Date : 20031209
Dossier : IMM-3344-02
Référence : 2003 CF 1433
Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE
ENTRE :
HASAN NOSHADI MOGHADAM
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui vise la décision rendue le 28 mai 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
[2] Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire à un tribunal différemment constitué afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire conformément aux directives que la Cour juge appropriées.
Les faits
Introduction
[3] Le demandeur est citoyen d'Iran. Il prétend être une personne qui craint avec raison d'être persécutée en Iran du fait de ses opinions politiques et de son origine kurde. Dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP), il fonde en outre sa prétention sur son appartenance à un groupe social, soit sa famille. Les présumés agents de persécution sont les autorités gouvernementales d'Iran et les mandataires du gouvernement.
[4] En 1997, puis en 1999, les autorités iraniennes ont détenu le demandeur. L'arrestation du demandeur en 1997 est survenue alors qu'il se trouvait dans un taxi en compagnie d'une femme qui était prétendument l'épouse d'un militant politique. Il a été détenu pendant cinq nuits et il a été interrogé à l'égard de ses liens avec cette femme. Il s'est disputé avec le garde qui l'avait arrêté et on l'a accusé d'avoir insulté l'islam. On lui a imposé une amende et on l'a condamné à être fouetté. La détention de 1999 résultait du fait que le demandeur avait jeté deux hommes hors de son taxi. Dans son FRP, le demandeur prétend qu'il a été détenu pendant 11 jours et qu'il a été battu et interrogé. Il a ensuite été gracié en raison d'une amnistie générale décrétée afin de souligner l'anniversaire d'une victoire. Cependant, on lui a retiré son permis de chauffeur de taxi.
[5] En 2000, un ami du demandeur, Bahram, a installé son magasin dans l'édifice dans lequel le demandeur et ses parents vivaient. Le demandeur a, dans ce magasin, aidé Bahram à faire des photocopies de dépliants dénonçant le régime. En octobre 2000, pendant que le demandeur était à Téhéran, il a appris que Bahram et certains de ses autres amis avaient été arrêtés. Le père et le frère du demandeur, ainsi que le propriétaire de l'édifice, avaient également été arrêtés. Le demandeur a appris que les autorités le recherchaient et l'accusaient d'être un conspirateur contre le régime.
Les motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié)
[6] Une audience a eu lieu le 20 mars 2002. Dans ses motifs datés du 28 mai 2002, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
[7] La Commission a conclu qu'il n'existait pas d'éléments de preuve dignes de foi à l'égard des incidents qui avaient prétendument amené le demandeur à s'enfuir de son pays. La Commission n'a pas conclu que l'origine du demandeur, ses antécédents familiaux ou les autres incidents invoqués par le demandeur étaient des motifs suffisants pour justifier une crainte d'être persécuté s'il retournait en Iran. À cet égard, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté.
[8] La Commission a conclu que le demandeur était loin d'être un témoin coopératif lors de l'audience. La Commission devait souvent répéter les questions et l'utilisation fréquente du mot [TRADUCTION] « peut-être » par le demandeur faisait en sorte qu'il était difficile pour la Commission de déterminer s'il émettait des hypothèses ou des affirmations.
[9] La Commission a conclu que le témoignage du demandeur à l'égard des raisons pour lesquelles il lui avait fallu tant de temps pour obtenir son acte de naissance iranien était contradictoire.
[10] La Commission a conclu que le fait que le demandeur ne soit pas au courant des manifestations à Hamedan, où le demandeur et Bahram vivaient, jetait des doutes sérieux sur son récit. La Commission a conclu qu'il n'était même pas à Hamedan au moment des manifestations. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas d'interaction politique entre le demandeur et Bahram qui était soi-disant au courant des activités politiques et y participait.
[11] La Commission a conclu que la description faite par le demandeur à l'égard des dispositions prises lorsque Bahram avait soi-disant photocopié des documents d'opposition au régime dans la pièce à l'arrière de son magasin situé en bas de l'endroit où vivait la famille du demandeur était invraisemblable. Le demandeur a affirmé qu'il surveillait les lieux afin que personne ne sache ce qui se passait, mais il n'y avait aucun signe d'avertissement qui avait été prévu entre Bahram et lui dans l'éventualité où les autorités se présentaient au magasin. La Commission a en outre conclu qu'il y avait à cet égard des différences entre le FRP du demandeur et son témoignage.
[12] La Commission a conclu que l'origine kurde du demandeur ne constituait pas un motif valable sur lequel pouvait s'appuyer sa crainte d'être persécuté à son retour en Iran.
[13] La Commission a conclu que les événements qui étaient prétendument survenus en 1997 et en 1999 n'avaient pas amené le demandeur à avoir l'impression qu'il devait quitter l'Iran et demander asile dans un autre pays.
Les prétentions du demandeur
[14] Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les événements survenus en 1997 et 1999 ne constituaient pas de la persécution. Le demandeur prétend qu'il a été battu et détenu parce qu'il était perçu comme une personne qui s'opposait aux intérêts des mandataires des autorités et il prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que cela ne répondait pas à la définition de persécution.
[15] Le demandeur prétend que la Commission a omis d'apprécier des éléments de preuve dignes de foi à l'égard des risques auxquels il serait exposé s'il retournait en Iran. Il prétend en outre que son dossier sera examiné à nouveau par les autorités à son retour en Iran.
[16] Le demandeur prétend que la Commission a omis de traiter d'un motif de persécution qu'il avait mentionné dans son FRP, soit ses liens avec sa famille.
[17] Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'il n'était pas digne de foi à l'égard des événements qui l'ont amené à s'enfuir de l'Iran parce qu'il n'était pas au courant des manifestations qui avaient eu lieu à Hamedan. Le demandeur prétend qu'il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu'il aurait dû être au courant des manifestations à Hamedan étant donné que le Président y avait fait un discours.
[18] Le demandeur prétend que la Commission a violé les principes d'équité et d'attentes légitimes à l'égard de son témoignage de vive voix. Il prétend que la Commission a utilisé le fait qu'il ait demandé de répéter les questions pour mettre en doute son témoignage, alors que c'est la Commission qui l'avait encouragé à demander que les questions soient répétées si elles n'étaient pas claires ou s'il ne les comprenait pas.
[19] À l'égard d'autres points touchant la crédibilité, le demandeur prétend qu'il a déposé un acte de naissance original auprès de la Commission, qu'il était déraisonnable que la Commission mette en doute sa crédibilité parce qu'il avait utilisé fréquemment le mot [TRADUCTION] « peut-être » , que son témoignage à l'égard des photocopies des dépliants n'était pas déraisonnable et que son témoignage quant au moment auquel Bahram avait commencé à le conscientiser aux questions politiques n'était pas contradictoire.
Les prétentions du défendeur
[20] Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas démontré que les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission soient abusives ou arbitraires ou que la Commission ait commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'est pas une personne qui craint avec raison d'être persécutée.
[21] Le défendeur prétend que la Commission pouvait conclure que les demandes formulées par le demandeur afin que les questions soient répétées n'avaient pas simplement pour but de clarifier les questions et qu'elles démontraient un problème à l'égard de la crédibilité de son récit. Le défendeur prétend que la Commission pouvait en outre conclure que l'utilisation par le demandeur du mot [TRADUCTION] « peut-être » démontrait l'existence d'un problème quant à son récit et n'était pas seulement un usage de style.
[22] Le défendeur prétend que contrairement à ce qu'affirme le demandeur, la Commission n'a pas conclu que le témoignage du demandeur à l'égard de l'envoi de son acte de naissance n'avait pas de sens. Le défendeur prétend plutôt que la contradiction résultait de la déclaration initiale du demandeur selon laquelle il a affirmé qu'il avait dit à son propriétaire qu'il attendait une lettre contenant son acte de naissance et que par la suite il a déclaré qu'il n'avait pas dit à son propriétaire qu'il attendait une lettre.
[23] Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas démontré qu'il était abusif ou arbitraire pour la Commission de conclure que le fait que le demandeur ne soit pas au courant de la manifestation à Hamedan jetait un doute quant à sa crédibilité.
[24] Le défendeur prétend que le demandeur s'est contredit à l'égard du moment auquel son ami Bahram l'avait conscientisé aux questions politiques et que la Commission a expressément déclaré que cela s'était produit au cours de son témoignage lors de l'audience. Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas présenté d'éléments de preuve dignes de foi quant aux raisons pour lesquelles la Cour devrait rejeter la conclusion de la Commission.
[25] Le défendeur prétend que le fait que le demandeur ne soit pas au courant des manifestations de 1999 jetait un doute additionnel à l'égard de ses liens avec Bahram. Il prétend que des manifestations locales auraient amené le demandeur, en 1999, à poser des questions à Bahram si ce dernier avait vraiment été son mentor politique.
[26] Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas démontré qu'il était abusif ou arbitraire pour la Commission de conclure que la description faite par le demandeur quant aux dispositions prises lorsque Bahram avait soi-disant fait des photocopies de dépliants dans la salle à l'arrière de son commerce était invraisemblable.
[27] Le défendeur prétend que les faits exposés comme fondement de la demande du demandeur au moment de son entrée au Canada sont différents de la version des événements faite dans son FRP et lors de l'audition de sa demande.
[28] Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas démontré que la Commission aurait dû traiter ses arrestations de 1997 et de 1999 comme des incidents qui pouvaient appuyer sa prétention selon laquelle il était une personne qui craignait avec raison d'être persécutée.
[29] Le défendeur prétend que les prétentions du demandeur à l'égard des risques auxquels il serait exposé à son retour en Iran sont des hypothèses. Le défendeur prétend que rien ne démontre que les incidents passés auxquels le demandeur avait participé personnellement ou auxquels sa famille avait été associée entraîneraient que les autorités iraniennes s'intéressent à lui à l'avenir.
Les questions en litige
[30] Les questions en litige sont les suivantes :
1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit à l'égard de la définition de persécution?
2. La Commission a-t-elle omis d'apprécier le témoignage digne de foi du demandeur à l'égard des risques auxquels il serait exposé à son retour en Iran?
3. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'était pas exposé à des risques?
4. La Commission a-t-elle omis de traiter d'un motif de persécution?
5. La Commission a-t-elle mal interprété la preuve documentaire?
6. La Commission a-t-elle violé les principes d'équité et d'attentes légitimes relativement à ses conclusions quant au témoignage de vive voix du demandeur?
7. La Commission a-t-elle commis une erreur à l'égard de certaines des conclusions défavorables quant à la crédibilité?
8. La Commission a-t-elle violé le principe du bénéfice du doute?
La disposition législative pertinente
[31] Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications, énonce ce qui suit :
"réfugié au sens de la Convention" Toute personne : |
"Convention refugee" means any person who |
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : |
(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, |
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, |
(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or |
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner; |
(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and |
b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2). |
(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2), |
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi. |
but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act; |
Analyse et décision
[32] Je propose de traiter d'abord de la quatrième question en litige.
La Commission a-t-elle omis de traiter d'un motif de persécution?
Le demandeur, dans la section 10 de l'ajout à son FRP, a déclaré que sa demande était fondée sur les motifs de la Convention, à savoir la race, les opinions politiques et la famille. Le premier paragraphe de l'exposé de son FRP est rédigé comme suit :
[TRADUCTION]
Je suis un citoyen d'Iran et un Kurde qui n'a pas la nationalité d'un autre pays. Mon père était un capitaliste prospère. Lui et un certain nombre de ses parents ont été arrêtés par les autorités du régime au début de la révolution et leurs propriétés ont été confisquées au motif qu'ils étaient des « savakis » . D'autres parents ont été détenus et torturés parce qu'ils s'opposaient au régime. L'un d'eux s'est enfui en Allemagne vers 1991 ou 1992 où on a conclu qu'il était un réfugié au sens de la Convention.
[33] La Commission, à la page 7 de sa décision, a déclaré ce qui suit :
[...] Nous ne pouvons pas conclure que son origine ethnique, ses antécédents familiaux ou d'autres incidents qu'il a racontés lui donnent de bons motifs de craindre d'être persécuté s'il retourne en Iran. [...]
Dans la décision de la Commission, aucune autre mention n'a été faite à l'égard du motif d'appartenance à un groupe social prévu par la Convention. En fait, la Commission, à la première page de sa décision, déclare que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur s'appuie sur :
[...] une crainte fondée de persécution en Iran au motif de ses opinions politiques et de son origine ethnique kurde. Les agents de persécution allégués sont le gouvernement iranien et ses mandataires.
Dans cet extrait, la Commission ne mentionne aucunement le motif d'appartenance à un groupe social prévu par la Convention, à savoir la famille.
[34] Selon les circonstances de la présente affaire, je suis d'avis que la Commission ne s'est pas penchée sur la possibilité d'existence du motif d'appartenance à un groupe social (la famille) prévu par la Convention étant donné qu'elle ne l'a pas mentionné comme un fondement de la revendication et qu'elle n'en a pas traité dans la décision autrement qu'en le mentionnant de façon accessoire comme précédemment relaté.
[35] À mon avis, selon toute norme de contrôle, la Cour doit intervenir parce que la Commission a omis de traiter d'un motif sur lequel le demandeur fondait sa demande.
[36] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.
[37] Compte tenu de ma conclusion à l'égard de la quatrième question en litige, je ne traiterai pas des autres questions en litige.
[38] Ni l'une ni l'autre des parties n'a soumis aux fins de mon examen une question grave de portée générale.
ORDONNANCE
[39] LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à la Commission afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.
_ John A. O'Keefe _
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 9 décembre 2003
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3344-02
INTITULÉ : HASAN NOSHADI MOGHADAM
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 10 JUIN 2003
ET ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE
DATE DES MOTIFS : LE MARDI 9 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Ann Margaret Oberst POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada