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Date : 20040115

Dossier : T-855-03

Référence : 2004 CF 52

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                         RANJIT SINGH SAHOTA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH

[1]                La demande de citoyenneté présentée par Ranjit Singh Sahota n'a pas été approuvée parce que, lorsqu'il a comparu devant le juge de la citoyenneté, M. Sahota était sous le coup d'une ordonnance de probation. M. Sahota fait appel de cette décision, affirmant que la manière dont le juge de la citoyenneté a disposé de sa demande est manifestement injuste.


Les faits

[2]        M. Sahota est né en Inde et il est devenu résident permanent du Canada en octobre 1993. Le 5 février 2001, M. Sahota demandait la citoyenneté canadienne. Il ne semble pas qu'il soit contesté que, lors de la présentation de sa demande de citoyenneté, M. Sahota remplissait les conditions de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté. M. Sahota devait cependant répondre à une accusation de fraude pour une somme de 5 000 $, un acte contraire à l'alinéa 380(1)b) du Code criminel. Après avoir déposé sa demande de citoyenneté, M. Sahota fut accusé de plusieurs autres infractions criminelles, à savoir vol, braquage d'une arme à feu, menaces de mort, voies de fait et agression sur un agent de la paix.

[2]                En mai 2001, M. Sahota était reconnu coupable de vol et de fraude. M. Sahota a été sanctionné sur chaque chef par une absolution conditionnelle et par 12 mois de probation.

[3]                En août 2001, M. Sahota plaidait coupable en réponse à des accusations de braquage d'une arme à feu, de menaces de mort, de voies de fait et d'agression sur un agent de la paix. Pour ces infractions, M. Sahota a été condamné à un emprisonnement de quatre mois et à une probation additionnelle de 12 mois.


[4]                En mai 2002, M. Sahota achevait sa probation liée aux condamnations pour fraude et vol. M. Sahota a fait appel de la peine qui lui avait été imposée pour le braquage d'une arme à feu, les menaces de mort, les voies de fait et l'agression sur un agent de la paix. Son appel a été accueilli et, le 16 mai 2002, la peine imposée à M. Sahota était commuée en condamnation de 12 mois avec sursis, à laquelle s'ajoutait une probation de 12 mois, dont le point de départ était la date de l'instruction de l'appel.

[5]                Le 11 juin 2002, M. Sahota était informé que sa demande de citoyenneté allait être étudiée le 17 juillet 2002. M. Sahota était alors dans sa période de probation pour avoir braqué une arme à feu, proféré des menaces de mort, commis des voies de fait et agressé un agent de la paix. M. Sahota a écrit à la Cour de la citoyenneté le 5 juillet 2002 pour l'informer qu'il était sous le coup d'une ordonnance de probation. Il écrivait dans sa lettre qu'il savait qu'il ne pouvait tant qu'il était en probation prêter le serment de citoyenneté, et il demandait des éclaircissements afin de savoir s'il pouvait subir le test de citoyenneté avant l'expiration de sa période de sursis. M. Sahota informait la Cour de la citoyenneté que sa période de probation expirerait le 16 mai 2003 et il lui demandait s'il pouvait attendre après cette date pour se présenter au test.

[6]                M. Sahota n'a pas reçu de réponse à sa lettre, et il semble que l'audience relative à sa demande de citoyenneté n'a pas eu lieu le 5 juillet 2002, date prévue à l'origine. Ne recevant rien de la Cour de la citoyenneté, M. Sahota a présumé que sa demande serait agréée. Il a donc été surpris de recevoir un avis l'informant qu'une audience de citoyenneté avait été fixée au 22 janvier 2003.

[7]                M. Sahota s'est alors adressé à un avocat. Le 22 janvier 2003, M. Sahota et son avocat, Gary Segal, se sont présentés devant un juge de la citoyenneté. Les motifs du juge de la citoyenneté, qui portent la même date, révèlent que M. Segal avait demandé que l'affaire soit reportée à une date postérieure à mai 2003, lorsque la période de probation de M. Sahota serait expirée, et que cette demande avait été refusée. M. Segal avait alors semble-t-il informé le juge de la citoyenneté qu'il était inutile d'administrer à M. Sahota le test de citoyenneté. Les motifs révèlent aussi que M. Sahota fut informé que sa demande de citoyenneté ne serait pas approuvée parce qu'il était dans sa période de probation.


[8]                La description donnée par MM. Sahota et Segal de leur comparution devant le juge de la citoyenneté est très différente. Selon l'affidavit de M. Segal, l'audience avait débuté par une demande de M. Segal pour que soit accordé un ajournement. M. Segal affirme que le juge de la citoyenneté l'avait informé que l'affaire ne pourrait de toute façon aller de l'avant puisque le dossier renfermait une demande du greffe de la Cour de citoyenneté pour la production d'autres documents par M. Sahota. Une copie de la demande de production de documents avait été exhibée. La demande avait de toute évidence été envoyée à M. Sahota en août 2001, mais M. Sahota ne l'avait pas reçue. Selon M. Segal, le juge de la citoyenneté avait dit à M. Sahota de présenter à la Cour de citoyenneté, aussi rapidement que possible, les pièces demandées. Il fut convenu que M. Sahota aurait 30 jours pour déposer les documents auprès de la Cour. Le juge de la citoyenneté avait confirmé que pour l'heure l'affaire n'irait pas plus loin, et M. Sahota et son avocat avaient quitté la salle. M. Segal affirme que l'audience tout entière avait duré entre cinq et sept minutes, y compris le temps passé par le juge de la citoyenneté à trouver la demande de production de documents.

[9]                Il est admis qu'à aucun moment M. Sahota n'a été interrogé sur sa demande, ni sur sa connaissance du Canada ou sa connaissance de l'une ou l'autre des langues officielles.

[10]            M. Segal affirme qu'il a déposé auprès de la Cour le 20 février 2003 les documents additionnels demandés. Il dit qu'il croyait alors qu'un nouvel avis d'audience serait délivré. Au lieu de cela, M. Sahota fut informé, par lettre datée du 26 mars 2003, que sa demande de citoyenneté n'avait pas été approuvée. La lettre fait état de l'audience du 22 janvier et mentionne que, à cette date, le juge de la citoyenneté avait suspendu sa décision. La lettre du juge de la citoyenneté parle aussi du sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi sur la citoyenneté, qui prévoit que nul ne peut recevoir la citoyenneté, ni prêter le serment de citoyenneté, tant qu'il est sous le coup d'une ordonnance de probation.

Points en litige

[11]            M. Sahota et le ministre ont des vues quelque peu divergentes sur les points soulevés par le présent appel, mais la question essentielle est celle de savoir si la demande de citoyenneté de M. Sahota a été traitée d'une manière injuste sur le plan de la procédure, compte tenu de l'audience du 22 janvier 2003.


Position du demandeur

[12]            L'avocat de M. Sahota reconnaît que M. Sahota était sous le coup d'une ordonnance de probation le 22 janvier 2003 et qu'il n'avait donc pas droit de recevoir la citoyenneté canadienne. Le juge de la citoyenneté aurait donc eu le loisir de refuser simplement la demande d'ajournement présentée par M. Sahota et de rejeter sa demande de citoyenneté. Au lieu de cela, d'affirmer l'avocat, ce qui s'est produit dans cette affaire, « c'est un exemple de gâchis bureaucratique devenu incontrôlable » , un gâchis dont le résultat a été que la demande de citoyenneté présentée par M. Sahota a été instruite au mépris d'une procédure équitable.

[13]            Il y a une divergence fondamentale entre les motifs du juge de la citoyenneté et la preuve par affidavit produite par M. Sahota à propos du déroulement de l'audience du 22 janvier 2003. L'avocat de M. Sahota affirme que la version des événements donnée dans la preuve par affidavit devrait être préférée, puisque les motifs du juge de la citoyenneté n'ont pas été rédigés sous serment. L'affidavit de M. Segal devrait bénéficier d'un crédit particulier, d'affirmer l'avocat, puisque M. Segal, en sa qualité d'avocat, est un auxiliaire de la justice. M. Segal relève aussi que nul n'a cherché à contre-interroger M. Sahota ou M. Segal sur son affidavit.


[14]            M. Segal affirme que, réagissant à la demande d'ajournement présentée par M. Sahota, le juge de la citoyenneté a induit en erreur M. Sahota et son avocat sur les procédures ultérieures. Au lieu de répondre à la demande d'ajournement présentée par M. Sahota, le juge de la citoyenneté a assuré M. Sahota et son avocat que l'affaire n'irait pas plus loin ce jour-là puisque le dossier n'était pas complet. M. Sahota s'est alors vu accorder 30 jours pour produire les documents manquants. Au lieu d'attendre les documents manquants, puis de tenir audience, il appert du dossier que le juge de la citoyenneté a décidé ce même jour de rejeter la demande de citoyenneté de M. Sahota. Cette manière d'agir était, selon l'avocat, manifestement injuste, et la décision du juge de la citoyenneté devrait donc être rescindée. M. Sahota voudrait que la décision du juge de la citoyenneté soit annulée et qu'une nouvelle audience soit ordonnée.

Position du défendeur

[15]            L'avocat du ministre dit que, quelles que soient les erreurs qui ont pu être commises dans cette affaire, ce sont des erreurs qui n'ont eu aucun effet sur le résultat ultime de la demande de citoyenneté présentée par M. Sahota.


[16]            Selon l'avocat du ministre, le juge de la citoyenneté n'était nullement tenu de faire droit à la demande d'ajournement présentée par M. Sahota. Même si le juge de la citoyenneté avait été disposé à reporter l'audience, le paragraphe 14(1) de la Loi sur la citoyenneté prévoit que, après qu'un juge de la citoyenneté est saisi d'une demande de citoyenneté, le juge doit, dans un délai de 60 jours, dire si le requérant répond aux conditions fixées par la Loi. Il aurait donc fallu que l'affaire soit de nouveau examinée à l'intérieur du délai de 60 jours, mais M. Sahota aurait encore été sous le coup de l'ordonnance de probation, et le résultat aurait été le même.

[17]            Puisque M. Sahotaétait empêché par la Loi de recevoir la citoyenneté, le défendeur affirme qu'il n'était pas nécessaire au juge de la citoyenneté de l'interroger sur sa demande, de vérifier sa connaissance du Canada ou d'évaluer sa connaissance des langues officielles du Canada.

Analyse

[18]            Je suis très troublée par la divergence entre les faits décrits dans les motifs du juge de la citoyenneté et les faits qui, selon les affidavits de M. Sahota et de M. Segal, se sont déroulés le 22 janvier 2003. Eu égard aux circonstances de cette affaire, cependant, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de préférer une version des événements plutôt que l'autre.

[19]            Si je devais accepter la version des événements avancée par M. Sahota et M. Segal, alors je serais certainement encline à douter de l'équité de la procédure observée dans cette affaire. Il ne s'ensuit cependant pas nécessairement que la décision du juge de la citoyenneté doive automatiquement être annulée.

[20]            Un déni d'équité procédurale n'obligera pas une juridiction de contrôle à annuler une décision si cette juridiction est d'avis que le manquement a été sans conséquence sur le résultat[1].

[21]            En l'espèce, l'avis de décision du juge de la citoyenneté qui a été signifié au ministre révèle que le juge de la citoyenneté a été saisi le 22 janvier 2003 de la demande de citoyenneté de M. Sahota. Il s'agit du document même qui renferme les motifs de la décision du juge. Vu les doutes très réels qui planent sur l'exactitude de la description donnée par le juge de la citoyenneté à propos de l'audience tenue ce jour-là, l'avocat de M. Sahota affirme qu'aucun crédit ne devrait être accordé au contenu du document.

[22]            Cependant, abstraction faite de la mention de la date de saisine indiquée dans l'avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté, il ressort nettement de la description des faits donnée dans les affidavits de MM. Sahota et Segal que, le 22 janvier 2003 au plus tard, la demande de citoyenneté de M. Sahota avait été soumise à un juge de la citoyenneté pour décision.


[23]            Le paragraphe 14(1) de la Loi sur la citoyenneté oblige le juge de la citoyenneté à dire si un requérant répond aux conditions de la Loi et à rendre sa décision dans les 60 jours qui suivent la date à laquelle il a été saisi de la demande de citoyenneté. Les parties s'accordent pour dire que M. Sahota n'était pas admissible à la citoyenneté le 22 janvier 2003. Soixante jours plus tard, il était encore sous le coup de l'ordonnance de probation. Vu les conditions fixées par la Loi, même si le juge de la citoyenneté avait été disposé à exercer son pouvoir discrétionnaire et à accorder à M. Sahota le 22 janvier 2003 sa requête en ajournement de l'audience, il aurait fallu que la demande de citoyenneté soit réexaminée et jugée à l'intérieur du délai de 60 jours. Puisque M. Sahota aurait encore été à ce moment-là non admissible à la citoyenneté, le juge de la citoyenneté n'aurait eu d'autre choix à ce stade que de rejeter la demande.

[24]            Je ne suis pas non plus persuadée que le fait pour le juge de la citoyenneté de ne pas avoir attendu les documents manquants demandés le 22 janvier 2003 avant de décider de rejeter la demande de citoyenneté de M. Sahota a pu avoir un quelconque effet sur le résultat ultime. Aucun renseignement additionnel que M. Sahota ou son avocat eût pu présenter au juge de la citoyenneté n'était apte à changer le fait que M. Sahota était légalement empêché de recevoir la citoyenneté.

[25]            De même, le fait que le juge de la citoyenneté n'ait jamais interrogé M. Sahota sur sa demande ni n'ait vérifié sa connaissance du Canada ou sa connaissance des langues officielles du Canada ne pouvait pas modifier l'issue de la demande de citoyenneté de M. Sahota. Le juge de la citoyenneté était tenu en droit de rendre la décision qu'il a rendue et de rejeter la demande de citoyenneté. Il est impossible d'affirmer que le résultat de la procédure n'a pas été ce qu'il aurait pu être simplement parce que le juge de la citoyenneté n'a peut-être pas accordé à M. Sahota une audience pleinement conforme aux règles.


Conclusion

[26]            Par conséquent, bien que l'information contradictoire dont la Cour a connaissance suscite des doutes sur l'équité de la procédure employée pour évaluer la demande de citoyenneté de M. Sahota, les lacunes possibles de l'équité procédurale ne sauraient dans son cas, en dernière analyse, avoir modifié le résultat de sa demande. Pour ces motifs, cet appel est rejeté.

                                                               ORDONNANCE

LA COUR CONCLUT au rejet de l'appel.

                                                                                                                          « Anne L. Mactavish »     

                                                                                                                                                     Juge                  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                               

                                  COUR FÉDÉRALE

Date : 20040114

Dossier : T-855-03

ENTRE :

                            RANJIT SINGH SAHOTA

                                                                               demandeur

                                            - et -

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                 défendeur

                                                                                                                      

                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                  ET ORDONNANCE

                                                                                                                      


                                                               COUR FÉDÉRALE

                                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              T-855-03

INTITULÉ :                                             RANJIT SINGH SAHOTA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                        LE 12 JANVIER 2004

ORDONNANCE ET

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:              LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                              LE 14 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Sheldon M. Robins

POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheldon M. Robins

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR



[1] Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228 et Yassine c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), (1994), 172 N.R. 308 (CAF).


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