Date : 20050419
Dossier : T-994-02
Référence : 2005 CF 525
Ottawa (Ontario), le 19 avril 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
DONALD VOGAN
demandeur
et
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Vogan a posé en vain sa candidature à un poste de briqueteur et maçon au ministère de la Défense nationale, à la base des Forces canadiennes de Kingston (Ontario). Il croit avoir été injustement éliminé à l'étape de la présélection, sans entrevue, et il conteste la décision de la Commission de la fonction publique de tenir un concours public. Son appel à la Direction générale des recours n'a pas été accueilli. Il demande à la Cour d'infirmer ces décisions et d'annuler la nomination du candidat choisi. Voici les motifs pour lesquels je ne peux pas accueillir sa demande.
[2] M. Vogan a répondu à un appel de candidatures affiché du 19 au 23 novembre 2001. D'après cet appel, on cherchait des candidats ayant [traduction] « une expérience acceptable dans la pose de briques et de blocs » et [traduction] « un certificat de compagnon briqueteur valide en Ontario » . Les copies de tous les certificats et permis devaient être joints au formulaire de demande du candidat. Il y avait trois autres candidats au poste, dont au moins un a été éliminé à cette étape.
[3] M. Vogan a présenté sa demande, des copies de ses permis et certificats, et un curriculum vitae. Dans la section de son curriculum vitae consacrée au résumé de son expérience de travail, il signalé qu'il détenait un [traduction] « certificat de plâtrier et de maçon » de l'Ontario. Dans la section consacrée à l'expérience professionnelle, il a indiqué que, pour la période de 1981 à 1993, il avait notamment [traduction] « 4 ans de maçonnerie et d'entretien préventif » , et pour la période de 1993 à aujourd'hui, il avait occupé [traduction] « divers emplois dans le domaine de la construction » .
[4] À l'époque où il a posé sa candidature, M. Vogan travaillait comme briqueteur et maçon à la base des Forces canadiennes (BFC) de Borden. Il avait auparavant occupé un poste similaire à la BFC de Kingston. Il résidait dans la région de Kingston et il espérait obtenir un poste d'une durée indéterminée à cette base.
[5] À la suite de son premier examen de la demande de M. Vogan, le comité de présélection a conclu qu'il manquait des renseignements précis quant à son expérience dans la pose de briques et de blocs. Un membre du comité, l'agente des ressources humaines Janet Bryant, a téléphoné à M. Vogan le 3 décembre 2001 pour l'informer du problème et lui demander de fournir des renseignements écrits confirmant son expérience. Le lendemain de cet appel, elle lui a envoyé une lettre lui demandant de fournir les renseignements par écrit avant le 12 décembre 2001. Aucune réponse n'a été reçue de M. Vogan qui a été éliminé du concours à l'étape de la présélection.
[6] M. Vogan a reconnu à l'audience portant sur la présente demande que s'il avait fourni des renseignements écrits sur son expérience comme le lui avait demandé Mme Bryant, il n'aurait pas été éliminé du concours à la présélection. Toutefois, il a considéré que cette demande s'inscrivait dans une série d'efforts visant à l'empêcher d'obtenir un poste permanent à la BFC de Kingston, si bien qu'il a décidé de porter l'affaire directement devant la Commission de la fonction publique (la CFP) sans attendre l'issue du concours.
[7] Dans sa plainte devant la CFP, M. Vogan a insisté sur le fait qu'on l'avait éliminé du concours à l'étape de la présélection à cause de l'interprétation faite par le comité de présélection de l'exigence relative à l'expérience. Dans les arguments qu'il m'a soumis, M. Vogan a soulevé d'autres éléments, notamment le fait qu'un concours interne connexe pour le personnel de la BFC de la région de Kingston a été tenu en même temps et que la zone de sélection établie en vue du concours public était trop restreinte (une distance maximale de 65 km de Kingston). M. Vogan a fait valoir que la Commission n'aurait pas dû tenir un concours public et un concours interne pour le même type de poste, en même temps. Il a également allégué que la Commission était tenue de recruter à l'interne avant de tenir un concours public. Il affirme qu'en qualité d'employé du MDN titulaire d'un poste pour une période déterminée de plus de six mois, il aurait pu prendre part à un concours interne.
[8] La Direction générale des recours a fait enquête sur la plainte de M. Vogan en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, ch. P-33 (la LEFP). Dans la décision faisant l'objet du présent contrôle, rendue le 30 mai 2002, la Direction générale des recours (la Direction des recours) a conclu que M. Vogan n'avait pas été injustement éliminé à l'étape de la présélection. L'enquêteur, Mme Sells, a conclu que la décision du comité de sélection n'était pas déraisonnable et qu'il incombait au demandeur de démontrer dans quelle mesure son expérience correspondait aux qualités requises. Elle a conclu qu'il n'était pas évident à la lecture des documents fournis que le candidat possédait l'expérience requise. Aux paragraphes 20 à 22 de sa décision, Mme Sells a dit :
[traduction]
20. Il est compréhensible que le plaignant ait pu croire, du fait qu'il possédait un certificat de briqueteur-maçon, qu'il avait l'expérience requise pour la pose de briques et de blocs. Toutefois, l'évaluation de l'expérience professionnelle diffère de l'évaluation de la formation ou des attestations professionnelles. Le ministère exigeait de l'expérience dans la pose de briques et de blocs. Le comité de sélection accordait une importance particulière, comme l'a indiqué M. Sporring, « au caractère récent des compétences » , c'est-à-dire à la période où le candidat avait acquis son expérience, ce que le comité a été incapable d'évaluer dans le cas du plaignant.
21. Le plaignant a affirmé que, puisqu'il avait déjà travaillé pour le MDN, le comité de sélection aurait pu consulter son dossier de rendement, qui aurait confirmé qu'il avait l'expérience requise. Je dois rappeler au plaignant qu'il lui incombe, à titre de candidat, de démontrer qu'il répond aux exigences fixées par le ministère. Même si le plaignant avait peut-être l'expérience requise, pour que le processus soit juste, transparent et équitable pour tous les candidats, il incombe aux candidats de veiller à ce que toute l'information demandée soit fournie au comité de sélection afin qu'il puisse prendre sa décision. Par conséquent, je conclus que le comité de sélection a agi de manière raisonnable en accordant au plaignant une chance additionnelle de démontrer qu'il avait l'expérience requise; toutefois, ce dernier a choisi de ne pas répondre à cette demande d'information. L'allégation n'est pas fondée.
22. J'aimerais signaler que le sous-chef, ou ses représentants, est habilité à fixer les qualités requises pour un poste qu'il dote, pour ce qui est des tâches à exécuter. Il n'est pas essentiel que des postes similaires dans des organisations différentes ou même dans la même organisation exigent les mêmes qualités. On peut évaluer un certain nombre de faits en vue de déterminer les qualités requises, y compris les forces et faiblesses actuelles de l'unité de travail, lequel des postes est vacant et les qualités particulières qui répondraient aux besoins de l'unité. Même si le plaignant a pu auparavant utiliser avec succès ce curriculum vitae pour des postes similaires, je ne pense pas que cela soit significatif en l'espèce. Comme je l'ai déjà indiqué, les qualités requises dans chaque concours peuvent varier selon les besoins de l'organisation au moment où se tient le concours.
QUESTIONS EN LITIGE
[9] 1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. La Direction générale des recours a-t-elle commis une erreur en concluant que le comité de sélection a agi de manière raisonnable et en conformité avec le principe du mérite?
Norme de contrôle
[10] M. Vogan s'est représenté lui-même en l'espèce. Même s'il n'a pas abordé la question directement, je conclurais de son argumentation par ailleurs solide qu'il croyait que la norme de la décision raisonnable devait s'appliquer. La défenderesse affirme que le contrôle de la décision de la Direction des recours commande une très grande retenue, car la Direction tirait des conclusions de fait. Par conséquent, la norme de la décision manifestement déraisonnable appliquée dans la décision Petruszkiewicz c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1789 (C.F. 1re inst.) devrait s'appliquer en l'espèce.
[11] Le juge MacKay a tiré une conclusion similaire dans la décision Adams c. Canada (Procureur général) (2002), 216 F.T.R. 190 (C.F. 1re inst.). Compte tenu des objectifs généraux de la LEFP et de l'expertise de l'enquêteur, lorsqu'il agit au nom de la Commission, l'exercice de son jugement pour apprécier les faits et les conséquences sous-jacentes à une plainte appelle un degré élevé de retenue. Le juge MacKay a fait une distinction avec un arrêt de la Cour d'appel fédérale dans lequel la norme de la décision correcte a été appliquée à une décision du Comité d'appel de la CFP parce qu'elle concernait l'interprétation de la LEFP par le Comité : Boucher c. Canada (Procureur général) (2000), 252 NR 186 (C.A.F.).
[12] Dans la décision Oriji c. Canada (Procureur général) (2004), 252 F.T.R. 95 (C.F. 1re inst.), j'ai conclu, à la suite d'une analyse pragmatique et fonctionnelle, qu'il fallait appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter aux questions mixtes de fait et de droit se rapportant à l'allégation que l'enquêteur désigne en vertu de la LEFP avait commis des erreurs. Lorsque des questions de droit pourraient se dégager des conclusions de fait de l'enquêteur, j'appliquerais la norme de la décision correcte.
[13] En l'espèce, il n'y a aucune question de droit ni question mixte de fait et de droit qui ressort clairement. Par conséquent, je conclus que les conclusions de l'enquêteur commandent un degré élevé de retenue et je les ai examinées eu égard à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, même si j'avais dû appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter, j'aurais néanmoins conclu que la décision de l'enquêteur ne comporte aucune erreur donnant lieu à révision.
Erreur de la Direction générale des recours
[14] M. Vogan soutient que la Commission de la fonction publique n'a pas exercé sa compétence en refusant de recruter à l'interne de la fonction publique avant de nommer quelqu'un de l'extérieur, conformément au paragraphe 16(1) du Règlement. Il soutient également que l'enquêteur a seulement voulu traiter de la question de l'exhaustivité de sa demande plutôt que de toute autre preuve supplémentaire qui aurait pu être présentée concernant son expérience antérieure en maçonnerie, notamment une nomination pour une période déterminée en 1993 alors qu'il avait satisfait aux exigences du poste de maçon; l'enquêteur n'a donc pas tenu compte des éléments de preuve présentés. Étant donné le curriculum vitae et l'expérience du demandeur, une personne raisonnable se demanderait pourquoi sa candidature n'a pas été retenue à l'étape de la présélection. M. Vogan s'appuie sur l'arrêt Laberge c. Canada (Procureur général), [1988] 2 C.F. 137 (C.A.F.) et la décision Lai c. Ministère du Revenu national (Impôt) (5 janvier 1994), 93-Impôt-1122 (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique).
[15] La défenderesse allègue que le fardeau incombait au demandeur de fournir des renseignements suffisants au comité de sélection pour que sa candidature soit retenue à l'étape de la présélection : Chang c. Procureur général du Canada, [2000] A.C.F. no 767 (1re inst.). L'avis de concours indiquait clairement que M. Vogan devait démontrer ses qualifications. Mme Bryant l'a informé que ses documents étaient incomplets et lui a permis de présenter d'autres renseignements par écrit, mais il ne l'a pas fait.
[16] Par conséquent, la défenderesse soutient que la décision de la Direction des recours n'avait rien de manifestement déraisonnable. En effet, la Direction des recours n'a pas tiré une conclusion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver : Scarizzi c. Marinaki (1994), 87 F.T.R. 66 (1re inst.). D'après l'information dont il disposait, il était raisonnable pour le comité de sélection de conclure que le demandeur n'avait pas l'expérience suffisante pour exécuter le travail, et la Direction des recours n'a pas commis d'erreur en confirmant cette conclusion.
[17] Je ne dispose d'aucune preuve permettant de conclure que la CFP a commis une erreur lorsqu'elle n'a pas fait une nomination interne. Je n'ai eu aucune preuve que des personnes figurant dans la liste d'admissibilité pour ce poste provenaient effectivement de la fonction publique, ni aucune preuve concernant la décision de tenir un concours public ou interne. De toute façon, M. Vogan a admis à juste titre que cette question n'avait pas clairement été soumise à la Direction générale des recours, étant donné qu'il n'y avait pas pensé lorsqu'il a déposé sa plainte. Par conséquent, la question ne peut pas faire l'objet du contrôle judiciaire.
[18] Je ne conclurais pas que la Direction générale des recours a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'information qui lui a été présentée. L'information versée au dossier du tribunal a été entièrement examinée. M. Vogan a présenté beaucoup de documents qu'il allègue avoir soumis au décideur, mais je n'ai aucune preuve que ces renseignements ont été présentés au comité et que celui-ci les a rejetés à tort.
[19] Je conviens avec la défenderesse qu'il incombait au demandeur d'indiquer clairement dans les documents présentés avec sa demande en quoi il était qualifié pour l'emploi postulé : Chang, précitée. Je conviens également avec M. Vogan qu'il aurait été raisonnable de penser qu'un curriculum vitae qui, comme le sien, indiquait une expérience d'au moins quatre années en maçonnerie, ne ferait pas l'objet que d'un simple examen préliminaire. En effet, M. Sporring, membre du comité de sélection, avait été superviseur de M. Vogan dans un de ses emplois précédents et aurait dû être au courant de son expérience de travail. Toutefois, c'était il y a plus de dix ans. Pendant la réunion d'enquête, M. Sporring a soutenu qu'il ne savait rien de l'expérience « récente » de M. Vogan.
[20] Étant donné l'expérience de M. Vogan au sein du ministère, je peux comprendre la frustration qu'il a ressentie parce que le comité de sélection a refusé de considérer que son curriculum vitae indiquait qu'il avait l'expérience nécessaire,. Comme il l'a mentionné dans son argumentation, avoir un certificat en maçonnerie implique nécessairement savoir comment poser des briques et des blocs ainsi que des pierres. Dans le cadre de ce concours, le processus de sélection exigeait une démonstration pratique de cette connaissance par le candidat choisi. Je ne doute pas que M. Vogan aurait pu faire une telle démonstration s'il n'avait pas été éliminé à l'étape de la présélection.
[21] M. Vogan allègue que le poste que le comité de sélection cherchait à doter est identique à d'autres emplois qu'il a déjà occupés à la BFC de Kingston dans le passé et qu'il occupe actuellement à la BFC de Borden. Il n'y a pas suffisamment de travail de maçonnerie à faire pour justifier le maintien de maçons dans les effectifs à cette fin seulement. Lorsqu'un édifice de briques ou de blocs doit être érigé, des contrats sont accordés au secteur privé. Par conséquent, il affirme que les maçons travaillant dans les bases effectuent différentes tâches générales d'entretien préventif plutôt que de construction. Je crois qu'étant donné qu'il a travaillé dans les bases et aux alentours pendant plus de dix ans, il a une bonne idée de la nature de l'emploi.
[22] Toutefois, la Direction générale des recours a été saisie d'éléments de preuve indiquant que le comité de sélection ne cherchait pas à doter un poste dont les tâches étaient identiques au travail de finition et de réparation que M. Vogan avait exécuté antérieurement pour cet employeur. De toute façon, il était tout à fait loisible à l'employeur de déterminer qu'il avait besoin d'un maçon ayant une expérience dans la pose de briques et de blocs. Il importe peu que le candidat choisi ait jamais à poser une seule rangée d'un ou l'autre dans le cadre de son emploi.
[23] Même si M. Vogan pouvait avoir acquis de l'expérience dans la pose de briques et de blocs, particulièrement pendant le processus d'acquisition du certificat de maçon, son curriculum vitae ne comporte aucune indication qu'il a exécuté ce type de travail depuis qu'il a reçu son certificat en 1992. Il lui incombait de satisfaire à cette exigence du poste.
[24] Compte tenu du dossier, il n'y a aucune preuve que le comité de sélection a délibérément décidé d'écarter la candidature de M. Vogan bien ce dernier soit convaincu du contraire. En effet, le fait que Mme Bryant lui a demandé de préciser son expérience m'indique que, plutôt que de tenter de rejeter la candidature du demandeur à l'étape de la présélection, tous les efforts raisonnables ont été faits pour retenir celle-ci afin qu'il puisse participer de façon juste au concours. M. Vogan a été informé que sa candidature risquait d'être rejetée à l'étape de la présélection, mais il n'a pas répondu. En conséquence, il s'est lui-même exclu du processus de sélection.
[25] Par conséquent, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la Direction générale des recours et la présente demande sera rejetée.
[26] La défenderesse a demandé des dépens minimes. J'exercerai mon pouvoir discrétionnaire pour décider qu'aucuns dépens ne seront versés.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE le rejet de la demande. Les parties devront assumer leurs propres dépens.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-994-02
INTITULÉ : DONALD VOGAN
ET
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE
DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 18 JANVIER 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : LE 19 AVRIL 2005
COMPARUTIONS :
Donald Vogan POUR LE DEMANDEUR
(pour son propre compte)
Michael Roach POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
DONALD VOGAN POUR LE DEMANDEUR
Battersea (Ontario) (pour son propre compte)
JOHN H. SIMS, c.r. POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)