Ottawa (Ontario), le 22 mars 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN
ENTRE :
KONA CONCEPT INC.
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur sollicite un jugement sommaire de la Cour :
[traduction] déclarant que le jugement de la cour de district des États‑Unis, district d’Hawaii, rendu le 26 juillet 2004, et modifié le 26 janvier 2005, condamnant la défenderesse, Guimond Boats Limited, à verser au demandeur la somme de 402 213,48 $US, plus 28 183,45 $US au titre des dépens et des honoraires d’avocat, doit être reconnu et exécuté pour la somme équivalente en dollars canadiens en tant que jugement définitif de la Cour.
[2] Le demandeur est résident de l’État d’Hawaï. Il avait pris connaissance d’une publicité de la défenderesse dans une revue, s’était rendu dans les locaux de la défenderesse à Escuminac (Nouveau-Brunswick) et avait éventuellement (en utilisant l’apparente raison sociale figurant dans l’intitulé de la cause) conclu avec la défenderesse, société constituée en vertu des lois du Nouveau‑Brunswick, un contrat portant sur la construction et la livraison d’un bateau de pêche en haute mer destiné à la pêche dans les eaux du littoral de son État d’origine.
[3] Le bateau a été construit, livré et payé au Nouveau-Brunswick. Après en avoir pris livraison, le demandeur l’a acheminé jusqu’à Hawaï. Un différend étant survenu quant à la navigabilité du bateau et au respect des conditions du contrat de vente, le demandeur, utilisant à nouveau sa raison sociale, a intenté une action, à Hawaï, devant la cour de district des États-Unis. La défenderesse a comparu par l’intermédiaire d’un avocat et a sollicité le rejet de l’action en invoquant le défaut de compétence. La requête a été rejetée et aucun appel n’a été interjeté de l’ordonnance de rejet. La défenderesse a alors, dans un premier temps, donné pour instruction à son avocat hawaïen de comparaître devant la cour et de contester l’action mais, changeant ensuite de tactique, elle lui a demandé de se retirer de l’affaire, ce que l’avocat a fait tout en précisant que sa cliente entendait s’opposer à tout effort en vue de faire exécuter le jugement de la cour américaine au Canada. La cour de district a fini par rendre un jugement par défaut et ce jugement a par la suite été modifié afin d’y ajouter le demandeur à titre personnel.
[4] La défenderesse a soulevé plusieurs objections sur des questions de forme, mais aucune d’elles ne me paraît fondée. La requête est accompagnée de l’affidavit d’un membre du cabinet d’avocats retenu par le demandeur; cet affidavit atteste des questions de pure forme et joint en annexe divers documents (dont l’authenticité n’est pas contestée), mais cela ne justifie pas, selon moi, la radiation de l’affidavit ou la récusation de l’avocat du demandeur; au besoin, je pourrais accorder l’autorisation de la Cour en vertu de l’article 82 des Règles. Le fait que la société demanderesse ait été dissoute conformément aux lois de l’État d’Hawaï avant que la cour des États‑Unis rende son jugement qui a été modifié par la suite afin de remplacer la raison sociale du demandeur par son nom personnel n’a pas à retenir l’attention de la Cour, car ces questions relèvent des tribunaux à Hawaï. Il en va de même de l’allégation de la défenderesse selon laquelle le jugement en question constitue une manœuvre visant à se soustraire à la politique de l’État d’Hawaï concernant les installations de mouillage en mer; même si l’on prend pour hypothèse que l’existence de cette politique a effectivement été démontrée, il ne s’agit pas de quelque chose dont la Cour pourrait ou devrait assurer l’application. Je rejette, enfin, les tentatives faites par l’avocat de la défenderesse pour attaquer la crédibilité du demandeur en citant des passages soigneusement choisis de divers documents; l’avocat n’a pas saisi l’occasion de contre-interroger le demandeur sur son affidavit et, dans les circonstances, il serait à la fois injuste et malvenu de le laisser mettre en cause l’honnêteté d’un témoin à qui il n’a donné la possibilité de s’expliquer ou de se défendre.
[5]
La
défenderesse soulève cependant deux points valables. Ils concernent tous deux
la question de la compétence de la Cour. La défenderesse affirme, en effet, que
la Cour n’a pas compétence pour donner force exécutoire au jugement de la cour
de district et, en outre, qu’il existe une véritable question litigieuse
concernant la question de savoir si la cour de district avait compétence pour
rendre le jugement initial. La question de savoir si la Cour fédérale a
compétence pour accorder la réparation demandée en l’espèce a été soulevée plus
tôt dans le cadre d’une requête préliminaire qui a été entendue par mon
collègue le juge Phelan. Il a rejeté la requête et les motifs de ce rejet ont
été publiés (2005 CF 214). Voici les principaux
passages de sa décision :
14 Dans
la présente demande, la défenderesse demande la radiation de la totalité de la
déclaration au motif que l’une des réparations demandées ne relevait pas de la
compétence de la Cour. Il ne s’agit pas d’une demande de radiation de certains
paragraphes dans un acte de procédure.
15 La
défenderesse renvoie la Cour à la décision rendue par le juge Dubé dans Eurobulk
Ltd. c. Wood Preservation Industries, [1980] 2 C.F. 245. Cette
décision doit toutefois être appliquée avec prudence. Elle a été rendue avant
l’apparition de l’article 326 actuel. Elle a également été rendue avant
que ne soit rendu l’arrêt de la Cour suprême du Canada Antares Shipping
Corp. c. Capricorn (Le), [1980] 1 R.C.S. 553, dans lequel la Cour a
rejeté l’approche américaine au droit maritime et a adopté une interprétation
plus large de la compétence de la Cour fédérale en droit maritime en vertu de
l’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale. Je ne crois pas que cette
question de compétence soit axée sur l’arrêt City of Mecca de 1879 ou
sur l’arrêt Weir de 1608.
16 La Cour
fédérale a compétence dans le cas d’« une demande fondée sur un contrat de
construction, de réparation ou d’équipement d’un navire » (Loi sur la
Cour fédérale, alinéa 22(2)n)). La demanderesse a plaidé qu’il y
avait suffisamment de faits pour que l’on puisse contester la compétence de la
Cour. À cette fin, la question n’est pas de savoir si la cour de district des
États-Unis exerçait une compétence maritime mais de savoir si la présente
demande en vertu du droit canadien relève du droit maritime canadien. J’estime
que, compte tenu de la disposition de la Loi sur la Cour fédérale ainsi
que des faits plaidés, du moins peut‑on le prétendre, elle relève du
droit maritime canadien.
[6]
Il faut
souligner que le juge Phelan s’est contenté de conclure, comme il devait le
faire en étant saisi d’une requête en radiation, qu’on peut
« prétendre » que la question relève de la compétence de la Cour. Le
dossier n’a toutefois pas progressé depuis lors et aucun des arguments avancés
dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire ne porte à remettre
en question cette conclusion préliminaire ou n’indique que le problème de la
compétence constitue en l’espèce une véritable question litigieuse. Sa
conclusion que la question soulevée en l’espèce relève bien du droit maritime
canadien et que les remarques incidentes du juge Dubé dans une affaire
précédente doivent dorénavant être appliquées avec prudence compte tenu de la
jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada me paraît inattaquable.
J’ajouterais, à la jurisprudence qu’il a lui‑même citée, les arrêts
suivants : ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752; Whitbread c. Walley,
[1990] 3 R.C.S. 1273; Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991]
1 R.C.S. 779; et Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S.
437.
[7] S’il est clair que la cour de district des États‑Unis s’est saisie de l’affaire uniquement en vertu de la règle dite de la « diversité » et que les contrats de construction navale ne relèvent pas du droit maritime des États-Unis, c’est à la Cour fédérale qu’il appartient, à mon avis, de définir l’objet de la présente affaire au Canada et j’estime que la question relève effectivement du droit maritime canadien. Cela étant, l’affaire relève à l’évidence de la compétence de la Cour.
[8] Cela nous amène à la question beaucoup plus épineuse de la compétence de la cour de district des États-Unis pour rendre le jugement dont on sollicite maintenant l’exécution. C’est au demandeur qu’il incombe d’établir que la compétence de la cour américaine ne soulève pas de question litigieuse. Dans l’arrêt Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416, la Cour suprême du Canada a eu récemment l’occasion d’examiner le droit canadien concernant l’exécution de jugements étrangers, dont elle a, à cette occasion, largement modifié les règles. Dans cet arrêt, les défendeurs avaient été poursuivis en Floride relativement à une opération immobilière conclue dans ce même État et ont fait l’objet d’un jugement par défaut. La Cour suprême a adopté le critère du « lien réel et substantiel », qui ne s’appliquait auparavant qu’à l’exécution des jugements d’une autre province. S’exprimant au nom de la majorité de la Cour, le juge Major a dit :
31 Les
appelants ont soutenu que la reconnaissance des jugements de tribunaux
étrangers ayant un lien réel et substantiel avec l’action ou les parties est
particulièrement inquiétante lorsque ces jugements ont été rendus par défaut.
Ils font valoir que, pour que le critère du « lien réel et
substantiel » puisse s’appliquer à la reconnaissance et à l’exécution des
jugements par défaut rendus par un tribunal étranger, il est nécessaire de le
modifier. En l’absence d’injustice ou d’autres raisons aussi sérieuses non
décrites en l’espèce, rien ne justifie logiquement d’établir une distinction
entre un jugement rendu à l’issue d’un procès et un jugement par défaut.
32 Le
critère du « lien réel et substantiel » requiert l’existence d’un
lien important entre la cause d’action et le tribunal étranger. En outre, il
est raisonnable d’assujettir au droit d’un ressort étranger le défendeur qui a
été un acteur ou qui a participé à quelque chose d’important dans ce ressort.
Un lien éphémère ou relativement peu important ne suffit pas pour qu’un
tribunal étranger soit compétent. Le lien avec le ressort étranger doit être
substantiel.
33 En
l’espèce, les appelants ont acheté un terrain en Floride, ce qui représente un
engagement important à respecter l’ordre juridique du ressort étranger.
Lorsqu’une partie prend des mesures aussi concrètes et importantes qui
l’assujettissent à la compétence d’un tribunal étranger, la crainte d’injustice
liée à l’obligation de se défendre est moindre. Il n’est pas déraisonnable de
s’attendre à ce que le Canadien qui conclut un contrat d’achat de terrain dans
un autre pays produise une défense s’il y fait l’objet de poursuites
relativement à cette opération.
34 Le
critère du « lien réel et substantiel » est respecté en ce qui
concerne tous les appelants. Il existe un lien tant réel que substantiel entre
le ressort de la Floride, l’objet de l’action et les défendeurs. Comme
l’affirment J.-G. Castel et J. Walker dans Canadian Conflict of Laws
(5e éd. (feuilles mobiles)), p. 14-10 :
[traduction] Pour qu’un jugement étranger in personam soit reconnu et exécuté au Canada, il faut que le tribunal étranger ait eu compétence selon les règles de droit international privé canadiennes.
Selon les règles de droit international privé canadiennes, Dominic Thivy a
acquiescé à la compétence du tribunal de la Floride lorsqu’il a produit une
défense à la deuxième action. Ses manquements subséquents à la procédure prescrite
par la loi de la Floride n’invalident pas cet acquiescement. Par conséquent,
aux fins d’exécution du jugement en Ontario, le tribunal de la Floride aurait
eu compétence à l’égard de M. Thivy indépendamment de l’analyse du lien
réel et substantiel.
35 Un
défendeur canadien poursuivi dans un ressort étranger est en mesure de remédier
à toute injustice réelle ou apparente qui découle des procédures à l’étranger
et de l’exécution subséquente du jugement au Canada. Les moyens de défense
disponibles en Ontario sont fondés sur la justice naturelle, l’ordre public et
la fraude. De plus, les défendeurs poursuivis à l’étranger peuvent plaider le forum
non conveniens. D’ordinaire, ce principe peut être invoqué par la partie
qui allègue que les procédures n’ont pas été engagées devant le tribunal
approprié eu égard aux frais ou pour des raisons de commodité ou autres.
36
En l’espèce, les appelants ont conclu une opération immobilière en Floride
quand ils ont acheté et vendu le terrain. Compte tenu de cette démarche
concrète qui a eu pour effet de les assujettir à la loi de la Floride, il était
raisonnable de s’attendre à ce que les appelants contestent l’action que les
intimés ont intentée contre eux en Floride. Les appelants n’ont pas contesté
l’action de la manière prescrite par les règles de la Floride. Ils avaient
néanmoins dix jours pour porter en appel le jugement par défaut rendu en
Floride, mais ils ne l’ont pas fait. Ils ne se sont pas prévalus non plus du
délai supplémentaire d’un an dont ils disposaient pour faire annuler le
jugement relatif aux dommages-intérêts. Bien qu’il soit dû au fait qu’ils ont
suivi les conseils erronés de leur avocat, le défaut des appelants de chercher
à faire annuler ou de porter en appel le jugement obtenu en Floride par les
intimés ne saurait faire obstacle à l’exécution de ce jugement.
37
Pour qu’un tribunal national exécute un jugement rendu dans un ressort
étranger, certaines conditions doivent être remplies. Le tribunal saisi de la
demande d’exécution, en l’occurrence le tribunal ontarien, doit déterminer si
le tribunal étranger avait un lien réel et substantiel avec l’action ou les
parties, à tout le moins dans la mesure fixée dans l’arrêt Morguard,
précité. L’existence d’un lien réel et substantiel est le facteur déterminant
en matière de compétence. La présence d’un plus grand nombre d’indices de
compétence traditionnels (acquiescement, engagement à se soumettre à une
compétence particulière, lieu de résidence et présence dans le ressort
étranger) contribue à renforcer le lien réel et substantiel avec l’action ou
les parties. Bien que ce lien soit un facteur important, les parties à une
action peuvent toujours choisir ou accepter le ressort dans lequel sera tranché
leur différend, en acquiesçant ou en s’engageant à se soumettre à la compétence
d’un tribunal étranger.
38 Si un tribunal étranger n’a pas exercé correctement sa
compétence, le jugement qu’il a rendu ne sera pas exécuté. En l’espèce, les
parties au litige ont concédé à juste titre que le tribunal de la Floride avait
un lien réel et substantiel avec l’action et avec elles.
[9]
L’avocat
du demandeur ne soutient pas énergiquement qu’il existe un lien réel et
substantiel entre la présente affaire et l’État d’Hawaï, et il n’y a aucun
doute dans mon esprit que le droit contractuel qui doit régir la relation entre
les parties est le droit du Nouveau-Brunswick. Que le contrat, auquel les
parties ont abouti par un échange de télécopies, ait été conclu dans cette
province n’a que peu d’importance étant donné que les négociations
préliminaires, l’exécution des travaux, la livraison du produit fini et le
paiement ont tous eu lieu à l’établissement de la défenderesse, à Escuminac
(Nouveau-Brunswick). Le principal lien entre la défenderesse et Hawaï est
qu’elle aurait publié une publicité dans une revue distribuée sur l’ensemble du
territoire des États-Unis, y compris à Hawaï. Selon moi, et pour reprendre
l’expression du juge Major dans l’arrêt Beals, il s’agit
là d’un « lien
éphémère ou relativement peu important ». Même la cour de district des
États-Unis, en affirmant sa compétence et en appliquant la loi extra‑étatique
pertinente, s’est contentée de dire :
[traduction] Même si Guimond n’avait aucunement l’intention de solliciter des
contrats à Hawaï, lorsqu’elle a publié cette publicité dans une revue à
diffusion nationale, Kona Concept a vu
cette publicité, a communiqué avec Guimond, a négocié
avec celle-ci et a passé un contrat en vue de la conception et de la
construction d’un bateau de pêche commerciale destiné à la pêche dans les eaux
d’Hawaï. Les contacts que Guimond a eus avec Hawaï allaient bien au delà du
contrat conclu avec Kona Concept. En effet, Guimond a
envoyé à Kona Concept des documents publicitaires et a communiqué
par téléphone avec Kona afin de la convaincre de
lui commander un bateau. Cette sollicitation, les négociations qui se sont
déroulées par télécopieur et par téléphone et l’envoi de projets de contrat par
Guimond à Kona Concept à Hawaï suffisent [...]
[10] Que le contrat soit régi par le droit du Nouveau-Brunswick ne change rien au fait que c’est le droit maritime canadien qui s’applique en l’espèce, ce droit étant obligatoirement un des composants du droit du Nouveau-Brunswick et, comme nous l’avons noté, le fondement de la compétence de la Cour.
[11]
Le
demandeur prétend que les tribunaux américains ont compétence et fait valoir
que la défenderesse a acquiescé à la compétence de la cour de district en
comparaissant à l’action intentée à Hawaï, en ne faisant pas appel de
l’ordonnance de la cour de district rejetant les objections à sa compétence,
puis en produisant une défense au fond (appelée « Answer » en
vertu des règles fédérales américaines applicables). J’ai des doutes sérieux au
sujet de la justesse de cet argument.
[12]
La
question de savoir si une partie a effectivement acquiescé à la compétence d’un
tribunal étranger dépend à la fois des faits (que s’est-il effectivement passé
dans le ressort étranger?), des règles du droit étranger applicable (quels
étaient les recours offerts à la partie pour contester la compétence du
tribunal et les a‑t‑elle exercés?) et des règles du droit maritime
canadien concernant l’acquiescement. Il ressort de la preuve dont j’ai été
saisi que la défenderesse a effectivement présenté à la cour de district une
requête déclinatoire qui avait été rejetée. La défenderesse a ensuite déposé
une défense au fond, mais a cessé peu après de participer à l’action, et le
jugement dont on demande maintenant l’exécution a été rendu par défaut, ce qui
veut vraisemblablement dire qu’il n’a pas été tenu compte de la défense. La
preuve relative au droit américain applicable n’est pas claire. Il semble que
le dépôt d’une défense n’entraîne pas le désistement de la contestation de la
compétence par voie de requête et que même s’il s’avérait que le dépôt d’une
défense comporte acceptation de la compétence du tribunal, on ne sait pas très
bien quel a été l’effet du retrait subséquent de l’avocat. Les éléments
produits dans le cadre de la requête ne permettent pas non plus de savoir si la
réserve générale concernant ses moyens de défense que la défenderesse a
formulée au dernier paragraphe (no 51) de sa défense au fond (« Answer »
en droit américain) avait pour effet de maintenir sa contestation de la
compétence du tribunal.
[13]
Selon moi,
le droit canadien régissant l’acquiescement est en pleine évolution. L’ancienne
règle voulant que toute comparution devant un tribunal étranger, même si cette
comparution a expressément pour but de contester la compétence du tribunal, a
suscité des critiques et a été, dans de nombreux ressorts, largement modifiée
par le législateur. Elle a en outre été mise en doute par la Cour d’appel du
Nouveau-Brunswick dans une décision confirmée dans de courts motifs oraux par
la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dovenmuehle Inc. c. Rocca Group Ltd.,
[1981] N.B.J. no 102; 34 N.B.R.(2d) 444; conf. par [1982]
2 R.C.S. 534.
[14] Mais ce qui importe plus encore, c’est la récente adoption du critère du « lien réel et substantiel » dont il est fait état plus haut. Il est trop tôt pour dire les effets que l’application de ce critère aura sur les règles concernant l’acquiescement en droit maritime canadien. Si le seul lien existant entre la partie défenderesse et le tribunal étranger est un acquiescement allégué, il conviendrait de se montrer plus souple dans l’application de cette règle. Pour citer à nouveau le juge Major, les « indices de compétence traditionnels » et plus particulièrement l’acquiescement ne font que « renforcer » le lien réel et substantiel. Je considère au vu des éléments de preuve dont je dispose actuellement que les conditions de ce critère ne sont pas réunies en l’espèce. Il est clair que si c’est effectivement le cas, il n’y a aucun lien à renforcer et le tribunal étranger n’a donc pas compétence.
[15] Pour ce qui est de ce volet de la requête, la défenderesse se fonde intégralement sur l’arrêt Rocca ainsi que sur les dispositions de la Loi sur les jugements étrangers du Nouveau‑Brunswick, L.R.N.‑B. 1973, ch. F-19, et elle affirme ne pas s’être soumise à la compétence de la cour de district sans la contester. J’admets, cependant, l’argument du demandeur lorsqu’il soutient que cette loi, qui est une loi provinciale, ne peut pas être appliquée à une question de droit maritime canadien, même en l’absence de règles de droit fédérales (voir Ordon, précité). Mais j’hésite à admettre l’argument voulant qu’il faudrait en outre interpréter restrictivement l’arrêt Rocca et considérer qu’il reposait uniquement sur l’interprétation du libellé de la loi qui utilise, plutôt que le mot traditionnel « acquiescement », les mots « a reconnu […] sans contester ». Prises dans leur contexte, ces expressions me semblent avoir la même signification et, compte tenu en particulier de l’arrêt Beals c. Saldanha, précité, l’arrêt Rocca corrobore la proposition selon laquelle la comparution devant un tribunal étranger dans l’unique but de contester sa compétence ne constitue pas un acquiescement à la compétence de ce tribunal. Cela ne règle pas bien sûr la question de savoir si la « défense au fond » déposée par la défenderesse contestait effectivement la compétence du tribunal américain et, même si elle ne le faisait pas, la question de savoir si elle a été ou pouvait être par la suite retirée.
[16] La présente affaire ne se prête pas d’après moi à un jugement sommaire. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. Sur certaines questions de fait, la preuve par affidavits n’est pas satisfaisante. Il y a également des questions de droit complexes qu’on ne saurait correctement trancher sans avoir une idée précise des faits concernant la compétence qui sont à la base de la présente affaire. Je me propose donc de rejeter la requête mais, compte tenu des circonstances, sans adjudication des dépens.
[17] Dans son argumentation écrite, la défenderesse indique qu’elle souhaite une ordonnance de cautionnement pour les dépens. Sans doute y a‑t‑elle droit, mais sa demande est improprement introduite dans le cadre d’une réponse à une requête en jugement sommaire. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un cautionnement satisfaisant, la défenderesse devrait présenter une requête à cette fin (de préférence en vertu de l’article 369 des Règles).
ORDONNANCE
La requête en jugement
sommaire est rejetée sans dépens.
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1694-04
INTITULÉ : ROBERT MORGAN, s/n KONA CONCEPT INC.
c.
GUIMOND BOATS LIMITED
LIEU DE L’AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 26 MARS 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE HUGESSEN
DATE DES MOTIFS : LE 22 MARS 2006
COMPARUTIONS :
John G. O’Connor
|
POUR LE DEMANDEUR |
Richard J. Scott, c.r.
|
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Langlois Gaudreau O’Connor Québec (Québec)
|
POUR LE DEMANDEUR |
Allen Dixon Smith Avocats Fredericton (Nouveau-Brunswick)
|
POUR LA DÉFENDERESSE |