au Canada pendant 227 jours. Il est admis que les absences du Canada du défendeur sont liées aux exigences de son employeur canadien qu'il travaille en Chine. Le juge de la citoyenneté était aussi saisi du fait que le défendeur avait été placé par son employeur à près de 1 200 kilomètres de sa résidence avant qu'il vienne aux États-Unis et au Canada et que, durant toute cette période, il avait vécu à l'hôtel. Le dossier présenté au juge de la citoyenneté démontre aussi qu'en juillet 1997, ainsi qu'en mai 1999, le défendeur a vu sa demande d'obtenir un poste au Canada rejetée[4].
[4] Au cours des plaidoiries, l'avocat du demandeur a été très correct en admettant qu'il n'y avait pas de doute que si le défendeur avait été placé dans un poste au Canada au début de son emploi en 1995, il serait demeuré au pays. Il était aussi convenu que cette affaire est inhabituelle, et fort différente d'une situation où une personne doit s'absenter du Canada pour gérer ses affaires et ses investissements à l'étranger.
[5] Le juge de la citoyenneté a conclu comme suit :
[traduction]
Le demandeur travaille pour une compagnie canadienne, Harcros Pigments (directeur de l'ingénierie), et il doit travailler en Chine dans un poste de gestion. Il n'a pu trouver d'emploi au Canada (la liste des refus qu'on lui a opposés sont au dossier) et donc, il a dû accepter ce poste pour gagner sa vie. Son contrat a été prolongé deux fois pour une période de deux ans, mais il a l'intention de quitter cette compagnie s'il doit rester en Chine (en juillet 1999). Il rejoindra alors son foyer et sa famille en espérant trouver un emploi au Canada.
****
Sauf son emploi, il n'a aucun lien avec la Chine. Il a fort hâte de s'installer au Canada avec sa famille. Son lien avec le Canada est très fort - famille, maison, employeur canadien (il est payé en dollars canadiens dans une banque canadienne), et il paie ses impôts sur le revenu ici depuis 1994[5].
Suite à ces conclusions, le juge de la citoyenneté a rendu la décision suivante :
[traduction]
En se fondant sur la décision dans Koo - le requérant a certainement centralisé son mode d'existence au Canada - son domicile est au Canada. Son lien avec le Canada est très fort. De plus, on peut citer les motifs du juge Thurlow dans Re Papadogiorgakis, « une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études » . La demande de citoyenneté est accueillie[6].
[6] Il est clair au vu des conclusions du juge de la citoyenneté et du jugement cité que ce dernier a accordé un poids très important au fait que le défendeur était à l'emploi d'une compagnie canadienne et que c'est à contrecoeur qu'il a accepté un poste à l'étranger. C'est la seule raison de son absence du Canada. Il ressort aussi clairement que le juge de la citoyenneté a conclu qu'avant de trouver son emploi, le défendeur a établi sa résidence au Canada et qu'il l'a conservée. Je ne trouve pas d'erreur dans l'application du droit ou dans les conclusions de fait. En fait, je suis d'accord avec le résultat.
[7] Par conséquent, l'appel est rejeté. Le défendeur a droit aux dépens.
Douglas Campbell
Juge
Le 26 mai 2000
Vancouver (Colombie-Britannique)
Traduction certifiée conforme
Martine Brunet, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-1222-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : MCI
c.
Deyao Gu
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : le 26 mai 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE CAMPBELL
EN DATE DU : 26 mai 2000
ONT COMPARU
M. Victor Caux pour le demandeur
M. Lawrence Wong pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Morris Rosenberg
Sous-procureur
général du Canada pour le demandeur
Lawrence Wong & Associates
Avocats et procureurs
Vancouver (C.-B.) pour le défendeur
[1] Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. ch. C-29 est rédigé comme suit :
5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :
a) en fait la demande;
b) est âgée d'au moins dix-huit ans;
c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :
(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,
(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;
d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;
e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;
f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20. [C'est moi qui souligne.]
[2] Suivant ma décision MCI c. Wing Tung Thomas Yeung (C.F. 1re Inst., T-1256-98, rendue le 3 février 1999), la question à déterminer dans les appels de cette nature est celle de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de contrôle.