Ottawa (Ontario), le 22 août 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Omotayo Akinmayowa a décidé de ne pas devenir grand chef de sa tribu yoruba au Nigéria. Il a toutefois appris qu'il devait donner de son sang en sacrifice pour apaiser l'oracle qui choisirait un autre candidat. Il s'est enfui du Nigéria et a demandé l'asile au Canada.
[2] Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de M. Akinmayowa parce que la description qu'il avait faite des pratiques de sa tribu n'était pas corroborée par des spécialistes de la culture yoruba. M. Akinmayowa prétend que la Commission a mal compris l'essence de sa demande, et il sollicite une nouvelle audience. Je ne vois aucune raison d'infirmer la décision de la Commission. Parconséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
1. Question en litige
[3] La Commission a-t-elle mal compris le fondement réel de la demande d'asile de M. Akinmayowa?
2. Analyse
[4] M. Akinmayowa relève trois aspects de la décision de la Commission qui montrent que celle-ci a mal compris sa demande. Premièrement, il dit que la Commission n'a pas bien compris l'importance d'un article de journal traitant de l'empoisonnement présumé d'un autre chef. Deuxièmement, il affirme que la Commission n'a pas tenu compte de la crainte que lui causait le fait de devoir donner de son sang en vue de la nomination d'un autre grand chef. Troisièmement, il conteste la manière dont la Commission a interprété les témoignages d'experts sur la culture yoruba.
(1) Article de journal
[5] Le jour de l'audience, le conseil de M. Akinmayowa a déposé devant la Commission un article de journal intitulé [traduction] « Qui a empoisonné le roi? » . On y décrit la mort d'un chef traditionnel causée par une gastroentérite toxique. M. Akinmayowa soutient que l'article a été produit afin de montrer l'absence de protection de l'État au Nigéria. L'article indique qu'aucune enquête policière n'était en cours. La Commission a effectivement mentionné cet article dans ses motifs, mais pas au regard de la question de la protection de l'État. Elle a souligné que l'article faisait état de la délivrance d'un certificat de décès concernant le défunt, ce qui contredisait le témoignage de M. Akinmayowa selon lequel aucun certificat de décès n'avait été délivré pour son père, lequel était mort également dans des circonstances mystérieuses.
[6] L'article ne permet pas réellement d'en savoir plus au sujet de la protection de l'État. Il est vrai qu'il mentionne qu'aucune enquête policière n'a été entreprise relativement à la mort du roi, mais il précise également que la police avait obtenu l'avis d'un expert médical selon lequel la mort pouvait avoir été causée par des aliments avariés, une réaction allergique ou une consommation excessive d'un mélange traditionnel, peut-être préparé dans de mauvaises conditions sanitaires. La Commission a traité cet article de manière appropriée.
(2) Fondement de la demande
[7] M. Akinmayowa prétend que la Commission a mal interprété sa demande. Il dit qu'il avait peur que son sang serve à des fins rituelles et non d'être puni pour avoir refusé de devenir grand chef.
[8] La Commission a dit ce qui suit au sujet de la demande de M. Akinmayowa : « On lui a expliqué que s'il refusait [le poste de grand chef], son sang serait répandu pour satisfaire l'oracle, qui devrait choisir un autre candidat. » Je ne vois aucune différence entre la version de M. Akinmayowa et celle de la Commission.
(3) Témoignages d'experts
[9] La Commission a tenu compte d'un rapport de recherche sur les conséquences qu'une personne peut subir en refusant le poste de chef des Yorubas. Le rapport renferme les opinions de trois experts. Selon l'un d'eux, la personne qui refuse ce poste ne sera probablement pas punie; selon un autre, si une personne refuse le titre, de nombreux autres candidats seront intéressés. Le troisième doutait que le refus entraîne des sanctions; il reconnaissait cependant qu'il pouvait y avoir des exceptions dans certaines régions.
[10] M. Akinmayowa soutient que son témoignage n'est contredit par aucun de ces experts. Il insiste sur le fait que l'on n'a pas demandé son sang pour le punir d'avoir refusé le poste de chef, mais parce que son sang été nécessaire pour choisir un autre candidat.
[11] La Commission a tiré un certain nombre de conclusions des opinions des experts :
1. les candidats aux postes traditionnels sont choisis par leur famille, et non par l'oracle ou les « faiseurs de rois » ;
2. dans la société yoruba, chacun est libre de faire ses propres choix;
3. contrairement à ce qu'alléguait le demandeur, un titre refusé ne demeure pas vacant tant que l'oracle n'est pas apaisé par le sang de celui qui a refusé, car les remplaçants foisonnent;
4. aucune pénalité ou sanction n'est associée au refus du titre.
[12] M. Akinmayowa souligne que ces conclusions ne découlent pas toutes directement des opinions des experts. Plus précisément, les experts n'ont rien dit qui contredisait son témoignage au sujet de l'utilisation du sang pour apaiser l'oracle. En outre, ils n'ont pas affirmé de façon absolue qu'il n'y avait aucune pénalité ou sanction. L'un des experts a dit qu'il n'en connaissait aucune; un autre doutait qu'une pénalité soit infligée, tout en reconnaissant qu'il pouvait y avoir des exceptions.
[13] Je conviens que le résumé que la Commission a fait des opinions des experts est moins nuancé que les opinions elles-mêmes, mais je ne pense pas que ce résumé montre que la Commission est loin d'avoir compris la demande de M. Akinmayowa. Ce dernier a maintenu catégoriquement qu'on ne lui avait pas demandé de son sang pour le punir parce qu'il avait refusé de devenir grand chef. Il devait admettre cependant qu'il s'agissait certainement d'une conséquence négative. Les experts ont indiqué clairement qu'ils n'étaient pas au courant de [traduction] « pénalités » ou de [traduction] « sanctions » imposées à une personne qui refuse le poste de chef. Or, je pense que, dans ce contexte, les experts n'auraient probablement pas omis de mentionner la mort d'une personne causée par un don de sang à des fins rituelles, même si c'était uniquement à des fins de sacrifice et non de pénalité.
[14] M. Akinmayowa prétend également que la Commission aurait dû reconnaître que sa tribu était l'une des exceptions à la règle générale voulant qu'une personne qui refuse le poste de chef ne subit aucune conséquence négative. Cependant, étant donné que, selon l'opinion dominante, aucune sanction n'était infligée aux candidats récalcitrants, la Commission pouvait douter qu'une exception si incompatible avec la société yoruba en général - où la liberté de choix est respectée - puisse exister. Je ne vois aucune erreur dans le fait que la Commission s'est fondée sur les opinions des experts pour conclure qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que M. Akinmayowa risque d'être persécuté.
[15] Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n'a proposé une question de portée générale à des fins de certification, et aucune question n'est énoncée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n'est énoncée.
Juge
Traduction certifiée conforme
D. Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5808-04
INTITULÉ : OMOTAYO AKINMAYOWA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 9 AOÛT 2005
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O'REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 22 AOÛT 2005
COMPARUTIONS:
Jide Oladejo POUR LE DEMANDEUR
Bola Adetunji
Kevin Lunney POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bola Adetunji POUR LE DEMANDEUR
Avocat
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada