Date : 20210712
Dossier : IMM‑841‑20
Référence : 2021 CF 733
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2021
En présence de madame la juge Kane
ENTRE :
|
LAWRENCE EVANS
|
demandeur
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur, Lawrence Evans [M. Evans], demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration [l’agent] rendue le 17 janvier 2020. L’agent a rejeté la demande de résidence permanente au Canada de M. Evans [la demande] qui se fondait sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. Bien que les circonstances de M. Evans appellent la sympathie, il faut en faire davantage pour justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. En outre, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou de rendre une nouvelle décision. Le rôle de la Cour consiste plutôt à déterminer si la décision est raisonnable. L’agent a examiné tous les facteurs pertinents, a accordé du poids à chaque facteur, a évalué de façon cumulative tous les facteurs pour déterminer si la dispense pour considérations d’ordre humanitaire était justifiée et a raisonnablement conclu que ce n’était pas le cas.
I.
Contexte
[3]
M. Evans est né au Royaume‑Uni et demeure citoyen du Royaume‑Uni. Il a été élevé par sa grand‑mère en Jamaïque et il est retourné au Royaume‑Uni à l’âge de 13 ans pour vivre avec un oncle.
[4]
En 2004, M. Evans est arrivé au Canada et a épousé Julene Foggin‑Evans [Mme Foggin‑Evans], qu’il avait rencontrée en ligne. M. Evans est devenu résident permanent du Canada en 2009, après avoir été parrainé à titre d’époux. Le couple s’est divorcé en 2009 et remarié en 2018. Bien que le couple demeure marié, les époux entretiennent deux résidences à proximité, en raison l’allergie aux chats de Mme Foggin‑Evans. Mme Foggin‑Evans est maintenant septuagénaire et souffre de démence. M. Evans a 58 ans et a une déficience cognitive. M. Evans est le principal aidant de Mme Foggin‑Evans et il l’aide dans ses activités quotidiennes.
[5]
Le 15 mars 2017, M. Evans a été reconnu coupable d’un chef d’accusation de leurre d’enfant au titre de l’alinéa 172.1(1)b) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Il a reçu une peine d’emprisonnement de 236 jours et une probation de trois ans. À la suite de sa condamnation, il a perdu son statut de résident permanent et il est devenu interdit de territoire au Canada. Une mesure d’expulsion a été prise en juin 2019.
[6]
M. Evans a présenté sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] en juillet 2019. Sa demande pour motifs d’ordre humanitaire a été refusée le 17 janvier 2020. M. Evans demande seulement le contrôle judiciaire de la décision sur la dispense pour motifs d’ordre humanitaire.
[7]
La requête de M. Evans visant à surseoir à son renvoi du Canada a été rejetée par le juge Paul Favel le 19 septembre 2020. Le juge Favel a conclu qu’aucune question sérieuse n’avait été soulevée dans la décision de l’agent de renvoi et qu’aucun préjudice irréparable n’avait été établi. Malgré cette décision, la Cour a accordé son autorisation pour introduire la présente demande. Les parties conviennent que la présente demande devrait être tranchée en fonction du dossier dont la Cour dispose actuellement.
II.
La décision faisant l’objet du contrôle
[8]
L’agent a évalué la situation personnelle de M. Evans, son établissement au Canada, ses liens familiaux, l’incidence que son retour au Royaume‑Uni aurait sur son épouse, les difficultés auxquelles il ferait face dans sa réintégration au Royaume‑Uni, les rapports médicaux concernant ses problèmes cognitifs et de santé mentale, et sa grande criminalité.
[9]
En ce qui concerne l’établissement, l’agent a souligné l’emploi de M. Evans, sa présence à l’église et son rôle d’aidant auprès de son épouse. Toutefois, l’agent a conclu que M. Evans [traduction] « s’est par ailleurs établi de façon minimale sur les plans social et financier au cours de ses années au Canada ».
[10]
L’agent a tenu compte du fait que M. Evans avait occupé un emploi pendant ses 15 ans au Canada et qu’il avait payé des impôts, mais il a souligné qu’il n’y avait pas de dossiers bancaires et que l’agent n’était pas convaincu que M. Evans avait suffisamment d’économies pour soutenir un séjour de longue durée au Canada.
[11]
L’agent a également tenu compte des lettres d’appui de Mme Foggin‑Evans, d’autres amis et de membres de l’église de M. Evans. L’agent a noté que M. Evans avait fait plusieurs connaissances, mais que la seule relation durable et étroite était celle avec son épouse. L’agent a conclu que M. Evans pouvait maintenir ces relations, y compris avec son épouse, par des appels interurbains, des lettres et des visites.
