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Date : 20010321

Dossier : IMM-1997-00

Référence neutre : 2001 CFPI 215

ENTRE :

AJAY SINGH

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]         Le demandeur sollicite l'annulation d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté, le 28 mars 2000, sa revendication du statut de réfugié au Canada.

[2]         Le demandeur, né le 28 août 1965, est citoyen de l'Inde. Sa revendication est fondée sur les opinions politiques qu'on lui impute, c'est-à-dire que les policiers le soupçonnent d'aider les militants et que les militants le soupçonnent d'aider les policiers. Le demandeur a quitté l'Inde le 20 décembre 1998 et est arrivé à Toronto le même jour. Il a revendiqué le statut de réfugié à Montréal le 23 décembre 1998.


[3]         La Commission a énoncé la conclusion suivante dans ses motifs à l'appui du rejet de sa revendication :

Ayant examiné le témoignage du revendicateur, la preuve documentaire et les représentations du conseil, le tribunal a conclu que le revendicateur ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve visant à établir qu'il existe une « possibilité sérieuse » ou une « possibilité raisonnable » qu'il soit persécuté en Inde. Cette décision se fonde sur le manque de crédibilité du revendicateur.

[4]         Me Mastromonaco a fait valoir, au nom du demandeur, que la Commission avait commis plusieurs erreurs qui justifient l'intervention de la Cour. Premièrement, il relève le deuxième paragraphe de la page 3 de sa décision et soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait jamais mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) « qu'il avait signé un document l'engageant à agir comme témoin » . Me Mastromonaco affirme que, contrairement à la conclusion de la Commission, il en a fait mention dans son FRP. Me Mastromonaco a raison d'affirmer que ce fait est mentionné dans le FRP, qui se trouve à la page 19 du dossier du Tribunal; le demandeur y explique qu'avant d'être libéré le 5 novembre 1996, il a « été forcé de signer un document en blanc, ... »

[5]         Me Demers a reconnu, comme elle le devait, au nom du défendeur, que la Commission a effectivement commis une erreur, mais elle a prétendu que cette erreur n'était nullement déterminante. Je partage son point de vue; toutefois, comme mes motifs le révéleront bientôt, cette erreur, combinée à d'autres, est effectivement déterminante.

[6]         Deuxièmement, Me Mastromonaco attaque les troisième et quatrième paragraphes de la page 3 des motifs de la Commission, dans lesquels la Commission affirme ce qui suit :


Le revendicateur a en outre déclaré qu'il s'était rendu dans l'Uttar Pradesh le 1er juin 1998, et qu'il y est resté jusqu'au 30 septembre 1998. De là il serait allé à New Delhi, où il serait resté jusqu'au 20 décembre 1998. Cela veut dire qu'il est resté en Inde environ six mois après avoir quitté son domicile, censément par peur. Par ailleurs, il a affirmé que, bien qu'ayant appris les menaces de mort proférées par les sikhs le 22 mai 1998, ce n'est que le 1er juin 1998 qu'il est parti pour l'Uttar Pradesh.

De plus, son témoignage révèle qu'il a quitté l'Uttar Pradesh pour se rendre à New Delhi, parce que son père avait révélé ses allées et venues à la police. Étant donné les démêlés du revendicateur avec la police, le tribunal se serait attendu à ce qu'il quitte l'Inde plus tôt qu'il ne l'a fait et, par conséquent, il détermine que son comportement n'est pas celui d'une personne qui craint avec raison d'être persécutée dans son pays. En outre, il a eu la possibilité de revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée à Toronto, Ontario, mais il ne l'a pas fait.

[7]         Je suis d'accord avec Me Mastromonaco pour dire que, dans les circonstances, le fait que le demandeur ait attendu trois jours avant de déposer sa revendication du statut de réfugié au Canada semble insignifiant. On ne sait avec certitude quel poids la Commission a attribué à cette conclusion, mais comme elle a jugé bon de mentionner ce délai, je dois supposer qu'elle l'a considérée comme un facteur pertinent lorsqu'elle a rejeté la revendication du demandeur.

[8]         En ce qui concerne le fait que le demandeur ne se soit rendu dans l'Uttar Pradesh que le 1er juin 1998 et ait attendu au 30 septembre 1998 pour se rendre à New Delhi, je suis d'accord avec Me Mastromonaco pour dire que la Commission aurait dû poser des questions au demandeur au sujet de ces délais afin de déterminer s'il pouvait les justifier. J'ai lu attentivement la transcription du témoignage du demandeur à deux reprises et je n'y ai trouvé aucune question pertinente de la part de la Commission au sujet des délais, y compris celui écoulé avant le dépôt de la revendication du demandeur après son arrivée au Canada. Comme je l'ai dit à plusieurs occasions, la Commission doit poser les questions pertinentes afin d'établir un contexte factuel suffisant pour apprécier la revendication. Voilà, selon moi, un autre dossier dans lequel la Commission a radicalement manqué à cette obligation.


[9]         Par exemple, en ce qui concerne le retard à revendiquer le statut de réfugié au Canada, pourquoi le demandeur ne l'a-t-il pas revendiqué à Toronto et a-t-il attendu d'arriver à Montréal pour déposer sa revendication? Où a-t-il habité pendant son séjour à Toronto? Quel était le nom de son agent? Quel montant a-t-il vraiment versé à son agent? Ce montant est-il plausible, compte tenu de son revenu et de celui de sa famille? Beaucoup de questions auraient pu être posées pour établir un contexte factuel suffisant, mais elles n'ont malheureusement pas été posées. Je suis conscient du fait que les membres de la Commission doivent travailler en respectant les contraintes que leur imposent leurs supérieurs quant au temps consacré à chaque dossier; malheureusement, ces contraintes ne sauraient toutefois excuser la médiocrité d'une décision.

[10]       Je ferai une dernière remarque. Au cours de l'audience, j'ai mentionné aux avocats que le raisonnement adopté par la Commission à la page 5, sous la rubrique « Photos » , était à mon sens absurde. Les photos sont un outil utile pour illustrer une chose que le décideur ne peut observer lui-même. En l'espèce, les photos ont été déposées pour montrer que le demandeur portait des cicatrices sur tout le corps. Comme le demandeur était présent à l'audience, la Commission était en mesure d'observer elle-même ces cicatrices et de déterminer si elles existaient vraiment. À mon humble avis, les photos étaient sans conséquence dans les circonstances.


[11]       Je suis d'avis que les erreurs susmentionnées justifient l'intervention de la Cour et que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Par conséquent, la décision rendue par la Commission en date du 28 mars 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

« Marc Nadon »

J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

21 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                             IMM-1997-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        AJAY SINGH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 14 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                      MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                                                  le 21 mars 2001

ONT COMPARU :

Me Raffaele Mastromonaco                                           POUR LE DEMANDEUR

Me Marie-Claude Demers                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mastromonaco Mancini Perlini                                       POUR LE DEMANDEUR

Dorval (Québec)

Me Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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