Date : 20210608
Dossier : IMM‑936‑20
Référence : 2021 CF 557
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 8 juin 2021
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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MOHAMMAD SAEED SAEEDI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 7 janvier 2020 [la décision], par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada en application du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] et de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].
II.
Contexte
[2]
Le demandeur est un citoyen de l’Iran. Il était membre du Mujahedin‑E Khalq [MEK], un mouvement de résistance au gouvernement iranien. Bon nombre des membres de ce mouvement ont subi des représailles et ont trouvé refuge en Irak. Le MEK figurait sur la liste des organisations terroristes aux États‑Unis et au Canada entre 2003 et 2012.
[3]
Le demandeur possède actuellement une entreprise au Canada et a une épouse et deux enfants canadiens, qui habitent également au Canada.
[4]
Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada en 2018.
[5]
Le demandeur a reçu une lettre relative à l’équité procédurale datée du 27 septembre 2019, dans laquelle l’agent d’immigration mentionnait qu’il y avait des motifs raisonnables de conclure que le demandeur était interdit de territoire aux termes l’alinéa 34(1)f) de la Loi, une conclusion qui avait été tirée le 6 janvier 2009. De plus, l’agent d’immigration avait conclu que le demandeur appartenait au MEK, une organisation qui est [traduction] « connue pour sa participation à des activités terroristes et est une organisation terroriste »
. Le demandeur avait 30 jours pour présenter des observations avant qu’une décision définitive soit rendue.
[6]
Dans une lettre de réponse datée du 30 octobre 2019, le demandeur n’a pas contesté son appartenance au MEK, mais a décrit sa situation actuelle et a tenté de faire appel au pouvoir discrétionnaire dont dispose l’agent d’immigration de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire.
[7]
La demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada a été rejetée dans la décision du 7 janvier 2020.
[8]
Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent d’immigration, ainsi qu’une ordonnance de mandamus exigeant que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.
III.
La décision faisant l’objet du contrôle
[9]
L’agent d’immigration a conclu que le demandeur appartient à une catégorie de personnes interdites de territoire et a rejeté sa demande en application du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement et de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. L’agent d’immigration a également conclu que le demandeur appartenait au MEK, une organisation qui est connue pour sa participation à des activités terroristes et qui est une organisation terroriste :
[traduction]
Plus précisément, il a été conclu que vous appartenez au Mujahedin‑E Khalq (MEK), une organisation qui est connue pour sa participation à des activités terroristes et qui est une organisation terroriste, et, par conséquent, vous êtes interdit de territoire au Canada.
Votre demande de dispense de l’interdiction de territoire susmentionnée fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut être examinée, car les paragraphes 25(1), 25.1(1) et 25.2(1) de la LIPR [la Loi] ne permettent pas qu’une personne soit dispensée d’une interdiction de territoire prononcée en application de l’article 34.
IV.
La question en litige
[10]
La question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la décision d’interdiction de territoire fondée sur l’alinéa 34(1)f) de la Loi est raisonnable.
V.
La norme de contrôle
[11]
La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).
VI.
Les dispositions pertinentes
[12]
Le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement est ainsi libellé :
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De plus, l’alinéa 34(1)f) de la Loi prévoit ce qui suit :
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VII.
Analyse
A.
Les positions des parties
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Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, parce qu’elle ne traite pas d’éléments de preuve pertinents indiquant que le MEK n’est plus une organisation qui se livre au terrorisme. Le Canada ne considère actuellement pas le MEK comme une organisation terroriste. Qui plus est, le demandeur n’est pas visé par l’alinéa 34(1)f) de la Loi, car l’agent d’immigration n’a pas tenu compte de l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire pour rendre sa décision. Il n’y a aucun avantage à renvoyer du Canada d’un père qui est un propriétaire d’entreprise prospère.
[15]
Le défendeur est d’avis que la décision est raisonnable. En effet, l’appartenance du demandeur au MEK n’a pas été contestée. Les éléments de preuve concernant le MEK appuient la conclusion qui a été tirée en 2009, en ce sens qu’ils établissent l’existence de motifs raisonnables de croire que le MEK était l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement iranien et se livrait au terrorisme.
B.
Le caractère raisonnable de la décision
[16]
Le contrôle judiciaire en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse avant tout aux motifs de la décision rendue, et l’analyse de la cour de révision tient à la justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La cour de révision est alors appelée à décider si le raisonnement suivi et le résultat obtenu sont raisonnables (Vavilov, précité, aux para 83‑84, 86). Il n’appartient pas à notre Cour de fournir des motifs ni de deviner quelles conclusions auraient pu être tirées, mais elle doit interpréter les motifs eu égard au dossier (Vavilov aux para 96‑97).
[17]
L’alinéa 34(1)f) de la Loi prévoit l’interdiction de territoire pour raison de sécurité du résident permanent ou de l’étranger qui est « membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur »
de divers actes visés par la Loi [non souligné dans l’original]. Ces actes incluent le fait d’être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement et de se livrer au terrorisme (Loi, aux art 34(1)b), 34(1)c)). L’agent d’immigration a conclu que le MEK est une organisation qui est [traduction] « connue pour sa participation à des activités terroristes et est une organisation terroriste »
.
[18]
Je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel la décision de l’agent d’immigration est déraisonnable du fait que le MEK ne figure plus sur la liste des organisations qui se livrent à des activités terroristes établie par le Canada. L’alinéa 34(1)f) de la Loi ne requiert pas de lien temporel entre l’appartenance et les actes de terrorisme (Mirmahaleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1085, aux para 21‑22) :
[21] Par ailleurs, le fait que le MeK ne soit plus classifié comme une organisation terroriste n’est pas pertinent dans les circonstances puisque l’alinéa 34(1)f) ne requiert pas de lien temporel entre l’appartenance et les actes de terrorisme (Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262 [Najafi] au para 101; Gebreab c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274). De plus, le MeK a été retiré de la liste des organisations terroristes parce qu’il n’a plus recours à la violence, et non pas en raison d’une réévaluation de la preuve sur laquelle les classifications antérieures du groupe avaient été fondées. En d’autres termes, son retrait de la liste n’efface pas les attributs passés de terrorisme qui affligent le MeK.
[22] Enfin, je souligne que le MeK a déjà été désigné comme une organisation terroriste par les cours (Poshteh au para 5; Motehaver c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 141 au para 3). Il est donc manifeste que la conclusion du commissaire à cet égard n’est pas déraisonnable.
[19]
Il ressort clairement du dossier que le demandeur appartenait au MEK, ce qui n’est pas contesté. Selon une entrée dans le dossier datée du 7 janvier 2008, [traduction] « [l]e MEK est un groupe terroriste connu qui a perpétré des attentats contre des bureaux gouvernementaux et des fonctionnaires de partout dans le monde et a commis des assassinats »
.
[20]
Je comprends bien l’argument du demandeur selon lequel le MEK n’est plus considéré comme une organisation terroriste au Canada, ou ne sera plus l’auteur d’un acte visé à l’alinéa 34(1)a), 34(1)b), 34(1)b.1) ou 34(1)c) de la Loi, mais le libellé explicite de l’alinéa 34(1)f) est disjonctif et s’applique au demandeur, qui était membre d’une organisation terroriste.
[21]
Dans la mesure où le demandeur affirme que l’agent d’immigration n’a tiré aucune conclusion de fait précise quant au type d’actes terroristes auxquels s’est livrée l’organisation, je suis d’avis que cet état de fait ne rend pas la décision déraisonnable en l’espèce. Il s’agit ici d’une situation où « un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien »
(Vavilov au para 142; Maple Lodge Farms Ltd c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2017 CAF 45 au para 51). Le demandeur ne conteste pas le fait que le MEK était une organisation terroriste, et, dans des décisions antérieures de notre Cour, le MEK a également été désigné comme une organisation terroriste.
C.
Les motifs d’ordre humanitaire
[22]
Aucune erreur ne m’a été signalée en ce qui a trait au raisonnement de l’agent d’immigration selon lequel, suivant les paragraphes 25(1), 25.1(1) et 25.2(1) de la Loi, une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut être invoquée à l’égard d’une conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’article 34 de la Loi. Par exemple, le paragraphe 25(1) prévoit ce qui suit :
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[Non en italique dans l’original.]
[23]
Je prends également acte de l’observation du défendeur selon laquelle la sévérité perçue de l’article 34 de la Loi est atténuée par l’article 42.1, qui prévoit une dispense ministérielle :
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[24]
Il me semble que le demandeur devrait demander la réparation prévue par cette disposition de la Loi, et que les faits de l’espèce sont révélateurs du type de scénario que doit sérieusement envisager le ministre.
VIII.
Conclusion
[25]
Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑936‑20
LA COUR STATUE QUE la présente demande est rejetée.
« Michael D. Manson »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑936‑20
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INTITULÉ :
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MOHAMMAD SAEED SAEEDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Tenue par vidéoconférence
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 7 mai 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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le juge MANSON
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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le 8 juin 2020
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COMPARUTIONS :
Andrew Maloney
Yosheel Bangaroo
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pour le demandeur
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Michael Butterfield
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pilkington Immigration Law
Avocats
Toronto (Ontario)
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pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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pour le défendeur
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