Dossier : IMM‑7575‑19
Référence : 2021 CF 736
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2021
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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KIT AYODEJI ODUFODUNRIN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Kit Ayodeji Odufodunrin est un citoyen du Nigéria qui a demandé la résidence permanente à titre de travailleur qualifié à l’invitation du gouvernement canadien, après avoir été admis dans le bassin de candidats d’Entrée express. Un agent d’immigration du haut‑commissariat du Canada à Accra, au Ghana, a rejeté sa demande, parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail rémunéré à temps plein, ou l’équivalent pour un travail rémunéré à temps partiel, dans la profession de la Classification nationale des professions [CNP] indiquée dans sa demande — CNP 5241 : Designers graphiques et illustrateurs/illustratrices. Compte tenu des fonctions et des responsabilités professionnelles décrites dans la lettre d’emploi fournie par l’employeur du demandeur, Guaranty Trust Bank, l’agent a douté, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ait possédé l’expérience de travail qu’il avait déclaré dans sa demande.
[2]
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. En raison de l’insuffisance des éléments de preuve présentés par le demandeur avec sa demande de travailleur qualifié, je ne suis pas convaincue que la décision de l’agent ait été déraisonnable, ou qu’il y ait eu un manquement à la justice naturelle parce que l’agent n’a pas remis une lettre d’équité procédurale, comme le fait valoir le demandeur. Pour les motifs exposés plus en détail ci‑dessous, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire du demandeur.
II.
Les dispositions applicables
[3]
Voir l’annexe A ci‑dessous pour les dispositions législatives applicables.
III.
La norme de contrôle
[4]
Les parties conviennent, tout comme moi, que la norme de contrôle présumée, soit la norme de la décision raisonnable, s’applique au bien‑fondé de la décision de l’agent : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10. Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables dans les circonstances : Vavilov, précité, au para 85. Les cours de révision ne doivent intervenir que lorsque cela est nécessaire. Afin d’éviter l’intervention de la cour de révision, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, précité, au para 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, précité, au para 100.
[5]
Les manquements à l’équité procédurale dans le contexte administratif sont considérés comme étant assujettis à un « exercice de révision […] [traduction] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée »
: Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54. L’obligation d’équité procédurale est tributaire du contexte, souple et variable : Vavilov, précité, au para 77. En somme, la cour de révision se concentre sur la question de savoir si le processus était juste et équitable.
IV.
Analyse
A.
La question préliminaire – L’admissibilité des éléments de preuve du demandeur
[6]
Je suis d’accord avec le défendeur, comme il l’a fait valoir dans ses observations écrites et orales, pour dire que le demandeur a déposé des documents dont ne disposait pas le décideur dans la présente affaire. Par conséquent, ils sont irrecevables.
[7]
À l’appui de sa demande de travailleur qualifié, le demandeur a présenté une lettre de son employeur, datée du 14 février 2019, qui décrivait son niveau et son titre de poste comme agent bancaire adjoint — création interne. Les fonctions applicables énumérées étaient les suivantes :
- interpréter les détails des produits sous forme visuelle pour la presse et les plateformes en ligne;
- collaborer avec les ressources humaines, le service juridique, le service de la conformité et d’autres intervenants internes, pour créer un contenu attrayant pour les communications internes;
- élaborer une stratégie en matière de contenu et de conception visuelle pour les plateformes de médias sociaux;
- concevoir les produits physiques;
- veiller au strict respect des lignes directrices sur l’image de marque ainsi que fournir un soutien, au besoin.
[8]
Le demandeur a également présenté une lettre de son employeur, datée du 4 mars 2019, confirmant certains investissements. La lettre d’emploi, datée du 14 février 2019, et la lettre d’investissement, datée du 4 mars 2019, figurent toutes deux dans le dossier certifié du tribunal [DCT] envoyé à la Cour par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, conformément à l’article 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés. Bien que l’agent ait indiqué dans la décision que la lettre d’emploi était datée du 4 mars 2019 plutôt que du 14 février 2019, à mon avis, ce qui semble être simplement une erreur d’écriture n’entraîne aucune conséquence. Si l’on tient compte de la décision de façon globale dans le contexte du DCT, je suis en mesure de déduire que l’agent voulait parler de la lettre d’emploi datée du 14 février 2019.
[9]
Dans son affidavit souscrit le 4 février 2020 et déposé auprès de la Cour avec le dossier de sa demande, le demandeur affirme que, à l’appui de sa demande de visa de résident permanent, il a soumis plusieurs documents qui sont joints en tant que pièce A, y compris une copie des lettres d’emploi et de promotion émises par son employeur, Guaranty Trust Bank. Ces documents comprennent une lettre, datée du 5 mars 2013, décrivant l’admission du demandeur à un programme de stagiaires à la banque en vue d’une éventuelle promotion, et une deuxième lettre, datée du 28 mai 2015, indiquant que le demandeur avait obtenu une promotion au niveau d’agent bancaire adjoint à compter du 1er juin 2015, compte tenu de son rendement.
[10]
Les lettres datées du 5 mars 2013 et du 28 mai 2015 ne figurent toutefois pas dans le DCT. Puisque les parties conviennent, tout comme moi, que ces lettres [traduction] « ne soulèvent aucune question »
, je ne leur accorde donc aucun poids.
[11]
En outre, le demandeur a déposé un autre affidavit souscrit le 28 avril 2021. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les paragraphes 9 à 12 et 14 à 17 du nouvel affidavit contiennent soit des éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur, soit des arguments. Par conséquent, ils ne peuvent être pris en considération : Dhaliwal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 157 au para 40. Je juge également qu’aucun des éléments de preuve ou des arguments contenus dans ces paragraphes ne relève des exceptions en matière d’admissibilité décrites dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20. Je conclus donc que les paragraphes 9 à 12 et 14 à 17 du nouvel affidavit du demandeur, souscrit le 28 avril 2021, sont inadmissibles.
B.
La décision de l’agent était raisonnable
[12]
Je ne suis pas convaincue que la décision de l’agent concernant l’expérience professionnelle du demandeur soit déraisonnable, et il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont disposait le décideur : Vavilov, précité, au para 125.
[13]
La décision de l’agent reposait sur la suffisance de la preuve : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous répondez aux exigences prévues à l’alinéa a) [du paragraphe 75(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227], car vous n’avez pas présenté suffisamment d’éléments de preuve […]; selon les fonctions et les responsabilités décrites dans la lettre d’emploi fournie, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que vous avez une expérience de travail dans la profession principale de la CNP que vous avez déclarée. »
[14]
La lettre d’emploi, datée du 14 février 2019, était le seul élément de preuve dont disposait l’agent pour examiner la question de savoir si le demandeur avait accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail rémunéré à temps plein (30 heures/semaine), ou l’équivalent pour un travail à temps partiel, dans la profession déclarée, la CNP 5241 — Designers graphiques et illustrateurs/illustratrices. Il s’agit également de la seule lettre d’emploi pertinente dont dispose la Cour.
[15]
Le demandeur fait valoir que les fonctions applicables à la CNP 5241 peuvent être conciliées avec celles énumérées dans la lettre d’emploi et fournit, dans ses observations écrites devant la Cour, un tableau comparatif. Voir l’annexe B ci‑dessous pour les principales fonctions des designers graphiques et des illustrateurs, selon la CNP 5241. Les fonctions contenues dans la lettre d’emploi sont indiquées dans une colonne, et celles qui, selon le demandeur, correspondent aux fonctions de la CNP 5241 sont affichées dans la deuxième colonne du tableau. Le demandeur soutient que son employeur, Guaranty Trust Bank, a formulé sa description de poste différemment de celle dans la CNP 5241. L’agent aurait donc dû se concentrer sur les similitudes entre les deux séries de fonctions, telles qu’elles figurent dans le tableau, plutôt que sur les différences dans le libellé des fonctions. Le demandeur invite la Cour à tirer une conclusion différente. À mon avis, la Cour doit refuser de le faire pour éviter de se livrer à un exercice que l’on pourrait décrire comme étant une nouvelle appréciation de la preuve.
[16]
Bien que les motifs de l’agent soient brefs, ils sont néanmoins suffisants pour permettre à la Cour de comprendre, compte tenu des éléments de preuves présentés avec la demande, le fondement de la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas satisfait aux exigences réglementaires applicables pour obtenir la résidence permanente à titre de travailleur qualifié. En outre, il incombait au demandeur de présenter une demande pouvant convaincre l’agent qu’il satisfaisait à ces exigences et d’anticiper les éventuelles déductions défavorables inhérentes aux éléments de preuve : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526 [Singh] au para 52. Aucun élément de preuve ne permet de déterminer si le demandeur avait eu un contrôle ou une influence sur le libellé utilisé par son employeur pour décrire ses fonctions dans la lettre d’emploi. Néanmoins, le demandeur était responsable du contenu de sa demande et des autres documents à l’appui.
C.
Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle
[17]
Je ne suis pas non plus convaincue qu’il y ait eu un quelconque manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle dans les circonstances de l’affaire dont je suis saisie.
[18]
Le demandeur fait valoir que les fonctions de son poste correspondent en grande partie à la catégorie de la CNP choisie, bien que pas complètement, et que la zone grise des fonctions aurait dû donner lieu à une lettre d’équité procédurale afin qu’il puisse répondre aux préoccupations de l’agent. Toutefois, l’agent n’était pas tenu de demander des précisions au demandeur ou à son employeur : Ekama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 105 [Ekama] au para 43; Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786 au para 8.
[19]
En outre, « [l]es demandeurs peuvent raisonnablement s’attendre à ce que les agents utilisent leur propre expérience et leur propre expertise pour évaluer la demande et tirent des inférences et des conclusions à partir des éléments de preuve leur ayant été soumis sans nécessairement faire connaître aux demandeurs leurs interrogations »
: Singh, précitée, au para 52. Je juge que ce principe correspond au fardeau qui incombait au demandeur de présenter la meilleure preuve possible dans le cadre de sa demande de travailleur qualifié.
[20]
De plus, la crédibilité du demandeur n’est pas en cause. Encore une fois, il s’agit d’une question de suffisance des éléments de preuve du demandeur. L’agent examine les renseignements que seul l’employeur peut fournir pour apprécier la preuve du demandeur dans le contexte des exigences : Ekama, précitée, au para 44.
V.
Conclusion
[21]
Pour les motifs exposés ci‑dessus, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire du demandeur.
[22]
Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je juge que l’affaire n’en soulève aucune dans les circonstances.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑7575‑19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée; il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur
Annexe A : Les dispositions applicables
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)
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Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227
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Annexe B : CNP 5241 — Les fonctions principales des designers graphiques et des illustrateurs
Designers graphiques
- Consulter les clients pour déterminer l’aspect général, les éléments graphiques et le contenu des outils de communication afin de répondre à leurs besoins
- Déterminer les moyens les plus appropriés pour produire l’effet visuel désiré et la méthode de communication convenable
- Concevoir les éléments graphiques qui répondent aux objectifs de la commande
- Préparer les esquisses, les mises en pages et les éléments graphiques des sujets à représenter à l’aide d’outils traditionnels, de logiciels multimédias et de logiciels de traitement de l’image, de mise en pages et de dessin
- Évaluer les coûts des matériaux et le temps nécessaire pour exécuter les éléments graphiques
- Utiliser les répertoires existants de photographies et d’illustrations et les guides typographiques ou faire appel aux services d’un illustrateur ou d’un photographe pour produire des illustrations ou des photographies qui répondent aux besoins de communication des clients
- Établir les lignes directrices pour les illustrateurs et les photographes
- Coordonner tous les aspects de la production des versions imprimée, audiovisuelle ou sur support électronique, c’est‑à‑dire des sites Web, des disques compacts et des terminaux interactifs
- Coordonner la sous‑traitance
- Travailler dans un contexte d’interdisciplinarité
- Superviser d’autres designers graphiques ou techniciens en graphisme
Illustrateurs
- Consulter les clients pour déterminer la nature et le contenu des illustrations afin de répondre à leurs besoins de communication
- Concevoir et réaliser, à la main ou à l’aide de logiciels de dessin assisté par ordinateur (DAO), des esquisses puis des illustrations finales à caractère réaliste ou fantaisiste pour des imprimés tels que des livres, des revues, des emballages, des cartes de souhaits et des produits de papeterie
- Participer à l’élaboration d’un scénarimage pour des productions électroniques telles que des produits multimédias, interactifs et numériques, des publicités télévisées et des émissions de télévision
- Faire du dessin d’animation 2D et 3D ou de l’illustration par ordinateur
- Adapter, s’il y a lieu, les illustrations graphiques existantes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑7575‑19
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INTITULÉ :
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KIT AYODEJI ODUFODUNRIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 30 juin 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE FUHRER
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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Le 12 juillet 2021
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COMPARUTIONS :
Edos Omorotionmwan
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Pour le demandeur
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Daniel Vassberg
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edos Omorotionmwan
Avocat
Calgary (Alberta)
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Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Calgary (Alberta)
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Pour le défendeur
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