Date : 20041027
Dossier : IMM-10042-03
Référence : 2004 CF 1514
Toronto (Ontario), le 27 octobre 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
demandeur
et
MUZAFFAR SAEED
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Muzaffar Saeed est un résident permanent qui tente de faire venir sa nouvelle épouse et son enfant au Canada. La demande de visa de résident permanent de son épouse a été rejetée par un agent des visas qui a conclu qu'elle n'était pas un parent car elle n'avait pas été préalablement examinée. La Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accueilli l'appel de cette décision interjeté par M. Saeed.
[2] Le ministre demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI, affirmant qu'il n'y avait aucun élément de preuve à l'appui de sa conclusion que M. Saeed avait affirmé à l'agent des visas qu'il allait se marier. Le ministre prétend de plus que la SAI a commis une erreur en concluant que l'équité procédurale exigeait que, dès qu'il fut informé des projets de mariage de M. Saeed, l'agent des visas informe celui-ci qu'il devait faire examiner son épouse.
La chronologie des événements qui ont mené à la décision de l'agent des visas
[3] Afin de bien comprendre la position des parties en l'espèce, il est nécessaire de comprendre la séquence des événements concernant les tentatives de parrainage faites par M. Saeed quant à son épouse.
[4] M. Saeed a déposé sa propre demande de visa en décembre 1999. Il est reconnu que M. Saeed n'était pas marié lorsqu'il a déposé sa demande. M. Saeed a été reçu en entrevue à New York en octobre 2000. Selon les notes au STIDI conservées en rapport avec le cas de M. Saeed, celui-ci a affirmé lors de son entrevue qu'il était célibataire et qu'il n'avait aucun projet de mariage.
[5] Le 18 octobre 2000, M. Saeed a signé une déclaration solennelle qui comprenait, notamment, l'engagement qu'il informerait par écrit le consulat général du Canada à New York s'il y avait un changement dans son état matrimonial.
[6] M. Saeed s'est marié le 26 mars 2001. Il a obtenu son visa le 26 juillet 2001 et le droit d'établissement le 28 août 2001. La fiche d'établissement remplie à cette date mentionne que M. Saeed était toujours célibataire. M. Saeed affirme qu'on ne lui pas demandé quel était son état matrimonial au point d'entrée.
[7] En mars 2002, M. Saeed a présenté une demande de parrainage de son épouse et de son fils mineur. En février 2003, la demande de parrainage de M. Saeed a été refusée par un agent des visas. L'agent des visas a conclu que l'épouse de M. Saeed n'était pas un parent étant donné qu'elle n'avait pas été préalablement examinée.
[8] M. Saeed a alors interjeté appel de cette décision à la SAI.
La décision de la SAI
[9] La SAI n'a pas tenu d'audience dans cette affaire, mais a plutôt demandé des observations écrites quant à savoir pourquoi l'appel interjeté par M. Saeed ne devrait pas être rejeté au motif que l'épouse de M. Saeed semblait être exclue par l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés.
[10] L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit ce qui suit :
117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :
d) dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, n'a pas fait l'objet d'un contrôle et était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier ou était un ex-époux ou ancien conjoint de fait du répondant.
[11] Après avoir reçu les observations de M. Saeed et de la ministre, la SAI a accueilli l'appel, concluant que M. Saeed avait informé oralement l'agent des visas qu'il allait se marier. La SAI a de plus conclu que, ayant appris les projets de mariage de M. Saeed, l'agent a manqué à l'obligation d'équité procédurale à laquelle il était tenu envers celui-ci en ne l'informant pas des graves conséquences qui découleraient du fait de ne pas avoir fait examiner son épouse
Les questions en litige
[12] Le ministre soulève deux questions en l'espèce. Le ministre affirme que la SAI a commis une erreur en tirant sa conclusion de fait que M. Saeed avait affirmé à l'agent des visas qu'il allait se marier. Le ministre affirme que la SAI a également commis une erreur en concluant que l'équité procédurale exigeait que l'agent informe M. Saeed des conséquences découlant du fait de ne pas faire examiner sa femme.
La conclusion de fait de la SAI était-elle manifestement déraisonnable?
[13] Les parties conviennent qu'une conclusion de fait tirée par la SAI ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire que si elle est manifestement déraisonnable.
[14] Le ministre prétend que la conclusion de la SAI que M. Saeed a informé verbalement l'agent des visas qu'il allait se marier est manifestement déraisonnable car elle n'est pas étayée par la preuve. De plus, le ministre affirme que la SAI a commis une erreur en omettant d'examiner et d'apprécier le témoignage sous serment dont elle était saisie, lequel contredisait directement sa conclusion. À cet égard, le ministre invoque les décisions rendues par la Cour dans les affaires Atwal c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1113 et dans Gourenko c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 682.
[15] M. Saeed prétend qu'un décideur n'est pas tenu de mentionner chacun des documents déposés en preuve et que l'omission de la SAI de mentionner les documents précis dont elle était saisie ne signifie pas qu'elle n'a pas tenu compte de ces documents.
[16] En l'espèce, les renseignements dont était saisie la SAI comprenaient des lettres écrites par M. Saeed et son représentant ainsi qu'une déclaration solennelle de la part de l'agent des visas jointe aux notes du STIDI relatives au cas de M. Saeed.
[17] Dans sa lettre du 20 mars 2003, M. Saeed mentionne qu'il [traduction] « avait informé le bureau d'immigration » de son mariage lorsqu'il a fait une demande de parrainage de son épouse et de son enfant. Sa demande de parrainage a été déposée en mars 2002. Rien ne donne à entendre dans cette lettre que les autorités de l'immigration avaient été informées de l'intention de M. Saeed de se marier à n'importe quel moment avant mars 2002.
[18] Par contre, une lettre écrite en juillet 2003 par le conseiller en immigration de M. Saeed fait mention que M. Saeed a informé le bureau d'immigration à Islamabad de son mariage imminent. Une lettre ultérieure, écrite par le conseiller en août 2003, élabore sur ce sujet en faisant mention que M. Saeed n'avait pas parlé à l'agent des visas en personne, mais à la personne qui avait répondu au téléphone. Selon la lettre écrite en août, la personne qui se trouvait à l'autre bout de la ligne avait affirmé à M. Saeed qu'elle n'avait pas le temps de discuter de cette question et que M. Saeed devrait parrainer son épouse une fois qu'il serait rendu au Canada. La lettre ne mentionne pas quand cette conversation aurait eu lieu et M. Saeed ne mentionne pas non plus à qui il a parlé.
[19] Tout en admettant qu'il aurait dû avertir par écrit le bureau d'immigration du changement survenu dans son état matrimonial, M. Saeed prétend néanmoins que les autorités de l'immigration étaient effectivement au courant de son mariage.
[20] Dans sa déclaration solennelle, l'agent des visas déclare que rien n'indique que M. Saeed a informé le bureau des visas à Islamabad de son intention de se marier. Cette conclusion découle d'un examen des notes au STIDI.
[21] En examinant cette question, la SAI a tout simplement déclaré qu' [traduction] « il appert des documents déposés que [M. Saeed] a informé l'agent des visas qu'il allait se marier » .
[22] En toute déférence pour la SAI, le dossier dont la Commission a été saisie était loin d'être clair sur ce point. Les seuls renseignements dont la SAI était saisie à cet égard étaient les observations de dernière minute du représentant de M. Saeed, lesquelles renvoyaient à une conversation téléphonique avec une personne inconnue au bureau des visas d'Islamabad à une date indéterminée - une conversation que M. Saeed lui-même n'avait jamais mentionnée dans ses observations ultérieures.
[23] Par contre, le ministre a déposé devant la SAI un témoignage assermenté ainsi que des dossiers contemporains qui contredisaient directement la prétention de M. Saeed.
[24] Il est vrai que l'omission de la part d'un arbitre de mentionner des documents précis ne signifie pas qu'il n'a pas tenu compte de ces documents pour en arriver à une décision : voir Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102 et Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 946.
[25] Toutefois, en l'espèce, ce qui n'a pas été mentionné par la SAI, ce sont des éléments de preuve documentaire assermentés, propres à un cas, directement pertinents à la question principale de l'espèce et qui contredisent directement la conclusion tirée par la Commission. Dans ces circonstances, la SAI était tenue d'examiner expressément ces éléments de preuve, et, si elle décide de ne pas les accepter, elle était tenue de donner des motifs pour cette décision.
[26] Comme elle ne l'a pas fait, je ne peux que conclure que la décision de la SAI était fondée sur une prémisse factuelle à laquelle elle était arrivée sans tenir compte de l'ensemble des documents dont elle était saisie. De ce fait, la conclusion de la SAI que M. Saeed a informé les autorités de l'immigration de son mariage est manifestement déraisonnable.
[27] Cette conclusion était fondamentale quant à la décision de SAI. Par conséquent, la décision ne peut être maintenue.
La question de l'équité procédurale
[28] L'argument du ministre quant à l'équité procédurale reposait sur l'hypothèse que l'agent des visas était au courant du mariage de M. Saeed. Ayant conclu que la SAI a commis une erreur en tirant une telle conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner cet argument.
Conclusion
[29] Pour ces motifs, la demande est accueillie. La décision de la SAI est annulée et l'affaire est renvoyée à la SAI pour nouvel examen par un commissaire différent.
Certification
[30] Ni l'une, ni l'autre des parties n'a proposé de question à certifier et il n'y a aucune question à certifier en l'espèce.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur la question.
2. aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.
« Anne L. Mactavish »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B., trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-10042-03
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
et
MUZAFFAR SAEED
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 26 OCTOBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 27 OCTOBRE 2004
COMPARUTIONS :
ANGELA MARINOS POUR LE DEMANDEUR
MICHAEL KORMAN POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
Otis & Korman
Avocats
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041027
Dossier : IMM-10042-03
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
demandeur
et
MUZAFFAR SAEED
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE