Date : 20011114
Dossier : IMM-5541-00
TORONTO (ONTARIO), LE 14 NOVEMBRE 2001
En présence de MONSIEUR LE JUGE W. P. McKEOWN
ENTRE :
EDUVIGES DELFINADO
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente d'immigration en date du 6 octobre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour nouvelle décision.
« W.P. McKeown »
JUGE
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
Date : 20011114
Dossier : IMM-5541-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1260
ENTRE :
EDUVIGES DELFINADO
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de l'agente d'immigration, Luz-Marina Nunez, en date du 6 octobre 2000, qui avait rejeté la demande de droit d'établissement que la demanderesse avait présentée en invoquant des raisons d'ordre humanitaire.
[2] Les questions sont les suivantes : 1) l'agente a-t-elle commis une erreur en ne se conformant pas à une directive donnée par la Cour lors d'un contrôle judiciaire antérieur portant sur cette affaire, directive selon laquelle la nouvelle décision devait reposer sur le rôle qui revenait à titre principal à la demanderesse en tant que pourvoyeuse, et 2) l'agente a-t-elle manqué à l'équité procédurale en tirant des conclusions défavorables de la preuve sans donner à la demanderesse l'occasion de dissiper ses préoccupations, lesquelles n'étaient pas évidentes au vu du dossier.
[3] Dans le premier contrôle judiciaire, le juge McGillis s'était exprimé ainsi :
L'avocat de la demanderesse soutient notamment que l'agente d'immigration a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve portant sur le rôle de la demanderesse pour prendre soin de sa mère, ou en l'interprétant de la mauvaise façon. Je partage ce point de vue. Selon moi, la preuve non contredite au dossier porte que la demanderesse joue un rôle essentiel lorsqu'il s'agit de prendre soin de sa mère et de lui assurer un soutien financier. Dans ces circonstances, l'agente d'immigration n'a pas tenu compte de la preuve ou l'a mal interprétée en concluant que les soins apportés par la demanderesse à sa mère étaient de nature « limitée » étant donné le fait qu'elle travaillait, et qu'il n'y avait pas « une preuve suffisante » que son renvoi se ferait au détriment de sa mère. Compte tenu du rôle joué par la demanderesse dans les soins et le soutien financier à sa mère, qui constitue l'élément central de sa demande pour considérations humanitaires, je conclus que l'erreur commise par l'agente d'immigration dans l'évaluation de cet aspect de la demande colore toute la décision.
[4] L'agente et la Cour, dans la première décision, semblent toutes deux avoir ignoré une lettre de Intercede à Citoyenneté et Immigration Canada en date du 15 juillet 1999, où l'on peut lire entre autres :
[TRADUCTION]
Mme Delfinado est actuellement en train de :
- chercher son propre appartement en prévision de l'arrivée de sa famille,
- obtenir des renseignements à l'École catholique séparée de Toronto, pour que ses deux filles puissent fréquenter l'école élémentaire.
[5] Toute la preuve issue de la première audience se trouvait devant la Commission lors de la deuxième audience. Durant la deuxième audience, l'agente a déclaré, sous la rubrique Considérations humanitaires, ce qui suit :
[TRADUCTION]
Bien qu'il porte sur l'exposé des faits et du droit, le numéro 15 parle simplement de la mère de la demanderesse, qui est malade et qui a besoin de la demanderesse sur les plans affectif et financier. Il ne fait aucun doute que sa mère est malade et qu'elle a besoin du soutien affectif de la demanderesse, mais l'ensemble de la preuve produite montre qu'un soutien affectif et financier est assuré par tous les autres membres de la famille. Qu'arrivera-t-il au soutien financier si la demanderesse amène dans son propre appartement sa propre famille et des colocataires? L'avocat indique que les autres membres de la famille au Canada ne peuvent en réalité faire beaucoup plus que ce qu'ils font, puisqu'ils travaillent et qu'ils ont leurs propres familles. La demanderesse n'aura-t-elle pas elle aussi sa propre famille le jour où son mari et ses enfants la rejoindront? N'entrera-t-elle pas alors dans la même catégorie que ces frères et soeurs qui travaillent et ont leurs propres familles? Toute la preuve indique que tel serait le cas.
[6] Dans la section 6, Décision et Justification, l'agente fait état de l'indifférence de la demanderesse pour la Loi sur l'immigration, puis elle ajoute :
[TRADUCTION]
La demanderesse a des liens familiaux étroits au Canada, en particulier sa mère, qui est malade et qui a besoin de son soutien à la fois financier et moral, mais, à mon avis, la demanderesse a des liens plus étroits aux Philippines, où se trouvent son mari et ses deux enfants. Si la mère de la demanderesse n'avait pas d'autres enfants au Canada et si la demanderesse n'avait aucune famille à elle, ma conclusion en la matière serait probablement différente. Je ne suis pas persuadée que les enfants ici ne peuvent assurer les mêmes soins et le même soutien que ce que la demanderesse offre et a offert depuis que sa mère est tombée malade, tout en sacrifiant sa propre vie de famille.
... Il convient de noter également que tous les membres de la famille au Canada ont promis leur soutien financier.
[7] La question du rôle central joué par la demanderesse dans les soins et le soutien prodigués à sa mère constitue un facteur très important. Je ne partage pas cependant l'avis de l'avocat selon lequel il s'agit là du seul facteur. L'agente doit évaluer comme il convient le rôle central, et la question est la suivante : l'agente a-t-elle en l'espèce ignoré la preuve, ou l'agente appréciait-elle simplement la preuve? Mon inquiétude à ce sujet, c'est que l'agente, ayant admis que la demanderesse jouait un rôle clé dans le soutien affectif et financier de sa mère, affirme ensuite qu'elle pourrait être remplacée dans ce rôle clé, et cela sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. Il y avait lieu de croire que quatre des autres enfants n'avaient jamais apporté un quelconque soutien affectif et que le cinquième enfant, c'est-à-dire la soeur de la demanderesse, avait récemment mis fin à son mariage et ne pouvait continuer d'apporter un soutien financier. Je ne puis voir dans la preuve rien qui donne à entendre que les autres frères et soeurs auraient pu remplir le vide laissé par le départ de la demanderesse en cas de rejet de sa demande fondée sur des considérations humanitaires. L'agente a tiré une conclusion déraisonnable.
[8] Il est également difficile de dire si l'agente a utilisé la lettre d'Intercede. Dans une partie de ses observations, il semble que l'agente dit que le mari et les deux enfants de la demanderesse resteront aux Philippines. Pourtant, elle ajoute ceci :
[TRADUCTION] Si la mère de la demanderesse n'avait pas d'autres enfants au Canada et si la demanderesse n'avait aucune famille à elle, ma conclusion en la matière serait probablement différente.
[9] Si le mari et les enfants viennent au Canada dans un proche avenir, alors ce fait doit figurer dans l'analyse de la capacité de la demanderesse de prendre soin de sa mère. Selon la preuve dont je dispose, il est très improbable que le mari et les deux enfants puissent venir prochainement au Canada.
[10] La deuxième question soulève un problème tout aussi difficile, celui de savoir si l'agente a été équitable envers la demanderesse en lui donnant la possibilité de dissiper ses inquiétudes. Il appartient certes à la demanderesse de faire état de considérations humanitaires qui soient convaincantes, mais en l'espèce l'affaire est plus complexe parce qu'il s'agit ici de la deuxième audience. Le premier agent avait interrogé la demanderesse mais, lorsque l'affaire fut renvoyée à un autre agent par la Cour, le deuxième agent a décidé de ne pas procéder à une entrevue. Il ressort clairement de l'arrêt Baker qu'il n'y a pas obligation d'offrir une entrevue dans une demande fondée sur des considérations humanitaires. Cependant, le deuxième agent a quand même envoyé une série de questions, qui étaient pour la plupart sans rapport avec le rôle central de la demanderesse dans les soins prodigués à sa mère. Plusieurs de ces questions avaient un certain rapport avec le point en litige, et elles se présentaient ainsi :
[TRADUCTION]
Il est pris note que vous avez aussi un frère qui habite avec vous. De quelle façon intervient-il dans les soins prodigués à votre mère?
Il est également pris note que vous n'avez pas donné d'adresse pour votre soeur Emiliana. Où demeure-t-elle?
...
Veuillez produire une lettre d'emploi de la soeur dont vous dites qu'elle contribue au soutien de votre mère pendant que vous travaillez.
[11] La demanderesse a répondu à cette lettre en indiquant que son frère ne vivait plus avec leur mère et qu'il était sourd et incapable d'apporter aucune aide. La demanderesse a aussi indiqué que, si elle était renvoyée aux Philippines, elle ne serait pas en mesure de revenir visiter sa mère, ce qui serait pour elle une épreuve. Elle ne pourrait pas non plus continuer de la soutenir. Comme il est indiqué plus haut, la soeur était maintenant dans une position différente pour ce qui est du soutien de la mère. L'agente aurait dû poser des questions sur le soutien devant être apporté par les frères et soeurs de la demanderesse, mais elle n'y était pas tenue. Cependant, il est quelque peu trompeur de poser des questions qui ne se rapportent pas au point principal. Je n'infirmerais pas la décision de l'agente pour ce seul motif, mais, si on la considère en même temps que la conclusion de l'agente selon laquelle d'autres membres de la famille pouvaient subvenir aux besoins de la mère alors qu'il n'existe aucune preuve semblable, alors il y a erreur sujette à révision. À mon avis, cette affaire doit être renvoyée à un autre agent d'immigration pour nouvelle décision concernant le cas de la demanderesse.
[12] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente en date du 6 octobre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour nouvelle décision.
« W.P. McKeown »
JUGE
TORONTO (ONTARIO)
le 14 novembre 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
No DU GREFFE : IMM-5541-00
INTITULÉ : EDUVIGES DELFINADO
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 17 OCTOBRE 2001
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE McKEOWN
DATE DES MOTIFS : LE MERCREDI 14 NOVEMBRE 2001
ONT COMPARU : M. Lorne Waldman
pour la demanderesse
M. David Tyndale
pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : JACKMAN, WALDMAN & ASSOCIATES
Avocats
281, avenue Eglinton est
Toronto (Ontario)
M4P 1L3
pour la demanderesse
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20011114
Dossier : IMM-5541-00
Entre :
EDUVIGES DELFINADO
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE