Date : 20040109
Dossier : IMM-6488-02
Référence : 2004 CF 17
Entre :
Redha Abdul Amir ABBAS
et
Saliha REGGARD
et
Rashid Ridha ABDUL AMER
et
Amer Ridha A ABBAS
Demandeurs
- et -
Le ministre de la citoyennetéet de l'immigration
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD :
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « CISR » ) rendue le 8 novembre 2002, statuant que le demandeur et ses personnes à charge ne sont pas des « réfugiés » au sens de la Convention, selon la définition donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), c. I-2.
[2] Le demandeur principal ( « le demandeur » ), Redha Abdul Amir Abbas, est âgé de 55 ans. Il est l'époux de Saliha Reggard et le père de Rashid Ridha Abdul Amer, âgé de 13 ans et de Amar Ridha Abbas, âgé de 21 ans. Tous sont citoyens de l'Irak à l'exception de Saliha Reggard qui est citoyenne du Maroc. Le demandeur a été désigné représentant du garçon âgé de 13 ans.
[3] Les deux enfants et leur mère fondent leur revendication sur celle du demandeur qui allègue avoir une crainte bien fondée de persécution aux mains des autorités en Irak et au Maroc.
[4] La CISR a conclu que le demandeur n'est pas un « réfugié » au sens de la Convention parce que son témoignage était ni crédible ni digne de foi. De plus, la CISR a conclu que le demandeur est exclu sous l'alinéa 1F(a) de la Convention en raison de sa participation en toute connaissance à la mise en oeuvre de crimes contre l'humanité par le gouvernement irakien.
[5] Selon le demandeur la décision de la CISR mérite d'être cassée parce que la CISR ne s'est pas penchée sur l'inclusion du demandeur et parce qu'elle a exclu le demandeur même s'il n'a pas participé aux crimes du gouvernement irakien. Le défendeur, pour sa part, soumet que le demandeur ne fait valoir aucun motif sérieux susceptible de justifier l'intervention de cette Cour.
[6] En matière de crédibilité, il importe de rappeler qu'il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à la CISR lorsque, comme en l'espèce, la personne revendiquant le statut de réfugié fait défaut d'établir que la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments mis en preuve (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), c. F-7). Il a aussi été établi que la CISR est un tribunal spécialisé qui a le pouvoir d'apprécier la crédibilité d'un témoignage dans la mesure où les inférences que le tribunal tirent ne sont pas déraisonnables (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) et les motifs sont énoncés de façon claire et compréhensible (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).
[7] En l'espèce, le demandeur soumet que la CISR ne donne aucun exemple et aucune précision à l'appui de sa conclusion d'absence de crédibilité. Toutefois, il appert de sa décision que la CISR a relevé, dans le récit du demandeur, plusieurs incohérences et invraisemblances qui l'ont amenée à conclure que la crainte raisonnable de persécution de ce dernier n'était pas crédible. Cette appréciation de la vraisemblance et de la cohérence du récit fait partie des pouvoirs ainsi que des devoirs de la CISR (Aguebor, supra). Le tribunal était pleinement justifié de prendre ces invraisemblances en considération dans l'analyse de la crédibilité du demandeur. Une lecture de la décision en question et des notes sténographiques de l'audience me permet aussi de constater que la CISR a tenu compte des explications du demandeur, mais qu'elle les a jugées insuffisantes. De plus, dans ses motifs, la CISR explique clairement le fondement de sa décision. L'intervention de cette Cour, sur la question de l'inclusion et du rejet de la revendication pour cause de manque de crédibilité, n'est donc pas justifiée, d'autant plus que la perception du tribunal que la partie requérante n'est pas crédible peut bien équivaloir à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible pouvant justifier la revendication du statut de réfugié (voir Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244 (C.A.)).
[8] En ce qui concerne l'exclusion du demandeur en vertu de l'alinéa 1F(a) de la Convention, le demandeur soumet que la CISR l'a trouvé coupable par association sans aucune base factuelle. Le demandeur soumet que la CISR ne s'est pas posée la question à savoir si le demandeur a personnellement et consciemment participé à des actes de persécution.
[9] La simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d'invoquer l'exclusion du demandeur (Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.)), sauf si l'existence même de cette organisation vise des fins limitées et brutales (Saridag c. Canada (M.E.I.) (1994), 85 F.T.R. 307). Il faut généralement établir la complicité entre le demandeur et l'organisation en question. Le juge Blanchard fournit un excellent survol de la jurisprudence au sujet de la « complicité » dans l'arrêt Sungu c. Canada (M.C.I.), [2003] 3 C.F. 192 (1re inst.) :
[31] La question de complicité a aussi été considérée par Mme le juge Reed dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.). Suite à une analyse des arrêts Ramirez, supra, Moreno, supra, et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), le juge Reed a conclu ainsi aux pages 84 et 85 :
Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.
[32] Également, dans Sivakumar, supra, la Cour d'appel, s'appuyant sur Ramirez, supra, a précisé qu'une personne peut être considérée « complice par association » et a énoncé les principes suivants :
- La complicité par association s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres et ce, en raison de son association étroite avec les auteurs principaux.
- En outre la complicité d'un individu dans des crimes internationaux est d'autant plus probable lorsqu'il occupe des fonctions importantes dans l'organisation qui les a commis. Plus l'intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l'organisation, plus il est vraisemblable qu'il était au courant du crime et partageait le but poursuivi par l'organisation dans la perpétration de celui-ci.
- Dans ces conditions, un facteur important à prendre en considération est la preuve que l'individu s'est opposé au crime ou a essayé d'en prévenir la perpétration ou de se retirer de l'organisation.
- L'association avec une organisation responsable de la perpétration de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement participé à ces crimes ou les a sciemment tolérés.
[33] Par ailleurs, dans l'arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282, la Cour d'appel a établi qu'une « participation personnelle et consciente » peut être directe ou indirecte et ne requiert pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais qu'il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.
[10] Appliquant tous ces principes à la preuve qui était devant la CISR, je suis d'avis que celle-ci n'a commis aucune erreur en décidant d'exclure le demandeur. Premièrement, le régime irakien sous Saddam Hussein et le parti Baas étaient fondés sur une politique d'arabisation forcée qui entraînait le génocide de certaines communautés ethniques en Irak. Dans sa décision, la CISR décrit à fond les fins limitées et brutales que vise le régime irakien. De plus, la CISR a conclu que le demandeur était complice du régime irakien parce qu'il occupait des fonctions de confiance au sein du gouvernement, parce qu'il avait connaissance de certains actes continus et réguliers qui constituent des crimes contre l'humanité et parce que le demandeur n'a jamais pris de mesure pour empêcher ces actes ou pour se dissocier de ces activités. La CISR a conclu, en fait, que pendant ses 22 ans au service du régime irakien, le demandeur a démontré son appui actif, constant et confiant. Dans les circonstances, compte tenu de la jurisprudence, je suis d'avis que la CISR n'a pas erré dans son application de la clause d'exclusion.
[11] Comme, en outre, après révision de la preuve et lecture de la transcription de l'audience, je ne vois rien de manifestement déraisonnable dans la décision de la CISR, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[12] Vu le contexte factuel reconnu par les présents motifs, et aussi sur la base des représentations écrites déposées par le procureur du défendeur en opposition à la certification des questions proposées par le procureur des demandeurs, aucune question n'est certifiée.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 9 janvier 2004
COUR FÉDÉRALE
NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6488-02
INTITULÉ : Redha Abdul Amir ABBAS, Saliha REGGARD, Rashid Ridha ABDUL AMER et Amer Ridha A ABBAS c. Le ministre de la citoyenneté et de l'immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 27 novembre 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : L'honorable juge Pinard
EN DATE DU : 9 janvier 2004
ONT COMPARU :
Me Jean-Philippe Desmarais POUR LES DEMANDEURS
Me Claudia Gagnon
Me Norman Lemyre POUR LE DÉFENDEUR
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Jean-Philipppe Desmarais POUR LES DEMANDEURS
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)