Date : 20030428
Dossier : IMM-3606-02
Référence : 2003 CFPI 673
OTTAWA (ONTARIO), LE 28 MAI 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL
ENTRE :
THENMOLI RAMACHANTHRAN
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR), par laquelle elle concluait que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention car elle a une possibilité de refuge intérieur (PRI). La revendication de la demanderesse a été entendue les 9 et 10 mai 2002. Elle a été informée de la décision le 17 juillet 2002, par une lettre portant la date du 14 juin 2002. Cette demande de contrôle est présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).
[2] Les revendications de statut de réfugié de la demanderesse et de son fils mineur (né le 7 avril 1986) ont été examinées ensemble. Le fils était représenté par sa mère, et ils se fondent tous deux sur la même preuve. Le fils a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.
Le contexte
[3] La demanderesse est originaire du nord du Sri Lanka. Elle est mariée et a deux enfants. La demanderesse et son mari n'habitent pas le même pays depuis 1996, date à laquelle le mari est venu au Canada et présenté une revendication de statut de réfugié qui a été rejetée. Ils n'ont plus de vie de couple depuis 1993.
[4] Le mari de la demanderesse a quitté le Sri Lanka par crainte d'être persécuté. Il semble que son frère s'était marié avec la soeur du chef des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET). Toutefois, dans l'affaire du mari le tribunal n'a pas ajouté foi aux dires de ce dernier qu'il avait été emprisonné et maltraité alors qu'il résidait à Colombo. Il semble que le mari a pu demeurer au Canada en attendant qu'on tranche sa demande pour motifs humanitaires.
[5] La demanderesse est enseignante et elle détient un baccalauréat ès sciences et un diplôme en éducation. De 1989 à mai 1993, elle a enseigné au Ramanathan College à Colombo. De 1993 à 1998, elle a enseigné dans une école à Valvettithurai, où elle était aussi vice-principale. De 1999 jusqu'au moment où elle a quitté son pays en 2001, la demanderesse enseignait au Chithambara College, qui est aussi situé à Valvettithurai. À la même époque, elle enseignait l'informatique à temps partiel à l'Institute of Information Studies de Jaffna.
[6] Selon le formulaire de renseignements personnel (FRP) de la demanderesse, le chef des TLET provient de la ville de Valvettithurai. En tant qu'enseignante, elle a souvent été abordée par des membres des TLET pour lui suggérer d'encourager ses étudiants à se joindre à eux. Bien qu'en conscience elle ne pouvait faire campagne pour les TLET, la demanderesse indique qu'à l'occasion elle a demandé à ses étudiants d'assister à des réunions et de lire la documentation des TLET pour éviter des représailles sérieuses à son endroit.
[7] Dès que le fils et la fille de la demanderesse ont eu 13 ans, ils ont tous deux été harcelés par les TLET et on a exercé des pressions sur eux pour qu'ils rejoignent le mouvement. En 1999 et 2000, les enfants de la demanderesse ont été amenés de force à des cachettes des TLET et ils ont été soumis à des séances d'endoctrinement et à des travaux forcés.
[8] La demanderesse et ses enfants se sont sentis sérieusement menacés à partir du 5 février 2000. Ce jour-là, l'armée sri lankaise a établi un cordon de sécurité autour de Valvettithurai pour procéder à une fouille. La fouille de la maison de la demanderesse a été effectuée par le capitaine Silva. Suite à la découverte de l'ordinateur de la demanderesse, le capitaine Silva l'a interrogée dans une chambre à l'écart de sa famille pendant un long moment. La demanderesse déclare que sa mère a eu tellement peur qu'on viole sa fille au moment où elle était questionnée par le capitaine Silva qu'elle a subi une crise cardiaque et est morte le jour suivant. Son père est mort un mois plus tard, par suite d'une hémorragie cérébrale que la demanderesse considère avoir été causée par un surcroît d'inquiétudes.
[9] Le 6 avril 2000, le capitaine Silva est venu à l'école de la demanderesse et lui a ordonné de se présenter à son camp. À son arrivée, le capitaine Silva lui a demandé de vérifier l'ordinateur qui avait été mal installé. Comme elle parle couramment le sinhala, le capitaine pouvait facilement communiquer avec elle et il a cherché à obtenir des renseignements sur les TLET. Comme elle n'avait rien à lui dire, elle a été autorisée à quitter deux heures après son arrivée.
[10] Par la suite, la présence de la demanderesse au camp a été requise à plusieurs reprises. Elle devait traduire des documents du tamoul au sinhala, surtout de lettres anonymes envoyées à l'armée pour dénoncer les partisans des TLET et dire où ils étaient cachés.
[11] Le capitaine Silva est devenu de plus en plus familier avec la demanderesse, manifestant son intérêt par des compliments sur son apparence et par des attouchements.
[12] Les TLET ont eu connaissance des fréquentes visites de la demanderesse au camp militaire. Le 10 octobre 2002, les TLET lui ont expédié une lettre de menaces, la taxant de traîtrise et l'informant que si elle maintenait ses relations avec l'armée les TLET lui infligeraient le sort réservé aux traîtres, savoir qu'elle serait pendue à un lampadaire.
[13] Après avoir reçu cette lettre, la demanderesse a fait de son mieux pour éviter le capitaine Silva et le camp. Toutefois, le capitaine Silva s'est présenté à son école le 21 novembre 2000 et il a insisté pour qu'elle le suive au camp. Elle a été obligée de l'accompagner. Elle lui a expliqué qu'elle avait reçu une lettre de menace des TLET. Il lui a proposé toute l'aide dont elle avait besoin, en échange de faveurs sexuelles. Elle a refusé. La suite est embrouillée :
[traduction]
Lorsque je lui ai expliqué que j'avais du respect pour lui en tant que personne honorable et que pour ma part j'étais mariée, que j'avais des enfants et que mon coeur et mon âme ne pouvaient me permettre de consentir à ce qu'il me demandait, il m'a suppliée un certain temps et ensuite il est devenu violent. Je ne peux écrire ce qui m'est arrivé ce jour-là.
Le tribunal a demandé confirmation du contact physique non consensuel, mais il n'a pas exigé d'autres détails de la demanderesse.
[14] Cet incident a fait comprendre à la demanderesse qu'elle était en danger, ainsi que ses enfants. Elle a déménagé de Valvettithurai à Jaffna. La situation à Jaffna n'était pas plus sûre. Elle a inscrit sa fille dans un internat et elle s'est cachée avec son fils chez un ami. Néanmoins, les TLET et l'armée ont continué à harceler ses enfants. Le 14 décembre 2000, le fils mineur de la demanderesse a été arrêté à un barrage de l'armée. Il a été détenu et interrogé au sujet des TLET et il a été battu. La demanderesse a réussi, malgré de multiples difficultés, à localiser le camp militaire. L'armée a d'abord nié détenir son fils. Elle a réussi à obtenir sa libération contre le versement d'une importante somme d'argent.
[15] C'est alors que la demanderesse a décidé de quitter le Sri Lanka. En échange du versement d'une somme importante, elle a obtenu un laisser-passer de l'armée pour se rendre avec ses enfants à Trincomalee, le 31 janvier 2001. La demanderesse a dû laisser sa fille à Trincomalee lorsqu'elle est partie pour le Canada le 2 mars 2001. Elle est arrivée au Canada avec son fils le 5 mars 2001 et elle a fait, toujours avec son fils, une revendication de statut de réfugié auprès d'un agent de l'immigration à Toronto le même jour.
[16] Elle déclare n'avoir aucun avenir au Sri Lanka. Elle a dépensé d'importantes sommes d'argent pour obtenir des laisser-passer jusqu'à Trincomalee. Elle a aussi très peur du sort qui attend sa fille, qu'elle l'a pratiquement abandonnée à Trincomalee. Elle craint aussi pour sa vie si elle doit retourner au Sri Lanka.
La décision de la SSR
[17] La demanderesse étant d'accord, l'audience s'est tenue devant un tribunal d'un membre.
[18] Le tribunal a précisé qu'afin d'être considérée comme une réfugiée au sens de la Convention, la preuve doit établir qu'il y a une possibilité raisonnable ou une possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée si elle retourne au Sri Lanka. Le tribunal a aussi reconnu que la définition de réfugié au sens de la Convention est de nature prospective et que la crainte de persécution doit être évaluée au moment où l'on examine la revendication du statut de réfugié. Il est nécessaire de tenir compte de la situation et des expériences propres à chaque revendicateur dans le processus décisionnel, étant donné que ces facteurs sont liés à l'appréciation de l'élément subjectif du bien-fondé de la crainte de persécution. En outre, la demanderesse devait établir que sa crainte était raisonnable au vu de la situation objective.
[19] Dans ses motifs, le tribunal fait la liste suivante des questions pertinentes :
1. L'identité;
2. Le fondement objectif de la crainte de persécution;
3. La possibilité de refuge intérieur; et
4. La crédibilité.
[20] Toutefois, la question portant sur la possibilité de refuge intérieur n'a pas été cochée sur le Formulaire d'examen initial du dossier de la SSR et l'Ordonnance de communication de la preuve envoyés à la demanderesse.
L'identité
[21] Se fondant sur les documents d'identité présentés au tribunal à l'audience, celui-ci a conclu que la demanderesse était Tamoule, arrivée récemment du nord du Sri Lanka au moment pertinent à sa revendication.
Le fondement objectif de la crainte de persécution
[22] Le tribunal a conclu que la demanderesse avait de bonnes raisons de craindre la persécution des TLET dans le nord du Sri Lanka, car il est connu qu'ils mettent à exécution les menaces adressées à ceux qu'ils considèrent être des traîtres ou qui sont accusés de coopérer avec les forces de sécurité sri lankaises.
[23] S'agissant de la crainte de la demanderesse d'être persécutée par l'armée sri lankaise, le tribunal a conclu qu'elle n'était pas fondée :
Elle a été utile à l'armée en l'aidant à résoudre des problèmes d'ordinateur et à traduire des documents du tamoul au sinhala. Le capitaine Silva s'est intéressé personnellement à elle et elle a résisté à ses avances sexuelles. Elle a réussi à obtenir un laissez-passer de l'armée pour se rendre à Trincomalee. Cela laisse croire au tribunal que l'armée, à l'exception du capitaine Silva, ne s'intéressait pas particulièrement à elle pendant qu'elle vivait à Jaffna.
La possibilité de refuge intérieur
[24] Le tribunal a déclaré que même s'il devait conclure que la demanderesse craignait avec raison d'être persécutée par les TLET et l'armée, elle avait une PRI à Colombo. Le tribunal appuie cette conclusion sur les éléments suivants :
1. la demanderesse a vécu à Colombo de 1967 à 1979, alors qu'elle fréquentait l'école;
2. de 1989 à 1993, elle a travaillé à Colombo, où elle enseignait au Ramanathan College;
3. la carte d'identité nationale (CIN) de la demanderesse, délivrée en 1992, porte une adresse à Colombo;
4. la demanderesse parle couramment le sinhala;
5. l'armée sri lankaise l'a autorisée à quitter le nord, ce qui laisse croire qu'elle n'était pas considérée comme une menace ou un danger;
6. étant donné ses antécédents professionnels et ses compétences linguistiques, il n'était pas déraisonnable qu'elle trouve refuge à Colombo.
[25] Étant donné l'âge de la demanderesse et le fait qu'elle avait une CIN avec une adresse à Colombo, le tribunal a conclu que les forces de sécurité sri lankaises ne constitueraient pas pour elle un risque que l'on pouvait assimiler à de la persécution.
[26] Le tribunal a aussi fait remarquer que la demanderesse avait pris au sérieux l'avertissement des TLET et qu'elle avait cessé d'aller au camp militaire. Le tribunal a conclu que les TLET ne la poursuivraient pas à Colombo et qu'elle y serait en sécurité.
La crédibilité
[27] Le tribunal a conclu que, de manière générale, le témoignage de la demanderesse cadrait avec son FRP. Dans les deux cas, on y trouve une relation de ses expériences après le départ de son mari en 1996, les incohérences étant sans rapport avec le fond de sa revendication ou ayant fait l'objet d'explications plausibles de sa part.
Les questions en litige
[28] 1. La Section du statut a-t-elle commis une erreur en donnant une mauvaise interprétation de la preuve ou en n'en faisant aucun cas?
2. La Section du statut a-t-elle commis une erreur en rendant une décision fondée sur la conclusion que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur, étant donné le fait que cette question n'avait pas été soulevée avant l'audience, ce qui constitue un défaut d'observer un principe de justice naturelle et d'équité procédurale?
3. La Section du statut a-t-elle commis une erreur de droit en arrivant à la conclusion que la demanderesse avait une PRI à Colombo?
Les arguments
Le point de vue de la demanderesse
[29] Dans le Formulaire d'examen initial du dossier de la SSR et l'Ordonnance de communication de la preuve, la Section du statut de réfugié a informé la demanderesse que les questions suivantes seraient abordées à l'audience : la crédibilité, l'identité et l'élément objectif d'une crainte fondée de persécution. Au début de l'audience, le tribunal a précisé que les questions pertinentes à la revendication dont il traiterait étaient la crédibilité, l'identité et les changements dans le contexte.
[30] La demanderesse déclare que la question d'une PRI n'a jamais été mentionnée par la Section du statut de réfugié avant l'audience ou durant celle-ci. La demanderesse n'a donc pas eu l'occasion d'aborder la question d'une PRI en présentant sa preuve et ses arguments.
[31] Selon l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706, la question de la PRI doit être expressément soulevée lors de l'audience (ou avant) par le tribunal et le demandeur doit avoir l'occasion d'y répondre en présentant sa preuve et ses arguments. Selon la demanderesse, comme le tribunal n'a pas procédé ainsi il n'a pas respecté l'équité procédurale et les principes de la justice fondamentale.
[32] Voici ce que l'on trouve à ce sujet dans Kulanthavelu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration ), [1993] A.C.F. no 1273 :
... il appartient au ministre ou à la Commission d'avertir le demandeur si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays doit être soulevée. Le demandeur du statut de réfugié bénéficie des principes de justice naturelle devant la section du statut. L'un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d'une partie d'être entendue est l'obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle (voir, par exemple, Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1114). Le but d'un tel avis est de lui permettre de préparer, à son tour, une réponse adéquate à cette preuve. Le droit d'un demandeur du statut de réfugié d'être avisé de la preuve réunie contre lui est extrêmement important lorsque ce demandeur peut être requis de réfuter l'allégation du ministre en prouvant qu'il n'existe pas vraiment de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Par conséquent, il n'est pas permis au ministre ou à la Commission d'alléguer à l'improviste contre le demandeur la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans lui donner avis que cette question sera soulevée à l'audience.
[33] Le tribunal savait dès le début que la demanderesse résidait à Colombo. Il savait aussi que la CIN de la demanderesse avait été délivrée à Colombo, nonobstant le fait que le verso de la carte n'avait pas été traduit.
[34] Avant l'audience, le tribunal avait tous les renseignements requis pour définir la PRI comme une question à aborder, si toutefois le fait que la demanderesse ait résidé à Colombo venait soulever la possibilité d'une PRI.
[35] Toutefois, en envoyant le formulaire d'examen à la demanderesse le tribunal ne l'a pas prévenue que la PRI serait en question. Bien que le tribunal ait soulevé certaines questions au sujet des dates auxquelles la demanderesse avait résidé à divers endroits et au sujet de ses itinéraires, ces questions se situaient dans le cadre de la crédibilité et non dans celui d'une PRI.
[36] Le tribunal a clairement indiqué que la PRI n'était pas en question avant de s'enquérir de la demanderesse de la question de savoir pourquoi elle ne pouvait vivre à Colombo.
[37] Le tribunal n'a posé que trois questions au sujet de la PRI. Ceci ne suffit pas à fonder une conclusion que la demanderesse avait une PRI à Colombo.
[38] Lorsque l'audience a repris le deuxième jour, le tribunal n'a posé aucune question à la demanderesse au sujet de sa déclaration au point d'entrée qui porte sur son séjour à Colombo. Les questions posées visaient à répondre à des préoccupations au sujet de la crédibilité.
[39] Le fait de demander à l'avocat de traiter la question dans sa plaidoirie, alors qu'on ne l'avait pas mentionnée au départ, ne satisfait pas à la norme établie par la Cour pour l'identification, le traitement et le règlement de la question d'une PRI.
[40] De plus, la demanderesse soutient que le tribunal ayant conclu en sa faveur sur les questions de l'identité, de la crédibilité, et de la validité du fondement de sa crainte de persécution, la seule décision possible était de conclure que la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention.
[41] La conclusion du tribunal voulant qu'il n'était pas déraisonnable que la demanderesse se réfugie à Colombo n'était pas fondée sur la preuve qui lui était présentée et elle a donc été tirée sans tenir compte de toutes les circonstances, comme l'exige la législation.
[42] Pour conclure que la demanderesse avait une PRI, le tribunal n'a mentionné que ses antécédents professionnels à Colombo et ses compétences linguistiques. Le tribunal a commis une erreur en ne cherchant pas à déterminer si la PRI proposée constituait une option réaliste et accessible.
[43] Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589, la Cour a conclu qu'une PRI ne peut pas être supposée ou théorique. Dans Kulanthavelu, précité, il est précisé que la possibilité de trouver un travail convenable, la présence de parents et la durée du séjour antérieur sont des facteurs qui, dans le contexte de l'ensemble des preuves relatives à la situation particulière de chaque demandeur, influent directement sur la question de savoir s'il est objectivement raisonnable qu'un demandeur se prévale d'une PRI sans crainte d'être persécuté.
[44] Selon le critère à deux volets énoncé dans l'arrêt Rasaratnam, précité, le tribunal doit d'abord être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'un demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté s'il se rend dans la région où il existe une PRI. Deuxièmement, la situation dans cette partie du pays doit être telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour un demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s'y réfugier.
[45] L'on soutient que le tribunal n'a pas examiné toutes les circonstances relatives à la possibilité d'une PRI à Colombo, notamment :
1. le fils de la demanderesse a reçu le statut de réfugié au sens de la Convention. Il est déraisonnable de s'attendre à ce que la demanderesse cherche à se réfugier à Colombo avec un enfant mineur qui a une crainte fondée de persécution au Sri Lanka. Comme le déclare le juge Huggessen, dans Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1210 (C.F. 1re inst.), le critère pour déterminer si une PRI est déraisonnable ou indûment pénible implique certainement l'examen des mêmes facteurs qui sont pris en compte lorsqu'il s'agit de prendre une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Si ces facteurs sont exclus, on peut avancer qu'il ne resterait plus rien;
2. la preuve présentée au tribunal indique que la demanderesse a quitté Colombo et s'est rendue dans le nord du Sri Lanka en 1993 parce qu'elle avait des difficultés avec les forces de sécurité. Il n'est pas raisonnable d'avancer que la demanderesse devrait se réfugier dans une ville qu'elle a quittée par le passé parce qu'elle y était persécutée;
3. la demanderesse est une jeune femme. Lorsqu'il a conclu à la possibilité d'une PRI, le tribunal n'a pas tenu compte de ses propres Lignes directrices portant sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe. Le tribunal aurait dû examiner la possibilité que la demanderesse puisse, étant une femme, se rendre en toute sécurité jusqu'à la PRI et y demeurer sans être soumise à des difficultés excessives.
Le point de vue du défendeur
[46] Au début de l'audience, le tribunal a pris note des divergences dans la documentation de la demanderesse au sujet de l'époque où elle était à Colombo et il lui a demandé de commenter à ce sujet.
[47] Le défendeur soutient que la question d'une PRI a été spécifiquement mentionnée à l'audience, comme on peut le voir clairement dans l'extrait suivant de la transcription de l'audience :
[traduction]
La présidente : (inaudible) bon, maintenant, je constate que la question n'est pas soulevée dans la formule d'examen initial, mais vous avez vécu (inaudible) à Colombo pendant un certain temps, de 1989 à 1993. Selon votre FRP. C'est donc une période de quatre ans. Selon les notes prises au point d'entrée, vous y étiez de 1983 à 1995. De plus, votre carte d'identité nationale n'a pas été traduite. Mais monsieur -
L'interprète : Oui.
La présidente : - Anthonipillai, j'apprécierais que vous traduisiez ce qui se trouve à l'endos -
L'interprète : Oui.
La présidente : -- de la carte d'identité nationale (inaudible) bon, si vous pouvez lire ce qui s'y trouve -
L'interprète : Oui.
La présidente : - j'apprécierais, merci.
L'interprète : Vous ne voulez que la deuxième page?
La présidente : Oui, puisque bon j'ai ici la première page, où l'on ne trouve que (inaudible) la date de délivrance et le nom.
L'interprète : Et (inaudible) j'ai la page que vous avez donnée, la deuxième page de la carte d'identité militaire est aussi en ma possession.
La présidente : Oui, je le sais, je ne suis intéressée qu'à -
L'interprète : Uniquement (inaudible) celle-ci.
La présidente : (inaudible) Mm-hmm.
L'interprète : Carte d'identité nationale, Thenmoli Ramachanthran, c'est le nom. De sexe féminin (inaudible) date de naissance 9851, pardon, 9861, 05, 13, à Valvettiturai, qui est née à, (inaudible). Alors, (inaudible) à la naissance, deux, quatre, un, huit, ou (inaudible) mes yeux. Oui, (inaudible).
La présidente : Mm-hmm.
L'interprète : Colombo (inaudible).
La présidente : (inaudible)--
L'interprète : Et ensuite vous avez les chiffres.
La présidente : Merci. Donc, madame, vous avez une carte d'identité nationale qui a été délivrée en 1992, alors que vous résidiez à Colombo, et en réponse à la question 22 vous dites avoir été à Colombo en mai 1993 et cette carte a été délivrée en novembre 1992.
La revendicatrice : Oui.
La présidente : Comme je l'ai dit, la (inaudible) d'une PRI n'était pas en cause à l'audience sur l'admissibilité, mais étant donné que vous avez des documents qui indiquent que vous avez résidé à Colombo pendant un certain temps, que la carte d'identité nationale qui vous a été délivrée porte une adresse à Colombo, y a-t-il une raison qui fait que vous n'auriez pu vivre à Colombo?
La revendicatrice : (inaudible) j'enseignais à Colombo et c'était l'époque (inaudible). Le 1er mai 1993, après cela (inaudible). Mon mari était (inaudible) ils étaient (inaudible) et mon mari a été détenu à (inaudible). Ils sont venus dans une grosse jeep et mon mari a donné son adresse et ils sont venus à nos (inaudible) documents afin de, au sujet des Tigres de libération (inaudible). Bien que j'ai dit non, il n'y a rien, ils ne croient pas. Et les affaires que je possédais, ils les ont sorties de la maison et (inaudible) sur le sol, et ils (inaudible).
La présidente : Oui, madame, mais c'était en 1993. Je parle d'aujourd'hui, savoir en 2002 près de 10 ans plus tard. Pourriez-vous vivre à Colombo maintenant?
La revendicatrice : Ne peut y rester.
La présidente : Pourquoi?
La revendicatrice : Il n'y a pas de sécurité pour moi là-bas.
La présidente : Avez-vous des amis ou de la famille là-bas?
La revendicatrice : Située à Colombo physiquement, aucun.
La présidente : Madame, (inaudible) que vous travaillez pour cette école?
La revendicatrice : Ils pourraient être là-bas maintenant, mais je n'ai aucune information quant à savoir où ils résident.
[48] L'audience a continué le jour suivant. À ce moment-là, le tribunal a posé des questions au sujet des parents de la demanderesse.
[traduction]
La présidente : Vos parents étaient-ils de Colombo, madame?
La revendicatrice : Pardon (inaudible)?
La présidente : Vos parents, selon les notes du point d'entrée, que vos parents étaient de Colombo. Vos parents étaient-ils de Colombo?
La revendicatrice : À un moment donné dans leur vie mes parents ont travaillé à Colombo. À ce moment-là, je travaillais avec eux.
La présidente : Lorsqu'ils étaient à Colombo, vous résidiez avec vos parents.
La revendicatrice : Oui, j'étais une enfant, une petite fille, je vivais avec mes parents.
[49] L'avocat de la demanderesse a présenté des arguments de vive voix. L'extrait suivant est pertinent à la question d'une PRI :
[traduction]
La présidente : Pourriez-vous s'il vous plaît traiter de la PRI à Colombo?
L'avocat Non, madame la présidente. Même si les parents travaillaient à Colombo et même si elle a enseigné pendant une brève période à Colombo, elle a quitté cette ville parce qu'elle y avait des difficultés. Elle est retournée à Jaffna.
Au moment où elle est allée à Colombo, elle n'avait ni parents ni amis de sa connaissance qui vivaient à Colombo et qui auraient pu l'entourer. La preuve indique clairement qu'elle a mené ses affaires de Trincomalee, afin d'obtenir un passeport et organiser son voyage. Elle n'est même pas restée longtemps à Colombo. Elle voyageait entre Trincomalee et Colombo.
Donc, si elle s'était sentie confortable, si elle avait cru qu'il y avait une possibilité qu'elle puisse s'installer à Colombo, elle l'aurait certainement fait. Elle ne l'a pas fait parce qu'elle craignait que sa vie soit en danger si elle retournait vivre à Colombo.
Elle n'est pas très vieille, elle est jeune. Elle a le profil du groupe d'âge qui est vulnérable au Sri Lanka. Bien qu'elle soit mariée et qu'elle ait deux enfants, à toutes fins utiles l'armée sri lankaise la considère comme une jeune personne.
[50] Le défendeur soutient que la Cour ne peut intervenir que si les conclusions du tribunal sont manifestement déraisonnables, ou ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.
[51] La Cour doit exercer une retenue judiciaire importante face aux conclusions de fait d'une formation de la Section du statut de réfugié. La norme de contrôle des décisions de la Section du statut de réfugié est généralement celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour les questions qui portent sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme devient celle de la décision correcte (voir Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (1re inst.); Sserwanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 1664 (1re inst.); Ssemakula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. no 475 (1re inst.); et Kazemian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 1179 (1re inst.)).
[52] Le défendeur soutient qu'il est clair au vu du dossier du tribunal que celui-ci a soulevé la question de la PRI, contrairement à ce que prétend la demanderesse. Notre Cour a déclaré que lorsque la question d'une PRI est soulevée à l'audience et qu'un demandeur ne fait pas savoir qu'il a été pris au dépourvu ou qu'un ajournement est nécessaire pour qu'il puisse mieux se préparer, l'absence d'un avis avant l'audience ne constitue pas une erreur ouvrant droit à révision (voir Vidal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1997] A.C.F. no 643 (1re inst.); Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. no 1210 (1re inst.); Rasaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1992] 1 C.F. 706 (C.A.); et Balasubramaniam c. Canada (Secrétaire d'État) [1994] A.C.F. no 64 (C.A.)).
[53] La question a été soulevée à l'audience et la demanderesse pouvait y répondre et présenter sa preuve. L'audience a été ajournée au lendemain. Si la demanderesse voulait présenter une preuve additionnelle à ce sujet, elle avait l'occasion de le faire (voir Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] A.C.F. no 949).
[54] Le défendeur soutient aussi qu'on a bien évalué la question de la PRI. Dans ses motifs, le tribunal a traité spécifiquement des deux volets du critère de l'arrêt Rasaratnam, précité. Le tribunal a tenu compte des éléments suivants :
1. la demanderesse a vécu à Colombo de 1967 à 1979, et à nouveau de 1989 à 1993, alors qu'elle enseignait au Ramanathan College;
2. la CIN de la demanderesse porte une adresse à Colombo et elle parle couramment le sinhala;
3. l'armée sri lankaise l'a autorisée à quitter le nord, ce qui laisse croire qu'on ne considérait pas qu'elle était une menace ou un danger;
4. la demanderesse a donné suite à l'avertissement des TLET et elle ne s'est plus rendue au camp militaire. Par conséquent, une fois à Colombo la demanderesse ne serait pas menacée par les Tigres;
5. dans toutes les circonstances, il n'était pas déraisonnable de s'attendre à ce que la demanderesse cherche à se réfugier à Colombo.
[55] S'agissant de la question du retour à Colombo avec un enfant mineur qui a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention, le défendeur soutient que cet argument n'est pas fondé. En tant que réfugié au sens de la Convention, le fils de la demanderesse ne retournerait pas à Colombo avec sa mère. Lorsqu'on évalue une PRI, la question de la séparation des membres d'une famille ne fait pas partie des facteurs d'ordre humanitaire dont il faut tenir compte.
Analyse
La norme de contrôle
[56] Le défendeur soutient que la norme de contrôle des décisions de la SSR est celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est de l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme est celle de la décision correcte. La demanderesse n'a rien présenté sur la question de la norme de contrôle.
[57] Dans Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (QL) (1re inst.), une affaire citée par le défendeur, le juge Pelletier déclare ceci au paragraphe 5 :
La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193. La question litigieuse en l'espèce porte sur l'appréciation que la SSR a faite de la preuve, un aspect de l'affaire qui relevait manifestement de son mandat et de son champ d'expertise.
[58] Dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 361, le juge Heneghan fait le commentaire suivant au paragraphe 5 :
La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable; voir Conkova c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [2000] F.C.J. no 300 (QL) (1re inst.). En l'espèce, la question consiste à savoir si la conclusion de la Commission sur la question de la PRI au Tanganyika, au motif qu'il n'y serait pas poursuivi par la police, découle raisonnablement de la preuve.
[59] En l'instance, la norme de contrôle consiste à déterminer s'il était manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu'il était raisonnable pour la demanderesse d'avoir recours à une PRI, savoir la ville de Colombo.
La possibilité de refuge intérieur
[60] Selon Kaburia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 676 (1re inst.), au paragraphe 9 :
La définition de réfugié au sens de la Convention exige qu'un revendicateur ait une crainte fondée de persécution à cause de laquelle il ne peut pas ou ne veut pas retourner dans son pays d'origine. Si un revendicateur peut trouver un refuge sûr dans son pays d'origine, on ne peut pas conclure qu'il ne peut pas ou ne veut pas se réclamer de la protection de ce pays. C'est ce genre de situation que vise la notion de possibilité de refuge intérieur. Voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A).
[61] En l'espèce, la demanderesse déclare qu'on ne lui a pas donné un avis suffisant du fait que la PRI serait en question. Je ne suis pas de cet avis. En l'instance, l'avis donné par le tribunal était suffisant.
[62] Dans l'arrêt Balasubramaniam, précité, la Cour d'appel déclare ceci, aux paragraphes 3 à 6 :
À l'ouverture de l'audience qui s'est déroulée devant la Commission, le président de l'audience a déclaré que la Commission voulait aborder la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. L'appelant a été interrogé par l'agent d'audience et a exprimé les craintes qu'il ressentait s'il devait retourner dans les régions de Jaffna, de Colombo et de Kandy. Le président de l'audience a demandé des éclaircissements au sujet de Colombo.
L'appelant plaide devant nous que l'avis que lui a donné la Commission était insuffisant en ce qu'il ne lui permettait pas de répondre suffisamment à la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, ce qui expliquerait la pénurie d'éléments de preuve constatée par la Commission.
Il n'y a pas de doute que l'avis donné par la Commission satisfait aux exigences formulées par notre Cour que le juge Mahoney a exposées dans l'arrêt Rasaratman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706, et qui a été par la suite confirmée par le juge Linden dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] A.C.F. no 1172.
L'avocat qui occupe pour le revendicateur n'a pas laissé entendre qu'il avait été pris au dépourvu ou qu'il avait besoin d'un ajournement pour mieux se préparer pour l'audience.
[63] Dans Rajendiram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 912, le juge Pelletier a déclaré qu'il y avait un avis suffisant lorsque la question de la PRI était soulevée au cours de l'audience et que l'avocat d'un demandeur traitait la question. Le juge Pelletier a ajouté qu'il « faut donc dire que la demanderesse était consciente du fait que la possibilité de refuge interne était en question, et si elle ne l'était pas, elle aurait dû l'être » .
[64] Dans Vidal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 643 (1re inst.), aux paragraphes 10 et 11, le juge Gibson a conclu que l'avis était suffisant dans les circonstances suivantes :
Il s'ensuit en premier lieu qu'est valide l'avis donné à l'ouverture de l'audience de la section du statut, qu'il se poserait la question de la possibilité de refuge dans une autre région du pays, en particulier lorsque l'avocat représentant le demandeur ne dit pas qu'il a été pris au dépourvu ou qu'un ajournement est nécessaire pour qu'il puisse s'y préparer. En l'espèce, il appert que la Section du statut n'a pas du tout donné avis qu'elle aborderait cette question. N'empêche que l'avocate représentant les requérants n'indiquait nulle part qu'elle avait été prise au dépourvu ou qu'un ajournement était nécessaire pour lui permettre de s'y préparer; et en fait elle a fait témoigner le principal requérant sur cette question.
Dans ces conditions et par application de la jurisprudence Balasubramaniam, je conclus qu'en l'espèce les requérants n'ont subi aucun préjudice du fait qu'il n'y a pas eu avis de la question de la possibilité de refuge dans une autre région du pays; et que ce défaut d'avis ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle judiciaire
.
[65] Dans Waruiru c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1688, le juge Gibson conclut comme suit, au paragraphe 14 :
Les requérants n'ont pas été informés préalablement àleur audience devant la SSR que serait abordée la question de la possibilitéde refuge dans une autre partie du même pays. Toutefois, au cours de l'audience, les requérants et leur avocat ont été avisés clairement, sinon en termes précis, que serait abordée la question de la possibilitéde refuge dans une autre partie du même pays. Le comportement de l'avocat à l'audience équivalait clairement à une renonciation à tout avis antérieur ou plus officiel. De plus, des arrangements ont été convenus àcette époque pour permettre la présentation d'observations.
[66] En l'espèce, la question d'une PRI a été soulevée spécifiquement dès que le tribunal eut accepté la documentation qui démontrait que la demanderesse avait vécu un certain temps à Colombo. Bien que ceci se soit produit vers la fin de la journée, l'audience a été ajournée au lendemain, ce qui donnait à la demanderesse le temps d'examiner la question ou de demander un ajournement plus long afin d'organiser sa preuve pour traiter pleinement de la question de la PRI. Elle a aussi témoigné pour dire pourquoi elle ne considérait pas que Colombo soit un endroit où elle serait en sécurité.
[67] L'avocat de la demanderesse n'a pas demandé un ajournement plus long, non plus qu'il ait présenté au tribunal des objections lorsque ce dernier a posé des questions à la demanderesse au sujet de la possibilité d'une PRI à Colombo. Il a aussi traité de la question d'une PRI à Colombo dans sa plaidoirie. Dans les circonstances, l'avis était suffisant.
L'aspect raisonnable de la conclusion que la demanderesse avait une PRI à Colombo
[68] Je veux d'abord faire remarquer qu'il n'y a rien dans la documentation qui porte sur le traitement des Tamouls à Colombo, et que rien dans la preuve ne peut aider la Cour à déterminer quelle serait la situation de la demanderesse à Colombo. Toutefois, la demanderesse n'a pas fait état de cette question. Il n'y a non plus aucune preuve qui a été déposée pour indiquer que Colombo ne serait généralement pas un endroit où une Tamoule seule ne serait pas en sécurité, sauf la déclaration de la demanderesse voulant qu'il « n'y a pas de sécurité pour moi là-bas » .
[69] Dans Kaburia, précité, le juge Dawson fait remarquer ceci :
Dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), la Cour a statuéque, pour conclure à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur, la SSR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, premièrement que le revendicateur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge et deuxièmement que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au revendicateur, il ne serait pas déraisonnable pour lui d'y chercher refuge.
[70] La demanderesse soutient que le tribunal n'a tenu compte que de ses compétences linguistiques et de ses antécédents de travail à Colombo pour décider qu'elle avait une PRI à Colombo. Il n'a pas examiné la question de savoir si la PRI à Colombo était une option réaliste et accessible. Elle retournera au Sri Lanka avec son fils mineur, qui est un réfugié au sens de la Convention, et elle a quitté Colombo par le passé à cause des problèmes que lui causaient les autorités. Selon la demanderesse, la décision du tribunal est aussi viciée du fait qu'il n'a pas examiné la capacité d'une femme de se rendre sans danger à la PRI proposée.
[71] Le défendeur déclare que le fils de la demanderesse ne l'accompagnera pas et que la séparation des membres de la famille n'est pas une question dont on doit tenir compte en déterminant s'il existe une PRI. En concluant que la demanderesse avait une PRI à Colombo, le tribunal a correctement appliqué le critère à deux volets de l'arrêt Rasaratnam, précité.
[72] Selon l'arrêt Rasaratnam, précité, c'est le demandeur qui a le fardeau de la preuve d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il ne peut se prévaloir d'une PRI. Comme je l'ai déjà mentionné, le critère d'une PRI a deux volets qu'on doit examiner tour à tour. La demanderesse doit démontrer qu'il existe plus qu'une simple possibilité de persécution dans les régions qui ont été identifiées comme offrant la possibilité d'une PRI. Si la demanderesse peut faire cette preuve, on arrête alors d'examiner la possibilité d'une PRI.
[73] Toutefois, si le tribunal arrive à la conclusion qu'il n'existe qu'une simple possibilité de persécution dans la région identifiée comme une PRI, la demanderesse peut toujours démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'elle essaie de s'en prévaloir.
[74] À cette étape, le tribunal devrait alors faire un examen des circonstances particulières de la demanderesse avant de conclure à l'existence d'une PRI. La Cour d'appel fédérale a fait la déclaration de principe suivante au paragraphe 12 de l'arrêt Thirunavukkarasu, précité :
Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C'est un critère objectif et le fardeau de la preuve àcet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire
.
[75] Au vu de la documentation qui m'est présentée, il ne me semble pas que la demanderesse soutient que le tribunal aurait commis une erreur en concluant qu'il n'existait qu'une simple possibilité de persécution à Colombo. Les arguments de la demanderesse semblent s'appuyer sur la question de savoir s'il était raisonnable de s'attendre à ce qu'elle se prévale de la PRI à Colombo.
[76] En examinant la question de savoir s'il était raisonnable pour la demanderesse de se prévaloir d'une PRI à Colombo, le tribunal a déclaré ceci :
Qui plus est, étant donné ses antécédents professionnels dans cette ville et ses compétences linguistiques, le tribunal conclut qu'il ne serait pas déraisonnable, compte tenu des circonstances, que la revendicatrice y trouve refuge.
[77] S'agissant de la question des enfants mineurs, je fais remarquer que même si le défendeur soutient que le fils de la demanderesse ne l'accompagnera pas au Sri Lanka puisqu'il est un réfugié au sens de la Convention, rien dans la preuve n'indique que la mère ou le fils soient disposés à se séparer.
[78] Dans Sooriyakumaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1402, le juge Lutfy, alors à la Section de première instance, est arrivé à la conclusion suivante dans des circonstances semblables à celles de la demanderesse. Voici ce qu'il dit aux paragraphes 7, 8 et 9 :
Le bien-fondé de la crainte de persécution de la demanderesse dans la partie nord du Sri Lanka n'était pas en cause devant le tribunal. La crédibilité de la demanderesse de même que les allégations figurant dans son formulaire de renseignements personnels n'ont pas été contestées. La présence au Canada de ses deux enfants mineurs et réfugiés au sens de la Convention constitue le type de circonstance particulière dont le tribunal aurait dû tenir compte pour déterminer si Colombo offre un refuge indûment pénible pour la demanderesse.
La pertinence de la situation des enfants en l'espèce est sans rapport avec l'application du principe de l'unité de la famille ou une demande fondée sur des considérations humanitaires. La situation familiale de la demanderesse constitue tout simplement un facteur humain qu'il ne faut pas exclure dans l'application du deuxième volet du critère permettant de déterminer s'il existe une possibilité de refuge intérieur...
À juste titre, l'avocate du défendeur maintient avec force que pratiquement aucune preuve ne porte sur les répercussions d'une séparation entre la demanderesse et ses enfants. Le formulaire de renseignements personnels comporte quelques allusions à la situation critique des enfants. À mon sens, l'erreur commise par le tribunal nécessite malgré tout une intervention judiciaire. Le tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du lien naturel existant entre une mère et ses enfants mineurs, en particulier lorsque tous les trois ont établi qu'ils craignaient d'être persécutés dans le nord du Sri Lanka. Ce lien spécial parle par lui-même et constitue une circonstance particulière à la demanderesse que le tribunal doit prendre en considération avant de conclure qu'il serait indûment pénible pour la demanderesse de trouver une possibilité de refuge intérieur àColombo avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada.
[79] Le juge en chef adjoint Lutfy semble déclarer que nonobstant le manque de preuves, le tribunal doit tenir compte des effets pratiques de la séparation des parents et des enfants lorsqu'il doit déterminer s'il existe une PRI objectivement raisonnable.
[80] En l'espèce, rien dans la preuve ne porte sur les effets de la séparation de la mère et de son fils. Ceci n'est pas surprenant, étant donné que les revendications de la demanderesse et de son fils ont été jointes à l'audience et qu'ils ne savaient pas avec certitude qu'ils seraient séparés avant de recevoir la décision. Je veux faire remarquer que même s'il se peut que le fils puisse résider avec son père au Canada, le statut de son père au Canada n'est pas clair. Au moment de l'audience, il était en attente d'une décision suite à sa demande pour motifs d'ordre humanitaire. Le fils a aussi un oncle et une tante au Canada. La preuve n'indique pas s'il pourrait vivre avec eux ou non.
[81] La situation est compliquée du fait que c'est la demanderesse qui doit assumer le fardeau de démontrer que la PRI n'est pas raisonnable. Je déduis de la décision du juge en chef adjoint Lutfy que l'importance de la relation entre les enfants et leurs parents est tellement fondamentale qu'on peut en prendre connaissance même s'il y a peu de preuves à ce sujet. En n'examinant pas l'impact de sa conclusion que la demanderesse avait une PRI sur sa relation avec son fils, je suis d'avis que le tribunal a commis une erreur susceptible de révision.
[82] Quant à l'argument voulant que le tribunal n'a pas tenu compte de ses propres Lignes directrices portant sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe lorsqu'il a conclu à l'aspect raisonnable d'une PRI à Colombo, je constate que la demanderesse n'a déposé aucune preuve du contenu de ces lignes directrices et n'a rien plaidé à ce sujet. En conséquence, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question qui puisse être discutée dans le cadre du contrôle judiciaire.
Conclusion
[83] Je suis d'avis qu'il y a lieu d'accueillir cette demande de contrôle judiciaire et de renvoyer la question pour nouvel examen. Mon avis est fondé sur le fait que le tribunal n'a pas examiné l'impact de sa conclusion quant à l'existence d'une PRI sur la relation entre la mère et son fils.
[84] Aucune des deux parties n'a demandé que je certifie une question grave d'importance générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE QUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 14 juin 2002 est annulée et la question est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.
2. Il n'y aura pas de question certifiée.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030528
Dossier : IMM-3606-02
ENTRE :
THENMOLI RAMACHANTHRAN
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3606-02
INTITULÉ : THENMOLI RAMACHANTHRAN c. MCI
DATE DE L'AUDIENCE : Le 24 avril 2003
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge James Russell
DATE DES MOTIFS : Le 28 mai 2003
COMPARUTIONS :
M. Manuel Jesudasan pour la demanderesse
Mme Angela Marinos pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Manuel Jesudasan pour la demanderesse
Avocat
80, Corporate Drive
Pièce 210
Scarborough (Ontario)
M1H 3G5
Mme Rhonda Marquis pour le défendeur
Ministère de la Justice
Bureau régional de l'Ontario
The Exchange Tower
130 ouest, rue King
Pièce 3400, boîte 36
Toronto (Ontario)
M5X 1K6