[TRADUCTION FRANÇAISE]
demandeur
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et
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défenderesse
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I.
APERÇU
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Le 1er mars 2021, j’ai rejeté la requête à l’audience pour de brefs motifs prononcés oralement. Comme je l’ai indiqué à ce moment, d’autres motifs écrits suivraient. Voici ces motifs.
II.
CONTEXTE
[3]
La Couronne est la défenderesse dans une action intentée par Ryan Ricardo Richards. M. Richards, qui se représente lui‑même, a intenté l’action en 2015.
[4]
Les faits substantiels à l’origine de l’action se sont produits en 2013 à l’établissement de Springhill, un pénitencier fédéral. À l’époque, M. Richards y était détenu et purgeait une peine d’emprisonnement à vie pour meurtre au second degré. Il allègue qu’il a fait l’objet d’un usage excessif de la force par l’équipe d’intervention en cas d’urgence (EIU) lors d’un incident survenu à Springhill. Il soulève également un certain nombre d’autres allégations relatives à son traitement pendant son incarcération à Springhill et dans d’autres pénitenciers fédéraux en 2013 et 2014, y compris son placement en isolement préventif à différentes occasions. De façon générale, M. Richards allègue qu’il a fait l’objet d’un traitement illégal de la part du Service correctionnel du Canada (le SCC) et de certains de ses employés, y compris des violations de ses droits garantis par la Charte.
[5]
M. Richards a intenté une deuxième action contre la Couronne (dossier de la Cour fédérale no T‑1472‑15) dans laquelle il a soulevé des allégations similaires à l’encontre des mêmes parties. Sur requête de la Couronne, le 25 novembre 2015, le protonotaire Morneau a ordonné que les deux affaires soient regroupées sous le présent numéro de dossier. Le protonotaire Morneau a également radié un certain nombre d’allégations dans les deux déclarations au motif que M. Richards n’avait pas épuisé les recours administratifs dont il disposait dans le cadre du processus de règlement des griefs des délinquants. Il a été demandé à M. Richards de déposer une déclaration modifiée dans la présente affaire, ce qu’il a fait le 24 juin 2016.
[6]
Dans la présente requête, la Couronne ne cherche pas à empêcher M. Richards de poursuivre son action dans son intégralité. Au contraire, il cherche à éliminer du procès en attente les allégations qui, selon lui, font double emploi avec des demandes pendantes ailleurs ou qui ne donnent pas lieu à une cause d’action valable. Selon la Couronne, cette action devrait se concentrer sur l’allégation de M. Richards selon laquelle il a fait l’objet d’un usage excessif de la force à Springhill en 2013.
III.
ANALYSE
A.
La requête en suspension de certaines demandes
(1)
Les principes applicables
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Le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales dispose ce qui suit :
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La nature et l’étendue du pouvoir accordé à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales ne sont pas contestées dans la présente requête. Comme l’indique la disposition elle‑même, la décision de suspendre une instance en vertu du paragraphe 50(1) est une décision discrétionnaire. La Cour a un large pouvoir discrétionnaire qui devrait être exercé en faveur de la suspension d’une instance que dans les cas les plus clairs (Rakuten Kobo Inc c Canada (Commissaire de la concurrence), 2017 CF 382, aux para 24 à 26). L’élément déterminant est de savoir si, eu égard à l’ensemble des circonstances, l’intérêt de la justice justifie que l’instance soit suspendue (Mylan Pharmaceuticals ULC c AstraZeneca Canada, Inc, 2011, CAF 312, au para 14). Il est important de noter qu’une partie qui demande une suspension en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales n’est pas tenue de satisfaire au critère bien connu à trois volets énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 : voir Mylan Pharmaceuticals, aux para 5 et 6; Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 19, aux para 7 et 8; et Clayton c Canada (Procureur général), 2018 CAF 1, aux para 24 et 25.
[10]
L’alinéa 50(1)a) de la Loi traite d’un exemple précis de cas où il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’autoriser la poursuite d’une instance, c’est‑à‑dire lorsque la demande est en instance devant un autre tribunal. En théorie, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles permettre la poursuite de l’action devant la Cour alors qu’elle est également en instance devant un autre tribunal pourrait être contraire à l’intérêt de la justice : voir la décision Canada (Procureur général) c Premières nations de Cold Lake, 2015 CF 1197, au para 14. Sans suggérer qu’il s’agit d’une liste exhaustive, il peut être contraire à l’intérêt de la justice d’autoriser une action en justice s’il serait indûment contraignant pour un défendeur de devoir se défendre contre plus d’une action visant à obtenir le même redressement, s’il existe un risque de conclusions de fait ou de droit contradictoires, ou s’il existe un risque de double indemnisation pour le demandeur. Autoriser la poursuite d’une demande redondante peut également constituer une mauvaise utilisation, voire un gaspillage, de ressources judiciaires limitées. En revanche, si ces facteurs sont absents ou s’ils ne sont pas suffisamment convaincants dans une affaire donnée, il peut ne pas être contraire à l’intérêt de la justice d’autoriser la poursuite d’une action devant la Cour, même si la même action est en instance ailleurs. Tout dépend des circonstances de l’affaire, notamment de la proximité relative de l’instance à une conclusion. Cela étant une question qui relève du large pouvoir discrétionnaire, il n’existe pas de règles strictes.
[11]
De plus, comme l’indique l’alinéa 50(1)b), l’existence de procédures parallèles devant différents tribunaux n’est pas la seule circonstance qui peut permettre d’établir qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’autoriser la poursuite d’une instance donnée. Par exemple, la suspension temporaire d’une instance en attendant quelque autre mesure peut être dans l’intérêt de la justice, car, à long terme, elle favorisera une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (voir l’article 3 des Règles des Cours fédérales). La question de savoir s’il en est ainsi dans une affaire donnée dépendra, bien entendu, des circonstances particulières de cette affaire : voir, par exemple, les décisions Mylan Pharmaceuticals, Sanchez, Jensen c Samsung Electronics Co, Ltd, 2019 CF 373, et Jim Shot Both Sides c Canada, 2020 CF 909, pour des exemples de la manière dont les facteurs pertinents sont pondérés et soupesés.
(2)
Les principes appliqués
(a)
Les demandes relatives à l’isolement préventif
[12]
La Couronne soutient que les demandes de M. Richards relatives à son placement en isolement préventif sont effectivement traitées dans le cadre de l’affaire Reddock c Canada (Procureur général), un recours collectif en instance devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Ce recours a été certifié en juin 2018 (c’est‑à‑dire bien après que M. Richards a intenté la présente action). L’état actuel de cette instance et de deux affaires connexes (Brazeau c Canada (Procureur général), un recours collectif concernant des détenus fédéraux atteints de troubles mentaux graves qui ont été placés en isolement préventif, et Gallone c Procureur général du Canada, un recours collectif concernant des détenus fédéraux au Québec qui ont été placés en isolement préventif) est résumé dans Brazeau c Canada (Procureur général), 2020 ONSC 7229. En résumé, des dommages‑intérêts globaux ont été accordés dans le cadre de ces recours et des avis seront envoyés pour informer les membres du groupe de la procédure à suivre pour obtenir leur part individuelle des dommages‑intérêts ainsi que de leur droit de réclamer des dommages‑intérêts supplémentaires au moyen d’une procédure de réclamation individuelle. La Couronne soutient que, puisque M. Richards ne s’est pas retiré de l’instance Reddock (la date limite pour le faire sans l’autorisation de la Cour était le 19 septembre 2018), il est membre du groupe et aura droit à des dommages‑intérêts dans le cadre de cette instance.
[13]
Aux fins de la présente requête, je ne suis pas convaincu qu’il y ait un tel chevauchement entre le recours collectif Reddock et la présente action qu’il est dans l’intérêt de la justice de suspendre les parties de l’action qui ont trait aux placements de M. Richards en isolement préventif. Ma conclusion se fonde sur les motifs suivants.
[14]
Premièrement, l’appartenance au groupe visé par le recours Reddock requiert d’avoir subi une période d’isolement préventif prolongée, qui est définie dans le recours comme une période d’isolement préventif d’au moins quinze jours consécutifs. La demande de M. Richards dans la présente action est fondée sur quatre placements distincts en isolement préventif : 8 jours à Springhill (du 25 septembre au 1er octobre 2013); 43 jours à Springhill (du 29 octobre au 12 décembre 2013); 78 jours à l’Établissement de l’Atlantique (du 21 janvier au 9 avril 2014); et 162 jours au Pénitencier de Dorchester (du 9 avril au 22 septembre 2014). Bien que les trois dernières périodes soient d’une durée suffisante pour être considérées comme un isolement préventif « prolongé »
aux fins de l’appartenance au groupe visé par le recours Reddock, la première n’est pas.
[15]
Deuxièmement, l’appartenance au groupe visé par le recours Reddock requiert également d’avoir été placé en isolement préventif involontairement. Je m’attends à ce que la question se pose en l’espèce de savoir si les périodes importantes que M. Richards a passées en isolement préventif étaient le résultat de placements volontaires ou involontaires. La Couronne soutient dans sa défense que les placements en isolement préventif à l’établissement de l’Atlantique et au Pénitencier de Dorchester étaient volontaires. Si tel était le cas, M. Richards n’aurait pas droit à des dommages‑intérêts pour ces placements en tant que membre du groupe visé par le recours Reddock. Il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de suspendre ces parties de la demande au motif que M. Richards a droit à des dommages‑intérêts en tant que membre du groupe visé par le recours Reddock, pour qu’il s’avère qu’il ne l’est pas parce que la Couronne (qui est réputée être indivisible à ces fins) fait valoir avec succès l’argument selon lequel ces placements étaient volontaires.
[16]
En toute équité, je note que la Couronne ne conteste pas les conclusions de fait tirées par la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse lorsqu’elle a accueilli la demande d’habeas corpus de M. Richards : voir la décision Richards c Springhill Institution, 2014 NSSC 121; conf par Springhill Institution c Richards, 2015 NSCA 40. Si je comprends bien la séquence des événements, M. Richards a déposé sa demande d’habeas corpus le 26 novembre 2013, alors qu’il était détenu en isolement préventif à Springhill. L’un des éléments de la demande était une contestation de la légalité d’un changement de sa cote de sécurité qui est passée de la catégorie moyenne à la catégorie maximale. Ce changement dans sa classification a entraîné le transfert de M. Richards de Springhill à l’établissement de l’Atlantique le 12 décembre 2013, malgré la demande d’habeas corpus en instance. La décision faisant droit à la demande d’habeas corpus, qui a été rendue le 2 avril 2014, a entraîné le transfert de M. Richards de l’établissement de l’Atlantique au pénitencier de Dorchester. Il avait été en isolement préventif à l’établissement de l’Atlantique et a continué à l’être à Dorchester. Bien que la Couronne ne conteste pas les conclusions de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, les conséquences de ces conclusions sur le droit de M. Richards à une autre mesure de redressement restent à déterminer. Notre Cour sera au moins aussi bien placée que la Cour saisie du recours Reddock, sinon mieux, pour trancher ce point.
[17]
En bref, il n’est tout simplement pas possible de déterminer à ce stade s’il existe, et dans quelle mesure il existe, un risque de conclusions contradictoires entre la Cour et le recours collectif Reddock ou un risque de double indemnisation. Il est important de noter que rien ne suggère que, si ces risques devaient se matérialiser ultérieurement, ils ne pourraient pas être gérés de manière appropriée dans l’intérêt de la justice, que ce soit par la Cour ou dans le contexte du recours collectif Reddock.
[18]
Troisièmement, dans la présente action, M. Richards allègue une conduite illégale continue de la part du SCC et de ses employés. Bien que cette conduite s’étende sur environ deux ans et qu’elle se serait produite dans plusieurs établissements correctionnels différents, elle fait partie d’un seul et même récit, selon M. Richards. Il serait injuste pour M. Richards, dans la présentation de sa cause, de scinder ce récit en plusieurs parties distinctes et de lui demander ensuite de les plaider devant des tribunaux différents. Le fait de lui permettre de présenter sa cause en un seul récit dans les limites temporelles fixées dans la déclaration modifiée ne portera pas préjudice à la Couronne; en fait, cela pourrait bien aider la Couronne à mettre certains événements en contexte. Cela permettra également à la Cour d’être dans la meilleure position pour faire les constatations de fait nécessaires en ce qui concerne toutes les périodes que M. Richards a passées en isolement préventif, y compris si ces placements étaient volontaires ou involontaires.
[19]
Enfin, s’il est vrai que M. Richards ne s’est pas retiré du recours collectif Reddock, il est également vrai qu’il n’a participé d’aucune façon à ce recours collectif jusqu’à présent. En revanche, il s’est pleinement engagé dans la présente action et il a hâte d’aller de l’avant. La Cour et les parties sont prêtes à procéder à l’instruction de l’action maintenant. L’intérêt de la justice comprend l’accès rapide des parties à la justice.
(b)
Prétentions fondées sur la Charte
[20]
Dans la présente action, M. Richards prétend que ses droits garantis par les articles 2, 7, 9, 10, 12 et 15 de la Charte ont été violés par le SCC et ses employés et qu’il a droit à une réparation à cet égard. La Couronne soutient qu’il y a un « chevauchement important »
entre la présente action et la plainte déposée par M. Richards le 17 février 2015 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne au sujet de la conduite du SCC et de ses employés. Cette plainte a été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) pour décision. Bien que la Couronne ne s’oppose pas à la poursuite des demandes de M. Richards fondées sur la responsabilité délictuelle relativement à l’incident avec l’EIU à Springhill en 2013, elle demande la suspension de toutes les demandes fondées sur la Charte relatives à cet incident et aux autres événements invoqués dans la déclaration modifiée, au moins jusqu’à ce que le TCDP ait terminé son travail.
[21]
J’admets qu’il semble y avoir un chevauchement important entre les faits pertinents invoqués par M. Richards en ce qui concerne les violations alléguées de ses droits garantis par la Charte et sa plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H‑6 (la LCDP). Il semble que les deux concernent précisément la même série d’événements à Springhill et ailleurs en 2013 et 2014. De plus, il existe des similitudes évidentes entre certaines des demandes fondées sur la Charte en l’espèce et la plainte relative aux droits de la personne (par exemple, les allégations de violation de l’alinéa 2a) et du paragraphe 15(1) de la Charte, d’une part, et les allégations de discrimination fondées sur la race et la religion, d’autre part). Néanmoins, essentiellement pour deux raisons, la Couronne ne m’a pas convaincu d’exercer mon pouvoir discrétionnaire afin de suspendre l’une quelconque des demandes de M. Richards fondées sur la Charte.
[22]
Premièrement, pour invoquer l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, il faut que M. Richards présente la même demande (ou, du moins, une demande très semblable) devant la Cour et devant un autre tribunal (la disposition parle simplement de « la demande »
/« the claim »). Devant la Cour, M. Richards allègue des violations de ses droits garantis par la Charte et demande des réparations en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte pour ces violations. Cependant, devant le TCDP, il allègue qu’il a subi un traitement discriminatoire de la part du SCC et de certains de ses employés, comme l’interdit la LCDP, et qu’il a droit à des réparations par le TCDP, comme le prévoit la LCDP. Même si, comme cela semble être le cas, toutes les demandes de M. Richards se rapportent au même ensemble de circonstances factuelles, juridiquement, les demandes dont est saisie la Cour sont entièrement distinctes de celles qui ont été présentées au TCDP. Essentiellement, contrairement à la Cour, il n’appartient pas au TCDP de déterminer si la conduite du SCC ou de l’un de ses employés a enfreint les droits de M. Richards garantis par la Charte. Son rôle consiste plutôt à déterminer si la plainte de discrimination déposée en vertu de la LCDP est fondée et, si tel est le cas, d’accorder une mesure de redressement appropriée : voir l’article 53 de la LCDP. Inversement, il n’appartient pas à la Cour de déterminer si les plaintes en vertu de la LCDP sont fondées ou non. Il convient également de noter que certaines des demandes de M. Richards fondées sur la Charte (par exemple, en ce qui concerne les articles 7 et 12) ne chevauchent pas beaucoup, voire pas du tout, sa plainte relative aux droits de la personne, même si elles sont toutes relatives au même ensemble de circonstances factuelles.
[25]
J’admets qu’il peut y avoir des situations où la Cour devrait attendre l’établissement du droit d’une partie à des recours administratifs avant de se prononcer sur une demande qui lui a été présentée par voie d’action, même si, à proprement parler, les demandes ne sont pas identiques. La Couronne ne suggère pas que M. Richards était tenu de saisir le TCDP avant de présenter à la Cour ses demandes fondées sur la Charte; en d’autres termes, elle ne suggère pas que quelque chose d’analogue à la doctrine de l’épuisement des recours dans le cadre des procédures de contrôle judiciaire s’applique à ces demandes (voir l’arrêt Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 RCS 713, aux para 40 à 45). La Couronne soutient plutôt qu’en choisissant d’engager des processus parallèles relativement aux mêmes événements, M. Richards a déclenché des préoccupations qui justifient le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales. La Couronne soutient qu’elle subira un préjudice si elle doit se défendre contre les demandes fondées sur la Charte dans le cadre de l’action en même temps qu’elle est partie à l’instance devant le TCDP, qu’il y a un risque de conclusions contradictoires, que des ressources judiciaires limitées seront gaspillées si ces demandes sont instruites maintenant et qu’il y a un risque de double indemnisation pour M. Richards.
[27]
La Couronne n’a présenté aucune preuve quant à l’état de l’instance devant le TCDP. Bien que l’avocat de la Couronne dans la présente action ne soit pas l’avocat du SCC dans la plainte relative aux droits de la personne, on peut supposer que cette preuve aurait été facilement disponible auprès de leurs collègues du ministère de la Justice qui représentent le SCC (ou même auprès du SCC lui‑même). D’un autre côté, nous savons que la Cour est prête à tenir un procès maintenant. Rien ne me permet de conclure que la Cour gaspillera ses ressources limitées sur des questions qui ont déjà été tranchées par le TCDP ou qui seront tranchées par cet organisme dans un proche avenir.
[30]
Enfin, les risques de conclusions contradictoires ou de double indemnisation invoqués par la Couronne sont entièrement hypothétiques à ce stade. Plus précisément, puisque la Cour est prête à procéder à l’instruction, tout risque de ce genre sera mieux géré à l’avenir par le TCDP à la lumière des décisions de la Cour et conformément aux responsabilités de cet organisme et à l’instance dont il est saisi. Entre‑temps, il incombe à la Cour de veiller à ce que les demandes de M. Richards en vertu de la Charte soient traitées de façon équitable et en temps opportun. Cela est dans l’intérêt de M. Richards, dans l’intérêt de la Couronne et dans l’intérêt du public. Il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de retarder davantage l’instruction.
B.
La requête visant la radiation des allégations de harcèlement sexuel
(1)
Les principes applicables
[33]
Un acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde : voir l’article 174 des Règles des Cours fédérales. Aux termes de l’article 175 des Règles, une partie « peut, dans un acte de procédure, soulever des points de droit
».
Il est important de noter qu’un demandeur n’est pas tenu de plaider le point de droit particulier relatif à une cause d’action, et qu’une demande ne sera non plus radiée pour la simple raison que le demandeur a retenu le mauvais point de droit. Il faudrait plutôt, sur une requête en radiation en vertu de l’alinéa 221(1)a), se concentrer sur la question de savoir si des allégations de faits substantiels contenues dans la déclaration, interprétées largement, donnent lieu à une cause d’action. Voir l’arrêt Paradis Honey Ltd c Canada, 2015 CAF 89, aux para 113 et 114. L’importance d’adopter une approche généreuse à l’égard des actes de procédure est particulièrement prononcée lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le demandeur se représente lui‑même et n’a pas de formation juridique : voir les décisions Dean c ICCRC, 2020 ONSC 2486, au para 22, et Asghar c Toronto Police Services Board, 2019 ONCA 479, aux para 23 à 25.
(2)
Les principes appliqués
[34]
La Couronne a présenté une requête en radiation de l’allégation de harcèlement sexuel de M. Richards au motif que le droit ne reconnaît pas un tel délit. Je souscris à l’argument de la Couronne selon lequel un précédent convainquant a conclu que le harcèlement n’est pas une cause d’action distincte : voir la décision Merrifield c Canada (Procureur général), 2019 ONCA 205 (demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada rejetée le 19 septembre 2019); voir également la décision McLean c McLean, 2019 SKCA 15, aux para 103 à 105. (En toute équité pour M. Richards, ces décisions sont postérieures au début de son action.) Néanmoins, je suis convaincu que les faits substantiels invoqués par M. Richards relativement à un incident survenu à Springhill en 2013 (voir le paragraphe 51(viii) de la déclaration modifiée) peuvent étayer les délits de voies de fait, d’agression sexuelle et d’infliction intentionnelle de souffrance morale. De même, je suis convaincu que les faits importants invoqués par M Richards relativement à son traitement alors qu’il était en isolement à Dorchester en 2014 (voir les paragraphes 36 et 51(vii) de la déclaration modifiée) sont de nature à étayer le délit d’infliction intentionnelle de souffrance morale. Par conséquent, même si M. Richards a appliqué le mauvais point de droit aux faits importants qu’il a invoqués à cet égard, ces faits sont susceptibles d’étayer une cause d’action valable. Il n’y a donc aucune raison de les radier de la déclaration modifiée.
IV.
CONCLUSION
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
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POUR SON PROPRE COMPTE
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POUR LA DÉFENDERESSE
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POUR LA DÉFENDERESSE
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