Date : 20041026
Dossier: IMM-1288-04
Référence : 2004 CF 1505
Montréal (Québec), le 26 octobre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON
ENTRE :
SUKHJINDER SINGH
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Sukhjinder Singh avait 16 ans lorsque sa demande d'asile a été entendue et rejetée. Il avait allégué craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion sikhe, des opinions politiques qu'on lui imputait et de son appartenance un groupe social, à savoir la famille.
[2] On a jugé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition donnée à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Il n'était pas suffisamment crédible. Un élément crucial de sa demande est que la police avait arrêté sa mère et l'avait agressée sexuellement, et que, par la suite, il avait subi le même sort. Un document corroborant a été soumis à l'appui de ces allégations, à savoir un rapport médical. La Commission a jugé que ce rapport devrait être vérifié in loco. La mission d'enquête canadienne avait conclu que la clinique en question n'existait pas. Le demandeur a été convoqué de nouveau et il a été mis en présence de cette preuve. Il n'a toutefois fait aucun effort pour y répondre.
[3] Le présent contrôle judiciaire porte plutôt sur l'autre conclusion de la Commission suivant laquelle M. Singh n'était pas une personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi, qui est rédigé comme suit :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : |
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally |
a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture; |
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or |
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : |
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if |
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, |
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, |
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas, |
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, |
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, |
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and |
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection. |
[4] Malgré l'habile argumentation présentée pour le compte de M. Singh, je ne suis pas convaincu que le commissaire a mal interprété l'article 97 en appliquant la norme de la décision correcte, qu'il a commis une erreur manifestement déraisonnable dans ses conclusions de fait ou qu'il a commis une erreur déraisonnable dans son application du droit à ces faits.
[5] M. Singh prétend qu'il a quitté l'Inde en utilisant une fausse identité, qu'il y retournera sans documents de voyages valides et peut-être sous escorte. La Commission s'est référée aux documents compris dans le dossier d'information sur les droits de la personne, lesquels « viennent de sources à la disposition du public qu'a consultées la Direction des recherches de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié » . La Commission a conclu que les hommes sikhs au Penjab n'étaient pas des personnes à risque, et qu'en tout état de cause, le refuge intérieur était non seulement une solution possible, mais aussi une solution raisonnable dans les circonstances.
[6] La Commission a noté que les ressortissants indiens renvoyés dans leur pays après le rejet de leur demande d'asile à l'étranger risquaient d'être poursuivis en justice s'ils avaient quitté leur pays sans documents valides. En l'espèce, M. Singh a quitté l'Inde muni de faux papiers. Il est donc possible qu'il soit poursuivi en justice en raison de son départ illégal. Il s'agit toutefois d'une loi d'application générale.
[7] On a contesté les motifs de la Commission parce que celle-ci aurait conclu que M. Singh devait démontrer qu'il serait personnellement menacé. Toutefois, ce qu'on conteste ici, selon moi, c'est le style des motifs plutôt que leur contenu. Bien qu'elle ait dit que « [l]e demandeur doit démontrer qu'il serait personnellement en danger ou menacé » , la Commission a ajouté ce qui suit : « compte tenu de ses propres circonstances ou de celles de personnes dont la situation est semblable » . Il est clair que la Commission parlait ici des hommes sikhs, et non pas uniquement de M. Singh.
[8] On a également soutenu que la Commission avait fait un examen sélectif de la preuve documentaire. Certaines parties de la preuve documentaire peuvent laisser entendre que les demandeurs déboutés du statut de réfugié au Canada peuvent être particulièrement menacés, parce que, selon ce qu'indiquent certains éléments de preuve, des militants sikhs déménagés au Canada sont susceptibles de fournir aux réfugiés putatifs la formation nécessaire pour qu'ils retournent en Inde en tant que terroristes. La preuve documentaire laisse également entendre que la police aurait recours à la torture dans [traduction] « [ses] interrogatoires » . La Commission aurait dû traiter de la preuve suivant laquelle les autorités policières considéreraient que M. Singh avait des liens avec un groupe terroriste ou un mouvement séparatiste et pouvait être lié à des activités susceptibles de porter atteinte à la souveraineté indienne. Il était donc manifestement erroné pour la Commission de dire uniquement qu' « [i]l est possible que des personnes rapatriées soient poursuivies en justice parce qu'elles avaient quitté l'Inde illégalement » . Il y a plus qu'une simple possibilité de poursuite judiciaire lorsqu'un jeune homme sikh est renvoyé par le Canada. Je ne suis pas d'accord. Rien ne réfute la présomption suivant laquelle la Commission a examiné et apprécié l'ensemble de la preuve (Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)).
[9] On a maintenu que la présente affaire se distinguait de l'affaire Valentin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 390 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel avait conclu qu'on ne pouvait quitter son pays d'origine sans autorisation pour ensuite demander l'asile dans un autre pays.
[10] Récemment, dans la décision Zandi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 411, [2004] A.C.F. no 503 (QL), le juge Kelen a examiné l'arrêt Valentin dans le contexte de l'article 97 de la Loi. Il a dit au paragraphe 10 :
Pour reprendre les propos de la Cour d'appel fédérale dans Valentin, précité, un transfuge ne peut acquérir de statut juridique au Canada en vertu de la LIPR en créant un « besoin de protection » au sens de l'article 97 de la LIPR en se rendant librement, de son propre chef et sans raison, passible de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général de son pays d'origine visant le respect des conditions d'un visa de sortie, c'est-à-dire le retour au pays.
Je suis d'accord.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n'y a aucune question de portée générale à certifier.
« Sean Harrington »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1288-04
INTITULÉ : SUKHJINDER SINGH
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 25 OCTOBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 26 OCTOBRE 2004
COMPARUTIONS :
Jean-François Bertrand POUR LE DEMANDEUR
Sylviane Roy POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bertrand, Deslauriers POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)