Date : 20210608
Dossier : IMM-199-20
Référence : 2021 CF 565
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 8 juin 2021
En présence de monsieur le juge Lafrenière
ENTRE :
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AGOSTIN QOSAJ
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le 4 décembre 2017, le demandeur, M. Agostin Qosaj, a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] dans laquelle il alléguait qu’il risquait d’être assassiné s’il retournait en Albanie en raison d’une vendetta de longue date opposant sa famille et une autre famille du nom de Qarri.
[2]
Dans une décision datée du 6 novembre 2019 [la décision], un agent d’ERAR a conclu à l’insuffisance de la preuve établissant que le demandeur était une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[3]
La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de la décision.
[4]
Comme je l’explique ci-après, il est fait droit à la présente demande, car j’ai conclu que l’agent d’ERAR avait en réalité mis en doute la crédibilité de la preuve du demandeur, et non sa suffisance.
II.
Contexte
[5]
Le demandeur est un citoyen albanais.
[6]
Le 10 mars 2017, il est entré au Canada comme touriste en passant par Cuba à l’aide d’une carte verte invalide et a été placé en détention par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. Un agent de l’ASFC lui a expliqué qu’il ne pouvait pas présenter de demande d’asile parce qu’il était interdit de territoire pour criminalité.
[7]
Le 20 mars 2017, le demandeur a été jugé interdit de territoire au Canada par la Section de l’immigration aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. L’ASFC l’a autorisé à présenter une demande d’ERAR.
A.
Risque défini par le demandeur
[8]
L’ancien avocat du demandeur a soumis de nombreux documents à l’appui de la demande d’ERAR, y compris des déclarations de sa sœur, de son frère et d’autres personnes. Le risque défini par le demandeur peut être résumé comme suit.
[9]
Le père du demandeur, M. Kole Qosaj, était un activiste politique et l’un des premiers à combattre le régime communiste en Albanie. La famille Qosaj souhaitait voir advenir des changements démocratiques, la liberté et une délivrance de l’oppression gouvernementale. Après l’effondrement du communisme, le père du demandeur et deux de ses frères, Genc et Arben, ont poursuivi leurs travaux d’activistes. Le père du demandeur a reçu de nombreuses menaces et en septembre 2002, il a envoyé ses fils Arben, Genc et Alfred aux États-Unis, où les deux derniers ont fini par obtenir le statut de réfugié.
[10]
En novembre 2000, alors que le demandeur était âgé de six mois, son père a été assassiné en plein jour devant sa famille par M. Lulzim Qarri. Le demandeur prétend que ce meurtre découlait d’une vendetta déclenchée par l’activisme politique de son père.
[11]
M. Qarri a été déclaré coupable de meurtre et condamné à 13 ans d’emprisonnement. En 2010, il a été gracié par le président de l’Albanie.
[12]
La famille du demandeur pense que la plupart des menaces qu’ils ont reçues provenaient des membres de la famille Qarri. Le demandeur a également déclaré que les ennemis de son père avaient juré qu’aucun héritier mâle de Kole Qosaj ne vivrait passé l’âge de 12 ans.
[13]
En 2002, la mère du demandeur a quitté l’Albanie et obtenu le droit d’asile aux États-Unis. En août 2005, lui et deux de ses plus jeunes frères ainsi que sa sœur plus âgée ont quitté l’Albanie et sont entrés aux États-Unis.
[14]
Le 19 avril 2012, alors qu’il était âgé de 18 ans, le demandeur a été arrêté en Floride et accusé de vol par effraction à domicile au moyen d’une arme. Ayant plaidé coupable, il a été déclaré coupable et condamné à quatre ans d’emprisonnement.
[15]
Après sa mise en liberté, il a été détenu par le service d’immigration et de naturalisation des États-Unis. Frappé d’interdiction de territoire dans ce pays, il a été expulsé le 6 janvier 2017 et renvoyé en Albanie.
[16]
Le demandeur a déclaré qu’il est resté caché dans un hôtel parce qu’il craignait d’être assassiné en raison de la vendetta avec la famille Qarri. Craignant pour sa vie, il a quitté l’Albanie le 27 février 2017 et est arrivé à Cuba. Le 10 mars suivant, il est entré au Canada et a demandé l’asile.
III.
La décision d’ERAR
[17]
La seule question que devait trancher l’agent d’ERAR était de savoir si le demandeur pouvait établir, pour l’application de l’article 97 de la LIPR, qu’il était plus probable que le contraire qu’il soit exposé, en raison de sa situation personnelle, à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[18]
L’agent d’ERAR a conclu que la preuve objective du demandeur était insuffisante, parce que non corroborée par d’autres éléments objectifs dignes de foi.
[19]
Lorsqu’il a rendu sa décision, l’agent d’ERAR a reconnu que le certificat de décès fourni par le demandeur établissait que son père était décédé en 2000, mais a estimé que ce document ne suffisait pas à prouver objectivement qu’il avait été assassiné en raison de son activisme politique ou d’une vendetta.
[20]
L’agent d’ERAR a accordé un [traduction] « poids négligeable »
aux déclarations des frères et sœur du demandeur décrivant l’histoire de la famille en Albanie, car ces déclarations n’étaient ni attestées par des tiers ni appuyées par des renseignements quelconques.
[21]
L’agent d’ERAR a également accordé un [traduction] « poids négligeable »
aux articles de presse concernant les vendettas en Albanie. Tout en faisant remarquer que certains de ces articles mentionnaient spécifiquement la famille du demandeur, l’agent leur a accordé peu de poids attendu que leur auteur n’était pas dûment identifié, que la preuve objective qu’ils contenaient quant à la source de l’information était insuffisante et que leur contenu était vague et général.
[22]
L’agent d’ERAR a conclu, en s’appuyant sur les renseignements concernant le pays, qu’il existait davantage d’éléments de preuve objectifs indiquant que la presse albanaise, à l’affût d’histoires à sensation, rapportait des meurtres en les qualifiant de vendettas et que des journalistes auraient accepté de l’argent pour inventer des informations que certains pourraient avoir utilisé en invoquant une vendetta fictive contre leur famille dans le cadre de demandes d’asile. L’agent d’ERAR a conclu qu’à la lumière des renseignements statistiques figurant dans le Cartable national de documentation quant au nombre actif de vendettas à Shkoder (où résidaient le demandeur et sa famille), le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau.
[23]
L’agent d’ERAR a également noté qu’Arben, le frère du demandeur, était retourné en Albanie après le décès de leur père et qu’il y était resté presque six ans, ce qui suggérait une absence de crainte objective. Aussi, la preuve objective indiquant que le demandeur avait reçu des menaces ou que sa vie avait été mise en danger à son retour en Albanie pendant environ un mois était insuffisante.
[24]
Enfin, l’agent d’ERAR a conclu que le Cartable national de documentation n’étayait pas la position du demandeur selon laquelle le risque qu’il invoquait le poursuivrait partout en Albanie.
IV.
Question en litige
[25]
La présente demande de contrôle judiciaire soulève une question seulement : l’agent d’ERAR a-t-il rendu une décision déraisonnable?
V.
Norme de contrôle
[26]
La norme de contrôle applicable ne fait pas débat. Dans l’arrêt Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable à laquelle une cour de révision ne doit déroger « que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige »
. Je ne décèle aucune indication de ce type en l’espèce.
[27]
Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande si la décision présente les attributs de la raisonnabilité (c’est-à-dire, la justification, la transparence et l’intelligibilité) et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur elle : Vavilov, au para 99.
[28]
Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique »
(Vavilov, au para 86). Par conséquent, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable porte à la fois sur le résultat de la décision et sur le raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Cela dit, la cour de révision doit se concentrer sur la décision véritable du décideur administratif, y compris le raisonnement qu’il a utilisé et non sur la conclusion que la Cour aurait elle-même tirée si elle avait été à sa place.
VI.
Analyse
A.
Examen sélectif de la preuve du demandeur
[29]
Le défendeur fait valoir que la décision de l’agent d’ERAR en l’espèce repose seulement sur l’insuffisance de la preuve. D’après lui, l’agent n’a pas tiré de conclusion voilée en matière de crédibilité lorsqu’il a évalué les allégations du demandeur. Je ne suis pas d’accord.
[30]
Il n’est pas contesté qu’il incombe au demandeur de prouver que la demande d’ERAR devrait être accordée (Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 797, aux para 13-14). De plus, il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions factuelles des décideurs et de leur évaluation de la preuve (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, au para 11 [Huang]).
[31]
Cependant, le décideur ne peut rendre une décision fondée sur une lecture sélective de la preuve (Rigg c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 341, au para 13). Il ne peut pas non plus complètement écarter des éléments de preuve en leur attribuant simplement un poids négligeable.
[32]
Dans l’affaire qui nous occupe, la question de la crédibilité de la preuve du demandeur occupait une place centrale dans l’analyse par l’agent d’ERAR de l’allégation voulant qu’il soit une personne à protéger. Plusieurs facteurs entraient en jeu dans la preuve entourant la crédibilité de la déposition du demandeur, l’existence de vendettas en Albanie et l’invention possible d’éléments de preuve par des demandeurs d’asile. En réglant les contradictions dans la preuve d’un simple revers de la main, l’agent d’ERAR n’a pas abordé selon moi la question de manière satisfaisante lorsqu’il a examiné le contenu du dossier de preuve qui lui avait été soumis.
[33]
Par exemple, l’agent d’ERAR s’est appuyé sur un passage de la Country Policy Information Note Albania: Blood Feuds [Note de politique et d’information sur l’Albanie : Vendettas] du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni (R.-U.) datant d’octobre 2018 et a décidé d’accorder plus de poids à cette [traduction] « preuve objective »
. Cependant, le passage en question concerne la délivrance de fausses attestations de vendetta et la présentation de tels certificats par des demandeurs d’asile. La préoccupation exprimée vient de ce que certaines organisations tirent profit des demandes d’attestation de vendetta et que certains Albanais obtiennent des documents en prétendant faussement qu’ils sont pris dans une vendetta.
[34]
Je conviens avec le demandeur que le passage invoqué par l’agent d’ERAR n’est pas pertinent quant à son dossier vu qu’il n’a présenté ni attestation ni certificat de vendetta dans sa demande d’ERAR. Par ailleurs, l’agent d’ERAR a accordé [traduction] « plus de poids »
à un extrait particulier du rapport du ministère de l’Intérieur du R.-U. dépourvu de pertinence, qui évoque des histoires de vendettas fausses et inventées, sans tenir compte des autres renseignements pertinents figurant dans cette même section.
[35]
Cela laisserait entendre que l’agent d’ERAR est parvenu à la décision d’une manière injustifiée en appliquant des principes juridiques incorrects. Bien que l’issue puisse être raisonnable, l’analyse ne l’était pas. De plus, cet examen sélectif de la preuve est inextricablement lié à la seconde erreur commise par l’agent d’ERAR qui a fait passer des conclusions en matière de crédibilité pour des conclusions sur le caractère suffisant de la preuve.
B.
La crédibilité du demandeur
[36]
L’analyse et l’examen sélectif de la preuve par l’agent d’ERAR révèlent clairement une chose : il n’a pas cru le demandeur.
[37]
Bien que la norme de la décision correcte s’applique généralement aux questions d’équité procédurale, par exemple si la tenue d’une audience est requise, cette norme est habituellement remplacée dans les affaires de demande d’ERAR : Huang, aux para 13-16.
[38]
Aux termes de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, une audience est requise si une question importante en matière de crédibilité est soulevée à l’égard de la preuve qui est importante pour la prise de la décision et qui, à supposer qu’elle soit admise, justifierait de faire droit à la demande. Le défendeur fait valoir que le demandeur confond une conclusion d’insuffisance de la preuve probante avec une inférence défavorable en matière de crédibilité.
[39]
L’évaluation de la crédibilité est liée à la fiabilité de la preuve. Lorsqu’on conclut que la preuve n’est pas crédible, on conclut que l’origine de la preuve (par exemple, le témoignage du demandeur) n’est pas fiable. L’évaluation de la suffisance porte sur la nature et la qualité des éléments de preuve qu’un demandeur doit présenter pour obtenir réparation, sur leur valeur probante et sur l’importance que le juge des faits doit accorder aux éléments de preuve. Lorsqu’une décision repose seulement sur l’insuffisance de la preuve fournie, aucune audience n’est requise.
[40]
En d’autres termes, pour évaluer la crédibilité, il faut se demander si les éléments de preuve sont plausibles (Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1324, au para 19). Le caractère suffisant de la preuve porte sur la quantité d’éléments requis pour établir un fait ou satisfaire au fardeau de preuve. C’est ce qu’explique avec concision le juge John Norris dans la décision Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1207, au para 31 :
[…] Un critère utile dans le présent contexte est le suivant : il appartient à la cour de révision de se demander si les affirmations de fait que la preuve présentée est censée établir, en présumant qu’elles soient véridiques, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande de protection. Dans la négative, la demande d’ERAR a alors échoué, non pas à cause d’une conclusion quelconque au sujet de la crédibilité, mais juste à cause du caractère insuffisant de la preuve. En revanche, si les affirmations de fait que la preuve présentée est censée établir, en présumant qu’elles soient véridiques, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande et que, malgré cela, cette dernière a été rejetée, cela donne à penser que le décideur avait des doutes sur la véracité de la preuve.
[41]
À mon avis, l’agent d’ERAR a tiré plusieurs conclusions voilées en matière de crédibilité, auxquelles la tenue d’une audience aurait pu remédier. Par exemple, il a souligné qu’il ne croyait pas que la famille du demandeur avait été mêlée à une vendetta, que son père avait été assassiné ou que le demandeur craignait pour sa vie.
[42]
Bien que le demandeur ait fourni des éléments de preuve objectifs à l’appui de ces allégations, l’agent d’ERAR n’a essentiellement accordé aucun poids à sa preuve même si elle intéressait une question centrale.
[43]
Le demandeur a signé la déclaration dans la demande d’ERAR attestant que les renseignements fournis étaient véridiques, complets et exacts.
[44]
Je note que le demandeur a dû exposer en ordre chronologique tous les incidents importants qui l’ont amené à chercher une protection à l’extérieur de son pays de nationalité. La demande d’ERAR renvoie à une annexe qui n’est cependant pas reproduite dans le dossier certifié du tribunal. Il semble toutefois que l’agent d’ERAR disposait des renseignements en question lorsqu’il a rendu la décision.
[45]
Les allégations dont le demandeur atteste la véracité sont présumées véridiques à moins qu’il n’existe une raison d’en douter. Lorsqu’aucune raison valide de douter de la sincérité d’un demandeur n’est fournie, il serait erroné d’exiger une preuve corroborant de telles allégations, car cela mettrait en échec la présomption d’authenticité.
[46]
Quoi qu’il en soit, le demandeur a fourni de nombreux documents à l’appui de sa demande, y compris le certificat de décès de son père et les déclarations de membres de sa famille. L’agent d’ERAR a examiné sa preuve dont il a individuellement rejeté tous les éléments parce qu’ils étaient insuffisants.
[47]
Premièrement, il a rejeté le certificat de décès du père du demandeur à titre de document corroborant le décès en question. Il a déclaré que la preuve objective établissant que son décès était lié à une vendetta était insuffisante. L’agent d’ERAR a examiné cet élément de preuve sans tenir compte de la preuve du demandeur concernant l’histoire de la vendetta dans sa famille, des lettres justificatives fournies par des membres de sa famille, des articles de presse qui mentionnent spécifiquement une vendetta entre les familles Qarri et Qosaj, et le meurtre de Kole Qosaj par Lusash Qarri.
[48]
Deuxièmement, l’agent d’ERAR a décidé que les lettres de soutien devaient se voir accorder un poids négligeable parce qu’elles [traduction] « ne sont ni attestées par des tiers ni appuyées par des pièces d’identité quelconques »
. Même s’il est certainement loisible à l’agent d’ERAR de s’interroger sur la source ou sur la crédibilité des renseignements, la raison pour laquelle il l’a fait en l’espèce n’est pas claire. Les lettres de soutien fournies par des membres de la famille ne sont pas toujours attestées par une tierce partie, et une telle formalité est rarement obligatoire dans la plupart des cas. Le décideur qui nourrit des préoccupations en matière de crédibilité à l’égard d’une question centrale doit les dissiper avant de rendre une décision. Le décès du père du demandeur et les risques subséquents auxquels ce dernier était exposé du fait de la vendetta sont cruciaux au regard des risques et de sa crédibilité.
[49]
De plus, l’ancien avocat du demandeur avait déclaré dans ses observations que, si l’agent d’ERAR avait des doutes quant à la crédibilité, le demandeur se proposait de témoigner et d’appeler comme témoins sa sœur, Anitla, son frère Arben et l’épouse de son cousin Katherine. L’agent d’ERAR aurait donc pu mettre à l’épreuve la crédibilité de ces lettres en évaluant la preuve orale fournie par le demandeur et sa famille.
[50]
De même, l’agent d’ERAR a écarté le fait que deux des frères ont obtenu l’asile aux États-Unis et déclaré que le demandeur avait fourni [traduction] « une preuve objective insuffisante de la mesure dans laquelle la situation de ses frères est liée à ses circonstances personnelles »
. Cependant, l’ancien avocat du demandeur avait exposé les faits dans ses observations, expliquant les menaces et les risques auxquels les frères Qosaj faisaient face en Albanie.
[51]
En l’espèce, j’estime que l’agent d’ERAR a implicitement refusé de croire la preuve du demandeur selon laquelle il était exposé à une menace à sa vie en raison de la vendetta déclenchée entre sa famille et la famille Qarri, laquelle a également entraîné le meurtre de son père. Même si l’agent d’ERAR pouvait tirer une telle conclusion sur la base du dossier dont il disposait, il lui incombait de le faire explicitement.
VII.
Conclusion
[52]
La décision doit dans son ensemble être transparente, intelligible et justifiée. Le contrôle judiciaire porte à la fois sur le résultat et sur le raisonnement à l’origine de ce résultat.
[53]
L’agent d’ERAR était tenu d’examiner l’ensemble de la preuve. Ce faisant, j’estime qu’il a évalué la crédibilité, ce dont la décision ne rend pas compte; en d’autres mots, il a tiré des conclusions voilées en matière crédibilité. À ce titre, sa décision est déraisonnable.
[54]
Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.
[55]
Aucune question n’est à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-199-20
LA COUR STATUE que :
Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire.
La décision de l’agent d’examen des risques avant renvoi est infirmée en l’espèce.
L’affaire est renvoyée à un autre agent d’évaluation des risques avant renvoi pour qu’il la réexamine et détermine si la tenue d’une audience est requise.
Aucune question n’est certifiée.
« Roger R. Lafreniѐre »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-199-20
|
INTITULÉ :
|
AGOSTIN QOSAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 26 mai 2021
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
Le juge LAFRENIÈRE
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 8 juin 2021
|
COMPARUTIONS :
Arghavan Gerami
|
pour le demandeur
|
Yusuf Khan
|
pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gerami Law Professional Corp.
Ottawa (Ontario)
|
pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
pour le défendeur
|