Date : 19990127
Dossier : T-1258-90/T-1259-90
Entre :
SA MAJESTÉ LA REINE
Demanderesse
Et:
ROSE-MARIE CHAMPEVAL
Défenderesse
Et:
JEAN-PIERRE CHAMPEVAL
Défendeur
MOTIFS DE JUGEMENT
LE JUGE ROULEAU
[1] L'appel en question a été entendu à Montréal les 19 et 20 janvier 1999. Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt qui a été émise le 10 janvier 1990 dans laquelle le juge Couture, juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt, avait exhonoré M. et Mme Champeval de toute responsabilité envers le ministère du Revenu national en ce qui concerne "faute de remise de retenues à la source sur le salaire des employés", "poursuite commune à l'encontre de cotisations émises par le ministère selon les dispositions du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. M. et Mme Champeval ainsi qu'une tierce personne étaient les actionnaires d'une société constituée en vertu des lois du Québec sous la raison sociale "Tradition 5 Inc."; le troisième actionnaire ne fait pas partie de la poursuite parce qu'il avait déclaré faillite en 1987. De plus, Rose-Marie Champeval était actionnaire et administrateur symbolique parce que la loi du Québec en vigueur à cette époque exigeait trois actionnaires. Il m'est apparu évident, après avoir entendu la preuve, que Mme Champeval n'exerçait aucun contrôle au sein de la compagnie.
[2] La décision du juge en chef Couture fut émise le 10 janvier 1990 et au 120ième jour, tel que permis, le ministère déposa sa déclaration auprès de la Cour fédérale demandant un procès de novo. En juillet 1998, Madame le juge Reed, en vertu de la règle 380 des Règles de la Cour fédérale en ce qui a trait aux gestions des instances, a expédié un avis au ministère du fait que plus de 360 jours s'étaient écoulés depuis le dépôt de la Déclaration en 1990 et que le délai devait être justifié. Peu de temps après, soit le 21 juillet, le procureur du ministère déposa une Demande de conférence préparatoire afin de proposer une demande d'audience. Après dépôt de ce document, le greffe du bureau de la Cour à Montréal expédiait une note de service demandant des directives à savoir si la conférence préparatoire devait procéder sans que le ministère n'ait justifié le délai de plus de huit ans. Cette justification n'a jamais été exigée en raison d'une erreur administrative permettant la tenue de la conférence préparatoire et une date d'audition fut donc subséquemment fixée.
[3] Lors de l'ouverture de la séance, le procureur des défendeurs, un avocat de l'aide juridique de la ville de Granby, a expliqué qu'il n'était pas tellement au courant des Règles sur la Cour fédérale ni de la procédure. Bien qu'il n'ait pas soulevé la question du délai encouru lors de la conférence préparatoire, la Cour a exigé de la part de la procureure du ministère de justifier le délai. Cette dernière était dans l'impossibilité de se conformer à la demande de la Cour n'ayant pas pris connaissance du dossier avant 1997.
[4] Lors de l'audience, les défendeurs ainsi que le directeur de la succursale de la Banque canadienne impériale de commerce de Cowansville en 1983 et 1984 ont témoigné. M. Desruissaux, un employé du ministère du Revenu, maintenant retraité, a témoigné pour la demanderesse. Il ne s'est jamais présenté sur les lieux pour faire enquête. Il était au bureau de Sherbrooke et révisait les rapports des vérificateurs qui étaient sur le champs; c'est ainsi qu'il gérait le dossier pour le ministère.
[5] L'élément qui a déclenché la vérification et la poursuite en justice est survenu à la fin mars ou au début avril 1984 lorsqu'un chèque en date du 15 mars 1983 pour retenues à la source sur le salaire des employés a été refusé par la banque en raison d'insuffisance de fonds.
[6] Le procès devant la Cour canadienne de l'impôt s'est déroulé en novembre 1989 et la décision très étoffée en faits et en jurisprudence fut remise aux parties le 10 janvier 1990. Il est évident qu'un témoignage donné 10 ans plus tard ne peut être aussi exact et valide en raison du temps écoulé depuis les faits pertinents.
[7] J'adopte donc les motifs ainsi que la décision du juge en chef Couture rendus le 10 janvier 1990 et dont je joins copie aux présents motifs comme Annexe A. Je rejette donc l'avis de cotisation de Revenu Canada ainsi que la présente action.
[8] Lors de l'audience j'ai informé la procureure du ministère qu'elle devait me convaincre de déficiences dans les motifs et la décision du juge en chef Couture, ce qu'elle n'a pas réussi à faire.
[9] Elle soulève cependant que lors de l'audition devant la Cour canadienne de l'impôt Mme Champeval n'avait pas témoigné et qu'elle n'aurait pas agi avec soin, diligence et habileté afin de prévenir le manquement. Elle souligne que Mme Champeval n'aurait pas émis de chèque à la mi-avril pour les retenues du mois de mars. Il m'apparaît évident selon la preuve au dossier que le chèque du 15 mars avait été retourné à cause d'insuffisance de fonds le 30 mars; que l'enquête des vérificateurs était déjà initiée et qu'une entente entre la compagnie, la banque et le ministère avait été conclue depuis mai 1984. Je ne suis pas convaincu qu'une administratrice symbolique, sachant que la succursale de la banque n'avait pas l'intention d'honorer les chèques, n'a pas agi avec soin et diligence étant donné les circonstances.
[10] Je tiens à ajouter quelques réflections ressortant de la preuve présentée lors de l'audience. Il est évident que même si M. Bertrand, directeur de la succursale locale de la Banque canadienne impériale de commerce s'engageait à honorer les chèques de la compagnie après qu'il aurait conclu une entente en présence des vérificateurs du ministère, il n'avait pas l'autorisation finale. Le bureau régional de la banque à Sherbrooke avait le dernier mot.
[11] La preuve la plus flagrante qui est ressortie lors de l'audience est le fait qu'en septembre ou octobre 1984, quelques jours après la suspensions des opérations de la compagnie, M. Champeval s'est rendu à Sherbrooke afin de rencontrer M. Desruisseaux, le représentant du ministère. Il était en preuve que la banque détenait nantissement commercial sur certains équipments, mais pas sur tout. M. Champeval a offert au ministère de prendre possession de cette machinerie libre de nantissement; de la saisir et de la revendre dans le but de liquider la dette d'environ $13,000 causée par le manquement de remettre les retenues à la source. Il appert qu'on lui a répondu que le ministère n'est pas dans le domaine de saisie et de vente d'équipement ou de machinerie.
[12] Le ministère a négligé d'obtenir de la part du huissier un nulla bona en ce qui a trait aux actifs de Tradition 5 Inc. avant février 1986. Il a évidemment trop tardé puisque la compagnie s'est désisté de ses actifs en décembre 1984.
[13] La preuve a de plus révélé que M. et Mme Champeval sont divorcés depuis plusieurs années; que Mme Champeval occupe l'ancienne demeure familiale qu'elle a dû hypotéquer lors de la reprise des activités de la compagnie après l'incendie qui est survenu en 1983; qu'elle est sans emploi régulier et doit encore faire face à des paiements hypotécaires. M. Champeval quant à lui semble se maintenir grâce à l'assistance sociale. Je dois donc conclure que même si le ministère avait gain de cause, il n'y aurait aucune possibilité de recouvrement d'une dette qui s'élevait à $17,000 en décembre 1989 et qui doit maintenant se chiffrer, avec l'intérêt annuel composé, à environ $40,000.
[14] Dans son exposé des faits, le ministère n'avait rien de nouveau à apporter au débat depuis la décision du juge en chef Couture en janvier 1990. Je conclus donc que tout cet exercice ne constitue pas une action en justice mais plutôt du harcèlement à l'endroit de contribuables; un exercice inutile dont les coûts retomberont inmanquablement sur le dos des contribuables canadiens.
[15] Le procureur des défendeurs exerçant pour le compte de l'aide juridique de Granby a dû se rendre à Montréal pour la conférence préparatoire puis de nouveau pour l'audience devant cette Cour qui a duré deux jours. Ayant rejeté la cause de la demanderesse, je la condamne à payer les honoraires et déboursés au montant de $7,500 payable au procureur des défendeurs.
JUGE
OTTAWA, Ontario
Le 27 janvier 1999