Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2021
En présence de madame la juge Fuhrer
demanderesse
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et
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défenderesse
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I.
Survol
[1] Tokai of Canada Ltd [Tokai] a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce KING en liaison avec des briquets pour barbecues et foyers, et des allume‑cigarettes. The Kingsford Products Company, LLC s’est opposée aux demandes d’enregistrement produites par Tokai en invoquant plusieurs marques de commerce déposées comportant le mot KINGSFORD en liaison avec des produits pour le barbecue ou le charbon de bois, y compris les allume‑barbecues, et elle a obtenu gain de cause. Tokai interjette aujourd’hui appel des décisions par lesquelles le registraire a repoussé ses demandes d’enregistrement pour les marques de commerce en raison de l’existence d’une probabilité de confusion entre les marques.
[2] Le présent appel soulève deux questions en litige :
B. Le registraire a‑t‑il eu tort de conclure, sur le fondement de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la LMC], que la marque de commerce KING n’était pas enregistrable parce que Tokai n’a pas établi l’absence d’une probabilité raisonnable de confusion entre la marque de commerce KING, visée par la demande d’enregistrement, et la marque de commerce déposée KINGSFORD?
[3] Voir à l’« annexe A » plus loin les dispositions pertinentes de la LMC.
[4] Tokai a admis lors de l’audience tenue devant moi que si tant est que la Cour estime que sa preuve n’est pas « pertinente »
, le registraire des marques de commerce n’a commis aucune erreur manifeste et dominante. Pour les raisons plus détaillées qui suivent, je conclus que la preuve additionnelle présentée à la Cour par les deux parties est soit inadmissible soit dépourvue de pertinence. Malgré l’admission de Tokai, je conclus en outre, après examen des décisions applicables examinées plus loin, que le registraire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante. Par conséquent, je rejette les appels interjetés par Tokai.
II.
Les faits
A.
Les demandes, les oppositions et les autres procédures connexes
[5] Tokai a produit la demande no 1539953 [la demande 953] le 9 août 2011 pour l’enregistrement de la marque de commerce KING en liaison avec des briquets utilitaires, fondé sur l’emploi de la marque de commerce au Canada depuis au moins le 30 décembre 2010. Tokai a modifié la demande 953 le 7 février 2013 de manière à ce que la description des produits (initialement : des « briquets utilitaires »
) soit des « briquets pour barbecues et foyers »
. Le registraire a approuvé la demande 953 le 14 février 2013, laquelle a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 24 avril 2013.
[6] Kingsford s’est opposée à la demande 953 le [24 septembre 2013] et ses motifs d’opposition étaient fondés sur les alinéas 12(1)d), 16(1)a), 16(1)c), l’article 2, ainsi que les alinéas 30i) et 30b) de la LMC. Kingsford a produit l’affidavit d’Elenita Anastacio, souscrit le 18 mars 2014; Mme Anastacio n’a pas été contre‑interrogée sur son affidavit. Tokai a produit l’affidavit de John Tucker, souscrit le 11 juin 2015, lequel est un dirigeant de Tokai [l’affidavit de M. Tucker]; M. Tucker a été contre‑interrogé sur son affidavit le 18 janvier 2016 et la transcription de ce contre‑interrogatoire a été déposée auprès de la Commission des oppositions des marques de commerce [la COMC]. Au nom du registraire des marques de commerce, la COMC a donné gain de cause à Kingsford, mais uniquement en ce qui concerne le motif d’enregistrabilité fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la LMC; tous les autres motifs d’opposition ont été rejetés (The Kingsford Products Company, LLC c Tokai of Canada Ltd, 2018 COMC 126 [la décision de la COMC concernant la demande 953]).
[7] Tokai a produit la demande no 1684990 [la demande 990] le 7 juillet 2014 pour l’enregistrement de la marque de commerce KING en liaison avec des allume‑cigarettes, fondé sur l’emploi projeté de la marque de commerce au Canada. Le registraire a approuvé la demande 990 le 8 janvier 2015, laquelle a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 4 mars 2015.
[8] Kingsford s’est opposée à la demande 990 le 3 février 2016 et ses motifs d’opposition étaient fondés sur les alinéas 12(1)d), 16(3)a), 16(3)c), l’article 2, et l’alinéa 30i) de la LMC. Dans cette affaire, seule Kingsford a produit une preuve, soit l’affidavit d’Elenita Anastacio, souscrit le 14 septembre 2016; Mme Anastacio n’a pas été contre‑interrogée sur son affidavit. Dans cette affaire également, la COMC a donné gain de cause à Kingsford, mais uniquement en ce qui concerne le motif d’enregistrabilité fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la LMC; tous les autres motifs ont été rejetés (The Kingsford Products Company, LLC c Tokai of Canada Ltd, 2018 COMC 127 [la décision de la COMC concernant la demande 990]).
Produits
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Emploi au Canada depuis au moins le 1er juin 1953
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(1) Charbon de bois et allume‑barbecues
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Emploi au Canada depuis au moins le 1er juin 1953
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(1) sauce barbecue
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Emploi aux ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE. La marque a été enregistrée aux (ou pour les) ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE le 6 janvier 1987 sous le numéro 1424150
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Emploi aux ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE. La marque a été enregistrée aux (ou pour les) ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE le 19 mars 1985 sous le numéro 1325270
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(1) Barbecues
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Emploi aux ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE. La marque a été enregistrée aux (ou pour les) ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE le 11 avril 1989 sous le numéro 1534164
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[10] Bien que Tokai ait déposé des avis de demande distincts sur le fondement du paragraphe 56(1) de la LMC pour interjeter appel de chaque décision de la COMC, la Cour a ordonné la réunion des affaires le 25 novembre 2019. Tokai demande à la Cour d’annuler les décisions de la COMC et de faire droit à ses demandes d’enregistrement.
[11] Les parties aux présents appels réunis ont également participé à une procédure d’opposition antérieure intentée relativement à la marque de commerce KING visée par la demande d’enregistrement numéro 1655739 produite par Tokai, qui en revendiquait l’emploi en liaison avec du « butane »
(The Kingsford Products Company, LLC c Tokai of Canada Ltd., 2017 COMC 83 [la décision de la COMC concernant la demande 739]). Dans cette affaire, la COMC a repoussé la demande d’enregistrement sur le fondement de l’alinéa 12(1)d) de la LMC, après avoir conclu à l’existence d’une probabilité de confusion entre la marque de commerce KING visée par la demande d’enregistrement et les marques de commerce déposées KINGSFORD. Dans sa décision Tokai of Canada Ltd c The Kingsford Products Company, LLC, 2018 CF 951 [Tokai CF 2018], la Cour a confirmé en appel la décision de la COMC concernant la demande 739.
B.
La preuve additionnelle produite par les parties en appel
(1)
La preuve additionnelle de Tokai
[13] Tokai a produit les éléments suivants :
a. la pièce
« A »
– un certificat concernant le code de déontologie régissant les témoins experts;b. la pièce
« B »
– un curriculum vitae;c. la pièce
« C »
– un rapport détaillé des résultats du sondage;
b)
des enregistrements, obtenus par des tiers, pour des marques de commerce comprenant le mot KING.
[14] Kingsford a contre‑interrogé M. Purther sur son affidavit le 10 septembre 2019. La transcription du contre‑interrogatoire fait partie du dossier de la demanderesse dans la présente affaire.
a)
L’affidavit de M. Purther
[15] Monsieur Purther est le président et le directeur de l’exploitation de CorbinPartners Inc [CorbinPartners], une société de sciences du marketing qui réalise des études de marché et qui a l’expérience de la recherche judiciaire pour les litiges relatifs aux marques de commerce. Tokai a retenu les services de CorbinPartners pour la planification, la conception et la réalisation d’un sondage auprès d’adultes canadiens qui ont acheté un briquet au butane ou qui envisagent de le faire.
[16] Le sondage a été réalisé en ligne entre le 29 mai 2018 et le 5 janvier 2019, au moyen de sept cent sept (707) entrevues menées avec des participants. Les conclusions et la méthodologie du sondage sont contenues dans un rapport en date du 17 janvier 2019 rédigé par CorbinPartners [l’étude sur les briquets au butane], lequel constitue la pièce « C »
jointe à l’affidavit de M. Purther. Les auteurs de l’étude sur les briquets au butane ont conclu que le sondage ne montrait [traduction] « aucune preuve statistique d’une méprise quant à l’origine du briquet au butane "KING", directement attribuée à sa marque
»
.
b)
Les enregistrements de marques de commerce de tiers
[17] Tokai a également produit des copies certifiées de dix (10) enregistrements pour des marques de commerce de tiers et d’une (1) demande d’enregistrement approuvée pour une marque de commerce d’un tiers [les marques des tiers]. Le tableau ci‑dessous constitue la liste des marques de tiers qui renvoient uniquement à des briquets ou à des produits connexes figurant dans la colonne « Produits »
.
Marque de commerce et numéro d’enregistrement
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Produits
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Base de l’enregistrement au Canada
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Divers produits de consommation, dont (6) briquets pour cigarettes
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Emploi depuis au moins mai 1984 en liaison avec les (6) produits
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Divers produits de consommation, dont les briquets jetables
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Emploi depuis au moins septembre 1947 en liaison avec les produits et services
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Divers produits liés au tabagisme, y compris les produits du tabac, et articles pour fumeurs, y compris les briquets.
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Emploi en ALLEMAGNE. La date de priorité revendiquée est le 2 septembre 2004
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Divers produits de consommation, dont (2) briquets
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Divers produits de consommation, dont (2) briquets
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Déclaration d’emploi produite en octobre 2010
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Divers produits relatifs aux cigarettes électroniques et articles vestimentaires
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Emploi depuis au moins mai 2014 en liaison avec les produits et services
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Divers produits de consommation, dont (6) briquets pour cigarettes
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Emploi depuis au moins mai 1986 en liaison avec les (6) produits
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Divers produits de consommation, dont des briquets
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(3) Articles pour fumeurs, y compris des briquets
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(2)
La preuve additionnelle de Kingsford
la pièce « B » – Les décisions de la COMC concernant la demande 953 et la demande 990;
la pièce « C » – Le jugement Tokai CF 2018 rendu par le juge Manson ainsi que les motifs de décision
la pièce « E » – La transcription du contre‑interrogatoire de M. Tucker tenu le 18 janvier 2016;
Marque de commerce et numéro d’enregistrement
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(1) Charbon de bois et allume‑barbecues
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Emploi au Canada depuis au moins le 1er juin 1953
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(1) Charbon de bois et allume‑barbecues
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Emploi au Canada depuis au moins le 1er juin 1953
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Emploi aux ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE. La marque a été enregistrée aux (et pour les) ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE le 19 mars 1985 sous le no 1325270.
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(1) Sauce barbecue
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Emploi aux ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE. La marque a été enregistrée aux (et pour les) ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE le 6 janvier 1987 sous le no 1424150.
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(1) Barbecues
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Emploi aux ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE. La marque a été enregistrée aux (et pour les) ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE le 11 avril 1989 sous le no 1534164
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(1) Briquettes de charbon
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LMC991526 |
(2) Contenants en papier d’aluminium pour usage domestique
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Emploi aux ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE pour les produits visés au point (2). La marque a été enregistrée aux (ou pour les) ÉTATS‑UNIS D’AMÉRIQUE le 1er septembre 2015 sous le no°4804820 en liaison avec les produits visés au point (2).
Déclaration d’emploi produite le 15 février 2018 en liaison avec les produits
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III.
Analyse
C.
La norme de contrôle applicable
(1)
Les principes généraux
[19] Lorsque le législateur prévoit un droit d’appel, comme dans l’affaire dont je suis saisie, la Cour doit recourir aux normes de contrôle applicables en appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 36‑37 [Vavilov], citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 [Housen]). L’arrêt Vavilov n’écarte pas la jurisprudence antérieure concernant la preuve additionnelle déposée auprès de la Cour fédérale dans le cadre d’un appel d’une décision du registraire, mais une adaptation est toutefois nécessaire (The Clorox Company of Canada, Ltd. c Chloretec SEC, 2020 CAF 76 aux para 19‑23). Le point de départ est l’examen de la question de savoir si la preuve additionnelle aurait eu un effet sur la décision de la COMC (Clorox, précité, au para 19).
[20] Pour être considérée comme « pertinente »
, la preuve additionnelle doit être suffisamment importante et de valeur probante (Clorox, précité, au para 21, citant respectivement les décisions Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707 au para 27, et Tradition Fine Foods Ltd c Groupe Tradition’L Inc., 2006 CF 858 au para 58). « [La] preuve qui [n’est qu’une simple répétition ou un complément de] la preuve existante ne dépassera pas le seuil requis »
(Papiers Scott Paper Limitée c Georgia‑Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478 aux para 48‑49 [Papiers Scott]). Il n’est pas nécessaire de savoir si la preuve additionnelle aurait conduit le registraire à changer d’avis, il suffit qu’elle ait pu avoir un effet sur sa décision (Papiers Scott, précitée, au para 49). À cet égard, le critère en est un de qualité et non de quantité (Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707 au para 27).
[21] Conformément au paragraphe 56(5) de la LMC, une conclusion selon laquelle la preuve est jugée pertinente permet à la Cour d’« exercer toute discrétion dont le registraire est investi »
. Le juge de Montigny a souligné qu’il s’agit d’un appel de novo qui commande l’application de la norme de contrôle de la décision correcte (Clorox, précité, au para 21, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (et les cas où la présomption d’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable peut être réfutée, lesquels qui sont résumés au paragraphe 17 de l’arrêt Vavilov)). En d’autres termes, la Cour n’est pas tenue d’acquiescer au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle souscrit aux conclusions du décideur ou si elle y substitue sa propre conclusion (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 50, [2008] 1 RCS 190).
[22] C’est lorsque la preuve additionnelle n’est pas pertinente (ou lorsqu’aucune nouvelle preuve n’est produite) que l’arrêt Vavilov exige d’adapter la norme applicable (Clorox, précité, au para 22). Au lieu d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable comme auparavant, la Cour applique la norme de contrôle en appel, conformément à l’arrêt Housen. Cela signifie que les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit (à l’exception des questions de droit isolables) seront examinées selon la norme de contrôle de l’« erreur manifeste et dominante »
. Par erreur « manifeste »
, on entend une erreur évidente, alors que l’erreur « dominante »
est celle qui a une incidence sur la conclusion du décideur; il s’agit d’un norme de contrôle qui commande une grande déférence (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 aux para 61‑64). En revanche, la norme de la décision correcte sera appliquée aux questions de droit (y compris les questions de droit isolables) sans qu’aucune retenue ne soit accordée aux conclusions du décideur de l’instance inférieure (Clorox, précité, au para 23; Miller Thomson LLP c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 au para 42).
[23] En résumé, je dois évaluer la nature, l’importance, la valeur probante et la fiabilité de la preuve additionnelle produite par les parties, dans le contexte du dossier, et décider si elle ajoute des « éléments importants »
et, par conséquent, si ces éléments auraient eu un effet sur la décision de la COMC (Seara Alimentos Ltda c Amira Enterprises Inc., 2019 CAF 63 aux para 23‑26 [Seara]). En d’autres termes, les éléments de preuve auraient‑ils accru la force probante du dossier de preuve ou lui auraient apporté un éclairage quelconque, de manière à avoir un effet sur les conclusions de fait tirées par le registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si les parties avaient pu en disposer à la date de la décision? En outre, même lorsque de nouveaux éléments de preuve sont admis lors d’un appel, l’admission de nouveaux éléments n’aboutit pas automatiquement à la répudiation des conclusions de la COMC sur chaque question en litige, mais seulement sur les questions en litige qui sont visées par la preuve additionnelle présentée et admise (Seara, précité, au para 22).
(2)
La pertinence de la preuve additionnelle des parties
a)
La preuve additionnelle de Tokai
[24] Pour les raisons que j’expose de façon détaillée ci‑dessous, je conclus que les lacunes du sondage ont une incidence sur sa fiabilité et sa validité et qu’en conséquence, l’affidavit de M. Purther n’est pas admissible. Je conclus en outre que les marques de tiers n’ont pas une importance et une valeur probante suffisantes pour avoir un effet sur les décisions de la COMC.
(i)
L’affidavit de M. Purther
[25] La preuve par sondage – à savoir, une sorte de preuve d’expert – doit répondre aux critères conjonctifs suivants pour que la Cour la déclare admissible : a) la pertinence, b) la nécessité d’aider le juge des faits (dans le sens où les éléments de preuve dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury), c) l’absence de toute règle d’exclusion, et d) la qualification suffisante de l’expert (Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 au para 75 [Masterpiece], citant R c Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 RCS 9). En outre, pour être considéré comme pertinent, le sondage doit être à la fois fiable (dans le sens où, s’il était repris, on obtiendrait vraisemblablement les mêmes résultats) et valide (à savoir qu’on a posé les bonnes questions au bon bassin de répondants, de la bonne façon et dans des circonstances qui permettent d’obtenir les renseignements recherchés) (Masterpiece, précité, au para 94, citant Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au para 45 [Mattel]).
[26] Je suis d’accord avec Tokai pour dire que les résultats du sondage auraient pu avoir un effet sur l’examen par le registraire de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce dans l’analyse de la confusion visée par le paragraphe 6(5) de la LMC. Le membre de la COMC a conclu, en ce qui concerne la demande 990 par exemple, que la probabilité de confusion entre les marques de commerce KING et KINGSFORD est égale à la possibilité qu’il n’y ait aucune confusion entre elles. Autrement dit, vu que Tokai ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’absence d’une probabilité de confusion, le membre de la COMC n’avait d’autre choix que de rendre une décision défavorable à Tokai (décision de la COMC concernant la demande 990, au para 52). Un sondage admissible aurait pu être un facteur important qui influe sur l’issue de l’affaire, si un tel sondage avait été soumis à l’examen de la COMC.
[27] Je suis cependant d’avis que le sondage réalisé par CorbinPartners présente des problèmes de fiabilité et de validité qui ont une incidence défavorable sur son admissibilité. J’ajoute que les compétences de M. Purther, la réputation de CorbinPartners ainsi que la façon impartiale et indépendante dont le sondage a été mené ne sont pas en cause. Aucune règle d’exclusion ne s’applique non plus.
[29] Monsieur Tucker explique de manière générale dans son affidavit que Tokai fabrique et vend en gros à des détaillants au Canada, mais il fournit des explications détaillées qui démontrent que Tokai [traduction] « distribue ses produits à Wal‑Mart Canada Corp, qui exploite la chaîne de grands magasins WALMART dans toutes les provinces canadiennes »
. Monsieur Tucker aurait pu être plus clair à cet égard, mais je déduis de cette explication que les briquets KING de Tokai (briquets utilitaires, notamment les briquets pour barbecues et foyers) sont distribués en gros à Wal‑Mart Canada, puis vendus au détail dans les magasins WALMART au Canada. Il ne dit nulle part que les briquets KING sont vendus en ligne. La transcription du réinterrogatoire de M. Tucker, dans la foulée de son contre‑interrogatoire, révèle que les briquets KING sont vendus uniquement dans les magasins WALMART au Canada.
[30] Lorsqu’on lui a demandé lors de son contre‑interrogatoire s’il connaissait le critère qui permet de savoir s’il y a confusion, M. Purther a répondu de façon générale qu’il était [traduction] « bien au courant des normes utilisées à des fins de recherche pour évaluer la confusion »
. Il a en outre expliqué que [traduction] « selon une définition, la personne ayant un souvenir imparfait de la marque plus ancienne croirait que deux parties distinctes sont exactement les mêmes; soit qu’elles sont affiliées, soit que l’une approvisionne l’autre et ainsi de suite
»
.
[31] L’explication de M. Purther au sujet du critère n’est pas erronée, mais elle est incomplète. Il lui manque l’élément crucial du « consommateur ordinaire plutôt pressé »
qui voit le nom sur la devanture d’un magasin ou sur une facture (Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au para 20 [Veuve Clicquot]). En d’autres termes, son explication est dépourvue de contexte.
[35] Le juge Rothstein a toutefois souscrit à l’observation du juge Binnie dans l’arrêt Mattel selon laquelle, « souvent la difficulté que soulève la preuve par sondage est de savoir si elle respecte la première des exigences énoncées dans Mohan, à savoir la pertinence » (Masterpiece, précité, au para 94). Comme l’a également fait remarquer le juge Rothstein, « [s]imuler l’existence d’un “vague souvenir” au moyen d’une série de questions de mise en contexte sera rarement considéré comme une méthode fiable et valide »
(Masterpiece, précité, au para 96). J’estime que c’est effectivement le cas en l’espèce.
[40] De plus, je constate que la pièce « A »
de l’affidavit de M. Tucker comprend des photographies représentatives des briquets KING de Tokai (et de leur emballage) tels qu’ils ont été vendus au Canada. Les mots [traduction] « briquet utilitaire »
figurent assez bien en vue sous le mot « King »
(dont la lettre « i »
stylisée montre une flamme à la place du point au‑dessus du « i »
) encore mieux en vue en haut de l’emballage. L’emballage comporte la mise en garde suivante : [traduction] « DANGER – Extrêmement inflammable. Contient du gaz inflammable sous pression »
, mais il ne semble y avoir aucune mention du mot [traduction] « butane »
. À mon avis, le consommateur ordinaire plutôt pressé voit, quand il est exposé aux produits de Tokai sur le marché, le mot « King »
et l’expression [traduction] « briquet utilitaire »
mais probablement guère plus, même si le mot [traduction] « butane »
figure quelque part sur l’emballage.
[42] Lorsqu’on lui a demandé en contre‑interrogatoire s’il y avait une limite de temps pour que les participants puissent pour répondre à une question particulière, M. Purther a répondu qu’il n’y en avait pas. Il a en outre précisé qu’ils [traduction] « surveillent ceux qui mettent trop de temps à répondre, après quelques jours »
et qu’ils pourraient supprimer de telles réponses aux questionnaires, mais que cette situation ne s’était pas produite en l’espèce. Il a également indiqué que, en revanche, [traduction] « si un questionnaire est rempli trop rapidement, si quelqu’un donne toujours les mêmes réponses [il a donné l’exemple de la réponse C tout au long des questions à choix multiples], ils chercheraient à supprimer cette entrevue également »
.
« […] L’entreprise spécialisée dans la recherche a une méthode qui lui permet de savoir combien de temps il a fallu, en moyenne, pour répondre. Et si cette méthode révèle que le temps de réponse est inférieur, ou sensiblement inférieur, à ce temps moyen, elle peut retirer l’entrevue avant même que nous ne l’ayons vue. Et gardez à l’esprit que cette entreprise n’a aucune idée de l’objectif du sondage. Elle mène simplement le sondage en se conformant à certaines règles. »
« Les questionnaires dont le temps de réponse dépassait le temps prévu »
[traduction]
[46] J’estime que ces questions et réponses constituent un exemple du problème que le juge Rothstein avait relevé dans l’arrêt Masterpiece (au para 87), soit celui que présente le participant à un sondage qui aurait pu être confus à la première impression, mais qui pourrait « dissiper la confusion dans [son] esprit »
en mettant beaucoup de soin à répondre aux questions ou en effectuant des recherches. En permettant aux participants de prendre des heures, au lieu de 10 ou même 20 ou 30 minutes, pour répondre à ce qui semble être un sondage simple et assez court, je pense que l’on s’éloigne de la première impression à laquelle on s’attendait. Rien dans la preuve n’indique combien de temps les quelque 707 participants ont mis pour remplir le questionnaire et, par conséquent, la Cour n’est pas en mesure d’examiner cette situation de manière plus approfondie.
[47] J’estime que le sondage comporte au moins deux lacunes contextuelles. Premièrement, j’estime que la façon retenue pour montrer aux participants au sondage la marque de commerce KING en ligne ne reflète pas comment ils la verraient sur le marché dans les circonstances pertinentes (c’est‑à‑dire sur l’emballage ou les produits eux‑mêmes, possiblement à côté d’autres produits similaires, comme dans les rayons d’un magasin). Par exemple, voici comment commence le questionnaire :
[traduction]
[48] Compte tenu de ce qui précède, il semble que les participants au sondage ont vu la marque de commerce KING pour la première fois de façon isolée par rapport au reste. J’estime que cette situation touche au volet de la validité, à savoir si les bonnes questions ont été posées « de la bonne façon et dans des circonstances qui permettent d’obtenir les renseignements recherchés, c’est‑à‑dire, pas seulement en montrant un logo sans aucun contexte, en le retirant ensuite immédiatement de la vue et en posant des questions […] »
[souligné dans l’original] (Imperial Tobacco Canada Limited c Philip Morris Brands SARL, 2018 CF 503 au para 59).
[51] Le sondage a été conçu, et les résultats analysés, en fonction de participants qui avaient déjà acheté un briquet KING ou de ceux qui n’en avaient pas acheté. Le sondage n’a pas pris en compte les participants qui, même s’ils n’avaient peut‑être pas acheté de briquet KING auparavant, connaissaient néanmoins les briquets KING pour les avoir vus sur le marché ou dans un autre contexte. En d’autres termes, on semble avoir tenu pour acquis, de manière injustifiée à mon avis, que les participants qui n’avaient pas acheté de briquet KING auparavant ne les connaissaient pas.
[52] Kingsford soulève une autre lacune qui concerne le fait que le sondage était limité aux briquets au butane, à l’essence pour briquets, aux allume‑barbecues, au charbon de bois et aux briquettes de charbon. En d’autres termes, le sondage et l’analyse subséquente n’ont pas tenu compte de l’ensemble des produits visés par la demande 953, la demande 990 et les enregistrements de la marque de commerce KINGSFORD, qui, selon Kingsford, sont tous pertinents pour l’analyse de la confusion. Lors de son contre‑interrogatoire, M. Purther a dit que le sondage visait moins de produits que ceux qui sont vendus par Kingsford ou qui sont visés par les enregistrements de celle‑ci, d’après l’enquête qui a été menée; ce sont les produits de base que CorbinPartners a trouvés. Or, j’estime que, exception faite du témoignage de M. Purther, peu d’éléments de preuve font état de l’enquête menée par CorbinPartners à cet égard. J’estime en outre que les produits – les barbecues par exemple – énumérés dans l'enregistrement au nom de KINGSFORD portant le numéro LMC386771 auraient pu être pertinents également, même s’ils n’auraient peut‑être pas eu un effet perceptible sur les résultats du sondage.
(ii)
Les marques de tiers
[55] Dans le présent appel, Tokai soutient que KING et KINGSFORD sont des marques de commerce intrinsèquement faibles, contrairement aux conclusions tirées dans les décisions de la COMC concernant la demande 953 (aux para 35‑38) et la demande 990 (aux para 31‑34), et à la décision Tokai CF 2018 de notre Cour (aux para 31‑32). À l’appui de son argument, Tokai s’appuie sur les onze (11) marques de tiers pour affirmer que leur coexistence signifie qu’aucune entité ne peut revendiquer des droits fermement établis sur l’élément KING. Par conséquent, cette interprétation signifie, selon Tokai, que les marques de commerce KINGSFORD sont faibles et que, par conséquent, des différences relativement légères permettront de les distinguer. En outre, étant donné que Kingsford n’a produit aucun élément établissant l’emploi de ses marques de commerce, Tokai soutient que l’emploi antérieur des marques de commerce KINGSFORD et la publicité qui en a été faite (à l’égard desquels aucun élément de preuve n’a été fourni) n’ont pas suffisamment renforcé leur caractère distinctif pour leur donner une protection plus étendue.
[56] Les marques de tiers constituent une preuve de l’état du registre en l’espèce. La preuve tirée de l’état du registre peut généralement être pertinente dans la mesure où elle permet au juge de tirer des inférences sur l’état du marché (McDowell c Laverana GmbH & Co KG, 2017 CF 327 au para 42 [McDowell]). Le juge des faits peut être enclin à tirer des inférences sur l’état du marché, mais uniquement dans le cas où un grand nombre d’enregistrements pertinents sont repérés. En principe, l’emploi d’un élément commun sur le marché confère aux marques de commerce qui le contiennent un faible caractère distinctif, et incite les consommateurs à porter une plus grande attention aux petites différences (c’est‑à‑dire aux autres caractéristiques) entre ces marques (McDowell, précitée, au para 42; Alticor Inc c Nutravite Pharmaceuticals Inc, 2004 CF 235 au para 59 [Alticor], citant Kellogg Salada Canada Inc c Maximum Nutrition Ltd [1992] 3 CF 442 [Kellogg]).
[57] Dans l’affaire Alticor, la preuve de l’état du registre faisait état de plus de 100 enregistrements pertinents de marques de commerce avec le préfixe NUTR, tandis que dans l’affaire Kellogg, il y avait plus de 50 enregistrements pertinents de marques de commerce et plus de 40 noms commerciaux contenant le mot NUTRI. Dans l’affaire McDowell, cependant, la preuve de l’état du registre ne concernait que sept propriétaires de dix marques de commerce déposées dans lesquelles le mot HONEY était un élément dominant. La Cour a conclu que cette preuve était insuffisante pour conclure que le mot HONEY était couramment employé dans ce genre de commerce (et qu’il n’avait donc aucun caractère distinctif), en l’absence d’une preuve établissant que des tiers l’employaient couramment dans le marché (McDowell, précitée, au para 44).
[58] Après avoir examiné les éléments de preuve produits par Tokai concernant l’état du registre, je constate qu’elle fait état de neuf propriétaires de 11 marques de commerce déposées ou visées par une demande d’enregistrement contenant KING ou KINGS en liaison avec des produits comprenant des briquets. Je conclus que cette preuve de l’état du registre concorde avec la preuve examinée par la Cour dans l’affaire McDowell. En d’autres termes, le nombre de marques de commerce ne me permet pas de tirer des conclusions sur l’état du marché, en particulier en l’absence de preuve établissant un emploi dans le marché (McDowell, précitée, au para 46, citant Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Co, 2012CF 1539 au para 40).
b)
La preuve additionnelle de Kingsford
[60] Devant la COMC, Kingsford a produit des détails de ses huit enregistrements KINGSFORD au moyen des affidavits de Mme Elenita Anastacio [les affidavits de Mme Anastacio]. Des relevés imprimés faisant état de tous les détails des enregistrements tirés de la base de données CD NameSearch sur les marques de commerce canadiennes étaient joints, en tant que pièce, à chacun des affidavits de Mme Anastacio. Le membre de la COMC a exercé le pouvoir discrétionnaire conféré au registraire et confirmé que les enregistrements de la marque de commerce KINGSFORD étaient en règle (décisions de la COMC concernant la demande 953, au para 29, et la demande 990, au para 25).
[61] Même si les copies certifiées de documents qui sont en la garde officielle du registraire bénéficient d’un avantage sur le plan de la preuve (c’est‑à‑dire qu’elles font foi des faits énoncés dans les documents), je ne suis pas convaincue que, dans les circonstances, elles auraient eu une importance ou une valeur probante au sens où elles auraient eu un effet sur la décision de la COMC. À mon avis, les conclusions de la COMC quant à la mesure dans laquelle les marques sont devenues connues et la période pendant laquelle elles ont été en usage, qui constituent des éléments d’appréciation dans l’analyse de la probabilité de confusion, ne tenaient pas tant à l’absence de copies certifiées. Les conclusions de la COMC concernant ces facteurs étaient plutôt principalement fondées sur le fait que Kingsford n’a pas établi qu’elle avait véritablement employé ses marques de commerce au Canada et, dans la décision de la COMC concernant la demande 953, sur le fait que plusieurs des enregistrements de ses marques de commerce KINGSFORD étaient fondés uniquement sur l’emploi et l’enregistrement aux États‑Unis d’Amérique.
[62] De plus, la COMC a expressément observé que « même si l’Opposante avait fourni des copies certifiées de ses enregistrements, et si j’avais accordé un poids au moins de minimis à la date d’emploi revendiquée [...], cela n’aurait pas d’incidence sur ma conclusion en ce qui concerne ce facteur »
(décision de la COMC concernant la demande 990, précitée, au para 41). Même si la COMC a moins explicité ce point dans le raisonnement qu’elle a tenu dans sa décision concernant la demande 953, j’estime, compte tenu des décisions dans leur ensemble, que le même raisonnement peut s’appliquer. À mon avis, il est évident que le membre de la COMC a examiné ces éléments de preuve et a conclu qu’ils n’auraient aucun effet sur ses conclusions.
D.
L’absence d’une erreur manifeste et dominante
[63] Vu ma conclusion selon laquelle la preuve additionnelle produite en appel est soit inadmissible soit dépourvue de pertinence, et vu qu’à mon avis aucune question de droit isolable n’est en cause, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de l’erreur manifeste et dominante. Il s’agit d’une « norme de contrôle appelant un degré plus élevé de retenue que la norme de la décision raisonnable »
(Clorox, précité, au para 38).
[66] Selon l’alinéa 12(1)d) de la LMC, la marque de commerce est enregistrable si elle ne crée pas de confusion avec une marque de commerce déposée. La date pertinente pour apprécier s’il y a confusion au regard de cette disposition est celle à laquelle le juge des faits rend sa décision. Vu ma conclusion selon laquelle la preuve additionnelle des parties est soit inadmissible soit dépourvue de pertinence, la date pertinente est la date des décisions de la COMC, soit le 31 octobre 2018. Cette date est bien avant le 17 juin 2019, date à laquelle des modifications importantes à la LMC sont entrées en vigueur. À mon avis, les modifications apportées à l’article 12 de la LMC ont peu d’incidence – voire aucune – sur l’analyse de l’alinéa 12(1)d) de la LMC.
[68] Compte tenu des arrêts Veuve Clicquot et Masterpiece de la Cour suprême et de l’arrêt Reynolds Presto Products Inc c PRS Mediterranean Ltd, 2013 CAF 119 au para 20 [Reynolds], de la Cour d’appel fédérale, j’estime qu’il convient d’énoncer comme suit le critère à appliquer pour apprécier la probabilité de confusion en l’espèce. Le consommateur ordinaire plutôt pressé qui voit un produit portant la marque de commerce KING de Tokai, alors qu’il s’agit de la première fois qu’il voit la marque de commerce KING sur le marché, qu’il n’a qu’un vague souvenir de l’une ou l’autre des marques de commerce de Kingsford et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, serait‑il à partir de sa première impression vraisemblablement susceptible de se méprendre sur l’origine des produits? En d’autres termes, le consommateur ordinaire croirait‑il que les produits associés aux marques KING et KINGSFORD, respectivement, ont été autorisés, fabriqués ou vendus par la même personne, c’est‑à‑dire par Kingsford, ou que ces produits font l’objet d’une licence octroyée par cette même personne?
[70] Cette liste n’est pas exhaustive, et un poids différent pourra être accordé à différents facteurs selon le contexte; en l’espèce, il incombe à Tokai de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir (Mattel, précité, au para 54). Cependant, « il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion »
(Masterpiece, précité, au para 49). Ce facteur exige que les marques de commerce soient examinées dans leur ensemble, mais le critère fondé sur la première impression et le souvenir imparfait signifie que les marques de commerce ne doivent pas être comparées côte à côte.
[71] Il est vrai que le premier élément de la marque de commerce sera souvent celui qui est le plus important pour établir le caractère distinctif (Conde Nast Publications Inc c Union des éditions modernes, [1979] ACF no 801 à la p 188 (CF 1re inst), le juge Cattanach), mais pour évaluer le degré de ressemblance il est préférable de se demander si l’un des aspects de la marque de commerce est frappant ou unique (Masterpiece, précité, au para 64) : des marques de commerce comportant un certain nombre de différences peuvent aussi engendrer une probabilité de confusion (Masterpiece, précité, au para 62).
[72] L’absence de différence notable entre les produits est également un facteur important qui doit être soupesé en fonction des autres facteurs, y compris, surtout, la ressemblance entre les marques (Reynolds, précité, aux para 17 et 29). Cela dit, « [i]l y a une probabilité plus élevée de confusion si deux marques de commerce qui se ressemblent sont employées en liaison avec les mêmes produits (ou sensiblement les mêmes produits) »
(Reynolds, précité, au para 30).
[73] Compte tenu de ces principes, j’examine ensuite chacune des décisions de la COMC.
(1)
La décision de la COMC concernant la demande 953
[75] La COMC a jugé que la preuve la plus solide de Kingsford était sa marque nominale KINGSFORD (enregistrements numéros LMC195651; LMC344604; LMC386771), et c’est sur cet élément que la COMC a concentré son analyse relative à la confusion. S’il n’a pas été conclu qu’il était probable que ces marques créent de la confusion, il est peu probable que la marque de commerce KING crée de la confusion avec les deux autres marques figuratives déposées – dont l’élément dominant est, dans tous les cas, KINGSFORD. À mon avis, ce genre d’exercice est conforme à l’approche adoptée dans l’arrêt Masterpiece, précité, au para 61.
[76] La COMC a ensuite résumé le critère en matière de confusion à celui de la première impression et du souvenir imparfait, puis elle a renvoyé aux paragraphes 6(2) et 6(5), ainsi qu’aux arrêts Masterpiece et Mattel en ce qui concerne la possibilité d’attribuer un poids différent aux différents facteurs énumérés dans cette dernière disposition. Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans le choix de la COMC de concentrer son analyse sur la marque nominale de Kingsford et dans sa formulation du critère applicable pour évaluer la confusion.
a)
Le caractère distinctif inhérent
[78] J’estime que la COMC n’a pas commis une erreur manifeste et dominante dans l’analyse du caractère distinctif inhérent. Elle a conclu que les marques de commerce KING et KINGSFORD possédaient toutes deux un « caractère distinctif inhérent assez élevé »
, vu l’absence de lien clair entre les produits associés à chaque marque de commerce et la marque de commerce elle‑même. Contrairement à cette conclusion et comme je l’ai souligné ci‑dessus, Tokai soutient que les marques sont intrinsèquement faibles et que, par conséquent, même des différences modestes permettront de les distinguer. Cet argument repose toutefois sur les marques de tiers que j’ai jugées peu importantes et sans valeur probante.
[79] En outre, une « [m]arque possède un caractère distinctif inhérent lorsque rien en elle n’aiguille le consommateur vers une multitude de sources[; la] marque qui peut faire allusion à de nombreuses choses ou qui […] se limite à décrire les marchandises […] jouira d’une protection moindre
»
(Pink Panther Beauty Corp. c United Artists Corp., [1998] 3 CF 534 au para 23 (CAF)). Ni KING ni KINGSFORD ne décrivent les produits visés, et le membre de la COMC a convenu avec Kingsford que rien dans la preuve au dossier ne permettait d’affirmer le contraire. Par conséquent, je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la COMC selon laquelle ce facteur ne favorise aucune des parties.
b)
La mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues, et la période pendant laquelle elles ont été en usage
[80] La COMC a analysé ensemble la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues (alinéa 6(5)a) de la LMC) ou ont acquis un caractère distinctif, et la période pendant laquelle les marques ont été en usage (alinéa 6(5)b) de la LMC), et elle a conclu que ces facteurs combinés favorisaient légèrement Tokai. Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante, ni dans sa conclusion ni dans son analyse.
[81] La COMC a conclu que la marque de commerce KING était devenue connue dans une certaine mesure au Canada, mais de manière peu significative, vu la preuve de son emploi depuis 2010 fondée sur l’affidavit de M. Tucker. La COMC a souligné qu’en revanche, Kingsford n’avait déposé aucune preuve de l’emploi des marques de commerce KINGSFORD ni aucune copie certifiée des enregistrements pertinents. La COMC n’a donc attribué aucune valeur à son allégation portant qu’elle employait sa marque au Canada depuis au moins le 1er juin 1953 sur laquelle est fondé l’enregistrement numéro LMC195651, et a en outre fait remarquer que les enregistrements portant les numéros LMC344604 et LMC386771 étaient fondés uniquement sur l’emploi et l’enregistrement aux États‑Unis. La COMC a conclu que la présomption d’emploi de minimis découlant de la preuve de l’enregistrement, si elle avait été produite, n’aurait eu aucun effet sur sa conclusion selon laquelle ce facteur favorise légèrement Tokai.
[83] À l’appui de son argument, Kingsford invoque la décision Monster, Inc c Mattel, Inc, 2014 COMC 197 [Monster], de la COMC. Selon cette décision, « la date de premier emploi indiquée dans un certificat d’enregistrement »
permet de présumer un emploi de minimis (Monster, précitée, au para 34). Dans cette affaire, la COMC a toutefois aussi souligné que cette présomption « ne permet pas de conclure à un emploi significatif »
(Monster, précitée, au para 34). En outre, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, il est évident que dans la présente affaire, le membre de la COMC s’est demandé si l’issue serait différente s’il tenait pour acquise l’existence d’un emploi de minimis, et a conclu que ce facteur était tout de même favorable à la demanderesse, mais dans une faible mesure. Par conséquent, j’estime que dans ces circonstances, la COMC n’a pas commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation de ce facteur.
c)
‑ et ‑ d) Le genre de produits ou entreprises et la nature du commerce
[84] La COMC a analysé ensemble ces facteurs dans sa décision et a conclu qu’ils favorisaient Kingsford. Là encore, je ne relève aucune erreur manifeste et dominante ni dans sa conclusion ni dans son analyse.
[86] J’estime que la COMC n’a pas commis d’erreur dans son évaluation du genre de produits. Par ailleurs, je fais remarquer que Tokai a reconnu dans son appel l’existence d’un certain lien entre le genre des produits des parties.
[87] Le paragraphe 6(2) de la LMC vise la possibilité qu’il y ait probabilité de confusion même si les produits n’appartiennent pas à la même catégorie générale (voir également Mattel, précité, au para 65). Je conviens avec la COMC que les produits de Tokai – briquets pour barbecues et foyers – sont étroitement liés aux produits de Kingsford, à savoir le charbon de bois, les allume‑barbecues, les barbecues, les briquettes de charbon et divers autres produits liés aux barbecues ou aux grillades. Les produits respectifs des parties ne sont pas identiques, mais la probabilité de confusion peut être accrue lorsque les produits en cause sont d’une nature telle qu’ils sont souvent employés ensemble (Empresa Cubana Del Tabaco c Tequila Cuervo, S.A. Dec. V., 2013 CF 1010 aux para 40‑43, conf par 2015 CAF 15). Les produits de Tokai, tels qu’illustrés dans la copie de l’emballage du briquet KING, sont destinés à être employés pour les barbecues ou les grillades.
[88] S’agissant de la nature du commerce, la COMC a conclu que les produits des parties pouvaient emprunter les mêmes voies de commercialisation. La COMC a souligné que ni la demande 953 ni les enregistrements de la marque de commerce KINGSFORD ne comprenaient de restrictions quant aux voies de commercialisation. En outre, vu l’absence de preuve concernant les voies de commercialisation qu’emprunteraient les produits de Kingsford, et compte tenu de la relation étroite entre le genre des produits des parties, la COMC a conclu qu’il était fort probable que les voies de commercialisation se chevauchent, malgré la preuve de Tokai établissant que les briquets KING sont vendus exclusivement à Wal‑Mart. Tokai fait valoir que l’absence de preuve de la part de Kingsford ne devrait pas permettre d’étayer la conclusion selon laquelle les produits des parties pourraient emprunter les mêmes voies de commercialisation. Je ne suis pas d’accord, principalement parce qu’il n’y a aucune restriction concernant les voies de commercialisation dans la demande 953 ou les enregistrements de Kingsford.
[89] J’estime que le raisonnement de la COMC est conforme aux autres décisions qu’elle a rendues et qu’en conséquence, il ne comporte aucune erreur manifeste et dominante (voir par exemple, Les Promotions Atlantique Inc. c Warimex Waren‑Import Export Handels GmbH, 2016 COMC 179 au para 45; SA Damm c Hijos De Rivera, SA, 2015 COMC 230 au para 41; 3M Company c Integrity Supply Incorporated, 2015 COMC 136 au para 35). De plus, en ce qui concerne l’analyse de la confusion, le fardeau de preuve ultime incombe à Tokai, et j’estime qu’elle n’a pas démontré qu’il n’y avait aucune probabilité que ses produits empruntent les mêmes voies de commercialisation que ceux de Kingsford. Compte tenu des similitudes dans le genre des produits respectifs des parties, de l’absence de restriction concernant les voies de commercialisation dans la demande 953 et les enregistrements de la marque de commerce KINGSFORD, et de l’absence de preuve de la part de Kingsford concernant les voies de commercialisation applicables, je ne suis pas convaincue que la COMC a eu tort de conclure que ces facteurs appuyaient fortement une probabilité de confusion.
e) Le degré de ressemblance
[90] La COMC a conclu à l’existence d’un degré de ressemblance assez élevé entre les marques des parties, soulignant que : la marque de commerce KING était entièrement englobée dans KINGSFORD; que KING figurait en première position dominante dans les marques des parties; et qu’il existait entre elles des ressemblances sur les plans de la présentation, de la prononciation et des idées qu’elles suggèrent. Le registraire a renvoyé à la décision concernant la demande 739 où la COMC a conclu à l’existence d’un degré de ressemblance assez élevé entre KING et KINGSFORD pour des raisons semblables. À mon avis, la COMC n’a commis aucune erreur dans sa conclusion ni dans son raisonnement concernant ce facteur.
[91] Ainsi que la Cour suprême l’a fait remarquer dans son arrêt Masterpiece, lors de l’analyse de la ressemblance, « il est possible de comparer les marques de commerce ou le nom commercial pertinents en n’examinant que les caractéristiques qui les définissent.
Seuls ces éléments permettront aux consommateurs de faire la distinction […] »
(Masterpiece, précité, au para 61). La ressemblance renvoie au « rapport entre des objets de même espèce présentant des éléments identiques »
et n’exige pas que les marques soient identiques (Masterpiece, précité, au para 62). J’estime qu’en l’espèce, le mot ou l’élément KING, en plus d’être soit le seul soit le premier élément des marques de commerce des parties, est l’aspect « particulièrement frappant ou unique »
des marques (Masterpiece, précité, au para 64).
[92] J’estime que la COMC a dûment tenu compte des ressemblances sur les plans de la présentation, de la prononciation et des idées qu’elle suggèrent, et du fait que le mot KING figure en première position dominante dans les marques de commerce KINGSFORD. Comme je l’ai mentionné plus haut, je ne puis souscrire à l’argument de Tokai selon lequel ces marques sont intrinsèquement faibles, de sorte que l’ajout des lettres SFORD dans KINGSFORD est suffisant pour distinguer les marques. À mon avis, lorsque les marques de commerce des parties sont considérées dans leur ensemble, leur ressemblance est marquée notamment dans la présentation (similitudes visuelles), le son (similitudes phonétiques) et les idées (connotation) qu’elles suggèrent. Par conséquent, je ne puis conclure que la COMC a commis une erreur dans son appréciation de ce facteur.
d)
Les autres circonstances de l’espèce
[94] Par souci d’exhaustivité, je tiens à souligner que ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté d’arguments sur la question de savoir si le registraire avait conclu à tort que l’absence de confusion réelle, malgré une longue période apparente de coexistence, n’était pas un facteur important en l’espèce. J’estime que le raisonnement du juge Manson sur ce point (Tokai CF 2018, précitée, au para 22), comme l’a rapporté la COMC dans sa décision, s’applique également aux circonstances de l’affaire que je suis appelée à trancher. Plus particulièrement, M. Tucker a dit en contre‑interrogatoire qu’aucun mécanisme spécifique n’était prévu pour lui signaler les plaintes des clients concernant la confusion. Par ailleurs, rien dans la preuve ne démontre qu’il était informé de ces plaintes en raison du poste d’envergure qu’il occupe au sein de l’entreprise. Enfin, en l’absence de preuve démontrant que l’emploi simultané des marques est significatif, l’inférence défavorable qui peut normalement être tirée lorsque l’opposant n’a soumis aucun élément de preuve établissant l’existence d’une confusion effective, ne saurait être tirée en l’espèce (Christian Dior, S.A. c Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, [2002] 3 CF 405 au para 19).
g)
L’évaluation globale quant à la probabilité de confusion
[95] À mon avis, l’évaluation cumulative des facteurs susmentionnés faite par la COMC, dans le contexte des circonstances pertinentes de l’espèce, permet de conclure que Tokai ne s’est pas acquittée de son fardeau, relativement à la demande 953, de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y avait aucune probabilité de confusion. Je juge particulièrement convaincantes les conclusions catégoriques de la COMC concernant la « relation étroite »
entre les produits des parties et au « degré de ressemblance assez élevé »
entre les marques de commerce respectives des parties. Compte tenu des directives fournies dans l’arrêt Reynolds, précité, cette combinaison de facteurs donne lieu à une « probabilité plus élevée »
de confusion. En somme, j’estime qu’aucune erreur manifeste et dominante n’a été commise dans la décision de la COMC concernant la demande 953.
(2)
La décision de la COMC concernant la demande 990
[97] Dans l’ensemble, j’estime que la COMC n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans son appréciation des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la LMC. Comme je l’explique ci‑après, mon application du critère en matière de confusion à la demande 990 m’a permis de constater la présence de différentes circonstances pertinentes en ce qui concerne la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues et la période pendant laquelle elles ont été en usage, le genre de produits ou entreprises ainsi que la nature du commerce.
a)
Le caractère distinctif inhérent
[98] La COMC a conclu dans cette affaire également qu’il existait un degré de ressemblance élevé entre les marques de commerce des parties, tenant le même raisonnement qu’elle avait exposé dans sa décision concernant la demande 953, et elle a conclu que ce facteur ne favorisait aucune des parties. Vu que les marques elles‑mêmes sont identiques – KING et KINGSFORD –, je ne vois aucune erreur dans cette approche. La seule différence importante tient au fait que la COMC a renvoyé, dans sa décision concernant la demande 990, aux conclusions tirées dans sa décision concernant la demande 739 et dans la décision Tokai CF 2018 quant à la présence d’un certain caractère distinctif inhérent.
b)
La mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues et la période pendant laquelle elles ont été en usage
[99] Dans son analyse, la COMC a souligné l’absence de preuve d’un emploi réel de la part de Kingsford ainsi que l’absence de copies certifiées des enregistrements de l’opposante pour la marque de commerce KINGSFORD, enregistrements que l’opposante avait tenté d’établir au moyen de relevés imprimés tirés de la base de données sur les marques de commerce canadiennes joints à l’affidavit de Mme Anastacio. Après avoir renvoyé au paragraphe 35 de la décision Tokai CF 2018, le membre de la COMC n’a attribué aucun poids au fait que l’emploi antérieur était revendiqué depuis le 1er juin 1953 dans l’enregistrement numéro LMC195651 de KINGSFORD.
[100] De plus, la COMC a souligné que, même si Kingsford avait fourni des copies certifiées et même si elle avait accordé un poids de minimis à la date d’emploi revendiquée depuis 1953, ces éléments n’auraient eu aucun effet sur sa conclusion concernant ce facteur. Vu que la demande 990 est fondée sur l’emploi projeté de la marque et que Tokai n’a produit aucune preuve établissant que la marque de commerce KING avait été employée au Canada en liaison avec des allume‑cigarettes, la COMC a conclu que ce facteur ne favorisait aucune des parties.
[101] Ma conclusion aurait peut‑être été différente – soit que ce facteur favorise Kingsford dans une faible mesure – si des copies certifiées avaient été déposées, de sorte qu’il aurait été possible d’accorder un poids de minimis à la date d’emploi depuis 1953, mais il n’en demeure pas moins qu’aucune copie certifiée n’a été produite. Néanmoins, le membre de la COMC a tenu compte de cette preuve et a conclu que, même si Kingsford avait fourni des copies certifiées, cela n’aurait eu aucun effet sur sa conclusion. Par conséquent, j’estime que la COMC n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante dans les circonstances.
c)
‑ et ‑ d) Le genre de produits ou entreprises et la nature du commerce
[102] La COMC a conclu qu’il était possible de concevoir que les produits visés par la demande 990 – les allume‑cigarettes – avaient un certain « lien »
avec les allume‑barbecues de Kingsford, puisque ces produits représentent tous deux un type de briquet. Même si à cet égard, la relation n’était pas aussi étroite qu’elle l’était dans la décision de la COMC concernant la demande 953 relativement aux briquets utilitaires, il n’en demeure pas moins, comme je l’ai mentionné plus haut, que le paragraphe 6(2) de la LMC vise la possibilité qu’il y ait probabilité de confusion même si les produits pertinents n’appartiennent pas à la même catégorie générale. Par conséquent, j’estime que l’application de la norme de l’erreur manifeste et dominante ne justifie pas que la Cour modifie les conclusions de la COMC sur ce point.
[103] En outre, compte tenu de l’absence de restriction quant aux voies de commercialisation applicables aux produits visés dans la demande 990 et dans les enregistrements de la marque de commerce KINGSFORD, et en l’absence de preuve de la part de l’une ou l’autre des parties concernant les voies de commercialisation, la COMC n’a pas été en mesure de conclure qu’il n’y aurait aucune possibilité de chevauchement dans leurs voies de commercialisation respectives. Aucune nouvelle preuve n’a été produite en appel sur ce point. Dans les circonstances, j’estime que la COMC n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante à cet égard.
e)
Le degré de ressemblance
[104] Relativement à ce facteur, la COMC est arrivée à la même conclusion que celle qu’elle avait tirée dans sa décision concernant la demande 953. Elle a conclu qu’il existait un degré de ressemblance assez élevé entre les marques de commerce des parties, soulignant : que la marque de commerce KING était entièrement englobée dans KINGSFORD; que KING figurait en première position dominante dans les marques des parties; et qu’il existait entre elles des ressemblances sur les plans de la présentation, de la prononciation et des idées qu’elles suggèrent. Pour les raisons susmentionnées, je ne puis pour les mêmes raisons conclure que la COMC a commis une erreur dans son appréciation de ce facteur dans les circonstances.
f)
L’évaluation globale quant à la probabilité de confusion
[105] À mon avis, l’évaluation cumulative des facteurs susmentionnés faite par la COMC, dans le contexte des circonstances pertinentes de l’espèce, permet de conclure que la probabilité de confusion entre les marques de commerce KING et KINGSFORD est égale à la possibilité qu’il n’y ait aucune confusion entre elles. Cette conclusion signifie que ce point ne saurait favoriser Tokai, vu qu’elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y avait aucune probabilité de confusion. Vu que le lien entre les produits n’était pas aussi étroit dans cette affaire – bien qu’un certain lien soit tout de même présent –, vu l’absence de preuve concernant les voies de commercialisation applicables – bien que ni la demande 990 ni les enregistrements de la marque de commerce KINGSFORD ne comprenaient de restrictions quant aux voies de commercialisation – et vu le degré de ressemblance assez élevé entre les marques, je ne puis relever une quelconque erreur manifeste et dominante dans l’évaluation globale de la probabilité de confusion par la COMC.
IV.
CONCLUSION
[107] Ni Tokai ni Kingsford ne m’ont convaincue que la COMC a commis des erreurs manifestes et dominantes dans ses évaluations des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la LMC dans les décisions qu’elle a rendues concernant les demandes 953 et 990. Par conséquent, j’estime qu’il n’y a pas lieu de modifier ces conclusions et que les appels de Tokai doivent être rejetés.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑17‑19
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois
Annexe « A » : Les dispositions applicables
Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 ‑ version en vigueur entre 2018‑12‑30 et 2019‑06‑16
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TOKAI OF CANADA LTD c THE KINGSFORD PRODUCTS COMPANY, LLC
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Toronto (Ontario) (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)
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Le 23 JUILLET 2021
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POUR LA DEMANDERESSE
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