[12]
L’agent a reconnu que M. Evans et son épouse entretiennent une relation étroite, qu’il l’aide à accomplir les tâches quotidiennes et que son renvoi du Canada entraînerait probablement le déménagement de son épouse dans une résidence avec services de soutien. L’agent a souligné que les observations de M. Evans portaient sur les difficultés liées aux conséquences de son renvoi pour les soins de son épouse plutôt que sur les répercussions émotionnelles. L’agent a conclu que les difficultés pour l’épouse de M. Evans pourraient être atténuées en embauchant un préposé aux services de soutien à la personne ou en l’installant dans une résidence avec services de soutien.
[13]
L’agent a également souligné que les liens familiaux de M. Evans au Canada étaient principalement ses liens avec son épouse, et qu’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a conclu qu’il y avait [traduction] « peu d’éléments de preuve indiquant que l’épouse du demandeur est incapable de se rendre (avec de l’aide au besoin) au Royaume‑Uni pour rendre visite au demandeur et lui offrir un soutien affectif ».
[14]
En ce qui concerne les difficultés pour M. Evans à son retour au Royaume‑Uni, l’agent a examiné les rapports de deux psychologues et de deux psychiatres. Ces rapports décrivaient M. Evans comme ayant une [traduction] « capacité cognitive très limitée »
et se présentant [traduction] « probablement avec un trouble d’apprentissage et un trouble d’adaptation associé à l’humeur anxieuse »
.
[15]
L’agent a reconnu que M. Evans pourrait éprouver des difficultés de rétablissement, mais a souligné que, pour la plupart des gens, un déménagement dans un autre pays est susceptible de poser des défis, y compris du stress psychologique. L’agent a conclu que M. Evans avait fait preuve de résilience en déménageant au Canada et en se réinstallant avec succès et qu’il serait en mesure de le faire de nouveau.
[16]
L’agent a reconnu les problèmes de santé mentale et de déficience cognitive de M. Evans, mais a constaté qu’il y avait peu de preuves objectives indiquant qu’il ne pourrait pas suivre une thérapie au Royaume‑Uni pour l’aider à faire face à la situation et à réintégrer la société. De plus, l’agent a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve objectifs permettant de croire que les membres de la famille de M. Evans au Royaume‑Uni seraient incapables de lui offrir un soutien affectif et de l’aide pour sa réintégration.
[18]
En ce qui concerne la grande criminalité de M. Evans, l’agent a reconnu que M. Evans n’avait pas de condamnation antérieure. L’agent a examiné les rapports psychiatriques et psychologiques, y compris le fait que M. Evans avait reçu une évaluation indiquant qu’il avait une capacité cognitive très limitée et un trouble d’apprentissage, mais il ne satisfaisait pas aux critères d’une déclaration de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux relativement à l’infraction de leurre d’enfant. L’agent a tenu compte de l’opinion de juillet 2019 du Dr Davis selon laquelle M. Evans présentait un faible risque de récidive. L’agent a également tenu compte de l’évaluation psychoéducative d’octobre 2016 par M. Sander, qui a souligné que M. Evans n’était pas susceptible d’apprendre de ses expériences passées, à moins que ce soit dans la même situation sociale et dans un contexte semblable, et du rapport présentenciel de juin 2017, qui indiquait que M. Evans ne reconnaissait pas sa responsabilité et qu’une réadaptation avec un conseiller serait futile.
[19]
L’agent a attribué plus de poids à la gravité de la condamnation et aux opinions selon lesquelles M. Evans n’a pas assumé la responsabilité de ses actes ni exprimé des remords qu’à l’opinion du Dr Davis au sujet du faible risque de récidive.
[20]
En conclusion, l’agent a reconnu que M. Evans était au Canada depuis 15 ans, qu’il travaillait et qu’il entretenait une relation conjugale. L’agent a également accepté le fait que M. Evans éprouverait des difficultés en raison des défis de la réinsertion sociale et que son épouse éprouverait des difficultés en raison de son absence comme aidant principal. Toutefois, l’agent a conclu que les difficultés pourraient être [traduction] « atténuées en partie, sinon en grande partie »
.
[21]
Dans l’ensemble, l’agent a conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur la grande criminalité de M. Evans.
III.
La norme de contrôle
[22]
Il est bien établi que les décisions en matière de considérations d’ordre humanitaire, de nature discrétionnaire, sont soumises à la norme de la décision raisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux para 57 à 62, 174 DLR (4th) 193; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61, au para 44 [Kanthasamy]). Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16 et 23 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires et a fourni des directives détaillées aux tribunaux pour le contrôle du caractère raisonnable d’une décision.
[23]
La cour de révision doit entreprendre son évaluation du caractère raisonnable d’une décision en examinant les motifs donnés avec une attention respectueuse, et chercher à comprendre le raisonnement adopté par le décideur pour en arriver à sa conclusion. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105 à 110). La Cour n’évalue pas les motifs en fonction d’une norme de perfection (Vavilov, au para 99).
[24]
Au paragraphe 100 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a souligné qu’une décision ne doit pas être infirmée sauf s’il y a des « lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
et que « [l]a cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable »
(non souligné dans l’original).
[25]
La Cour suprême du Canada a relevé deux types de lacunes fondamentales qui rendront une décision déraisonnable, au paragraphe 101 de l’arrêt Vavilov : « [l]a première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »
.
IV.
Les observations du demandeur
[26]
M. Evans soutient que l’agent n’a pas tenu compte de son établissement au Canada dans le contexte approprié, qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents concernant l’incidence de son renvoi sur son épouse, qu’il n’a pas tenu compte de l’incidence de son renvoi sur sa propre santé mentale, et qu’il a supposé qu’il aurait le soutien de sa famille au Royaume‑Uni. De façon plus générale, M. Evans soutient que l’évaluation de l’agent a porté sur sa condamnation au criminel presque jusqu’à exclure les autres facteurs pertinents qui appuieraient une dispense pour considérations d’ordre humanitaire.
[27]
M. Evans soutient que l’agent n’a pas évalué son degré d’établissement en tenant compte de sa capacité cognitive limitée. Il soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle son établissement n’était généralement pas significatif compte tenu du temps qu’il avait passé au Canada donne à penser que l’agent s’attendait à un certain degré d’établissement, ce qui est une erreur (Baco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 694, au para 18 [Baco]).
[28]
M. Evans fait remarquer que l’agent a conclu qu’il avait peu de relations au Canada, pourtant il a présenté des lettres d’amis qui se portent garants de lui et déclarent qu’ils le connaissent depuis plusieurs années. De plus, les preuves des évaluations psychologiques et psychiatriques indiquent qu’il n’a pas la capacité de percevoir et d’interpréter les indices sociaux, ce qui nuirait à sa capacité de nouer des amitiés durables.
[29]
M. Evans soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle les besoins de son épouse pourraient être comblés par un préposé aux services de soutien à la personne ou en déménageant dans une résidence avec services de soutien n’est pas fondée sur la preuve. M. Evans fait remarquer que l’agent s’est concentré sur un aidant de remplacement pour son épouse, ce qui ne tient pas compte de l’opinion du Dr Davis selon laquelle l’état de son épouse s’aggraverait sérieusement si M. Evans n’était pas son aidant naturel. M. Evans note également les lettres du fils de Mme Foggin‑Evans et de son amie proche, Jacqueline Schow, au sujet des répercussions de son renvoi sur son épouse. De façon plus générale, M. Evans soutient que l’incidence de la séparation d’avec son épouse est un facteur important à prendre en considération dans les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, mais que ce facteur a été ignoré (Lopez Bidart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 307, au para 30 [Lopez Bidart]).
[30]
M. Evans ajoute que la suggestion de l’agent selon laquelle Mme Foggin‑Evans pourrait se rendre au Royaume‑Uni, avec de l’aide, pour rendre visite à M. Evans est hypothétique et déraisonnable compte tenu de son incapacité à accomplir des tâches quotidiennes de base. De plus, il soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il peut compter sur sa sœur et son oncle au Royaume‑Uni pour l’aider à réintégrer la société repose uniquement sur des hypothèses.
[31]
M. Evans soutient en outre que l’agent n’a pas tenu compte des répercussions de son renvoi sur sa propre santé mentale, se concentrant plutôt sur le traitement qui pourrait lui être offert au Royaume‑Uni, contrairement à ce qui est prévu aux paragraphes 46 à 49 de l’arrêt Kanthasamy.
[32]
M. Evans soutient que sa grande criminalité, qui est la raison même de son interdiction de territoire au Canada et de la dispense qu’il demande, ne peut éclipser tous les autres facteurs qui peuvent justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Lopez Bidart, au para 32). Il soutient également que l’agent s’est concentré sur son rapport présentenciel concernant son risque de récidive plutôt que sur le témoignage plus récent du Dr Davis, qui a conclu qu’il présentait un faible risque de récidive.
V.
Les observations du défendeur
[33]
Le défendeur soutient que la décision de l’agent est transparente et justifiée par les faits et le droit. L’agent a soupesé tous les facteurs et a expliqué chaque conclusion et la conclusion globale.
[34]
Le défendeur conteste l’assertion selon laquelle l’agent a commis une erreur en omettant de préciser le degré d’établissement « attendu »
dans les circonstances. Le défendeur soutient que l’agent a reconnu les limites cognitives de M. Evans et qu’il a souligné son emploi et son rôle d’aidant naturel. Par ailleurs, l’agent a estimé qu’il n’y avait pas de dossier de saine gestion financière. La conclusion selon laquelle l’établissement de M. Evans était minime après 15 ans au Canada est étayée par la preuve au dossier, ou l’absence de preuve.
[35]
Le défendeur fait remarquer que l’agent a examiné la preuve de difficultés pour l’épouse de M. Evans, y compris le rapport du Dr Davis, la lettre de Mme Foggin‑Evans et la lettre du fils de cette dernière.
[36]
Le défendeur soutient que l’évaluation faite par l’agent des répercussions du renvoi sur la santé mentale de M. Evans et de l’existence de mesures de soutien en santé mentale pour l’aider au Royaume‑Uni était tout à fait raisonnable, dans le contexte de l’évaluation de ses difficultés à son retour. Aucune preuve n’indiquait qu’il serait impossible d’obtenir des traitements et du soutien au Royaume‑Uni. Le défendeur fait également remarquer que M. Evans a fourni des renseignements pour son rapport présentenciel indiquant qu’il avait eu des contacts avec sa sœur et son oncle au Royaume-Uni.
[37]
Le défendeur conteste l’assertion selon laquelle la décision Lopez Bidart prévoit que le motif de l’interdiction de territoire peut être écarté dans une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur soutient, de toute façon, qu’il est facile de distinguer la décision Lopez Bidart parce que cette affaire porte sur une interdiction de territoire fondée sur le séjour prolongé du demandeur au Canada et un parrainage d’époux refusé, et non sur la grande criminalité.
[38]
En ce qui concerne le facteur de grande criminalité, le défendeur soutient que l’agent a tenu compte du rapport du Dr Davis et a clairement expliqué qu’il a attribué plus de poids à d’autres éléments de preuve, en particulier le rapport présentenciel et l’évaluation psychoéducative. Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement accordé plus de poids à l’opinion et à l’évaluation de M. Sanders, qui a mené des tests plus poussés auprès de M. Evans et a conclu que M. Evans n’a pas assumé la responsabilité de sa conduite, n’éprouvait pas de remords et s’inquiétait davantage de l’incidence de sa condamnation sur son emploi. Le défendeur souligne également les circonstances de l’infraction de leurre d’enfant, qui démontrent que M. Evans savait qu’il communiquait avec un enfant et qu’il s’était présenté comme enfant.
VI.
La décision est raisonnable
[39]
D’entrée de jeu, il est important de noter l’objet d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la jurisprudence concernant ce qui constitue une décision raisonnable, c’est‑à‑dire une décision rationnelle et cohérente, transparente, intelligible et justifiée par les faits et le droit.
[40]
L’article 25 de la Loi prévoit qu’une dispense de certaines conclusions d’interdiction de territoire et d’autres critères ou obligations de la Loi peut être accordée pour des motifs d’ordre humanitaire. Cette mesure discrétionnaire prévoit une dispense des exigences légales autrement applicables et est généralement qualifiée de mesure « exceptionnelle »
. En l’espèce, la dispense, si elle était accordée, annulerait l’interdiction de territoire de M. Evans au Canada.
[41]
Il incombe en tout temps au demandeur d’établir, à l’aide de preuves suffisantes, que la dispense devrait être accordée. Les agents qui font des évaluations fondées sur des considérations d’ordre humanitaire doivent prendre en compte tous les éléments de preuve présentés et doivent être convaincus que la dispense est justifiée dans les circonstances particulières de l’affaire.
[42]
Dans la décision Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 287, au paragraphe 23, la juge Strickland a saisi l’essence d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en soulignant que, si elle est prononcée, elle dispense un demandeur de « tout ou partie des critères et obligations applicables de la LIPR »
, notamment en exonérant un demandeur de l’obligation de quitter le Canada en vue de présenter une demande de résidence permanente « par les voies habituelles »
. La juge Strickland a souligné qu’une « dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, discrétionnaire par surcroît »
et qu’il « incombe au demandeur d’établir qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est justifiée »
.
[43]
M. Evans s’appuie beaucoup sur l’arrêt Kanthasamy, notamment en ce qui concerne l’importance des conséquences du renvoi sur la santé mentale. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a fourni des directives détaillées sur la façon dont l’article 25 devait être interprété et appliqué.
[44]
Au paragraphe 13 de l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a souscrit à l’approche adoptée antérieurement dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338, dans laquelle les considérations d’ordre humanitaire sont décrites comme « des faits établis par la preuve de nature à inciter [toute personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne »
(non souligné dans l’original).
[45]
Bien que cela semble être une mesure souple et généreuse qui permet d’accorder la dispense, la Cour suprême du Canada a expliqué que la justification d’une dispense en vertu de l’article 25 variera selon les faits et le contexte de chaque affaire. Les agents qui rendent de telles décisions doivent véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à leur connaissance et leur accorder du poids (Kanthasamy, au para 25). Les aspects importants de l’arrêt Kanthasamy sont les directives claires de la Cour selon lesquelles il faut éviter d’imposer un seuil de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées et « soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes »
(au para 33) (non souligné dans l’original).
[46]
Bien qu’elle ait souligné la nécessité de considérer tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents, la Cour suprême a également reconnu, au paragraphe 23, que le processus lié aux dispenses pour considérations d’ordre humanitaire n’établit pas un régime d’immigration parallèle et que « [l’]obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés »
, mais que celles‑ci ne sont généralement pas suffisantes à elles seules pour accorder une dispense.
[47]
Dans la décision Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313 [Shackleford], le juge Roy a examiné le paragraphe 33 de l’arrêt Kanthasamy et a souligné, au paragraphe 11, que « la notion de difficultés demeure une considération importante dans l’examen des demandes fondées sur des motifs [d’ordre humanitaire] »
et que l’arrêt Kanthasamy n’a pas changé la caractérisation de la dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire comme étant une mesure exceptionnelle.
[48]
M. Evans fait également référence à la décision Lopez Bidart afin d’appuyer plusieurs de ses arguments. Dans cette affaire, le juge Pentney a également cité l’arrêt Kanthasamy, faisant remarquer ce qui suit :
[14] Il ne suffit pas de démontrer que l’obligation de quitter le Canada entraînera certaines difficultés, car c’est là une conséquence inévitable du renvoi. Il faut plutôt démontrer l’existence d’une circonstance qui sort de l’ordinaire, et cela dépendra des faits et du contexte de chaque dossier (Kanthasamy, aux paras 23‑25). [Non souligné dans l’original.]
[49]
Bien que les demandeurs devant la Cour puissent invoquer la jurisprudence à l’appui d’une conclusion selon laquelle des circonstances semblables ont été jugées exceptionnelles et comme des circonstances justifiant la prise de mesures spéciales, chaque affaire est tranchée en fonction de la preuve présentée au décideur. Le rôle de la Cour est d’évaluer si le décideur a rendu une décision raisonnable en fonction de son évaluation de la preuve et de l’application de la disposition législative et de la jurisprudence qui l’a interprétée. La jurisprudence ultérieure à l’arrêt Kanthasamy est cohérente à plusieurs égards, et souligne notamment que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire est discrétionnaire et exceptionnelle, qu’il est normal qu’un renvoi entraîne une certaine difficulté et que cette difficulté ne justifie pas en soi la dispense, et qu’il faut davantage qu’une cause appelant à la sympathie pour justifier la dispense. Au paragraphe 14 de la décision Shackleford, le juge Roy a souligné que les cours de révision ne doivent pas substituer leur pouvoir discrétionnaire à celui qui a été accordé au ministre et qu’il « doit exister une mesure de la gravité des circonstances pouvant légitimement constituer des considérations d’ordre humanitaire »
évaluée conjointement avec les autres facteurs pertinents.
[50]
En ce qui concerne l’observation de M. Evans selon laquelle la décision n’est pas raisonnable parce que l’agent a laissé entendre que son établissement n’avait pas atteint un certain degré d’établissement attendu qui n’a pas été précisé, rien dans la décision n’indique que l’agent a adopté une telle approche.
[51]
M. Evans renvoie au paragraphe 18 de la décision Baco, dans laquelle le juge Boswell a conclu que l’agent avait commis une erreur en évaluant l’établissement du demandeur par rapport à un point de repère quelconque et n’a pas expliqué pourquoi la preuve d’établissement était insuffisante. Contrairement à l’affaire Baco, l’agent n’a pas écarté le degré d’établissement de M. Evans ni laissé entendre qu’il ne correspondait pas à ce qui serait normal dans les circonstances. L’agent a simplement évalué la preuve concernant le degré d’établissement et a conclu qu’il était minimal.
[52]
De plus, au paragraphe 18 de la décision Baco, le juge Boswell a reconnu que l’établissement est l’un des nombreux facteurs et que l’évaluation de la preuve relève des connaissances spécialisées et du pouvoir discrétionnaire de l’agent. Le juge Boswell a conclu, à la lumière des faits, qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas tenir compte de l’établissement des demandeurs simplement parce qu’il ne correspondait pas au « degré normal d’établissement auquel on pourrait s’attendre de la part de demandeurs dans leur situation »
. Il a également conclu que l’agent avait omis de façon déraisonnable d’expliquer pourquoi la preuve d’établissement était insuffisante ou ne correspondait pas aux attentes.
[53]
Bien que l’agent n’ait pas suggéré de degré d’établissement attendu pour M. Evans, je ne suis pas d’accord pour dire que ce serait nécessairement une erreur pour un agent de conclure qu’un demandeur n’a pas atteint ou dépassé le degré d’établissement qui serait habituel pour une personne se trouvant dans une situation semblable. Une dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’est pas simplement un autre moyen d’obtenir un statut au Canada ou de surmonter la nécessité de présenter une demande à partir de l’étranger (comme il est mentionné dans l’arrêt Kanthasamy). Dans ce contexte, il serait raisonnable pour un agent de déterminer si le degré d’établissement correspond simplement au degré minimal raisonnable dans les circonstances ou s’il est plus important, sans fixer de niveau artificiel ou d’attente, en fonction du temps passé au Canada. Travailler, payer le loyer, payer les factures et se faire des amis sont des aspects fondamentaux de la vie qui sont raisonnablement « attendus »
, à moins qu’il n’y ait un obstacle. En l’espèce, il ne s’agirait pas d’un établissement remarquable ou exceptionnel qui justifierait d’accorder un poids relatif plus grand dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[54]
M. Evans s’appuie également sur le paragraphe 22 de la décision Ranji c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 521, pour faire valoir que l’agent aurait dû évaluer son établissement dans le contexte de sa capacité cognitive. Dans la décision Ranji, la Cour a déclaré que « l’agente devait tenir compte de la preuve présentée quant à l’origine sociale et aux caractéristiques du demandeur »
.
[55]
En l’espèce, l’agent a tenu compte de la nature de l’emploi de M. Evans, du fait qu’il vit au Canada depuis 15 ans, qu’il fréquente une église, qu’il est le principal aidant de son épouse et qu’il a fait plusieurs connaissances au Canada. L’agent a également tenu compte du fait que M. Evans n’avait pas noué d’amitié durable et étroite avec qui que ce soit sauf son épouse.
[56]
L’agent a reconnu la situation personnelle de M. Evans, y compris sa déficience cognitive. L’agent a conclu que M. Evans avait un certain degré d’établissement, mais qu’il était minime. Le poids accordé à la preuve liée au facteur d’établissement dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent. L’agent n’a écarté aucun élément de preuve pertinent concernant le degré d’établissement.
[57]
L’agent s’est également demandé si M. Evans pouvait s’établir à son retour au Royaume‑Uni, notant son expérience de travail et le fait qu’il avait de la famille au Royaume‑Uni qui pouvait l’aider. Il n’est pas déraisonnable de la part de l’agent de considérer la capacité de M. Evans de se rétablir au Royaume‑Uni comme étant pertinente à la fois pour son établissement au Canada (par rapport à ce qu’il laisserait derrière lui) et pour les difficultés qu’il subirait au moment de son renvoi. L’agent a évalué les deux facteurs : le degré d’établissement et les difficultés.
[58]
M. Evans s’appuie également sur le paragraphe 30 de la décision Lopez Bidart pour affirmer que la séparation d’avec son épouse est un facteur important. Le juge Pentney a fait remarquer que « [l]es difficultés causées par la séparation des époux ont été reconnues comme un élément important dans d’autres décisions; pourtant, la décision faisant l’objet du présent contrôle ne leur accorde presque pas d’importance »
.
[59]
La nécessité de tenir compte de l’incidence de la séparation n’est pas contestée, mais contrairement à la conclusion tirée dans la décision Lopez Bidart, l’agent a tenu compte des difficultés liées à la séparation pour M. Evans et son épouse, mais a conclu qu’il ne s’agissait que d’un facteur parmi plusieurs et qu’il serait atténué.
[60]
L’agent a tenu compte des répercussions du renvoi de M. Evans sur son épouse, notant que le renvoi de M. Evans, en tant que principal aidant, entraînerait probablement le déménagement de son épouse dans une résidence avec services de soutien. L’agent a conclu que les difficultés que subirait l’épouse de M. Evans en ce qui a trait à ses besoins quotidiens et à la possibilité d’un déclin cognitif supplémentaire, selon l’avis du Dr Davis, seraient atténuées par l’embauche d’un travailleur de soutien ou son déménagement dans une résidence avec services de soutien.
[61]
Bien que l’agent ait tenu compte du rapport du Dr Davis, ce dernier a donné des précisions sur l’incidence de la perte d’un aidant pour une patiente atteinte de démence, comme Mme Foggin‑Evans, et a déclaré qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’une diminution de la disponibilité physique d’un aidant ait un effet négatif. Il a également déclaré que [traduction] « la diminution de la disponibilité émotionnelle d’un aidant est un facteur prédictif d’une mortalité plus rapide du patient atteint de démence »
, que [traduction] « la dépression en soi est un puissant prédicteur du taux de déclin fonctionnel et cognitif chez les patients atteints de démence »
et qu’on pouvait raisonnablement prédire que la dépression de Mme Foggin‑Evans s’aggraverait après le renvoi de son époux. Le Dr Davis a aussi souligné plus précisément que la perte de M. Evans en tant qu’aidant de son épouse entraînerait une diminution plus rapide de la capacité mentale de cette dernière et sa mortalité.
[62]
Bien que la Cour souligne que la conclusion de l’agent selon laquelle un travailleur de soutien ou une résidence avec services de soutien atténuerait ces difficultés ne reflète pas l’opinion du Dr Davis, qui est la seule preuve au sujet de l’incidence du renvoi de M. Evans sur son épouse, c.‑à‑d. que son état se détériorera plus rapidement sans M. Evans comme aidant naturel, il est évident que l’agent a accordé moins de poids à l’opinion du Dr Davis qu’à d’autres considérations, y compris le fait que le rôle de M. Evans est davantage un rôle d’un aidant physique, que d’autres pourraient remplir.
[63]
En ce qui concerne les répercussions du renvoi sur M. Evans, il était raisonnable que l’agent tienne compte de la disponibilité des ressources et du soutien familial au Royaume‑Uni pour faciliter sa réintégration. Selon certains éléments de preuve au dossier, M. Evans a affirmé qu’il est demeuré en contact avec sa sœur et son oncle. Bien qu’il n’y ait pas de preuve du niveau de soutien qu’ils fourniraient, il n’y a pas non plus de preuve de la part de M. Evans, qui a le fardeau de fournir des éléments de preuve à l’appui de sa demande, selon laquelle il ne pourrait pas réintégrer le Royaume‑Uni ou selon laquelle il n’avait personne vers qui se tourner.
[64]
M. Evans s’appuie sur l’arrêt Kanthasamy (aux para 46 à 49) pour faire valoir que l’agent doit tenir compte de la preuve du diagnostic de santé mentale d’un demandeur et de la preuve que son renvoi aggravera probablement sa santé mentale. Au paragraphe 48 de l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a souligné « [qu’]en s’attachant uniquement à la possibilité que [le demandeur] soit traité au Sri Lanka, l’agente passe sous silence les répercussions de son renvoi du Canada sur sa santé mentale »
. En l’espèce, contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire Kanthasamy, l’agent n’a pas ignoré l’incidence du renvoi de M. Evans sur sa santé mentale, n’a pas écarté la preuve concernant les problèmes de santé mentale de M. Evans et n’a pas laissé entendre qu’il fallait des preuves supplémentaires au sujet de tout traitement requis.
[65]
L’agent n’est pas allé à l’encontre des directives de la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, mais il a plutôt admis que M. Evans subirait les conséquences de son renvoi, y compris sur sa santé mentale, et qu’il pourrait chercher des ressources au Royaume‑Uni. L’arrêt Kanthasamy ne dit pas que la disponibilité des ressources dans le pays d’origine n’est pas pertinente. Rien n’indique non plus que de telles ressources ne soient pas disponibles au Royaume‑Uni.
[66]
Le Dr Davis a déclaré qu’il s’attendrait raisonnablement à ce qu’il y ait un effet négatif sur la santé mentale de M. Evans s’il était renvoyé en raison des [TRADUCTION] « difficultés liées à la réinstallation et de l’expérience de perte lors d’une séparation forcée de son épouse »
, et qu’il ne serait pas candidat à la thérapie cognitivo‑comportementale en raison de ses faibles compétences linguistiques. Toutefois, selon le Dr Davis, [TRADUCTION] « il y a un risque que M. Evans sombre dans la dépression en l’absence de compétences verbales ou de ressources financières suffisantes pour remédier à une maladie mentale »
. Le Dr Davis a également déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Il serait normal qu’une personne se sente déprimée lorsqu’elle est forcée de se séparer de son époux. Rien dans les antécédents de santé mentale de cet homme ne laisse croire qu’il aurait un résultat différent de celui attendu pour la population générale. »
À la lumière de la preuve, il était raisonnable pour l’agent de conclure que M. Evans pourrait faire face aux défis et aux difficultés auxquels se heurtent la plupart des gens lorsqu’ils déménagent dans un autre pays, y compris le stress psychologique, et il était raisonnable que l’agent considère que M. Evans pouvait avoir accès à des services de soutien en santé mentale au Royaume‑Uni.
[67]
En ce qui concerne la grande criminalité de M. Evans, qui est la raison pour laquelle il a été déclaré interdit de territoire et pour laquelle il demande maintenant une dispense pour considérations d’ordre humanitaire afin de l’exempter de son interdiction de territoire, je ne suis pas d’accord pour dire que cette considération l’emporte sur toutes les autres.
[68]
Je reconnais que le motif de l’interdiction de territoire au Canada ou du non‑respect des exigences de la Loi ne peut être déterminant dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, car cela rendrait la dispense inutile. Toutefois, la raison sous‑jacente pour laquelle la dispense est nécessaire est un facteur pertinent et le poids qui y est rattaché doit être déterminé par l’agent.
[69]
Dans la décision Lopez Bidart, invoquée par M. Evans, la Cour a souligné ce principe même au paragraphe 32 :
[32] Il est important de rappeler que la véritable raison pour laquelle un demandeur sollicite une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est qu’il est interdit de territoire au Canada ou ne se conforme pas aux exigences législatives, quelle qu’en soit la raison. De toute évidence, la raison pour laquelle une personne se trouve dans une telle situation est un facteur à prendre en considération et doit se voir accorder le poids approprié dans l’analyse. Toutefois, ce facteur ne veut pas dire qu’il n’y a pas lieu d’examiner adéquatement la nature et la portée des obstacles juridiques à l’interdiction de territoire (voir Jugpall et Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 394, au para 12), ni les considérations militant en faveur de l’octroi de la dispense.
[70]
Dans la décision Lopez Bidart, la Cour a conclu que l’agent n’avait pas tenu compte des autres facteurs dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Tel n’est pas le cas en l’espèce. L’agent a tenu compte de tous les facteurs pertinents, mais dans l’analyse globale, il a conclu que la grande criminalité de M. Evans était un facteur important, qui n’était pas compensé par d’autres facteurs favorables, et que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.
[71]
L’agent a examiné tous les éléments de preuve pertinents concernant la grande criminalité de M. Evans. L’agent a noté en particulier l’opinion du Dr Davis selon laquelle M. Evans présente un faible risque de récidive. L’agent a également pris note du rapport de M. Sander et du rapport présentenciel, selon lequel M. Evans n’apprendrait rien de ses expériences passées et n’assumait aucune responsabilité et selon lequel la réadaptation serait futile. L’agent a également noté que M. Evans n’avait pas de condamnations antérieures. L’agent explique clairement pourquoi un poids important est accordé à la gravité de l’infraction et au rapport présentenciel.
[72]
Bien que l’agent ait tiré certaines conclusions qui ne sont pas fortement appuyées par la preuve, notamment en ce qui concerne l’atténuation des répercussions du renvoi de M. Evans sur son épouse et la disponibilité de soutien au Royaume‑Uni pour atténuer ses difficultés à son retour, il n’y a pas de lacunes graves dans la décision.
[73]
La décision de l’agent selon laquelle la dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée permet à la Cour de comprendre le processus de raisonnement et reflète une chaîne d’analyse cohérente et rationnelle. L’agent a examiné et soupesé tous les facteurs pertinents de façon individuelle et cumulative. L’agent a raisonnablement conclu que la grande criminalité de M. Evans avait un poids négatif important, qui n’a pas été surmonté par les facteurs positifs pris en compte, et que la dispense n’était donc pas justifiée.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑841‑20
LA COUR STATUE :
La demande est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑841‑20
|
INTITULÉ :
|
LAWRENCE EVANS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 5 juillet 2021
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE KANE
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 12 juillet 2021
|
COMPARUTIONS :
Jatin Shory
|
pour le demandeur
|
Maria Green
|
pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Shory Law
Avocats
Calgary (Alberta)
|
pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Calgary (Alberta)
|
pour le défendeur
|