Date : 20040805
Dossier : IMM-5139-03
Référence : 2004 CF 1078
Toronto (Ontario), le 5 août 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
YI JING SU
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Madame Su est une citoyenne de la Chine âgée de 20 ans qui est arrivée au Canada le 28 mars 2003 pour y demander le statut de réfugié au sens de la Convention en se fondant sur ses convictions religieuses. Le 14 avril 2003, elle a été autorisée à revendiquer le statut de réfugié et s'est vu remettre un Formulaire de renseignements personnes (FRP) qu'elle devait remplir et présenter dans un délai de 28 jours, c'est-à-dire au plus tard le 12 mai 2003.
[2] La demanderesse n'a pas respecté le délai prévu. Elle a présenté son FRP le 20 mai 2003, huit jours après la date fixée. Un avis de convocation à une audience relative au désistement d'une revendication lui a été envoyé le 12 mai, et l'audience a eu lieu le 19 juin 2003.
[3] Selon ce que l'on a fait valoir devant la Commission lors de l'audience relative au désistement et selon l'affidavit de la demanderesse déposé dans la présente instance, Mme Su vient de la région du Guangdong de la Chine, où plusieurs cas du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ont été signalés. Après avoir reçu le FRP à remplir, la demanderesse a remarqué qu'elle avait de la toux. Elle a également mentionné que d'autres personnes étaient venues du Guangdong à l'endroit où elle séjournait après son arrivée. La demanderesse a affirmé qu'un représentant du cabinet d'avocats qui l'aidait dans ses démarches lui a dit de rester à la maison pendant dix jours, conformément à la recommandation formulée par le service de santé publique. Elle a dit n'avoir pas pu remplir et présenter son FRP à la Commission dans le délai prévu parce qu'elle est restée chez elle pendant dix jours.
[4] La transcription de l'audience relative au désistement qui a eu lieu le 19 juin 2003 révèle que la commissaire n'a pas ajouté foi à cette explication parce que la date figurant sur la page de signature du FRP de la demanderesse était le 12 mai 2003, alors que la demanderesse a affirmé avoir signé le formulaire [traduction] _ aux environs du 20 _ mai. La commissaire a dit lors de l'audience qu'elle ne trouvait pas la demanderesse crédible en raison de cette divergence. Il est également clair que la commissaire a accordé une grande importance au fait que le représentant de la demanderesse (qui n'est pas son représentant à la présente audience) était un avocat, et qu'il ne présenterait pas un FRP signé de son nom si la date y figurant était incorrecte.
[5] La demanderesse affirme que son conseil a fait dactylographier la date sur son FRP à l'avance parce qu'il s'attendait à ce qu'elle se présente à son bureau le 12 mai 2003 pour le signer, et qu'il a par erreur oublié de modifier cette date lorsqu'elle est venue signer le formulaire à une date postérieure. Elle soutient qu'elle a toujours eu l'intention de faire valoir sa revendication du statut de réfugié et qu'elle aurait soumis son FRP dans le délai applicable si elle n'avait pas décelé chez elle les symptômes du SRAS après avoir eu des contacts étroits avec des personnes récemment arrivées de la province chinoise du Guangdong.
[6] Les motifs pour lesquels la Commission a conclu au désistement de la revendication du statut de réfugié de la demanderesse sont-ils raisonnables?
[7] Les motifs de la décision de la Commission ne révèlent pas pourquoi la Commission n'a pas ajouté foi à l'explication de Mme Su concernant la date de signature du FRP. La demanderesse renvoie à l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et fait valoir que la Commission a manqué à son obligation de motiver clairement et intelligiblement une décision aussi cruciale et qui allait avoir une incidence considérable sur sa vie.
[8] Le défendeur soutient que la demanderesse n'a pas réussi à démontrer que la décision de la Commission était entachée d'erreur. La Commission pouvait raisonnablement parvenir à une telle décision, et l'argument avancé par la demanderesse n'explique pas pourquoi ni elle ni son représentant n'ont présenté une requête en prorogation de délai.
[9] Dans Powar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 274 N.R. 360 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a dit qu'une décision prononçant le désistement d'une revendication rendue par la Commission était une décision discrétionnaire. Toutefois, compte tenu de l'incidence et des conséquences importantes d'une telle décision sur la personne, du fait qu'elle prive une personne susceptible de faire d'objet de persécution si elle retourne dans son pays d'origine du droit de présenter une revendication sans que cette revendication ait été tranchée sur le fond ainsi que de l'absence de clause privative dans la loi et du fait qu'il s'agit d'une décision mixte de fait et de droit, la Cour a appliqué à plusieurs reprises la norme de la décision raisonnable simpliciter aux décisions de ce genre, et je ne vois aucune raison de m'écarter de cette norme en l'espèce : voir, par exemple, Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109 (1re inst.), Szabo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 52 (C.F.)(QL) et Rusconi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1889 (C.F.)(QL).
[10] Le juge Lemieux a dit ce qui suit à la page 122 de la décision Ahamad, précitée :
Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d'examens de décisions de la SSR statuant que l'intéressé s'était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l'intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s'intéresser à sa revendication; cette appréciation doit être faite dans le contexte de l'obligation d'un revendicateur qui viole un des éléments du paragraphe 69.1(6), qui prévoit l'obligation de fournir une excuse raisonnable (Perez c. Canada (Solliciteur général) (1994), 93 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal; Izauierdo c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1669 (1re inst.) (QL), le juge Rouleau; Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R 50 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard; Alegria-Ramos c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé).
[11] À mon avis, la décision de la Commission est déraisonnable et ne peut résister à un examen assez poussé. La commissaire a jugé que l'explication donnée par la demanderesse pour justifier le retard de huit jours dans la présentation de son FRP n'était pas crédible parce qu'elle n'a pas cru la demanderesse lorsque celle-ci a expliqué que la date du 12 mai 2003 avait été dactylographiée par le cabinet de son représentant, qui avait l'habitude d'inscrire la date fixée pour la présentation du FRP au dessus de la signature, et que l'avocat de la demanderesse ne s'était pas rendu compte de l'erreur avant la présentation du FRP à la Commission le 20 mai 2003.
[12] La Commission a dit que son refus d'ajouter foi à cette explication était motivé par le fait que le représentant de la demanderesse, M. Fromkin, était [traduction] _ [...] un avocat et le FRP a été présenté pour son compte en l'espèce _. Je suis arrivé à la conclusion qu'il était déraisonnable de mettre en doute l'intention de la demanderesse de faire valoir sa revendication du statut de réfugié de façon diligente pour ce motif, étant donné que son représentant à l'audience a dit que M. Fromkin n'avait pas examiné le FRP avant que celui-ci n'ait été présenté à la Commission le 20 mai. Par conséquent, les motifs de la Commission vont à l'encontre de la preuve dont elle disposait, et ils ne font état d'aucun autre motif justifiant le refus d'admettre qu'une erreur matérielle d'inattention qui aurait été commise par inadvertance fût l'unique cause de la divergence qui a porté atteinte à la crédibilité de la demanderesse aux yeux de la commissaire.
[13] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune question n'a été proposée aux fins de certification.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie, que la décision prononçant le désistement rendue par la Commission soit annulée et qu'un tribunal différemment constitué de la Commission réexamine la question de savoir s'il y a lieu de conclure au désistement de la revendication de la demanderesse. Aucune question n'est certifiée.
_ Richard G. Mosley _
Juge
Traduction certifiée conforme
Aleksandra Koziorowska, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5139-03
INTITULÉ : YI JING SU
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 5 AOÛT 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : LE 5 AOÛT 2004
COMPARUTIONS:
Hart Kaminker POUR LA DEMANDERESSE
Marina Stefanovich POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Kranc and Associates POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040805
Dossier : IMM-5139-03
ENTRE :
YI JING SU
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE