Date : 20010927
Dossier : IMM-1894-00
OTTAWA (ONTARIO), le 27 septembre 2001
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN
ENTRE :
MILUD MUSA MADI
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
VU la demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision par laquelle la Section du statut de réfugié a refusé, le 29 mars 2000, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur;
APRÈS avoir examiné les documents déposés et avoir entendu les prétentions des parties;
ET pour les motifs de l'ordonnance rendus aujourd'hui;
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.
« Dolores M. Hansen » Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20010927
Dossier : IMM-1894-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1062
ENTRE :
MILUD MUSA MADI
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE HANSEN
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a refusé, le 29 mars 2000, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur.
[2] Le demandeur, un citoyen de la Libye, est d'origine berbère. Il fondait sa revendication du statut de réfugié sur ses opinions politiques et son origine ethnique. L'épouse, les six enfants et les frères et soeurs du demandeur vivent toujours en Libye.
[3] Le demandeur a été emprisonné en Libye de 1980 à 1988 pour avoir pris part à des [TRADUCTION] « activités antigouvernementales suspectes » . Il n'a participé à aucune activité politique entre le moment de sa remise en liberté en 1988 et sa fuite dix ans plus tard, en octobre 1998. Il a travaillé comme tailleur, a subvenu aux besoins de sa famille et n'a eu aucun problème pendant cette période.
[4] Le demandeur est parti en Tunisie le 27 août 1998. Pendant qu'il était dans ce pays, son fils lui aurait appris que son nom figurait sur une [TRADUCTION] « liste » parce qu'il avait quelque chose à voir avec une manifestation ayant eu lieu en août dans la ville d'Yefren. Son fils lui aurait aussi dit que les forces de sécurité s'étaient rendues chez lui pour le voir et que son frère avait été arrêté relativement au même événement.
[5] Le demandeur aurait alors décidé de ne pas retourner en Libye. Il est resté en Tunisie et a poursuivi les démarches entreprises des mois auparavant pour venir au Canada et demander l'asile. Le demandeur dit qu'il avait commencé à se préparer en vue de son départ parce que la situation se détériorait. En février 1998, il avait communiqué avec l'un de ses amis à Ottawa et lui avait demandé de lui envoyer une invitation. Son ami avait accepté et lui avait envoyé une invitation.
[6] Sans retourner en Libye, le demandeur a présenté une demande de visa de visiteur au Canada en produisant son invitation à l'appui. Il dit qu'il a vécu en Tunisie du 27 août 1998 jusqu'à son départ pour le Canada. Il est arrivé à Vancouver le 6 octobre 1998. Plutôt qu'aller voir son ami à Ottawa, il s'est rendu à Edmonton, où l'un de ses neveux habite. Il a revendiqué le statut de réfugié à Edmonton le 20 octobre 1998.
[7] Le président de l'audience et le commissaire ont rendu des motifs séparés à l'audience. Le président de l'audience a fait référence au régime totalitaire contraignant de la Libye, mais il a indiqué que le demandeur [TRADUCTION] « est resté vague et très général, et il était parfois pratiquement impossible d'obtenir des réponses » . Il a fait remarquer qu'aucun élément de preuve matérielle ne démontrait que la manifestation d'août 1998 avait effectivement eu lieu.
[8] Compte tenu du témoignage du demandeur selon lequel il craignait les conséquences que pouvait avoir la manifestation étant donné que des personnes qui avaient déjà été emprisonnées étaient arrêtées chaque fois qu'il y avait un problème, le président de l'audience a fait remarquer qu'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que le demandeur ait été arrêté à la suite de la tentative de coup d'État en 1995-1996. Pourtant, rien ne lui est arrivé, ni à la suite de la tentative de coup d'État, ni avant qu'il demande une invitation à son ami vivant au Canada, en février 1998. Le demandeur s'est contenté de dire que la situation se détériorait en Libye, sans pouvoir toutefois préciser la raison pour laquelle il avait voulu quitter ce pays en février 1998.
[9] Selon le président de l'audience, le demandeur avait décidé de quitter la Libye alors qu'il n'avait pas de problème, et il avait [TRADUCTION] « inventé » la manifestation d'août 1998 pour ajouter du poids à sa revendication. Même si la manifestation avait effectivement eu lieu, ce fait n'était pas pertinent puisque le demandeur avait déjà pris la décision de partir. Le président de l'audience a conclu que les éléments essentiels de la revendication du demandeur n'étaient pas crédibles.
[10] L'autre commissaire a aussi conclu que le demandeur n'était pas crédible. Il a souligné que celui-ci n'était pas actif sur le plan politique et qu'il n'avait pas été importuné par les autorités pendant les dix ans qui avaient suivi sa remise en liberté. Si le gouvernement considérait le demandeur comme un opposant politique, il était raisonnable de penser que celui-ci aurait été à tout le moins interrogé - et peut-être même arrêté - à la suite de la tentative de coup d'État en 1995-1996. Même s'il a indiqué dans son témoignage que la situation se détériorait et qu'il voulait préparer sa famille en vue de son départ, le demandeur a été incapable d'expliquer comment la situation se détériorait en ce qui le concernait et ce qu'il avait fait pour préparer sa famille en vue de son départ.
[11] Le commissaire a indiqué qu'il était disposé à considérer comme plausible l'explication du demandeur selon laquelle, après avoir entendu des rumeurs voulant que son nom figure sur une liste de personnes qui devaient être arrêtées à la suite de la manifestation d'août 1998, il avait pris la fuite en espérant pouvoir traverser la frontière avant que cette liste soit diffusée.
[12] Il a toutefois fait remarquer également que le demandeur n'avait pas donné une raison précise pour laquelle il voulait quitter la Libye en février 1998. Rien dans la preuve n'indiquait que le demandeur était considéré comme un opposant politique par le gouvernement ou que des mesures avaient été prises contre lui. En outre, le commissaire ne croyait pas que le gouvernement espionnait le demandeur, comme celui-ci le prétendait, vu qu'il n'avait pas participé à des activités politiques depuis dix ans. Selon lui, il était invraisemblable également que le gouvernement ait délivré un passeport au demandeur en 1995 s'il le considérait comme un opposant politique.
[13] Le commissaire a convenu avec le président de l'audience qu'il était raisonnable de penser qu'une manifestation au cours de laquelle trois édifices gouvernementaux avaient explosé aurait été signalée dans la preuve documentaire.
[14] Le commissaire a aussi tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n'avait pas parlé de la manifestation d'août 1998 dans l'exposé circonstancié contenu dans son FRP.
[15] Le demandeur a mentionné dans son témoignage qu'il croyait que son frère qui avait été arrêté à la suite de la manifestation d'août 1998 était toujours en prison. Quand on a attiré son attention sur le fait que son neveu avait déclaré, dans le cadre d'une autre revendication, que ce frère avait été libéré en février 1999, le demandeur a indiqué qu'il n'avait pas cherché à savoir ce qui lui était arrivé. Aux yeux du commissaire, il était invraisemblable que le demandeur ne se soit pas informé auprès des membres de sa famille vivant au Canada de ce qui était arrivé à son frère qui avait été arrêté à la suite de la manifestation, ou à ses deux neveux qui avaient aussi été arrêtés. Selon le commissaire, cela soulevait un doute quant à l'arrestation ou à l'emprisonnement de ces personnes.
[16] Le commissaire a conclu qu'il existait moins qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté en Libye à cause de ses prétendues opinions politiques ou de son origine ethnique.
[17] Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions dans chacune des grandes catégories suivantes : le manquement aux règles de justice naturelle, les conclusions de fait erronées et la conclusion erronée concernant le manque de crédibilité.
Manquement aux règles de justice naturelle
[18] Le demandeur prétend d'abord que le tribunal a contrevenu aux règles de justice naturelle en intervenant constamment et en posant vigoureusement des questions pendant son témoignage. Il reconnaît que les commissaires peuvent intervenir pour demander des précisions, régler des incohérences ou dissiper la confusion. Or, en l'espèce, les commissaires sont intervenus activement pendant son témoignage, comme en témoigne, selon lui, le fait que son conseil a posé 122 questions au cours de l'audience et les commissaires, 168. Le demandeur soutient que les fréquentes interventions l'ont empêché de présenter ses observations d'une manière méthodique et complète.
[19] Le demandeur prétend également que les nombreuses interventions des commissaires, ajoutées à une remarque faite par l'un d'eux à son conseil, font aussi naître une crainte raisonnable de partialité. Selon l'affidavit du conseil représentant le demandeur à l'audience, l'un des commissaires lui aurait dit, pendant une pause le lendemain de l'audience, et à l'extérieur de la salle d'audience : [TRADUCTION] « Où avez-vous trouvé ces gens? Ce doit être vraiment frustrant de travailler avec eux. » Selon le conseil, le commissaire parlait alors du demandeur et des autres revendicateurs dont les revendications ont été entendues le même jour que celle du demandeur ou le lendemain.
[20] Le demandeur se fonde sur les motifs prononcés par la Cour dans l'affaire Iossifov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1318, pour soutenir que des interruptions très nombreuses qui empêchent un revendicateur de présenter ses observations constituent un manquement aux règles de justice naturelle. Dans cette affaire, la SSR avait, à plusieurs reprises, empêché le demandeur de présenter sa preuve concernant la persécution dont il avait été victime dans le passé. La Commission avait indiqué qu'elle acceptait le contenu du FRP du demandeur, mais elle avait refusé de décider s'il indiquait que celui-ci avait été victime de persécution dans le passé. Elle n'avait pas non plus tiré de conclusion sur cette question dans ses motifs. Dans ces circonstances, la Cour a conclu que le demandeur n'avait pas eu droit à une audition complète et équitable de sa revendication.
[21] Le demandeur prétend aussi que les faits de l'espèce sont semblables à ceux de l'affaire Mark c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 69, où le juge Reed a fait remarquer :
- La décision contient de nombreuses erreurs et la lecture de la transcription de l'audience révèle que les deux membres du tribunal se sont montrés dès le départ hostiles à la revendication du requérant. Le dossier démontre que les deux membres en question se sont lancés dans un contre-interrogatoire pour le moins vigoureux du requérant et de ses témoins.
[22] À mon avis, ces deux décisions portaient sur des faits différents de ceux dont je suis saisie ici. Bien qu'il prétende qu'il n'a pas pu présenter toutes ses observations, le demandeur n'a pas précisé quels aspects de sa revendication il n'a pas pu faire valoir. En outre, la transcription ne révèle pas que les commissaires se sont montrés hostiles envers lui.
[23] Cela étant dit, les très nombreuses interventions du tribunal doivent tout de même être examinées. Les motifs prononcés par la Cour d'appel fédérale dans Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 549, sont particulièrement intéressants à cet égard. Dans cette affaire, la Cour a exprimé sa préoccupation quant aux très nombreuses interventions faites par le commissaire au cours de l'audience. Elle a statué cependant que, compte tenu des pouvoirs conférés à un tribunal en vertu du paragraphe 67(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, un commissaire peut, dans le cadre de l'exécution de ses fonctions, interroger un revendicateur. La Cour a ensuite examiné la nature des questions posées afin de décider si celles-ci faisaient naître une crainte raisonnable de partialité, comme le demandeur le prétendait.
[24] La Cour a qualifié l'interrogatoire « d'intervention énergique visant à clarifier certaines contradictions dans la preuve » et a ajouté qu'on y décelait également « un certain sentiment de frustration face à l'impossibilité de bien comprendre l'objet général de la preuve présentée » . Elle s'est ensuite demandé si cet interrogatoire faisait naître une crainte raisonnable de partialité, en appliquant le critère suivant établi dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 :
- ... à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?
[25] La Cour a conclu :
- [TRADUCTION] Compte tenu du fait que, suivant le paragraphe 68(3) de la Loi sur l'immigration, le tribunal n'est pas lié par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et qu'il est chargé de trancher chaque demande en fonction des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi dont il dispose, on peut peut-être faire preuve d'une certaine bienveillance à l'endroit des membres du tribunal qui, dans leur enthousiasme à bien exécuter leurs fonctions, peuvent parfois donner l'impression qu'ils sont trop agressifs et inéquitables. Je conclus cependant, pour les raisons exposées ici, que la conduite des membres du tribunal qui est contestée n'est pas contraire aux principes énoncés dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty, précité.
[26] En l'espèce, on constate, à la lecture de la transcription, qu'il y a eu de nombreuses interruptions et questions des commissaires tout au long du témoignage du demandeur. Comme il a été mentionné précédemment, le tribunal a considéré que les réponses du demandeur étaient vagues et très générales. Il avait raison. À mon avis, le tribunal a tenté, par ses interventions, de circonscrire le témoignage du demandeur et de recueillir les faits sur lesquels reposait la revendication. Pour ce qui est de la remarque faite le lendemain de l'audience, bien que le conseil croie qu'elle était dirigée vers le demandeur, il ne s'agit là que d'une supposition. Il ne fait aucun doute que cette remarque était présomptueuse et déplacée. Mais je ne suis pas convaincue que les circonstances de l'espèce font naître une crainte raisonnable de partialité selon le critère établi dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie, précité.
[27] Le demandeur prétend également qu'il n'a pas eu la possibilité de répondre aux arguments invoqués contre lui parce qu'on ne lui a pas remis le formulaire d'examen initial de l'ACR avant l'audience. Ce document indiquait que la question de la différence entre discrimination et persécution allait être abordée à l'audience. Il y a lieu de souligner d'abord qu'aucun revendicateur du statut de réfugié n'a à se défendre contre quoi que ce soit. La nature même de la revendication du statut de réfugié est d'établir tous les éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention, et il incombe au demandeur de le faire : l'existence d'une crainte fondée de persécution est la pierre angulaire d'une telle revendication. Bien que le demandeur ait fondé sa revendication, ainsi qu'il l'a dit, à 75 p. 100 sur ses opinions politiques et à 25 p. 100 sur son origine ethnique (berbère), il ressort clairement de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et de son témoignage à l'audience que l'aspect fondamental de sa revendication et la raison pour laquelle il a fui la Libye étaient sa crainte d'être persécuté en raison de ses opinions politiques. Le demandeur n'a produit aucun élément de preuve au soutien de sa crainte de persécution fondée sur son origine berbère. Dans ces circonstances, je ne peux conclure qu'il y a eu manquement aux règles de justice naturelle.
[28] La question soulevée ensuite par le demandeur découle de la déclaration suivante figurant dans les motifs du tribunal :
- [TRADUCTION] ... Maintenant, s'il est vrai qu'il y a eu une manifestation, que les manifestants ont fait exploser trois édifices gouvernementaux, alors il est raisonnable de penser que ces événements auraient été rapportés dans les sources que nous consultons régulièrement, car nous sommes souvent saisis de revendications de personnes venant de la Libye et de pays semblables. Or, ces sources ne disent rien à ce sujet.
[29] Le demandeur prétend que, comme le tribunal n'a pas précisé sur quels documents produits en preuve il se fondait pour faire cette déclaration et s'il faisait référence à des documents qui n'avaient pas été communiqués avant l'audience, il serait déraisonnable qu'on s'attende à ce qu'il réponde à cette préoccupation. Le demandeur soutient qu'encore une fois il n'a pas eu la possibilité de répondre aux arguments qu'on faisait valoir contre lui. À mon avis, cette prétention repose sur des suppositions. Comme la preuve n'indique pas que le tribunal s'est fondé sur d'autres documents que ceux qui ont été communiqués au demandeur, cette prétention est sans fondement. Il n'est pas nécessaire que je répète ici les commentaires que j'ai faits précédemment au sujet de l'obligation du demandeur de repousser les arguments qu'on fait valoir contre lui.
[30] Le demandeur prétend aussi que l'observation suivante du tribunal est déraisonnable parce que celui-ci tentait ainsi d'obtenir des renseignements qu'il ne pouvait pas connaître :
- [TRADUCTION] Il est raisonnable de penser que, si le gouvernement vous avait considéré comme un opposant politique, il vous aurait à tout le moins interrogé au sujet de votre rôle lors du coup d'État de 1995-1996. Il vous aurait peut-être même arrêté, car ce gouvernement arrête d'abord et pose des questions ensuite. Mais rien n'est arrivé.
[31] Compte tenu du fait que le demandeur a indiqué dans son témoignage qu'il craignait d'être arrêté à la suite de la manifestation d'août 1998 parce que des individus qui avaient déjà été emprisonnés sont visés à chaque fois qu'il y a un problème, la conclusion que le tribunal a tirée du défaut du demandeur de répondre à la question n'est pas déraisonnable.
Conclusions de fait erronées
[32] Le demandeur soutient qu'il était déraisonnable pour le tribunal de s'attendre à ce que la preuve documentaire parle de la manifestation d'août 1998 étant donné la nature répressive du régime libyen et du contrôle que celui-ci exerce sur les médias. Je conviens avec l'intimé que, comme les différents incidents survenus en 1998 qui ont mené à l'arrestation d'opposants politiques étaient signalés dans le 1999 Country Reports on Human Rights Practices, il n'était pas déraisonnable pour le tribunal de s'attendre à ce qu'il soit question quelque part de la manifestation de 1998 si celle-ci avait réellement eu lieu.
[33] Le demandeur prétend aussi que le défaut du tribunal d'examiner spécifiquement les raisons pour lesquelles il n'avait pas parlé de la manifestation d'août 1998 dans son FRP constitue une erreur susceptible de contrôle. Le demandeur a expliqué à l'audience qu'il n'avait pas parlé de la manifestation dans son FRP parce qu'il n'y avait pas assisté. L'intimé soutient que le tribunal pouvait tirer une conclusion défavorable du fait qu'un événement important et fondamental au regard de la revendication du demandeur n'était pas mentionné dans le FRP. En outre, le défaut du tribunal de ne pas faire référence, dans ses motifs, à chacun des éléments de preuve qu'il a examinés pour en arriver à sa décision n'entache pas la décision dans son entier. Le demandeur a écrit dans son FRP : [TRADUCTION] « Je me suis rendu en voiture en Tunisie le 27 août. » Voici ce que le commissaire a dit à ce sujet :
- [TRADUCTION] Enfin, je dois souligner que cette manifestation n'est pas mentionnée dans votre exposé circonstancié. Vous avez dit : « Je me suis rendu en voiture en Tunisie le 27 août. » Les tribunaux judiciaires ont déjà statué qu'il n'est pas nécessaire que vous donniez tous les détails dans votre Formulaire de renseignements personnels, mais ils ont dit aussi que les éléments les plus importants devraient y figurer. Maintenant, si vous êtes allé en Tunisie à cette époque parce que vous avez entendu dire que le gouvernement allait vous arrêter et qu'il avait placé votre nom sur la liste des personnes recherchées, il est raisonnable de penser que vous auriez dit : « Je me suis enfui en Tunisie parce que j'ai appris que le gouvernement allait m'arrêter à cause de la manifestation d'Yefren. » Or, il n'est pas fait mention de cette manifestation, ni du fait que le gouvernement vous recherche.
[34] Il s'agissait d'une omission importante aux yeux du commissaire, mais il est évident également que les commissaires ont tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n'avait pas expliqué les raisons de son voyage en Tunisie. Cela étant dit, j'accepte l'argument du demandeur selon lequel, quand une explication est donnée au sujet d'une omission dans le FRP, le tribunal est tenu de la prendre en considération avant de tirer une conclusion défavorable de l'omission. À mon avis cependant, cette erreur seule ne justifie pas l'intervention de la Cour. Le tribunal a donné amplement de raisons convaincantes de rejeter la revendication du demandeur.
Conclusion défavorable concernant la crédibilité
[35] Le président de l'audience a dit ce qui suit dans ses motifs :
- [TRADUCTION] Mais le tribunal doit être convaincu que les circonstances de votre revendication sont crédibles. Et nous nous sommes intéressés en particulier à votre témoignage sur votre départ du pays et sur les circonstances entourant ce départ en 1998. Je dois dire d'abord que j'étais préoccupé au début de l'audience du fait que vos réponses étaient vagues et très générales et qu'il était parfois pratiquement impossible d'obtenir des réponses. Je n'étais donc pas aussi optimiste quant à votre témoignage que M. Cousineau semblait l'être. J'avais certains doutes au sujet de votre crédibilité étant donné la difficulté à obtenir des réponses de votre part. Mais, finalement, il ne s'agissait pas de difficultés majeures. Mais je pense que si votre histoire était vraie, il aurait été moins difficile de l'obtenir. Mais, comme je l'ai dit, il ne s'agit pas d'un problème majeur, mais il fallait tout de même en parler.
[36] Le demandeur prétend que le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle en ne donnant pas d'exemples précis de réponses vagues ou générales. Je ne suis pas d'accord avec lui. Dans le contexte de l'ensemble des motifs, il s'agissait seulement d'une observation générale sur la nature du témoignage du demandeur. Cette observation seule n'aurait pas été suffisante pour mettre en doute la crédibilité du demandeur; le tribunal a toutefois donné ensuite des exemples précis qui l'ont amené à une conclusion défavorable concernant la crédibilité.
[37] Le demandeur conteste aussi la conclusion du tribunal selon laquelle il était invraisemblable que le gouvernement l'espionne et qu'il ait pu obtenir un passeport si son nom figurait sur une liste d'individus recherchés par le gouvernement.
[38] Quoique la preuve documentaire fasse état de l'existence d'un système de surveillance omniprésent en Libye, il était raisonnable, vu que le demandeur a dit qu'il n'avait pas participé à des activités politiques après sa remise en liberté et qu'il n'avait pas été importuné par les autorités, que le tribunal ait des doutes au sujet de la véracité du témoignage du demandeur selon lequel il pensait qu'on l'espionnait. De plus, compte tenu de la preuve documentaire concernant le contrôle exercé par le gouvernement sur les déplacements à l'étranger, il n'est pas déraisonnable que le tribunal ait conclu qu'il est invraisemblable que le gouvernement ait délivré un passeport à un opposant politique.
[39] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Dolores M. Hansen »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 27 septembre 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1894-00
INTITULÉ : MILUD MUSA MADI c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 19 décembre 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE HANSEN
DATE DES MOTIFS : Le 27 septembre 2001
COMPARUTIONS :
M. Simon K. Yu POUR LE DEMANDEUR
Mme Tracy King POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Simon K. Yu POUR LE DEMANDEUR
Edmonton (Alberta)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada