Date : 20050912
Dossier : IMM-9013-04
Référence : 2005 CF 1235
ENTRE :
MIRELA BETA
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE HUGHES
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision d'une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, rendue en date du 17 septembre 2004, selon laquelle la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger suivant l'article 96 et l'alinéa 97(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).
[2] Les avocates des deux parties reconnaissent que c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique aux conclusions de la Commission. Pour les motifs exposés aux présentes, j'estime que la décision était manifestement déraisonnable, qu'elle devrait être annulée et que l'affaire devrait être renvoyée à la Commission pour qu'un autre commissaire rende une nouvelle décision.
[3] La demanderesse est une citoyenne d'Albanie, née en 1969, qui a qualité pour exercer la médecine dans ce pays. Elle s'est enfuie d'Albanie en 2001 et a habité avec des amis aux États-Unis durant sept mois avant de venir au Canada et de demander l'asile en juillet 2002. Elle a fui l'Albanie et ne souhaite pas y retourner parce qu'elle y a été violée et battue par un homme auquel elle était fiancée en vertu de certaines coutumes albanaises. Elle ne voulait pas épouser cet homme et sa vie serait insupportable si elle retournait en Albanie.
[4] Un certain nombre des prétendues conclusions de la commissaire indiquent, lorsqu'on les considère ensemble, que la commissaire n'a pas compris les questions en cause en l'espèce et a tiré des conclusions manifestement déraisonnables, notamment les suivantes :
1. La commissaire n'a pas expliqué pourquoi la prétendue ommission de la demanderesse de demander l'asile aux États-Unis au cours des sept mois qu'elle a passé dans ce pays était « déterminant[e] » , comme elle l'a indiqué dans le premier paragraphe de la section « Analyse » , à la première page des motifs. La commissaire n'a jamais fait savoir à la demanderesse au cours de l'audience qu'elle était préoccupée par cette question. Compte tenu des nouvelles règles de procédure prévoyant les personnes qui peuvent interroger un demandeur et l'ordre dans lequel elles peuvent le faire, la demanderesse n'a pas eu la possibilité de savoir que cette question était importante ou de fournir les détails nécessaires pour permettre à la commissaire de rendre une décision appropriée et complète.
Il incombe d'abord au demandeur de présenter sa preuve la plus convaincante, après quoi le commissaire doit faire ressortir les problèmes ou les questions qui se posent et lui donner la possibilité d'y répondre;
2. La commissaire n'a pas tenu compte, de manière complète et appropriée, des éléments de preuve produits par la demanderesse, lesquels étaient corroborés par des rapports médicaux et des déclarations de témoins, démontrant qu'elle avait été battue et violée. La commissaire n'a pas pris en compte la preuve solide concernant cet événement et s'est attardée à des détails insignifiants comme la question de savoir si la demanderesse « s'[était] rendue à l'hôpital » ou si des personnes qui l'avaient trouvée « l'[y] avait amenée » et si elle avait été vue par un gynécologue ou par d'autres médecins. La preuve essentielle a été produite et a été corroborée : la demanderesse a été battue et violée. Elle ne peut pas retourner dans son pays;
3. La commissaire n'a pas bien compris la culture de la société rurale albanaise dans laquelle la demanderesse vivait. Elle a supposé que cette société était régie par un ensemble de lois clairement codifiées, le Kanun, qui étaient bien comprises et appliquées par tous les membres de cette société. Il ressort de la preuve qu'il n'existe pas un seul Kanun et que la demanderesse et sa famille ne se conformaient pas rigoureusement à chaque restriction qui pouvait avoir été écrite. À l'audience, la Commission a présenté la copie d'une version à la demanderesse sans lui avoir donné un préavis raisonnable;
4. La commissaire n'a pas compris que, comme elle avait été battue et violée par son « fiancé » , la demanderesse ne pourrait jamais mener une vie normale en tant que médecin en Albanie.
[5] La commissaire semble s'être attardée à des détails sans importance, comme le moment où la demanderesse avait pris connaissance de ses fiançailles, la signification d'un anneau en or (et non en cuivre) et la durée de son séjour à l'hôpital après que ses blessures avaient été diagnostiquées et traitées. Elle a tout simplement rejeté sans raison valable des documents comme des rapports médicaux et des déclarations de témoins. Elle semble avoir jugé qu'un article de journal écrit deux ans environ après l'événement qui expliquait les raisons pour lesquelles ce médecin avait quitté la région (elle avait été battue et violée) était plus crédible que le propre témoignage de la demanderesse. En résumé, en dissimulant les faits essentiels derrière des détails moins pertinents, la commissaire a rendu une décision manifestement déraisonnable.
[6] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune ordonnance n'est rendue quant aux dépens et aucune question n'est certifiée.
« Roger T. Hughes »
Juge
Toronto (Ontario)
Le 12 septembre 2005
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9013-04
INTITULÉ : MIRELA BETA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 30 AOÛT 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HUGHES
DATE DES MOTIFS : LE 12 SEPTEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
Geraldine MacDonald POUR LA DEMANDERESSE
Vanita Goela POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Geraldine MacDonald POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada