Date : 20210607
Dossiers : T-129-21
T-127-21
T-128-21
T-132-21
Référence : 2021 CF 548
ENTRE :
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MOWI CANADA WEST INC, CERMAQ CANADA LTD, GRIEG SEAFOOD B.C. LTD ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD
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demanderesses
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et
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LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE
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défendeur
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et
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ALEXANDRA MORTON, FONDATION DAVID SUZUKI, ALLIANCE DU DÉTROIT DE GEORGIA, LIVING OCEANS SOCIETY et WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY
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intervenants
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE PHELAN
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie de l’appel de la décision par laquelle la protonotaire Aylen a rejeté la requête des Premières Nations des Homalco et des Tla’amins [collectivement les Nations Sœurs] pour obtenir le statut de défenderesses dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente [le contrôle judiciaire] ou, subsidiairement, une ordonnance leur accordant l’autorisation d’intervenir dans le contrôle judiciaire.
[2]
Le présent appel faisait intervenir de nombreuses parties ainsi qu’une jurisprudence et une doctrine abondantes (neuf cahiers pour l’une des parties), mais la contestation à l’égard de la décision de la protonotaire était simple. Le ministre et le ministère des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne [le MPO] appuyaient la requête et l’appel des Nations Sœurs, alors que les autres participants s’y opposaient à divers degrés et pour différents motifs.
[3]
En plus de l’appel, la Cour a instruit une requête présentée par la Nation de We Wai Kai, la Première Nation We Wai Kum et la Première Nation des Kwiakah [collectivement la Nation Laichkwiltach] visant à intervenir dans l’appel des Nations Sœurs. Dans le cadre de sa requête en intervention, la Nation Laichkwiltach a présenté tous les arguments qu’elle aurait formulés si elle avait obtenu le statut d’intervenant avant l’instruction de l’appel. La requête en intervention constituait une mesure de protection au cas où la Cour devait accueillir l’appel. En fin de compte, cette requête sera rejetée puisque l’appel le sera également.
[4]
Le présent appel est largement fondé sur l’argument des Nations Sœurs selon lequel la décision du ministre des Pêches et Océans [la décision], qui fait l’objet du contrôle judiciaire, constituait une [traduction] « mesure d’accommodement »
et que, pour ce motif, elles ont le droit d’être constituées comme partie au contrôle judiciaire.
II.
Contexte
A.
Parties/Participants
[5]
La Première Nation des Homalco revendique des droits et titres ancestraux non cédés à l’échelle de son territoire, qui sont reconnus par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, y compris les droits de chasse, de pêche, de cueillette et de gouvernance.
[6]
La Première Nation des Homalco est partie à une entente de pêche globale avec le MPO en vertu de laquelle ce dernier lui délivre un permis de pêche communautaire des Autochtones.
[7]
L’Accord définitif entre la Nation des Tla’amins et les gouvernements du Canada et de la Colombie‑Britannique reconnaît et protège les droits ancestraux de la Nation des Tla’amins en ce qui concerne la récolte de poissons et de plantes aquatiques à des fins domestiques ainsi que les échanges et le troc à l’intérieur des terres de la Nation ou avec d’autres peuples autochtones [droits de pêche de la Nation des Tla’amins].
[8]
Les demanderesses sont :
Grieg Seafood B.C. Ltd [Grieg], un producteur aquacole qui possède des sites de pêche dans les îles Discovery, à partir desquelles le saumon frais est envoyé vers les marchés nord‑américains et asiatiques.
622335 BC Ltd [Saltstream], un titulaire de permis d’aquaculture qui possède un site à Doctor Bay dans les îles Discovery.
Mowi West Inc [Mowi], une entreprise située à Campbell River, d’où elle et ses prédécesseurs exploitent des sites salmonicoles depuis plus de 30 ans. Elle possède dix sites aux îles Discovery qui comptent pour 30 % de ses activités.
Cermaq Canada Ltd [Cermaq], qui exploite 10 sites aquacoles aux îles Discovery.
[9]
La Nation Laichkwiltach (trois Premières Nations partageant une histoire, des origines et une langue communes) détient des titres et droits ancestraux sur l’ensemble des îles Discovery. Toutes les piscicultures en cause dans le contrôle judiciaire, sauf une, se trouvent sur les terres visées par le titre ancestral de la Nation Laichkwiltach. Celle‑ci ne revendique pas le statut de partie ou de défenderesse en l’espèce, mais elle sollicite au besoin celui d’intervenant.
B.
Contexte du litige
[10]
En 2009, le gouvernement fédéral, en réponse à une migration exceptionnellement basse du saumon rouge, a mis sur pied la Commission d’enquête Cohen. Une des recommandations de la Commission invitait le MPO à interdire la salmoniculture en filet dans les îles Discovery à moins que cette pratique pose un risque minime de préjudice grave pour la santé du saumon rouge en migration.
[11]
En 2020, le ministre a entamé des consultations avec sept Premières Nations. Entre le 2 octobre et le 4 décembre 2020, les Nations Sœurs ont participé au processus de consultation. Elles ont formulé des observations favorables à la récolte des stocks actuels de saumon d’élevage et à la mise hors service subséquente des sites.
[12]
Le 17 décembre 2020, le ministre a annoncé sa décision [la décision] de délivrer des permis aquacoles d’une durée de 18 mois pour les piscicultures, d’interdire l’émission de permis pour réapprovisionner les piscicultures dans les îles Discovery et de confirmer que les Premières Nations pourraient surveiller le processus de mise hors service progressive des piscicultures dans la région.
[13]
En décembre 2020, des permis aquacoles ont été délivrés aux demanderesses à la condition qu’aucun nouveau poisson ne soit ajouté dans les établissements des îles Discovery et que toutes les piscicultures soient vidées au plus tard le 30 juin 2022.
[14]
Au mois de janvier 2021, les demanderesses ont déposé leurs demandes de contrôle judiciaire respectives visant à annuler la décision au motif qu’elle était déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure.
[15]
Les demanderesses se sont opposées à ce que les Nations Sœurs soient ajoutées à titre de défenderesses dans les procédures de contrôle judiciaire.
[16]
En mars, Mowi et Saltstream ont déposé des requêtes en injonction provisoire distinctes concernant le rejet par le ministre de leurs demandes de permis de transfert. L’injonction a été accordée provisoirement jusqu’à ce que les demandes de contrôle judiciaire soient tranchées.
[17]
Bien qu’aucune des demanderesses dans le cadre du contrôle judiciaire ou de la requête en injonction n’ait sollicité ou ne sollicite de jugements déclaratoires ou d’autres réparations concernant les droits ou titres ancestraux, les Nations Sœurs ont présenté une requête en vue d’être constituées comme défenderesses. Elles font principalement valoir que l’annulation de la décision invaliderait une mesure d’accommodement mise sur pied par la Couronne pour protéger leurs droits garantis par le paragraphe 35(1).
C.
Décision de la protonotaire
[18]
Après avoir exposé les faits de façon plus détaillée que l’a fait la Cour dans son résumé ci‑dessus, au sujet desquels les parties s’entendent essentiellement, la protonotaire a examiné les consultations antérieures. Le résumé du mémoire de décision, qui faisait partie du dossier certifié du tribunal, faisait référence aux consultations de la façon suivante :
[traduction]
Entre octobre et décembre 2020, le ministère a entrepris des consultations avec les Premières Nations dont les territoires chevauchent des sites aquacoles dans les îles Discovery. Les Premières Nations entretenaient des points de vue variés au sujet de l’octroi de permis aux piscicultures dans les îles Discovery, mais toutes se sont dites préoccupées quant aux effets potentiels de ces dernières sur les stocks de saumon sauvage dans les territoires qu’elles revendiquent. Toutes les Premières Nations souhaitaient que la période de consultation soit prolongée et voulaient participer à la surveillance ou à la gestion des sites. Des mesures d’accommodement particulières ont été demandées pour répondre aux manquements potentiels à leurs droits de pêche ancestraux.
[…]
Les sept Premières Nations avaient des points de vue divergents quant à la réattribution des permis et à l’exploitation en cours des piscicultures sur leurs territoires. Certaines Premières Nations revendiquaient le dépôt d’un plan de mise hors service pour toutes les piscicultures et des requêtes précises visant des mesures d’accommodement détaillées, alors que d’autres étaient intéressées par une cogestion des exploitations aquacoles. Des préoccupations ont été soulevées quant au fait que les cadres stratégiques et opérationnels, ainsi que les données scientifiques sur lesquelles s’était appuyé le MPO pour gérer les fermes salmonicoles dans les îles Discovery, n’étaient pas conformes au principe de précaution.
Les Premières Nations ont aussi exprimé des inquiétudes au sujet des données scientifiques à l’appui. Elles ont affirmé que les évaluations des risques ne tenaient pas compte des stocks locaux de saumon ou du pou du poisson, et elles ont soulevé des questions quant au fait que le processus du SCCS utilisé dans les évaluations des risques n’implique pas pleinement les groupes autochtones. Même après l’examen des données de rendement, d’importantes préoccupations subsistaient concernant la gestion du pou du poisson et les effets de l’orthoréovirus pisciaire (RVP) sur le saumon sauvage, ainsi que les atteintes potentielles à leurs droits ancestraux. [Supprimé] a également présenté des renseignements sur les effets propres au site des piscicultures des îles Discovery.
En ce qui concerne les mesures d’accommodement, les Premières Nations ont demandé une prolongation des consultations, du soutien financier pour lancer des travaux centrés sur le pou du poisson et le RVP, des données scientifiques supplémentaires, ainsi que des changements aux conditions d’obtention de permis, et elles ont fait connaître leur volonté d’étudier la possibilité d’intégrer un régime de gestion fondée sur l’abondance.
[19]
Dans le mémoire de décision, la protonotaire proposait ensuite des options au ministre et recommandait que les permis soient renouvelés jusqu’au 30 juin 2022. Des mesures supplémentaires visant à examiner certaines questions et mesures d’accommodement soulevées par les Premières Nations étaient également proposées.
[20]
Le ministre n’a pas accepté la recommandation et a retourné le mémoire au MPO avec la mention suivante (la décision) :
Je confirme plutôt la décision dont nous avons discutée dans la réunion bilatérale du 11 décembre 2020 avec le SM :
Ma décision vise un renouvellement temporaire (18 mois) des permis aquacoles pour les établissements des îles Discovery. Toutes les piscicultures de cette région doivent être vidées au plus tard le 30 juin 2022.
• Pendant la période entre le renouvellement des permis et le 30 juin 2022, aucun saumoneau d’élevage ne sera ajouté.
• L’objectif d’accorder du temps pour engraisser et pêcher les poissons déjà dans les parcs est d’éviter qu’ils soient abattus dans le but de respecter les délais.
[21]
La décision peut être résumée ainsi :
a) Les permis d’aquaculture dans les îles Discovery seraient délivrés pour une période limitée à 18 mois et constitueraient les derniers permis accordés à cet endroit.
b) Aucun nouveau poisson de quelque grosseur que ce soit ne pourrait être ajouté dans les établissements des îles Discovery pendant la période de 18 mois.
c) Toutes les piscicultures seraient vidées au plus tard le 30 juin 2022.
d) Aucun permis de transfert de poisson ne sera accordé aux demanderesses.
[22]
Dans leurs demandes de contrôle judiciaire, les demanderesses sollicitent l’annulation de la décision et demandent à la Cour de la déclarer invalide, déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure.
[23]
Les motifs de contrôle relèvent du droit administratif et sont notamment les suivants :
- Compétence, entrave à la compétence et abus de pouvoir discrétionnaire;
- Caractère arbitraire et déraisonnable;
- Contraire à la loi/défaut de tenir compte de questions pertinentes ou le faire de manière erronée;
- Non conforme à la politique;
- Portée excessive, mauvaise foi, iniquité substantielle;
- Manque de transparence, d’intelligibilité et de justification;
- Iniquité procédurale.
[24]
Comme l’a souligné la protonotaire, aucun des motifs de réparation ne vise les droits, titres et intérêts ancestraux ou les Nations Sœurs en particulier.
III.
Analyse
[25]
Les questions des parties, ou leurs formulations, sont toutes légèrement différentes. Le présent appel soulève essentiellement les questions suivantes :
- La décision constituait‑elle une mesure d’accommodement en ce qui a trait aux droits, titres et intérêts des Nations Sœurs?
- La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande des Nations Sœurs en vue d’être constituées parties à l’instance aux termes de l’alinéa 104(1)b) des Règles?
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- La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant d’examiner et d’appliquer le bon critère en ce qui concerne la requête en intervention présentée par les Nations Sœurs en vertu de l’article 109 des Règles?
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A.
Norme de contrôle
[26]
Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, la Cour d’appel a confirmé que les appels interjetés à l’encontre d’une décision d’un protonotaire sont assujettis à la norme établie dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33.
[27]
Par conséquent, la norme applicable est celle de la décision correcte lorsqu’il y a erreur de droit ou erreur de principe juridique isolable à l’égard d’une question mixte de fait et de droit; autrement, la norme qui s’applique est celle de l’erreur manifeste et dominante en ce qui a trait aux questions mixtes de fait et de droit et aux questions de fait seulement.
[28]
Comme il a été établi dans l’arrêt Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, par erreur « manifeste »
, on entend une erreur évidente et importante, et par erreur « dominante »
, on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Cette norme appelle un degré élevé de retenue.
[29]
Certaines des demanderesses soulignent à juste titre que les paragraphes 104(1) et 109(1) des Règles sont de nature discrétionnaire. Par conséquent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire constitue une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de « l’erreur manifeste et dominante »
.
B.
Décision/mesure d’accommodement
[30]
La question de savoir si la décision constitue une mesure d’accommodement qui concerne les droits, les titres et les intérêts des Nations Sœurs, comme il a été mentionné dans les consultations gouvernementales, fait partie intégrante de leur demande en vue d’être constituées défenderesses sur le fondement de l’article 104 des Règles. En raison de l’importance de cet argument pour les Nations Sœurs, celui‑ci sera examiné séparément; la protonotaire a toutefois examiné la question dans le contexte de son analyse du paragraphe 104(1).
[31]
Les Nations Sœurs soutiennent qu’en concluant qu’elles n’étaient pas [traduction] « directement touchées »
par la réparation demandée et que la décision ne constituait pas une mesure d’accommodement, la protonotaire a commis une erreur à l’égard du droit de la consultation et dans son appréciation des faits. Selon les Nations Sœurs, le ministre leur aurait expressément promis de mettre fin à l’exploitation salmonicole dans les îles Discovery. Les Nations Sœurs n’ont toutefois pas précisé la nature de l’erreur de droit en matière de consultation.
[32]
La protonotaire a abordé cette question aux paragraphes 39 et 40 de ses motifs. Elle s’est appuyée sur l’arrêt de principe Forest Ethics Advocacy Association c Canada (office national de l’énergie), 2013 CAF 236 [Forest Ethics], et a conclu que les Nations Sœurs devaient établir que la réparation demandée dans le cadre du contrôle judiciaire a un effet réel sur leurs droits ou qu’elle leur portera directement préjudice.
[33]
Le paragraphe 40 des motifs de la protonotaire résume de façon claire et complète sa conclusion selon laquelle aucune des réparations demandées ne touche directement les Nations Sœurs.
[traduction]
En ce qui concerne cette question, je ne suis pas convaincue que la réparation sollicitée par les demanderesses touche directement les Nations Sœurs. La décision qui sera examinée par la Cour concerne le refus d’accorder aux demanderesses un permis d’aquaculture correspondant à leurs exigences, ainsi qu’une déclaration quant à l’avenir de leurs activités. La décision faisant l’objet du contrôle restreint les droits des demanderesses et, comme il ressort de la décision elle‑même et du communiqué de presse qui l’accompagne, elle ne peut être qualifiée à juste titre de mesure d’accommodement ou de promesse envers les Nations Sœurs. Contrairement à la décision Ontario Federation of Anglers and Hunters v Ontario, 2015 ONSC 7969, la décision en cause n’accorde pas expressément de droits aux Nations Sœurs. Aucune des réparations demandées par les demanderesses ne modifierait ou n’affecterait les obligations de la Couronne envers les Nations Sœurs ou les droits existants des Nations Sœurs, ou n’y dérogerait. En outre, aucune des demanderesses n’a fondé sa demande de contrôle sur l’affirmation ou la négation de titres ou de droits ancestraux ou sur l’obligation de la Couronne de consulter.
[34]
Lorsqu’il examine s’il y a [traduction] « mesure d’accommodement »
, le protonotaire doit soupeser la preuve et examiner les faits. En l’espèce, la protonotaire s’est appuyée sur les bons principes juridiques; par conséquent, il s’agit tout au plus d’une question mixte de fait et de droit. Une base factuelle solide permet de conclure que la décision ne constituait pas une mesure d’accommodement à l’égard des préoccupations des Nations Sœurs. Non seulement la décision n’aborde pas la question, mais les recommandations qui répondaient aux préoccupations des Nations Sœurs ont été rejetées par le ministre.
[35]
Les Nations Sœurs n’étaient pas les seules Premières Nations à participer aux consultations – il y en avait sept – mais ce sont les seules qui ont contesté la décision de la protonotaire selon laquelle la décision ne constituait pas une mesure d’accommodement.
[36]
Je conclus que la protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante à l’égard de cette question.
C.
Alinéa 104(1)a) des Règles
[37]
Les Nations Sœurs font valoir que la protonotaire a commis une erreur en ne suivant pas l’arrêt Forest Ethics. Elles font aussi valoir que la protonotaire s’est fondée sur des précédents inapplicables (Tribus Kwicksutaineuk/Ah-kia-mish c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2003 CFPI 30, et Gitxaala Nation v Prince Rupert Port Authority, 2020 CANLII 382 (CF)), et qu’elle n’a pas appliqué la décision de la protonotaire Ring dans l’affaire Première nation des Namgis c Ministre des Pêches, Océans et Garde côtière, Mowi Canada West Ltd et Cermaq Canada Ltd, (16 juillet 2020), Vancouver T-1798-19 (CF) [Namgis].
Les Nations Sœurs soutiennent également que leur participation est nécessaire au présent litige.
[38]
Comme je l’ai déjà mentionné, je conclus que la protonotaire a correctement relevé la règle de droit applicable. L’argument des Nations Sœurs concerne leur mécontentement quant à la manière dont la protonotaire a appliqué le droit aux faits. Cette question est assujettie à une norme d’appel qui commande la retenue envers le décideur.
[39]
La protonotaire a observé à juste titre qu’en ce qui concerne la question de savoir si les Nations Sœurs sont « directement touchées »
par la réparation demandée, leurs droits sont protégés par la Constitution et, par conséquent, la décision ne peut porter atteinte à ces droits.
[40]
Contrairement à l’arrêt Forest Ethics, où la décision avait eu un effet sur le droit d’Enbridge d’aller de l’avant avec un projet – semblable au droit des demanderesses d’élever du poisson – le droit ancestral n’est pas en litige en l’espèce. En outre, comme l’a fait remarquer la protonotaire, le droit de pêche des Nations Sœurs continue d’exister indépendamment de la décision.
[41]
La protonotaire n’est pas tenue de suivre l’arrêt Namgis. Il ne s’agit pas d’une question de courtoisie judiciaire, laquelle ne requiert même pas de suivre les décisions rendues par des tribunaux de même instance. De plus, dans cet arrêt, les droits des parties (Mowi et Cermaq) ont été créés par une décision et ils étaient donc directement touchés par la décision. Les faits dont il est question dans l’arrêt Namgis ne sont pas les mêmes qu’en l’espèce, et il n’est pas établi que celle‑ci s’applique dans le contexte actuel.
[42]
La protonotaire a également conclu que les Nations Sœurs n’avaient pas établi que leur participation à titre de défenderesses satisfaisait au critère énoncé dans l’arrêt Canada (Pêches et Océans) c Bande indienne de Shubenacadie, 2002 CAF 509, et dans la décision Les Laboratoires Servier c Apotex Inc., 2007 CF 1210. Les Nations Sœurs n’avaient pas fait état d’une question ne pouvant être tranchée adéquatement et complètement à moins qu’elles ne soient une partie au litige.
[43]
Il était loisible à la protonotaire de tirer cette conclusion. Elle a également signalé que les Nations Sœurs ont cherché à soulever des questions qui n’avaient pas été soulevées dans les actes de procédure et à présenter des éléments de preuve qui n’étaient pas pertinents quant aux questions soulevées. Dans les actes de procédure, aucune question relative à la consultation ou à la mesure d’accommodement des Nations Sœurs n’est soulevée.
[44]
Je ne vois aucune raison d’infirmer la conclusion de la protonotaire selon laquelle les Nations Sœurs ne devraient pas être constituées comme partie, que ce soit de plein droit à titre de personne touchée, ou parce que leur présence est nécessaire pour veiller à ce que les questions en litige soient tranchées adéquatement ou complètement.
[45]
À titre subsidiaire, les Nations Sœurs avaient également présenté une requête en intervention sur le fondement du paragraphe 109(1) des Règles. Cette requête a aussi été rejetée.
D.
Statut d’intervenant
[46]
Les Nations Sœurs soutiennent que la protonotaire n’a pas appliqué le bon critère à l’égard de la requête en autorisation d’intervenir. Elles font valoir que la protonotaire s’est montrée intransigeante en soulignant qu’elles n’ont pas expliqué en quoi leur participation aiderait à trancher les questions dont la Cour est saisie. Les Nations Sœurs comparent le traitement que leur a réservé la protonotaire à celui qu’elle a réservé à la Conservation Coalition dans sa demande d’autorisation d’intervenir.
[47]
Il ne fait aucun doute que la protonotaire a indiqué que la règle de droit applicable est l’article 109 des Règles et la décision Rothmans, Benson & Hedges Inc c Canada (Procureur général), [1990] 1 CF 74 [Rothmans], renforcée par la suite par les arrêts Sport Maska Inc c Bauer Hockey Corp, 2016 CAF 44 [Sport Maska], Canada (Procureur Général) c Première Nation Pictou Landing, 2014 CAF 21, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 13. Aux fins de la présente requête, les facteurs énoncés dans la décision Rothmans s’appliquent :
a) La personne qui se propose d’intervenir est‑elle directement touchée par l’issue du litige?
b) Y a‑t‑il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public?
c) S’agit‑t‑il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?
d) La position de la personne qui se propose d’intervenir est‑elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?
e) L’intérêt de la justice sera‑t‑il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée?
f) La Cour peut‑elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention?
[48]
La protonotaire a raisonnablement conclu qu’avant d’examiner les facteurs énoncés dans les décisions mentionnées précédemment, la cour doit d’abord examiner si le demandeur a satisfait au critère énoncé à l’alinéa 109(2)b) des Règles, c’est‑à‑dire décrire en quoi sa participation est nécessaire. Les Nations Sœurs n’ont pas satisfait à ce critère.
[49]
La protonotaire est allée plus loin et a conclu que même si l’on pouvait dire que les Nations Sœurs ont remédié à leur défaut de se conformer à l’alinéa 109(2)b) des Règles dans leurs observations orales, elle conclurait tout de même que ces dernières n’ont pas démontré en quoi leur participation aiderait à trancher les questions soulevées en contrôle judiciaire.
[50]
L’autorisation d’intervenir est une question de nature hautement discrétionnaire qui, de ce fait, commande la norme de l’erreur manifeste et dominante ainsi qu’une forte présomption de déférence. La protonotaire disposait de motifs solides pour refuser l’autorisation, y compris le fait que les Nations Sœurs n’étaient pas directement touchées par la décision et qu’elles n’ont pas expliqué la raison pour laquelle elles souhaitaient intervenir ni de quelle manière elles apporteraient d’autres précisions et perspectives utiles (Sport Maska, au para 40). Je conclus qu’il n’y a aucune erreur en l’espèce qui justifie l’intervention de la Cour.
E.
Autres questions
[51]
Saltstream a soulevé une autre question, à savoir que l’avis d’appel des Nations Sœurs n’était pas conforme à l’alinéa 359c) des Règles, car il n’énonçait pas les motifs d’appel.
[52]
Bien qu’il ne soit pas un modèle de clarté ou de conformité aux Règles, en fin de compte, l’avis d’appel n’était pas déficient au point de justifier le rejet de l’appel. D’autres motifs plus solides permettent de rejeter l’appel.
[53]
Comme je l’ai déjà mentionné, la Nation Laichkwiltach a demandé l’autorisation d’intervenir, mais elle l’a fait seulement à titre de mesure de protection au cas où l’appel devait être accueilli ou était accueilli. Compte tenu de l’issue de l’appel, il n’est pas nécessaire d’entendre la Nation Laichkwiltach. Sa requête en autorisation sera rejetée.
« Michael L. Phelan »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 7 juin 2021
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS :
|
T-129-21, T-127-21, t-128-21, and t-132-21
|
INTITULÉ :
|
MOWI CANADA WEST INC, CERMAQ CANADA LTD, GRIEG SEAFOOD B.C. LTD ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD c LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE ET ALEXANDRA MORTON, LA FONDATION DAVID SUZUKI, L’ALLIANCE DU DÉTROIT DE GEORGIA, LIVING OCEANS SOCIETY et WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 AVRIL 2021
|
MOTIFS DE L’ORDONNANCE :
|
LE JUGE PHELAN
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DATE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE :
|
LE 7 JUIN 2021
|
COMPARUTIONS :
Roy W. Millen
Brady Gordon
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POUR LA DEMANDERESSE,
MOWI CANADA WEST INC
|
Kevin O’Callaghan
Dani Bryant
Madison Grist
|
POUR LA DEMANDERESSE,
CERMAQ CANADA LTD
|
Keith Bergner
Michelle Casey
|
POUR LA DEMANDERESSE,
GRIEG SEAFOOD B.C. LTD
|
Aubin P. Calvert
|
POUR LA DEMANDERESSE,
622335 BRITISH COLUMBIA LTD
|
James Rendell
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
Sean Jones
Jessica Buhler
|
pour les défenderesses proposées,
LA PREMIÈRE NATION DES HOMALCO ET LA NATION DES TLA’AMINS
|
Mark G. Underhill
Caroline North
|
POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE,
LA NATION LAICHKWILTACH
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Blakes, Cassels & Graydon LLP
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LA DEMANDERESSE,
MOWI CANADA WEST INC
|
Fasken Martineau DuMoulin LLP
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LA DEMANDERESSE,
CERMAQ CANADA LTD
|
Lawson Lundell LLP
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LA DEMANDERESSE,
GRIEG SEAFOOD B.C. LTD
|
Hunter Litigation Chambers Law Corp
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LA DEMANDERESSE,
622335 BRITISH COLUMBIA LTD
|
Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
Ecojustice
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LES INTERVENANTS
|
MLT Aikins LLP
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LES DÉFENDERESSES PROPOSÉES,
LA PREMIÈRE NATION DES HOMALCO ET LA NATION DES TLA’AMINS
|
Arvay Finlay LLP
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE,
LA NATION LAICHKWILTACH
|