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Date : 20031105

Dossier : IMM-5826-02

Référence : 2003 CF 1292

Ottawa (Ontario), le 5e jour de novembre 2003

Présent :          L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                           JESUS VARGAS RIVERA

                                                                                                                                  Partie demanderesse

                                                                                   et

                                              LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                     Partie défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du par. 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal), rendue le 30 octobre 2002. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'art. 96 de la Loi ni à celle de            « personne à protéger » au par. 97(1) de la Loi.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                 Les questions présentées par le demandeur sont les suivantes :

1.         Le comportement du demandeur est-il compatible avec une crainte subjective de persécution?

2.         La crainte de persécution alléguée, c'est-à-dire la vengeance personnelle, a-t-elle un lien avec l'un des cinq motifs de la Convention?

3.         Le tribunal a-t-il omis de considérer un élément de preuve démontrant que le demandeur a bel et bien demandé la protection des autorités de son pays?

4.         Le tribunal a-t-il omis d'analyser la crainte de menace à la vie du demandeur en vertu de l'al. 97(1)b) de la Loi?

[3]                 Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à la première et à la quatrième question, je n'ai pas besoin de répondre aux deux autres questions et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

CONTEXTE FACTUEL                                                                                                   

[4]                 Le demandeur, ressortissant du Mexique déclare avoir quitté son pays parce qu'on a attenté à sa vie et parce que les autorités gouvernementales ne pouvaient le protéger.

[5]                 En septembre 1995, le demandeur commence à travailler dans une station de service à Monterrey. Il y supervise le personnel ainsi que l'achat d'huile et d'additifs pour les véhicules. Il s'occupe de la caisse, fait les rapports financiers de son quart de travail et dépose l'argent dans le coffret de sécurité.

[6]                 À partir d'octobre 1999, le demandeur voit le gérant M. Locadio Villareal faire des manipulations illégales, c'est-à-dire truquer les compteurs des pompes à essence pour vendre moins d'essence que ce que les compteurs indiquent, et soudoyer des fonctionnaires du gouvernement.

[7]                 À la fin d'octobre 1999, le demandeur verse accidentellement de l'essence dans des réservoirs de diesel. La station de service est fermée pendant deux jours pour le nettoyage ce qui entraîne des pertes financières importantes à l'entreprise. Voyant cela, Villareal projette le demandeur au sol et le frappe à coups de pied. Il lui dit qu'il serait plus rentable de le tuer que de lui faire payer les frais de nettoyage. Le demandeur menace alors le gérant de le dénoncer au sujet du trucage des pompes et le fait qu'il soudoie des fonctionnaires. Alors, le gérant le menace de mort et de représailles contre sa famille. Le demandeur continue toutefois de travailler à la même station de service.


[8]                 Le 10 décembre 1999, alors que le demandeur rentre à la maison en taxi, un véhicule force le taxi à quitter la route causant ainsi un accident dans laquelle le demandeur subit des fractures aux côtes et aux doigts. Hospitalisé pendant trois jours, le demandeur doit demeurer chez lui pendant six mois en convalescence. En juin 2000, à son retour au travail, le gérant lui demande s'il a bien saisi le message.

[9]                 Le demandeur tente de dénoncer les manoeuvres frauduleuses de Villareal, mais ce dernier met le téléphone sous écoute et menace de lui briser les deux jambes et de le faire emprisonner.

[10]            Le demandeur fuit le Mexique vers Houston aux États-Unis, où il vit du 20 février 2001 au 3 février 2002. Après avoir été attaqué à deux reprises à Houston, le demandeur retourne au Mexique le 4 février 2002 afin de prendre un vol à destination du Canada le même jour. À son arrivée, il présente une demande d'asile.

[11]            Dans sa déclaration au point d'entrée, le demandeur ne coche aucun des motifs de la Convention en réponse à la question « Nature de la persécution » . Sous la rubrique « Expliquez » , l'agent d'immigration écrit « Menace provenant de son ancien patron, Locadio Villareal. Parce que le sujet l'a dénoncé d'avoir volé l'entreprise. Le sujet n'a pas contacté la police » .


[12]            Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur indique qu'il craint la persécution du fait de son appartenance à un groupe social, mais il ne précisé pas pourquoi. De la même façon, il indique qu'il est exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, mais il ne précise pas pourquoi.

DÉCISION CONTESTÉE

[13]            Le tribunal conclut que le demandeur n'a pas établi une crainte bien fondée de persécution, un risque d'une menace à sa vie ou qu'il est sujet à des traitements cruels et inusités. En effet, après l'incident du 10 décembre 1999, le demandeur est retourné travailler à la même station de service et il a pris connaissance du nom de son agresseur. Le fait que le demandeur a continué à travailler pour le même employeur pendant les huit mois suivants et n'a pas cherché un autre emploi parce qu'il n'aurait pu obtenir un emploi assez rémunérateur pour payer ses dettes et faire vivre sa famille démontre que le demandeur n'avait pas de crainte sérieuse pour sa vie.

[14]            Selon le tribunal, la vengeance personnelle de Villareal contre le demandeur n'a aucun lien avec l'un des cinq motifs de la Convention.

[15]            Finalement, le tribunal détermine que le demandeur n'a pas renversé la présomption de protection à son endroit par les autorités Mexicaines. Il trouve aussi déraisonnable l'explication du demandeur de ne pas avoir demandé la protection de son pays sous prétexte qu'il en était empêché par son gérant. Le tribunal n'a pas trouvé cette explication raisonnable.


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[16]            Le retour au travail du demandeur est justifié car ce n'est qu'à cette occasion qu'il apprend le nom de celui qui le persécute. Il quitte par la suite parce que la situation est devenue intolérable.

[17]            La vengeance personnelle de Villareal, un protégé de l'État, a un lien direct avec la Convention à cause des opinions politiques imputées. Le tribunal s'est donc trompé.

[18]            Le tribunal a commis une erreur en concluant que le demandeur n'a pas demandé la protection des autorités du pays. Le mandat d'arrestation émis contre le conducteur qui a forcé le taxi à dévier de sa route le 10 décembre 1999 est une preuve qu'à la suite de la dénonciation par le demandeur, les autorités étaient en train de « faire quelque chose » (affidavit du demandeur, par. 14). Cependant, la corruption par le gérant et l'inefficacité traditionnelle de la police mexicaine ont fait avorter les efforts de ce dernier.

[19]            Le tribunal n'a pas analysé la crainte de menace à la vie du demandeur en vertu de l'alinéa 97(1)b) de la Loi.


PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[20]            Pour satisfaire à la définition de _ réfugié au sens de la Convention _, le demandeur doit démontrer qu'il rencontre toutes les composantes de cette définition. Parmi ces composantes figurent les éléments subjectifs et objectifs de la crainte alléguée de persécution, l'existence d'un lien entre cette crainte alléguée et l'un des motifs de la Convention, ainsi que l'absence de protection étatique (Canada (Procureur Général) c. Ward, _1993] 2 R.C.S. 689, aux pp. 723-726).

[21]            Il est entièrement loisible au tribunal d'évaluer s'il existe une crainte subjective de persécution à la lumière du comportement du demandeur d'asile après les événements sur lesquels il fonde sa demande. Comme il s'agit d'une question d'appréciation de faits et de crédibilité, une intervention judiciaire est injustifiée sauf dans le cas d'une erreur manifestement déraisonnable de la part du tribunal (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Dan-Ash (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.)). Or, le demandeur se contente d'alléguer qu'il a démontré l'existence d'une crainte raisonnable, sans fournir d'explications. Le désaccord du demandeur avec les inférences tirées par le tribunal ne suffit pas à établir l'existence d'une erreur manifestement déraisonnable. Par ailleurs, le demandeur n'a aucunement démontré que le tribunal a omis d'évaluer des éléments de preuve relatifs à sa crainte de persécution.


[22]            L'existence d'un lien entre la persécution alléguée et l'un des cinq motifs de la Convention est une question de fait qui relève donc de l'expertise du tribunal (Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, _1995_ A.C.F. no 1253 (C.F. 1ère inst.) (QL)). La crainte d'un revendicateur victime de menaces et de représailles aux mains d'un individu sans scrupules agissant pour son avantage personnel n'est pas liée à l'un des motifs de la Convention et ce, même si cette personne est de connivence avec certains représentants corrompus du gouvernement (Yuen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1045 (C.A.F.) (QL); Pierre-Louis c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), _1993_ A.C.F. no 420 (C.A.F.) (QL); Cutuli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), _1994_ A.C.F. no 1156 (C.F. 1ère inst.) (QL)).

[23]            En l'espèce, les fonctionnaires corrompus agissaient pour des motifs pécuniaires ou criminels qui n'étaient aucunement liés à l'opinion politique du demandeur, contrairement à la situation dans l'affaire Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), _2000_ 3 C.F. 327 (C.A.F.), où les représailles par les policiers avaient suivi le dépôt d'une plainte au sujet de la corruption du gouvernement.             

[24]            Le tribunal était bien fondé de conclure que le demandeur n'a pas prouvé l'absence de protection étatique au Mexique. Pour renverser la présomption de protection étatique, un revendicateur doit fournir une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État à le protéger. À défaut de prouver l'effondrement complet du système étatique, l'État est présumé capable de protéger ses citoyens (Ward, supra; Kadenko c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1996) 206 N.R. 272 (C.A.F.), _1996_ A.C.F. no 1376 (C.A.F.) (QL)) .


[25]            Le tribunal a évalué les divers éléments de preuve quant aux démarches que le demandeur a effectuées pour obtenir une protection par les autorités à l'égard de l'agent persécuteur Villareal. En effet, le tribunal fait mention, dans sa décision, des divers incidents impliquant Villareal, de l'accident de voiture et des prétendues tentatives de dénonciation à la police. Le tribunal précise également qu'il a jugé ces explications insatisfaisantes.                 

[26]            Dans ses motifs, le tribunal s'est penché sur la demande d'asile présentée en vertu de l'alinéa 97(1)b) de la Loi : il y a fait référence dans son introduction, dans l'énoncé des faits, ainsi que dans son analyse.

ANALYSE

[27]            Pour satisfaire à la définition de _ réfugié au sens de la Convention _, le demandeur doit démontrer qu'il rencontre les composantes de cette définition, à commencer par la crainte subjective et objective de persécution. Dans la décision Kamana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), _1999] A.C.F. no 1695 (C.F. 1ère inst.) (QL), au par. 10, la juge Tremblay-Lamer déclare :

L'absence de preuve quant à l'élément subjectif de la revendication constitue une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la revendication puisque les deux éléments de la définition de réfugié, subjectif et objectif, doivent être rencontrés.

[28]            En d'autres mots, si le demandeur faillit à démontrer la crainte subjective ou objective, point n'est besoin de poursuivre l'analyse.

Crainte de persécution

[29]            Comme l'indique le défendeur, l'analyse d'une crainte subjective de persécution est une question d'appréciation de faits et de crédibilité et ceci est du ressort du tribunal. La Cour ne doit intervenir dans pareil cas que lorsque le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable. Or, en l'espèce, le tribunal a clairement indiqué pourquoi il ne pouvait conclure à une crainte subjective de la part du demandeur : le fait que le demandeur soit resté à l'emploi de l'agent persécuteur pendant huit mois après avoir appris que ce dernier était à l'origine de son accident automobile et le fait de ne pas avoir essayé de trouver un autre emploi parce qu'il n'aurait pu en obtenir un autre assez rémunérateur pour subvenir aux besoins de sa famille montrent que le demandeur n'avait pas de crainte sérieuse pour sa vie. Cette conclusion me semble tout à fait raisonnable et ne saurait donc faire l'objet d'une intervention de ma part.   

[30]            En plus des éléments énumérés par le tribunal, d'autres faits montrent que le demandeur n'avait pas vraiment de crainte subjective d'être persécuté. Premièrement, il n'a pas demandé la protection internationale à la première opportunité, c'est-à-dire à son arrivée aux États-Unis. Cela laisse entendre qu'il n'en sentait pas l'urgence ou la nécessité. Deuxièmement, le demandeur est retourné au Mexique, c'est-à-dire dans le pays o_ se trouvait le prétendu agent persécuteur, pour prendre l'avion à destination du Canada.


[31]            Comme le demandeur n'a pas réussi à prouver la crainte subjective de persécution, élément essentiel de la définition de réfugié, il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse des autres composantes, soit le lien avec un des cinq motifs de la Convention et l'absence de protection étatique.

Personne à protéger

[32]            C'est à tort que le demandeur prétend que le tribunal n'a pas analysé la menace à sa vie et les risques de traitements ou peines cruels ou inusités. L'analyse du comportement du demandeur par le tribunal à la page 3 de la décision me convainc que cette question a été traitée et la conclusion n'est pas déraisonnable.

[33]            En l'absence d'une erreur manifestement déraisonnable dans cette décision, je n'ai pas l'intention d'intervenir. Les parties ont décliné l'offre de soumettre une question grave de portée générale. Je ne propose pas de certifier une question grave de portée générale.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

______________________________

Juge


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 IMM-5826-02

INTITULÉ :              JESUS VARGAS RIVERA c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 30 octobre 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE DE:                                  L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                     le 5 novembre 2003


COMPARUTIONS :

Me Lenya Kalepdjian                                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Caroline Doyon                                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Lenya Kalepdjian                                           POUR LA PARTIE

Montréal (Québec)                                               DEMANDERESSE

M. Morris Rosenberg                                           POUR LA PARTIE

Sous-procureur général du Canada                     DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)


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