Date : 20210707
Dossier : IMM‑1591‑20
Référence : 2021 CF 716
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2021
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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ANGELA DOS SANTOS ALVES
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 20 février 2020 par laquelle un agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse en raison de fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].
II.
Le contexte
[2]
La demanderesse, Mme Angela Dos Santos Alves, est une citoyenne du Brésil qui habite en Irlande. Elle a présenté une demande de permis d’études le 26 février 2019 après avoir été admise au Centennial College à Toronto, en Ontario.
[3]
Dans sa demande de permis d’études, la demanderesse a mentionné qu’un visa lui a récemment été refusé aux États‑Unis en 2018. Elle a répondu « Oui »
à la question dichotomique suivante : « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? »
. Elle a également mentionné ce qui suit : [traduction] « J’ai demandé un visa d’étudiant américain en 2018 et ma demande a été rejetée. »
[4]
Le 30 mai 2019, la demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité procédurale où il était allégué qu’elle n’avait pas divulgué tous ses antécédents d’immigration aux États‑Unis. Plus précisément, la demanderesse n’avait pas divulgué [traduction] « qu’on lui avait demandé de quitter les États‑Unis et qu’elle avait été renvoyée de ce pays en 2015 et qu’elle n’avait pas fourni des renseignements pertinents »
.
[5]
Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse a expliqué qu’elle a déjà vécu et travaillé au pair aux États‑Unis. En décembre 2015, elle est allée rendre visite à son ancienne famille d’accueil pour s’occuper des enfants pendant les vacances de Noël et s’est vu refuser l’entrée aux États‑Unis parce qu’elle avait [traduction] « effectué le voyage à tort au moyen d’un visa de visiteur au lieu d’un visa de travail ou d’un visa au pair »
.
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Lorsqu’elle a expliqué pourquoi elle avait parlé du rejet de sa demande en 2018, mais pas des faits de 2015, la demanderesse a en outre déclaré :
[traduction]
[…] Comme ma demande de visa a été rejetée après mon renvoi, je croyais que c’était la meilleure réponse parce que le rejet de ma demande était plus récent et était lié à mon renvoi. Puisque l’espace fourni était petit et qu’il y avait trois questions, je ne savais pas exactement quelle était la meilleure façon de répondre. Je croyais aussi qu’il y aurait une entrevue et que je pourrais expliquer plus clairement la situation en personne en donnant une meilleure explication que celle fournie dans le petit espace prévu à cet effet ou dans l’espace prévu pour les réponses aux questions de suivi.
[7]
Le 20 février 2020, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse et a conclu qu’elle était interdite de territoire pour fausses déclarations, au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi [la décision].
[8]
La demanderesse demande que la décision soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Elle sollicite également une ordonnance relative aux dépens.
III.
La décision faisant l’objet du contrôle
[9]
L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse avait répondu véridiquement à toutes les questions, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la Loi. Plus précisément, la demanderesse n’avait pas déclaré ses antécédents d’immigration aux États‑Unis. Elle a été jugée interdite de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, parce qu’elle a « directement ou indirectement fai[t] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la [Loi] »
.
IV.
La question en litige
[10]
La question est de savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande de permis d’études était raisonnable.
V.
La norme de contrôle
[11]
La norme de contrôle qui s’applique à la révision du fond de la décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 17 [Vavilov]).
VI.
Les dispositions applicables
[12]
Le paragraphe 16(1) et l’alinéa 40(1)a) de la Loi sont ainsi libellés :
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VII.
Analyse
[13]
La demanderesse soutient que la conclusion de fausse déclaration était déraisonnable compte tenu du fait qu’elle a répondu véridiquement à la question dichotomique sur la déclaration des antécédents même si elle n’a pas fourni suffisamment de détails, comme l’aurait préféré Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. L’agent n’a pas tenu compte du fait qu’une erreur de bonne foi a été commise et n’a pas examiné la question de savoir si l’omission était néanmoins importante.
[14]
Le défendeur fait valoir que l’agent n’avait pas l’obligation de tenir compte de l’exception relative à l’« erreur de bonne foi »
qui s’applique aux fausses déclarations. Cette exception restreinte ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles. De plus, la fausse déclaration en l’espèce était importante et l’agent n’a pas commis d’erreur en tirant une telle conclusion.
[15]
Une conclusion de fausse déclaration ne peut être tirée que selon la prépondérance des probabilités et doit être fondée sur une « preuve claire et convaincante »
montrant que le demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important. Les conséquences d’une conclusion de fausse déclaration sont plus graves que celles d’un refus, car dans le cas de l’interdiction de territoire, le demandeur se retrouve interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans (Borazjani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 225 au para 11; Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416 aux para 29‑30).
[16]
La demanderesse soutient que l’agent aurait dû envisager la possibilité d’une exception à l’application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi parce que la fausse déclaration en l’espèce découlait d’une « erreur de bonne foi »
. Le défendeur s’appuie sur la décision de la Cour fédérale dans Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 [Oloumi], où l’accent est mis sur le caractère exceptionnel de cette exception restreinte (Oloumi, précitée, aux para 32, 35‑36, 39). Au paragraphe 39 de cette décision, la Cour fédérale précise :
[39] De pair avec cette obligation de franchise, le demandeur est tenu, selon moi, de s’assurer qu’au moment de présenter sa demande les documents sont complets et exacts. Il est trop facile de prétendre plus tard qu’on est innocent et de jeter le blâme sur une tierce partie quand, comme c’est le cas en l’espèce, le formulaire de demande indique clairement que les résultats du test de langue doivent y être joints et que les demandeurs l’ont signé. Ce n’est que dans les cas exceptionnels où le demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas cacher des renseignements importants « dont la connaissance échappait à sa volonté » qu’il peut se prévaloir d’une exception à l’application de l’alinéa 40(1)a). […]
[17]
La Cour a cependant tenu compte de cette exception dans des circonstances où l’agent pouvait par ailleurs obtenir les renseignements en question en consultant le dossier et où le demandeur avait divulgué sans réserve ces renseignements lorsqu’on les lui avait demandés (Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117 aux para 17‑18, 20). Dans certains cas, la Cour a également conclu que les circonstances particulières de l’espèce auraient dû avoir amené l’agent à prendre en compte cette exception (Sbayti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1296 aux para 29‑32).
[18]
L’alinéa 40(1)a) de la Loi est libellé de manière large et s’applique aux fausses déclarations frauduleuses, négligentes et innocentes – même si elles ont été faites par une tierce partie, à l’insu du demandeur (Oloumi au para 23).
[19]
Toutefois, l’agent doit tenir compte de l’ensemble de la preuve dont disposait le décideur (Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931 au para 23). En l’espèce, n’ayant pas bien compris les faits qui lui ont été présentés, l’agent n’a pas reconnu l’importance potentielle des circonstances atténuantes associées à la conclusion de fausse déclaration. L’agent a plutôt conclu de manière générale que la demanderesse avait fait une fausse déclaration. Dans les notes du Système mondial de gestion des cas datées du 31 décembre 2019, l’agent précise aussi que les explications fournies par la demanderesse en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale étaient déraisonnables et rejette les éléments de preuve sans en tenir dûment compte. Cette appréciation ne lui permet pas de conclure qu’une fausse déclaration a été faite selon la prépondérance des probabilités étant donné qu’il a, semble‑t‑il, rejeté immédiatement les éléments de preuve contradictoires.
[20]
Bien que les éléments de preuve présentés par la demanderesse ne soient pas assez précis, elle a correctement répondu à la question pertinente par l’affirmative et a fait référence au statut d’immigrant aux États‑Unis qui lui a été refusé. L’agent n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve pertinents. Pour cette raison, la décision n’atteint pas le degré nécessaire de justification, de transparence et d’intelligibilité (Vavilov, précité, au para 86). La décision ne fait tout simplement « pas de sens »
.
[21]
De plus, il est difficile de savoir comment l’agent en est arrivé à la conclusion que la fausse déclaration était importante, plus précisément qu’elle avait une importance suffisante pour influer sur le processus ou pour exclure ou écarter d’autres enquêtes (Oloumi au para 25; Li c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 87 au para 13). La demanderesse a répondu « Oui »
à la seule question portant sur les antécédents où l’on demande s’il y a des antécédents d’immigration défavorables et a indiqué qu’on lui avait récemment refusé l’entrée aux États‑Unis, lequel refus est lié aux faits en cause remontant à 2015. Il semble que dans un tel cas, la divulgation des faits en cause a mené à la réalisation des enquêtes voulues, comme le prévoyait la demanderesse. En l’espèce, la preuve ne permettait pas à l’agent de conclure que la fausse déclaration était importante.
VIII.
Conclusion
[22]
Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑1591‑20
LA COUR ORDONNE :
La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Michael D. Manson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1591‑20
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INTITULÉ :
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ANGELA DOS SANTOS ALVES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 30 juin 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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le juge MANSON
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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le 7 juillet 2021
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COMPARUTIONS :
Peter Salerno
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pour la demanderesse
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Idorenyin Udoh‑Orok
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Green and Spiegel LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
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pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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pour le défendeur
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