Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20170623


Dossier : T‑1289‑14

Référence : 2017 CF 619

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

WAEL MAGED BADAWY

demandeur

(défendeur reconventionnel)

et

WALDEMAR A. IGRAS

WALDEMAR A. IGRAS PROFESSIONAL CORPORATION

défendeurs

(demandeurs reconventionnels)

et

IFL IGRAS FAMILY LAW LTD.

défenderesse reconventionnelle

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire en application des articles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, par laquelle les défendeurs/demandeurs reconventionnels sollicitent une ordonnance rejetant l’action du demandeur et accordant les mesures de réparation demandées aux alinéas 17a), b), c) et e) de la demande reconventionnelle modifiée.

II. Contexte

[2] Les auteurs de la requête sont Waldemar Igras (M. Igras) et Waldemar A. Igras Professional Corporation (Igras PC) (collectivement désignés comme les demandeurs). Avocat et membre du Barreau de l’Alberta, M. Igras pratique sa profession depuis le 20 mars 2006 et est le seul actionnaire et directeur d’Igras PC, constituée en personne morale le 2 janvier 2011. Il pratique dans le domaine du droit familial.

[3] Les intimés de la requête sont Wael Maged Badawy (M. Badawy ou le demandeur), le demandeur dans l’action sous‑jacente, et IFL Igras Family Law Ltd. (IFL Ltd.), la défenderesse reconventionnelle (collectivement désignés comme les intimés). IFL Ltd. est une société qui a été constituée en personne morale par M. Badawy aux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C‑ 44.

[4] De 2011 à 2014, M. Igras était associé dans le cabinet d’avocats Richmond Chickloski Igras Moldowan LLP, de Calgary. En 2012, il a été engagé par Ghada Hamdy Nafie (Mme Nafie), aujourd’hui ex‑épouse de M. Badawy, pour intenter une action en divorce et en partage des biens matrimoniaux (l’action en divorce) devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (ABQB).

[5] En 2013, M. Badawy a intenté devant la Cour provinciale de l’Alberta différentes actions contre Mme Nafie, des membres de sa famille et M. Igras, lesquelles ont ensuite été portées devant l’ABQB. Le 16 septembre 2013, il a déposé une demande de marque de commerce à l’égard du nom « Richmond Chickloski Igras Moldowan LLP » – le nom de l’ancien cabinet de M. Igras – en invoquant l’emploi, depuis le 1er janvier 2001, de ce nom en liaison avec des produits liés à l’informatique et des services de consultation. Dans une ordonnance datée du 14 avril 2015, la Cour d’appel de l’Alberta a ordonné de mettre fin à l’action contre M. Igras (Action 1301‑11325).

[6] Ayant décidé, au début de 2014, de commencer à pratiquer le droit à son compte en employant le nom commercial « Igras Family Law », M. Igras a acheté les noms de domaine Internet www.igrasfamilylaw.com et www.igrasfamilylaw.ca et a engagé un graphiste pour qu’il crée des logos de la marque « Igras Family Law ». Le 27 février 2014, lors d’une réunion de gestion d’instance s’inscrivant dans l’action en divorce, M. Igras a informé l’ABQB ainsi que M. Badawy qu’il s’apprêtait à s’installer dans son nouveau cabinet. Le 13 mars suivant, M. Igras a envoyé à M. Badawy une lettre sur du papier à en‑tête arborant la marque « Igras Family Law »; M. Badawy a répondu en confirmant l’avoir reçue.

[7] Les 20 et 21 mars 2014, M. Badawy a enregistré les noms de domaines www.igrasfamilylaw.net, www.igrasfamilylaw.info et www.igrasfamilylaw.org. Le 22 avril suivant, il a présenté une demande à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (numéro de demande 1673473, la « demande de marque de commerce IFL ») en vue de l’enregistrement de la marque de commerce IGRAS FAMILY LAW en liaison avec des services [traduction] « de publication juridique, d’accès Internet et de service en ligne », et invoquait l’emploi de la marque depuis 2001 (la marque IFL proposée). Cette demande fait actuellement l’objet d’une opposition par les demandeurs.

[8] Le 24 avril 2014, M. Badawy a constitué IFL Ltd. en personne morale. Les registres publics indiquent qu’il est le seul directeur et actionnaire de cette société.

[9] Entre le 22 avril 2014 et aujourd’hui, la demande de marque de commerce IFL a été modifiée pour désigner les services liés à la marque de commerce comme des publications électroniques de types divers. Le demandeur affirme qu’il est le créateur de deux publications portant le titre « Igras Family Law », numéros ISBN 978,09938562‑1‑1 et 978‑09938562‑0‑4, dont la date de publication alléguée est le 9 septembre 2019 (les publications IFL). Des renseignements obtenus de la division ISBN de Bibliothèques et Archives Canada attestent qu’IFL Ltd. a demandé des numéros ISBN pour les publications IFL le 14 juillet 2014. Hormis les renseignements qu’elle a fournis à Bibliothèques et Archives Canada, rien n’indique que ces publications existaient avant juillet 2014.

[10] Le 26 mai 2014, M. Badawy a déposé la déclaration introductive de l’action sous‑jacente.

III. Historique devant la Cour fédérale

[11] Le 19 septembre 2014, les demandeurs ont obtenu l’autorisation d’introduire une requête en radiation de la déclaration. Le 10 novembre suivant, la juge Sandra Simpson l’a rejetée, estimant qu’en l’absence d’un affidavit appuyant la requête en question, la Cour ne disposait pas d’une preuve suffisante pour établir que la déclaration était frivole, vexatoire ou qu’elle constituait un abus de procédure.

[12] Le 12 novembre 2014, M. Badawy a sollicité l’autorisation de déposer une mise en cause contre la Law Society of Alberta et la Alberta Law Insurance Association, autorisation qui a été refusée par le protonotaire Lafrenière (tel était alors son titre) dans une ordonnance datée du 27 novembre 2014. M. Badawy a interjeté appel de cette ordonnance ainsi que de toutes les ordonnances précédentes rendues par le protonotaire Lafrenière. L’appel a été rejeté par la juge Mary Gleason de la Cour fédérale (tel était alors son titre) le 20 janvier 2015. M. Badawy a fait appel devant la Cour d’appel fédérale, qui l’a débouté (Badawy c. Waldemar, 2016 CAF 162). L’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada a été refusée (Wael Maged Badawy c. Law Society of Alberta, et al, 2016 CanLII 76791 (CSC)).

[13] Le 4 juin 2015, M. Badawy a introduit une requête pour être autorisé à représenter IFL Ltd.; cette requête a été rejetée le 15 juin suivant. IFL Ltd. n’a pas déposé d’avis de nomination d’un avocat et n’est pas représentée dans la présente instance.

[14] Dans une ordonnance datée du 7 novembre 2016, les demandeurs ont obtenu l’autorisation d’introduire une requête en jugement sommaire visant le rejet de l’action sous‑jacente et l’octroi des mesures de réparation demandées aux alinéas 17a), b), c) et e) de leur demande reconventionnelle modifiée contre les intimés. M. Badawy a répondu en présentant deux requêtes : l’une pour que le protonotaire Lafrenière se récuse du dossier et l’autre interjetant appel de l’ordonnance du 7 novembre 2016. Le 19 janvier 2017, la juge Sylvie Roussel a rejeté l’appel relatif à l’ordonnance du 7 novembre 2016 tandis que la requête en récusation a été rejetée dans une ordonnance datée du 2 février 2017.

[15] M. Badawy a interjeté appel de l’ordonnance de la juge Roussel devant la Cour d’appel fédérale, qui n’a pas encore instruit l’appel.

IV. Questions à trancher

[16] Les demandeurs sollicitent dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire :

  • 1) le rejet de l’action intentée contre eux;

  • 2) un jugement leur accordant les mesures de réparation demandées aux alinéas 17a), b), c) et e) de la demande reconventionnelle modifiée.

[17] Compte tenu de mon analyse de la compétence de la Cour fédérale ci‑après, les questions à trancher dans le cadre de la présente audience sont les suivantes :

  • 1) L’allégation de M. Badawy selon laquelle les demandeurs se sont livrés à une commercialisation trompeuse, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, est‑elle une véritable question litigieuse?

  • 2) La demande reconventionnelle des demandeurs portant que les intimés se sont livrés à une commercialisation trompeuse en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, est‑elle une véritable question litigieuse?

V. Conclusion

[18] L’allégation de M. Badawy selon laquelle les demandeurs se sont livrés à une commercialisation trompeuse en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce peut convenablement être tranchée par voie de jugement sommaire. La Cour ne dispose tout simplement d’aucune preuve établissant que M. Badawy emploie ou qu’il a employé la marque IGRAS FAMILY LAW en liaison avec les produits ou les services. À ce titre, il ne s’agit pas d’une marque de commerce non déposée valide et opposable qui lui appartient, et la déclaration doit être rejetée.

[19] Cependant, je ne puis trancher par voie de jugement sommaire la question principale de la demande reconventionnelle modifiée, car les faits nécessaires pour résoudre la question de savoir si les intimés se sont livrés à une commercialisation trompeuse en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce ne sont pas clairement exposés dans la preuve. Les mesures de réparation sollicitées par les demandeurs ne peuvent donc être accordées par voie de jugement sommaire. Cette question fera donc l’objet d’un procès.

VI. Question préliminaire – Compétence de la Cour fédérale

[20] M. Badawy et les demandeurs avancent des allégations et (ou) sollicitent des mesures de réparation qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour fédérale. Même si aucune des parties n’a introduit de requête en radiation des causes d’action pour défaut de compétence de la Cour fédérale, la Cour doit malgré tout analyser la question de savoir si elle est compétente pour statuer sur les questions à trancher (Chavali c. Canada, 2001 FCT 268, conf. par 2002 CAF 209).

[21] La compétence de la Cour fédérale n’est régie qu’en partie par la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Dans l’arrêt Windsor (City) c. Canadian Transit Co, 2016 CSC 54 au paragraphe 33 [City of Windsor], la Cour suprême du Canada a entrepris d’examiner cette compétence :

À l’inverse [des cours supérieures provinciales reconnues par l’art. 96], la Cour fédérale possède uniquement la compétence qui lui est conférée par la loi. Il s’agit d’une cour d’origine législative, qui a été créée en application du pouvoir constitutionnel prévu à l’art. 101 et qui n’est pas dotée d’une compétence inhérente. La Cour fédérale joue un rôle primordial dans notre système judiciaire, mais sa compétence n’est pas protégée par la Constitution de la même façon que celle des cours visées à l’art. 96. Elle ne peut agir qu’à l’intérieur des limites constitutionnelles établies par l’art. 101 et des pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, p. 331, « [p]arce que la Cour fédérale n’a aucune compétence inhérente comme celle des cours supérieures des provinces, c’est le texte de la [Loi sur la Cour fédérale ] qui détermine complètement l’étendue de la compétence de la cour. »

[renvois omis]

[22] L’attribution de compétence par une loi est nécessaire pour que la Cour fédérale soit compétente à l’égard d’une question donnée, mais elle n’est pas suffisante. Le Parlement ayant créé la Cour fédérale en vertu de sa compétence d’établir, aux termes de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 « des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada », le rôle de cette cour se limite, d’un point de vue constitutionnel, à administrer les « lois du Canada », ce qui désigne dans ce contexte les lois fédérales (City of Windsor, précité, au para 34). Le critère à examiner pour déterminer si la Cour fédérale est compétente pour statuer sur une question a été énoncé dans l’arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd c. Miida Electronics Inc, [1986] 1 RCS 752 (le critère de l’arrêt ITO) :

  • 1) Il doit y avoir une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

  • 2) Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

  • 3) La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où l’expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

(1) M. Badawy

[23] Voici les parties pertinentes de la déclaration :

[traduction]
8. Le DÉFENDEUR savait ou aurait dû savoir que le DEMANDEUR est titulaire des marques de commerce « IGRAS FAMILY LAW » et propriétaire de la société « IFL IGRAS FAMILY LAW ltd ».

9. Le DÉFENDEUR emploie IFL IGFAS FAMILY LAW et IGRAS FAMILY LAW sans autorisation, licence ou enregistrement pour vendre des services au Canada.

10. La conduite des DÉFENDEURS est négligente et fait fi des droits du DEMANDEUR au titre de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et de la Loi sur les marques de commerce.

11. Le DEMANDEUR sollicite donc les mesures de réparation suivantes :

a. des dommages‑intérêts pécuniaires;

b. des dommages‑intérêts exemplaires et punitifs;

c. une ORDONNANCE de la Cour interdisant au DÉFENDEUR de vendre, d’offrir des services ou d’en faire la publicité en utilisant IGRAS FAMILY LAW ou toute variation de cette marque, sans licence ou autorisation du DEMANDEUR;

d. une ORDONNANCE par laquelle la Cour ordonnerait la suppression, aux frais du DÉFENDEUR, de l’association des DÉFENDEURS avec IGRAS FAMILY LAW ou IFL IGRAS FAMILY LAW dans l’ensemble des annuaires, outils de marketing et dossiers publics, et ce, dans les 10 jours suivant l’ORDONNANCE de la Cour;

e. un transfert, aux frais du DÉFENDEUR, de l’ensemble des marques, du site Web ou des comptes ayant été créés par le DÉFENDEUR pour IGRAS FAMILY LAW ou IFL IGRAS FAMILY au DEMANDEUR, et ce, dans les 10 jours suivant l’ORDONNANCE de la Cour;

g. les dépens;

h. toute autre mesure de réparation que le DEMANDEUR pourrait solliciter et que la Cour pourrait accorder.

[Formatage original]

[24] La demande de marque de commerce IFL fait actuellement l’objet d’une opposition par les demandeurs. À ce titre, M. Badawy n’a, au moment de la présente audience, aucun droit de marque accordé par la loi à l’égard d’une marque de commerce déposée. Il n’a que d’éventuels droits à l’égard d’une marque de commerce non déposée pour IGRAS FAMILY LAW (la marque IFL).

[25] Dans l’arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd, [1987] ACF no 245 (CA) au paragraphe 27, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que le Parlement, par les articles 1 à 11 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13, prescrit un régime qui définit ce qui constitue une marque de commerce, qu’elle soit déposée ou non, ainsi que son adoption. M. Badawy pourrait donc avoir un droit donnant ouverture à des poursuites au titre des articles 1 à 11 de la Loi sur les marques de commerce. La Cour fédérale est compétente pour statuer sur ces droits.

[26] M. Badawy prétend également que les demandeurs contreviennent à des droits créés aux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Bien qu’il s’agisse d’une loi adoptée par le Parlement fédéral, la définition du terme « tribunal » énoncé au paragraphe 2(1) laisse entendre que la Cour fédérale ne jouit pas d’une compétence générale à l’égard des actions instaurées au titre de cette loi :

tribunal

a) La Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador;

a.1) la Cour supérieure de justice de l’Ontario,

b) la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, de la Colombie‑Britannique et de l’Île‑du‑Prince‑Édouard;

c) la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et du Nouveau‑Brunswick;

d) la Cour supérieure du Québec;

e) la Cour suprême du Yukon, la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest ou la Cour de justice du Nunavut. (court)

Cour d’appel La cour compétente pour juger les appels interjetés contre les décisions des tribunaux. (court of appeal)

[27] M. Badawy n’affirme pas que la Loi canadienne sur les sociétés par actions, ou toute autre loi comporte une disposition précise qui confirme une attribution légale de compétence particulière à l’égard d’une allégation portant que [traduction] « [l]a conduite des DÉFENDEURS est négligente et fait fi des droits du DEMANDEUR au titre de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et de la Loi sur les marques de commerce […] ». Par conséquent, j’estime que le critère de l’arrêt ITO n’est pas rempli à l’égard des allégations de M. Badawy relatives aux droits prévus par la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Cette allégation sera radiée de la déclaration.

(2) Les demandeurs

[28] Voici les parties pertinentes de la demande reconventionnelle modifiée :

[traduction]
17. Les demandeurs reconventionnels sollicitent les mesures suivantes, dans le cadre de la demande reconventionnelle contre le défendeur reconventionnel Wael Maged Badawy :

a) Une déclaration portant que le défendeur reconventionnel, Wael Maged Badawy :

i. a incorporé le nom des demandeurs reconventionnels, Igras Family Law, et employé le nom de famille Igras sans leur consentement;

ii. a employé « Igras Family Law » d’une manière qui a porté atteinte à la valeur, à l’achalandage et à la réputation attachés au nom du demandeur reconventionnel et à son cabinet juridique;

iii. a détourné l’attention des services juridiques offerts par le demandeur reconventionnel de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion dans l’esprit des membres du public, en contravention de la loi;

iv. s’est fait frauduleusement passer pour un membre actif du Barreau ou comme une personne autorisée par la loi à pratiquer le droit, en contravention de la Legal Profession Act, RSA 2000, c L‑ 8;

v. a incorporé « IFL IGRAS FAMILY LAW LTD. » en contravention de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C‑ 44;

vi. a incorporé IFL IGRAS FAMILY LAW LTD. dans le seul but de porter préjudice aux demandeurs reconventionnels.

b) Une injonction provisoire, interlocutoire et permanente interdisant aux défendeurs reconventionnels :

i. de détourner l’attention du public du cabinet de droit familial des demandeurs reconventionnels de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion quant à la nature des services juridiques offerts par le défendeur;

ii. d’employer « Igras Family Law », ou toute partie de ce nom d’une manière qui risque de nuire à la réputation, à l’entreprise et à la pratique du droit des demandeurs reconventionnels ou qui entraîne une diminution de la valeur de l’achalandage afférente;

iii. de faire passer ses services, ses marchandises et son entreprise pour ceux des demandeurs reconventionnels;

iv. d’employer « Igras Family Law » et ses différents dérivés en ligne;

v. d’instaurer toute autre action contre les demandeurs reconventionnels sans l’autorisation de la Cour.

c) Une ordonnance enjoignant aux défendeurs reconventionnels :

i. de retirer de l’Internet les noms de domaines www.igrasfamilylaw.net, www.igrasfamilylaw.info et www.igrasfamilylaw.org;

ii. de se garder d’enregistrer toute société dans le but de détourner l’attention du cabinet de droit familial des demandeurs reconventionnels, ou d’entraver ses activités;

iii. [radié de la demande reconventionnelle modifiée]

iv. de radier le nom commercial « Igras Family Law » de l’enregistrement (sic) de la Loi sur les marques de commerce;

v. de remettre sous serment aux demandeurs reconventionnels l’ensemble des publications, supports médiatiques ou autres éléments en leur possession ou sous leur contrôle qui contreviennent d’une quelconque façon aux ordonnances sollicitées précédemment;

[…]

e) Une ordonnance enjoignant à la défenderesse reconventionnelle IFL Igras Family Law Ltd. de remplacer son nom par un autre qui n’inclurait ni « Waldemar » ni « Igras », ou une ordonnance enjoignant au directeur de révoquer ce nom et d’en attribuer un autre à la société, jusqu’à ce que son nom soit modifié aux termes de l’article 173 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions;

[…]

[29] Tout comme M. Badawy, les demandeurs n’ont pas de marque de commerce déposée et n’ont donc des droits qu’à l’égard d’une marque non déposée, lesquels peuvent fonder une action aux termes de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce. Cette question relève à juste titre de la compétence de la Cour fédérale.

[30] Comme je l’ai déjà indiqué, en l’absence d’une attribution légale précise de compétence à la Cour fédérale, celle‑ci n’est pas compétente à l’égard des causes d’action découlant d’une atteinte à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Comme les demandeurs n’ont pas non plus fait valoir qu’il existait une telle attribution légale de compétence, j’estime que le critère de l’arrêt ITO n’est pas rempli à l’égard de droits qui découleraient de la loi en question. Par conséquent, ces allégations seront radiées de la demande reconventionnelle modifiée.

[31] S’agissant de la mesure de réparation sollicitée au sous‑alinéa 17c)(iv) de la demande reconventionnelle modifiée, la Cour fédérale ne devrait pas statuer sur une demande de marque de commerce avant que le registraire des marques de commerce ne rende une décision concernant la demande (article 37) et l’opposition (article 38) (Copperhead Brewing Co c. John Labatt, [1995] ACF n668 aux para 19 à 22 [Copperhead]). Durant la période de la demande, toute partie a le droit, conféré par l’article 38, de s’opposer à l’enregistrement de la marque de commerce; mais l’opposante ne disposera, à l’égard de la demande, d’une cause d’action relevant de la compétence de la Cour fédérale, que lorsque ladite demande sera examinée par le registraire des marques de commerce en première instance (Copperhead, précitée). À ce titre, le sous‑alinéa 17c)(iv) sera radié de la demande reconventionnelle modifiée.

[32] Enfin, la Cour fédérale n’est pas compétente pour faire des déclarations concernant une atteinte à la Legal Profession Act, RSA 2000, c L‑8, attendu qu’il s’agit d’une loi adoptée par la législature de l’Alberta et que ce n’est donc pas une « loi du Canada ». À ce titre, cette allégation sera également radiée de la demande reconventionnelle modifiée.

(3) Conclusion concernant la compétence de la Cour fédérale

[33] Compte tenu de l’analyse qui précède, la Cour fédérale n’est compétente que pour trancher les allégations fondées sur la Loi sur les marques de commerce. Toutes les allégations qui sont sans rapport avec cette loi seront radiées parce qu’elles échappent à sa compétence. En outre, l’allégation de diminution de la valeur de l’achalandage, fondée sur l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, vise des droits se rapportant seulement à des marques de commerce déposées; comme aucune des parties n’a de marque de commerce déposée, cette allégation sera également radiée.

[34] Par conséquent, la seule question de la déclaration dont notre Cour est dûment saisie est celle de savoir si les demandeurs ont fait passer leur entreprise pour celle de M. Badawy, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. En outre, la seule question de la demande reconventionnelle modifiée dont notre Cour est dûment saisie est celle de savoir si les défendeurs ont fait passer IFL Ltd. pour la société juridique des demandeurs, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce.

VII. Analyse

[35] Dans une requête en jugement sommaire, la Cour rend un jugement sommaire ou tient un procès sommaire, si les exigences de l’article 215 des Règles des Cours fédérales sont remplies :

215 (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

a) la somme à laquelle le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination de la somme conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

 

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

 

[36] Dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7 [Hryniak], la Cour suprême du Canada a estimé que « [la] requête en jugement sommaire doit être accueillie dans tous les cas où il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès », ce qui se produit lorsque la procédure « 1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, 2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et 3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste » (Hryniak, précité, aux para 47, 49).

[37] Dans la décision Teva Canada Ltd c. Wyeth LLC, 2011 CF 1169 [Teva], confirmée dans 2012 CAF 141, la Cour a estimé que le prononcé d’un jugement sommaire était justifié lorsque :

  • 1) les questions en litige sont bien définies et leur résolution permettra d’accélérer le déroulement ou le règlement de l’action ou de ce qui en reste;

  • 2) les faits nécessaires à la résolution des questions ressortent clairement de la preuve, la preuve n’est pas controversée et la crédibilité n’est pas en jeu;

  • 3) les questions de droit peuvent être réglées aussi facilement maintenant qu’elles le seraient à l’issue d’un procès complet.

[38] Pour déterminer s’il y a « absence de question sérieuse à instruire », la Cour est en droit de présumer que les parties ont présenté leurs meilleurs arguments et il ne suffit pas à la partie défenderesse d’affirmer que des éléments de preuve additionnels et plus probants seront ou pourraient être présentés au procès (The Rude Native Inc c. Tyrone T Resto Lounge, 2010 CF 1278). Le demandeur qui sollicite un jugement sommaire doit s’acquitter du fardeau de prouver sa cause d’action selon la prépondérance des probabilités. L’intimé de la requête doit alors présenter dans un affidavit, ou d’autres éléments de preuve, des faits précis établissant qu’il existe une véritable question litigieuse (Collins c. Canada, 2015 CAF 281). Le fardeau dont doit s’acquitter l’intimé concerne uniquement la présentation de la preuve (TPG Technology Consulting Ltd c. Canada, 2013 CAF 183).

A. L’allégation de commercialisation trompeuse avancée par M. Badawy constitue‑t‑elle une véritable question litigieuse?

[39] L’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce prévoit :

7 NUL NE PEUT :

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

[…]

7 No person shall:

[…]

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

[…]

[40] Dans l’arrêt Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc, 2003 CAF 297 au paragraphe 37, confirmé dans 2005 CSC 65 [Kirkbi], la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit : « afin de pouvoir se prévaloir de l’alinéa 7b), il faut prouver que l’on possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non ». Comme je l’ai déjà précisé, M. Badawy n’a pas de marque de commerce déposée valide. Par conséquent, il doit établir qu’il possède une marque de commerce non déposée valide et opposable, qu’un achalandage ou une réputation est attaché à cette marque, que le public est induit en erreur à cause d’une fausse déclaration, et que les dommages qu’il a subis sont réels ou possibles (Kirkbi, précité, au para 66; Ciba‑Geigy Canada Ltd c. Apotex Inc, [1992] 3 RCS 120 [Ciba‑Geigy]).

[41] L’article 2 de la Loi sur les marques de commerce définit une marque de commerce comme une :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou les services loués ou exécutés, par elle, des produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish goods or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

(b) a certification mark,

(c) a distinguishing guise, or

(d) a proposed trade‑mark.

[42] Même s’il prétend posséder la marque IFL et qu’il s’agit d’une marque de commerce valide et opposable, M. Badawy doit démontrer qu’il l’a employée afin de distinguer ses produits et services de ceux d’autres personnes. L’article 4 de la Loi sur les marques de commerce décrit les circonstances dans lesquelles une marque est réputée employée :

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des produits ou sur les emballages qui les contiennent est réputée, quand ces produits sont exportés du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces produits.

4 (1) A trade‑mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

(2) A trade‑mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

(3) A trade‑mark that is marked in Canada on goods or on the packages in which they are contained is, when the goods are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those goods.

[43] M. Badawy allègue qu’il propose à la fois des produits et des services en liaison avec la marque IFL : les publications IFL et des publications électroniques de différents types, respectivement. Il prétend aussi avoir employé depuis 2001 la marque IFL en liaison avec des activités de négociation, de médiation et d’arbitrage, avec un accent mis en 2009 sur le droit familial islamique.

[44] Comme le font remarquer les demandeurs, aucun élément devant notre Cour n’établit que les publications IFL existaient avant 2014. En outre, rien en dehors des simples affirmations contenues dans un affidavit établi sous serment par M. Badawy le 3 janvier 2017 (l’affidavit Badawy) n’établit que ce dernier ait déjà employé la marque IFL en liaison avec des publications électroniques ou des activités de négociation, de médiation et d’arbitrage au Canada. Par ailleurs, rien n’appuie l’allégation de M. Badawy portant que la marque de commerce a été employée ou publicisée au Canada dès 2001. Contrairement à ses allégations d’emploi, la preuve atteste que M. Badawy a entamé ses activités en liaison avec la marque IFL après le 27 février 2014, lorsque M. Igras l’a informé ainsi que l’ABQB qu’il allait commencer à pratiquer à son compte en employant le nom commercial « Igras Family Law ».

[45] M. Badawy n’a pas été contre‑interrogé sur son affidavit; cependant, j’estime que l’affidavit Badawy contrevient au paragraphe 80(1) des Règles des Cours fédérales et qu’il est dépourvu du moindre semblant de preuve valide ou crédible. La décision Teva, précitée, précise qu’il est approprié de prononcer un jugement sommaire lorsque la crédibilité n’est pas en jeu. Cependant, ce n’est pas le cas ici, la crédibilité de M. Badawy devant être évaluée. Il ressort clairement de l’affidavit Badawy, des déclarations figurant dans son mémoire des faits et du droit, de l’audience et de l’historique de M. Badawy devant notre Cour, qu’il n’est aucunement fondé à faire valoir des droits à l’égard d’IGRAS FAMILY LAW, à titre de marque de commerce valide non déposée, pour obtenir, de quelque manière que ce soit, une conclusion de contrefaçon découlant de l’utilisation légitime par les demandeurs (les défendeurs dans l’action sous‑jacente) du nom « Igras Family Law » pour leur cabinet d’avocats.

[46] De plus, bien que le fardeau imposé à M. Badawy dans le cadre d’une requête en jugement sommaire concerne uniquement la présentation de la preuve, j’estime, vu qu’il était tenu de présenter ses meilleurs arguments, que la preuve produite dans l’affidavit Badawy est totalement lacunaire et qu’elle ne satisfait pas à son fardeau de présentation de la preuve de manière à justifier la tenue d’un procès. À mon avis, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de tenir un procès, puisque je peux tirer les constatations de faits et de droit nécessaires, en me basant sur le dossier écrit, pour conclure que son action n’a aucune chance de succès.

[47] Compte tenu de la preuve présentée dans l’affidavit Badawy, de l’affidavit de M. Igras établi sous serment le 8 décembre 2016 et du contre‑interrogatoire s’y rapportant, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. Badawy n’a pas employé la marque IFL en liaison avec des produits ou des services comme il le prétend. Cette conclusion permet de statuer sur l’allégation de commercialisation trompeuse avancée par M. Badawy contre les demandeurs.

B. La question de la commercialisation trompeuse, soulevée dans la demande reconventionnelle modifiée, constitue‑t‑elle une véritable question litigieuse?

[48] Les demandeurs ne disposent pas non plus d’une marque de commerce déposée. Par conséquent, pour avoir gain de cause au titre de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, ils doivent prouver qu’ils possèdent une marque de commerce non déposée qui est valide et opposable, qu’un achalandage ou une réputation est attaché à cette marque, que le public est induit en erreur à cause d’une fausse déclaration et qu’il existe des dommages réels ou possibles (Kirkbi, précité, au para 66; Ciba‑Geigy, précité).

[49] Compte tenu des documents déposés, j’estime que les demandeurs ont soumis une preuve suffisante pour me permettre de conclure qu’ils possèdent une marque de commerce non déposée valide, IGRAS FAMILY LAW, en liaison avec des services juridiques (la marque « IGRAS Law Mark »).

[50] Cependant, pour démontrer qu’un achalandage ou une réputation est attaché à leur marque IGRAS Law, les demandeurs doivent s’acquitter du fardeau de prouver que cette marque est connue sur le marché comme indiquant la source des services juridiques qu’ils offrent (Kirkbi, au para 67; Ciba‑Geigy). Même s’ils ont présenté des éléments de preuve attestant qu’ils ont représenté une cliente, Mme Nafie, en liaison avec la marque IGRAS Law, ils n’ont produit aucun autre élément touchant à l’existence de l’achalandage ou d’une association positive entre le logo de leur marque Igras Family Law ou la marque IGRAS Law et leurs services juridiques. De même, ils n’ont produit aucun élément établissant que les fausses déclarations des intimés ont créé de la confusion dans l’esprit du public. Je ne peux donc pas tirer les conclusions de faits nécessaires ni appliquer ces faits au droit pertinent pour pouvoir rendre une décision favorable aux demandeurs par voie de jugement sommaire.

VIII. Arguments concernant la mauvaise foi

[51] Les demandeurs ont soulevé de nombreux arguments concernant le caractère enregistrable de la marque IFL projetée par M. Badawy. Comme les parties sont en pleine instance d’opposition, il est prématuré pour la Cour d’évaluer le bien‑fondé de ces arguments. Cependant, je juge convenable de commenter leurs arguments portant que M. Badawy a présenté sa demande de marque de commerce de mauvaise foi.

[52] La mauvaise foi renvoie à l’alinéa 30(i) de la Loi sur les marques de commerce, aux termes duquel quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce fournit dans le cadre de la demande une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada :

30 Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

(i) une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits ou services décrits dans la demande.

30 An applicant for the registration of a trade‑mark shall file with the Registrar an application containing

[…]

i) a statement that the applicant is satisfied that he is entitled to use the trade‑mark in Canada in association with the goods or services described in the application.

 

[53] Au paragraphe 53 de la décision Chamberlain Group, Inc c. Lynx Industries Inc, 2010 CF 1287 [Lynx], le juge Roger Hughes a estimé que lorsque celui qui sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce tente simplement de s’approprier une marque qu’il sait appartenir à quelqu’un d’autre, l’alinéa 30(i) pourrait lui imposer une obligation de bonne foi. Cependant, il a ajouté que si la marque projetée ne crée pas de confusion avec une autre marque de commerce, aucune mauvaise foi ne peut créer de confusion; et si la marque projetée crée de la confusion avec une autre marque, la bonne ou la mauvaise foi est dépourvue de pertinence (Lynx, précitée, au para 53).

[54] Il incombe initialement à l’opposante d’établir si le requérant aurait pu ou non être convaincu de son droit d’employer la marque de commerce à la date pertinente, qui est celle du dépôt de la demande (Lynx, au para 54; Procter & Gamble Inc c. Colgate‑Palmolive Canada Inc, 2010 CF 231 au para 32 [Colgate]). Le critère à remplir pour savoir si l’opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve est subjectif, et non objectif (Colgate, précitée, au para 31).

[55] Dans la décision Colgate, au paragraphe 33, la Cour fait remarquer que les opposants ne réussissent qu’exceptionnellement à faire valoir un motif fondé sur l’alinéa 30(i). Comme cette disposition n’est pas soulevée devant moi, je ne répondrai pas à la question de savoir si nous sommes en présence de l’un de ces cas exceptionnels dans lesquels une opposition devrait aboutir sur la base d’une conclusion de mauvaise foi.

[56] Cependant, je suis convaincu que les demandeurs ont produit une preuve suffisante établissant que M. Badawy savait ou aurait dû savoir subjectivement, à la date pertinente, qu’il n’avait pas le droit d’employer la marque IFL projetée en liaison avec des services juridiques au Canada.

IX. Dépens

[57] Même si les demandeurs n’ont pas eu gain de cause à l’égard de toutes les questions, ils ont prévalu sur la question principale. Par conséquent, les dépens de la présente requête doivent être versés par les intimés aux demandeurs, et taxés selon la colonne III du tarif B.


JUGEMENT dans le dossier T‑1289‑14

LA COUR STATUE que :

  • 1) la requête en jugement sommaire est accueillie et la déclaration est rejetée, sans autorisation de la modifier;

  • 2) la requête en jugement sommaire visant à obtenir les mesures de réparation sollicitées aux alinéas 17a), b), c) et e) de la demande reconventionnelle est rejetée;

  • 3) les dépens doivent être versés par les intimés aux demandeurs, et taxés suivant la colonne III du tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1289‑14

INTITULÉ :

WAEL MAGED BADAWY c WALDEMAR A. IGRAS ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

calgary (alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juin 2017

 

jugement et motifs :

le juge MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Wael Badawy

pour le demandeur,

POUR SON PROPRE COMPTE

M. Bruce Comba

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EMERY JAMIESON LLP

Edmonton (Alberta)

pour le défendeur

 

 

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