Date : 20021128
Dossier : IMM-5819-02
Référence neutre : 2002 CFPI 1242
Toronto (Ontario), le jeudi 28 novembre 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE
ENTRE :
HARJIT SINGH
SATINDER KAUR
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Harjit Singh et Satinder Kaur (les demandeurs) demandent à la Cour de surseoir à leur expulsion du Canada, qui doit avoir lieu le 3 décembre 2002.
[2] Les demandeurs sont arrivés au Canada en 1988. Leur revendication du statut de réfugié a été rejetée.
[3] Les trois enfants des demandeurs se sont vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.
[4] Les demandeurs ont présenté une quatrième demandée fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, qui a été approuvée en principe en 1994. Le statut de résident permanent leur a cependant été refusé à cause des accusations criminelles déposées par la suite contre Harjit Singh.
[5] Le demandeur, Harjit Singh, n'a été déclaré coupable d'aucune accusation au Canada puisque toutes les accusations portées contre lui ont été suspendues. Il n'a fait l'objet d'aucune autre accusation au Canada.
[6] Le demandeur craint de retourner en Inde parce qu'il aurait été torturé dans ce pays. Il n'a ni lien ni contact en Inde. Ses trois enfants vivent au Canada et sont des réfugiés au sens de la Convention.
[7] En 2000, il a appris que sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire serait rejetée parce qu'il aurait été condamné pour une infraction criminelle en Inde en 1996. La demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire présentée par la demanderesse, Satinder Kaur, a aussi été rejetée, apparemment pour la même raison.
[8] Le demandeur a été traduit en justice relativement à des accusations de parjure après avoir déclaré, lors d'une enquête sur le cautionnement, qu'il n'avait pas quitté le Canada depuis 1988. Ces accusations ont été suspendues à cause des problèmes relatifs à la présentation de la preuve et de l'incapacité du policier indien d'identifier le demandeur.
[9] Les demandeurs ont présenté une nouvelle demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en juin 2002. Cette demande n'a pas encore fait l'objet d'une décision.
[10] Le demandeur a déclaré dans son témoignage que son épouse souffre d'une insuffisance rénale complète, qu'elle a besoin d'une dialyse trois fois par semaine et qu'elle est aussi diabétique. Cela a été confirmé par un médecin et par la demanderesse. Le médecin a aussi indiqué qu'il n'était pas recommandé à la demanderesse de voyager pour l'instant.
[11] La demanderesse a aussi déclaré dans son témoignage qu'elle a besoin du soutien de son mari en raison de son état de santé.
[12] La preuve démontre que la dialyse est disponible en Inde, mais que les patients doivent payer pour ce service. Il en coûterait 1 000 $ par traitement à la demanderesse.
[13] Par ailleurs, le centre de traitement le plus proche se trouve à environ 450 kilomètres de la résidence des demandeurs. Si l'on tient compte des frais de déplacement, le coût du traitement de Satinder Kaur atteindrait 4 000 $ par semaine.
[14] Le demandeur affirme qu'il n'a pas les moyens de payer ce montant.
[15] Sans traitement, la demanderesse va mourir.
Question en litige
[16] La Cour devrait-elle surseoir à l'expulsion des demandeurs vers l'Inde?
Analyse et décision
[17] Il est maintenant admis qu'un agent de renvoi jouit d'un certain pouvoir discrétionnaire et peut, dans certaines circonstances, surseoir au renvoi du demandeur (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. no 682 (1re inst.)).
[18] Pour que je leur accorde un sursis, il faut que les demandeurs satisfassent aux exigences établies dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), à la page 305 :
Notre Cour, tout comme d'autres tribunaux d'appel, a adopté le critère relatif à une injonction provisoire et énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 [Comparer avec Apple Computer Inc. v. Minitronics of Canada et al., 8 C.P.R. (3d) 431. Voir aussi Law Society of Alberta v. Black, 8 D.L.R. (4th) 346, à la page 349, Cour d'appel de l'Alberta]. Ainsi que l'a déclaré le juge d'appel Kerans dans l'affaire Black précitée :
[traduction] Le critère à triples volets énoncé dans Cyanamid exige que, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, le requérant prouve premièrement qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher; deuxièmement qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et troisièmement que la balance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi de l'ordonnance.
Les demandeurs doivent satisfaire aux trois volets de ce critère.
Question sérieuse
[19] Je suis d'avis que les demandeurs ont soulevé des questions sérieuses à trancher, notamment les suivantes :
1. Serait-il contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), de renvoyer la demanderesse en Inde où elle mourrait si elle n'avait pas de dialyse parce qu'elle n'a pas les moyens financiers de payer les services?
2. L'agent avait-il le pouvoir, en vertu des articles 7 et 52, de ne pas tenir compte de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui empêche que soit pris en considération le manque de ressources médicales?
Préjudice irréparable
[20] Je suis d'avis qu'il existe un préjudice irréparable en l'espèce. Ce préjudice serait causé aux deux demandeurs si Satinder Kaur mourait après avoir été renvoyée en Inde et avoir été privée de dialyse à cause d'un manque de ressources.
Prépondérance des inconvénients
[21] La prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs étant donné que le défendeur peut toujours les renvoyer si leur demande est rejetée. Il n'y a aucune raison de croire qu'ils risquent de prendre la fuite.
[22] La demande de sursis est accueillie, et il est sursis à l'expulsion (le renvoi) des demandeurs jusqu'à ce que leur demande d'autorisation de contrôle judiciaire soit rejetée ou, si l'autorisation est accordée, jusqu'à que la Cour statue sur la demande de contrôle judiciaire.
[23] Les parties ont indiqué que le dossier de requête qui a été déposé concernait à la fois la présente affaire et le dossier IMM-5823-02. Je me réserve le droit de rendre toute ordonnance qui pourrait s'avérer nécessaire à cet égard.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
Qu'il soit sursis à l'expulsion (au renvoi) des demandeurs jusqu'à ce que leur demande d'autorisation de contrôle judiciaire soit rejetée ou, si l'autorisation est accordée, jusqu'à que la Cour statue sur la demande de contrôle judiciaire.
« John A. O'Keefe »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5819-02
INTITULÉ : HARJIT SINGH
SATINDER KAUR
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le lundi 25 novembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe
DATE DES MOTIFS : Le jeudi 28 novembre 2002
COMPARUTIONS :
Lorne Waldman POUR LES DEMANDEURS
Deborah Drukarsh POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lorne Waldman POUR LES DEMANDEURS
Waldman & Associates
Avocats
281, avenue Eglinton Est
Toronto (Ontario) M4P 1L3
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20021128
Dossier : IMM-5819-02
ENTRE :
HARJIT SINGH
SATINDER KAUR
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE