Date : 20020712
Dossier : IMM-2620-01
Référence neutre : 2002 CFPI 790
Ottawa (Ontario), le 12e jour de juillet 2002
En présence de : L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY
ENTRE :
ANJALAI ERULANDY
Demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire suivant le paragraphe 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 [ci-après la « Loi » ] à l'encontre de la décision de la Commission de l'immigration et du Statut de réfugié [ci-après le « tribunal » ] rendue le 2 mai 2001 selon laquelle la demanderesse ne rencontre pas la définition de « réfugié au sens de la Convention » au paragraphe 2(1) de la Loi.
QUESTION EN LITIGE
[2] Le tribunal a t-il rendu une décision fondée sur des conclusions de faits erronés, de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments dont il disposait, ou en d'autres mots, a t-il rendu une décision manifestement déraisonnable?
[3] Après avoir analysé attentivement toute la preuve et la documentation, je réponds par la négative à cette question.
FAITS
[4] La demanderesse provenant de la Malaisie, allègue être victime d'une crainte de persécution fondée sur la violence conjugale, soit des abus physiques et psychologiques de la part de son époux.
[5] La demanderesse n'a aucune formation et n'a jamais travaillé.
[6] Deux de ses filles résident au Canada. L'une d'elle, Yoghagagi Muniandy, s'est vu refuser le statut de réfugié en 1996.
[7] La demanderesse a rendu visite à sa fille deux fois avant de réclamer le statut de réfugié pour elle-même.
DÉCISION CONTESTÉE
[8] Le tribunal composé de deux personnes conclut à la page 3 de sa décision:
Based on the above analysis of the evidence, the panel does not believe that the claimant was a victim of conjugal violence.
DETERMINATION
For all the foregoing reasons, the panel determines that Anjalai ERULANDY is not a "Convention refugee" as defined in section 2(1) of the Immigration Act.
PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE
[9] La demanderesse allègue qu'elle n'a pas obtenu une audition équitable, car elle a éprouvé des problèmes d'ouie. Elle se plaint de l'interprète qui parlait un dialecte tamoul indien alors qu'elle avait demandé un interprète parlant un tamoul malaysien.
[10] La demanderesse soutient que le tribunal a erré en faisant de l'absence de rapports médicaux ou psychologiques un élément déterminant quant à son évaluation de son témoignage.
[11] La demanderesse soumet que le tribunal n'aurait dû pas basé sa décision sur le fait qu'elle n'avait pas revendiqué le statut de réfugié dès la première occasion.
PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR
[12] Contrairement à la demanderesse, le défendeur prétend que l'audition s'est tenue de façon équitable et que le mémoire de la demanderesse est insuffisamment étayé sous cet aspect.
[13] Le défendeur soumet que la demanderesse aurait pu produire une expertise médicale pour supporter les allégations qu'elle avance.
[14] Il ajoute aussi que la demanderesse essaie de soumettre de l'argumentation qui aurait dû être plaidée devant le tribunal.
ANALYSE
a) Norme de contrôle judiciaire applicable
[15] En l'instance, c'est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans l'affaire Conkova c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (QL) (C.F. 1re instance), le juge Pelletier (tel était alors son titre) conclut au paragraphe 5:
La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada, [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193. [...]
[16] Ici les conclusions du tribunal sont basées sur des questions de faits et concernent la crédibilité de la demanderesse.
b) La crédibilité de la demanderesse
[17] Dans la cause Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.F.), paragraphe 4, la Cour d'appel fédérale nous enseigne les paramètres d'une intervention judiciaire lorsqu'il s'agit d'une question de crédibilité.
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [...]
[18] Le même principe est reconnu dans Razm c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 373 (QL) (C.F. 1re instance), au paragraphe 2:
Il est reconnu, et de fait il est maintenant de droit constant, que la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Étant donné que les motifs de la décision qu'elle a rendue au sujet de la crédibilité doivent être énoncés en des termes clairs et explicites, cette cour n'interviendra que dans des circonstances exceptionnelles.
[19] De la même façon, le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re instance), énonce au paragraphe 14:
Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion "sans tenir compte des éléments dont [elle disposait]". [...]
[20] D'entrée de jeu, dans la cause sous étude, le tribunal éprouve clairement des préoccupations quant à la crédibilité de la demanderesse (page 1 de la décision):
The panel is aware that domestic violence is a problem in Malaysia. Unfortunately, the claimant was not at all credible. Her testimony was unclear, confused, and replete with major contradictions. [...]
[21] Un peu plus loin, le tribunal s'exprime en ces termes à la page 1:
[...] The panel finds her lack of knowledge on these elements cast serious doubts about the general credibility of her claim.
[22] À la page 2, le tribunal écrit:
The record will show that there are other discrepancies in the claimant's evidence. Given that the above negative findings have already seriously impeached the general credibility of the claim, the panel finds no practical purposes served in detailing them.
[23] Ces extraits me confirment que le tribunal doute sérieusement de la crédibilité de la demanderesse. Alors, je n'ai pas l'intention d'intervenir.
c) Première visite de la demanderesse au Canada
[24] La demanderesse visite le Canada deux fois mais elle n'indique pas ce fait dans son Formulaire de Renseignements Personnels (FRP), et à ce sujet, il est intéressant de noter les commentaires du tribunal aux pages 1 et 2 de sa décision:
The claimant testified that she had never travelled outside of Malaysia before coming to Canada in July 2000. Nevertheless, the notations on page 31 of her passport read "Bearer has previously travelled on passport no: A7510088 issued on 01/08/1995 which has been cancelled and returned." When confronted with this contradiction, the claimant then disclosed that she did visit her daughter in Canada before July 2000 to inform her of the abuses she had suffered. [...]
[25] Aux pages 353-354 du dossier certifié, la demanderesse répond aux questions du tribunal à cet effet:
Q. Okay, ma'am, but the question was why did you say...why does it say that you have travelled? Page 31 of your new passport it says that you have travelled with your old passport. But you yourself said you have never travelled.
A. I came to travel this child. I came to see this child.
BY MEMBER (to person concerned)
Q. Madame, when?
A. I 'm forgotten long time ago.
Q. So do we understand, madame, madame, would look at the panel please. Thank you. Do we understand that sometime a long time ago you were in Canada, is that correct? Okay.
A. Yes.
[26] La demanderesse attends donc trois mois après sa deuxième visite au Canada pour
revendiquer le statut de réfugié et le tribunal est influencé par ce facteur tel qu'on le voit à la page 1 de sa décision:
[...] the panel finds her failure to claim refugee status during her first visit to Canada, and her delay to seek protection following her second arrival in Canada are behaviors [sic] incompatible with someone who has a well-founded fear of persecution. [...]
[27] Et le tribunal ajoute aux pages 2-3 de la décision:
[...] Although the claimant alleged that the purpose of her first visit to Canada was to discuss her problem of spousal abuse with her daughter, she did not ask for protection from Canada. She attributed her failure to claim refugee status to her ignorance about the refugee system. The panel does not accept her explanation, since her daughter in Canada had applied for refugee status in 1996 and should have the knowledge to advise her. Then, the claimant took approximately a 3-month delay following her second arrival in Canada before she claimed refugee status. She offered no reasonable explanations regarding this lengthy delay. It is the view of the panel that an individual with a well-founded fear of persecution would seek protection at the earliest possible opportunity. In the present case, the claimant did not. The panel concluded that the claimant's behaviour in such circumstances is not consistent with one who has a well-founded fear of persecution.
[28] Le procureur de la demanderesse soulève qu'on ne retrouve nulle part dans les notes sténographiques le délai de trois mois indiqué dans la décision. Je remarque que l'avis de revendication du statut de réfugié au sens de la convention est daté du 23 septembre 2000 alors que l'estampille de Citoyenneté et Immigration Canada contient la date du 11 octobre 2000. Le Formulaire de Renseignements Personnels (FRP) mentionne la date d'arrivée de la demanderesse le 21 juillet 2000 et l'intention de la demande de revendication 21 juillet 2000 raturé où l'on a ajouté 11 octobre 2000. C'est sûrement ce délai de trois mois qu'a voulu mentionner les décideurs et même si je donnais le bénéfice du doute à la demanderesse et que j'utilisais le
23 septembre 2000, il existe un lapse de temps important entre l'arrivée de la demanderesse au Canada et sa demande de revendication du statut de réfugié.
[29] Lorsque quelqu'un demande le statut de réfugié, l'élément délai est important. Dans
Hanna c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 133 (QL) (C.F. 1re instance), le juge Cullen opine au paragraphe 18:
The point was also made that delay in making a refugee claim is a relevant factor to be considered by the Refugee Division in assessing a claim before it. Mr. Justice Marceau, in Heer v. M.E.I., unreported, F.C.A. A-474-87, April 13, 1988 [Please see [1988] F.C.J. No. 330], at p. 1 confirmed that delay in making a claim for refugee status, "is an important factor which the Board is entitled to consider in weighing a claim for such status".
[30] Je considère que le fait de ne pas revendiquer le statut de réfugié à la première
occasion ajoute à la non-crédibilité du récit de la demanderesse.
d) Allégation d'une violation des principes de justice naturelle
[31] La demanderesse allègue qu'elle a été la victime d'une violation des principes de justice
naturelle, car elle n'a pas bénéficié de la chance d'avoir une audition équitable. La demanderesse soutient avoir fait part à l'interprète de ses problèmes à l'entendre correctement. Elle craint alors de ne pas avoir été entendue parce que la décision du tribunal ne répond pas par anticipation à cette supposée crainte. Voici un extrait qui se trouve aux pages 300-301 du dossier certifié:
BY PRESIDING MEMBER (to interpreter)
Q. Mr. Anthony, you were given the opportunity to talk to the claimant before we put on record. Do you understand the claimant?
A. I did.
- Okay, would you please ask the claimant whether she understands you when you speak to him [sic] in Tamil.
A. Yes, I understand (inaudible).
[32] Et plus loin à la page 323-324 du dossier certifié, se trouve ce qui suit:
BY MEMBER (to person concerned)
Q. When we speak, as we have been doing this morning, and the translation is done for you, do you understand what is being said?
A. I understand in this here.
Q. Do you understand the questions that have been asked of you so far?
A. I understand. Whatever you speak I do not understand. Whatever you speak in Tamil I understand.
Q. And besides the language, do you understand the nature of the question?
A. You're just talking about all the details.
[33] De plus, la demanderesse soumet que l'interprète parlait un dialecte tamoul indien, tandis que la demanderesse parle un tamoul malaysien. Elle allègue alors avoir compris l'interprète avec difficulté.
[34] La demanderesse, ne s'étant jamais objecté à ce sujet lors de l'audition elle-même ou par l'entremise de son avocat, et n'ayant pas soulevé d'erreurs de traduction de la part de l'interprète, n'a pas réussi à établir l'existence d'une violation des principes de justice naturelle.
[35] Le juge MacGuigan dans Re Tribunal des Droits de la Personne et Énergie Atomique
Canada Ltée, [1986] 1 C.F. 103, énonce qu'on doit soulever l'allégation d'une violation des principes de justice naturelle à la première occasion, sinon il existe une présomption de renonciation:
Toutefois, même si l'on écarte cette renonciation expresse, toute la manière d'agir d'EACL devant le Tribunal constituait une renonciation implicite de toute affirmation d'une crainte raisonnable de partialité de la part du Tribunal. La seule manière d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion. En l'espèce, EACL a cité des témoins, a contre-interrogé les témoins cités par la Commission, a présenté un grand nombre d'arguments au Tribunal et a engagé des procédures devant la Division de première instance et cette Cour sans contester l'indépendance de la Commission. Bref, elle a participé d'une manière complète à l'audience et, par conséquent, on doit tenir pour acquis qu'elle a implicitement renoncé à son droit de s'opposer. (je souligne)
[36] Il est à noter aussi que ce n'est qu'en contrôle judiciaire que la demanderesse soulève
pour la première fois une violation des principes de justice naturelle.
e) Absence de preuve médicale
[37] La demanderesse a témoigné qu'elle était la victime d'abus physique et psychologique.
Or, il n'y a aucune preuve médicale pour justifier ces faits et le tribunal mentionne à la page 2 de la décision:
The claimant was asked questions in relation to her injuries as a result of her husband's alleged beatings. While question 37 of her Personal Information From [sic] (PIF) indicated that she was "badly injured", she testified to the contrary. She said that she had no injuries except internal pain and bruises. When the contradiction was pointed out to her, she replied, "I did not remember". Thus, in a subsequent attempt to better understand her injuries, the claimant was posed questions about her need for medical attention. However, she did not answer the questions directly; she provided a variety of irrelevant responses which made her testimony even more confusing. The panel finds her manner evasive, and this further undermines her credibility.
[38] Aussi, à la page 3, le tribunal énonce:
In assessing the credibility of the claimant, the panel did not take into account her lack of education, and alleged "memory problem". However, it is to be noted that the questions posed to the claimant were simple and clear, and they required basic explanations to the alleged facts in her claim. At a certain point, the claimant alluded to having a "memory problem". In the absence of a medical or psychological report to corroborate her allegation, and in light of her lack of general credibility, the panel is left with no trustworthy evidence to accept this as the cause for the many deficiencies in her testimony.
[39] Il n'est pas déraisonnable que le tribunal tire une inférence négative de l'absence
d'une preuve médicale car il n'était pas convaincu que la demanderesse était victime de violence conjugale.
[40] Je constate aussi que le tribunal a apporté une attention minutieuse aux faits présentés et sa décision est bien motivée en se référant à des exemples clairs et précis. Je n'ai pas l'intention d'intervenir et en conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[41] Les procureurs des parties ne m'ont soumis aucune question sérieuse et de portée
générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que:
1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
(signed) Michel Beaudry
Juge