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Date : 20210426


Dossier : T‑400‑19

Référence : 2021 CF 363

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ZEIFMANS LLP

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Zeifmans LLP (Zeifmans) demande à la Cour d’examiner la demande péremptoire de renseignements (la DPR) du 30 janvier 2019, délivrée par le ministre du Revenu national (le ministre) en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) (la LIR). La DPR a été délivrée à Zeifmans, un cabinet comptable, dans le cadre d’une vérification effectuée par l’Agence du revenu du Canada (ARC) de trois clients de Zeifmans : M. Marc Vaturi, Mme Diana Vaturi (aussi appelée Diana Ghermezian) et M. Nader Ghermezian (collectivement, les personnes désignées nommément).

[2] Zeifmans a soulevé un certain nombre d’arguments pour contester à la fois le pouvoir du ministre de délivrer la DPR sans autorisation judiciaire ainsi que la portée et l’objet de la DPR elle‑même. J’ai examiné chacun des arguments, mais je conclus que le ministre s’est raisonnablement appuyé sur le paragraphe 231.2(1) de la LIR pour délivrer la DPR sans demander et obtenir une autorisation judiciaire conformément aux paragraphes 231.2(2) et (3).

[3] Brièvement, je conclus aussi que :

  1. Le ministre n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en délivrant la DPR à Zeifmans, une société de personnes, ou en omettant d’inclure la mention d’un associé déterminé du cabinet dans la section destinée au destinataire de la DPR;

  2. La DPR a été délivrée en vertu du pouvoir du ministre de demander des renseignements sur l’application et l’exécution de la LIR;

  3. La mention par le ministre de personnes non désignées nommément comme des [traduction] « entités détenues, exploitées, contrôlées ou autrement apparentées » aux personnes désignées nommément était raisonnablement claire dans le contexte du pouvoir conféré au ministre dans la LIR et de la jurisprudence;

  4. Zeifmans n’a indiqué aucun précédent ni aucune disposition législative à l’appui de son argument selon lequel le ministre était tenu de faire enquête au‑delà des renseignements qui lui avaient été fournis avant de délivrer la DPR.

[4] Par conséquent, la demande sera rejetée.

I. Aperçu

[5] En 2014, l’ARC a entrepris une vérification des années d’imposition 2012 et 2013 de la famille Ghermezian. Les personnes désignées nommément sont des membres de la famille, M. Marc Vaturi par mariage avec Mme Diana Vaturi (aussi appelée Diana Ghermezian). Dans les années qui ont suivi, la vérification a été élargie pour englober la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017.

[6] L’ARC a pris de nombreuses mesures depuis 2013 pour obtenir des renseignements de la part des personnes désignées nommément entre autres, et sur celles‑ci, ainsi que sur leurs opérations commerciales et bancaires, notamment : des questionnaires sur l’initiative relative aux entités apparentées (l’IREA); des demandes directes de renseignements supplémentaires et d’entrevue; des demandes de relevés bancaires et d’autres documents à l’appui; de nombreuses demandes péremptoires à des tiers concernant la communication des registres bancaires et d’opérations des banques canadiennes; une demande péremptoire de renseignements à M. Vaturi; une mesure de contrôle de la conformité par l’entremise du ministère de la Justice; et une lettre de vérification. L’ARC a également communiqué avec Zeifmans et l’avocat des personnes désignées nommément. L’ARC n’a reçu essentiellement aucune réponse ou des réponses incomplètes à ses demandes.

[7] Pour poursuivre sa recherche des registres bancaires et commerciaux des personnes désignées nommément, le ministre a délivré la DPR à Zeifmans le 30 janvier 2019. Zeifmans a déposé l’avis de demande dans la présente affaire le 1er mars 2019.

[8] Le dossier de la preuve dont la Cour est saisie comprend le dossier certifié du tribunal (le DCT) et un affidavit signé par M. Brian McGee, l’un des associés de Zeifmans. Le ministre n’a pas déposé de preuve par affidavit à l’appui de sa position dans la présente demande. Le DCT contient une copie de la DPR et un certificat signé par Scott Jeffery, gestionnaire de cas à l’ARC, daté du 28 mars 2019, attestant les deux documents qui ont été pris en compte par le délégué du ministre lorsqu’il a pris la décision de délivrer la DPR au nom du ministre : 1) la fiche de renseignements pour la DPR (caviardée en fonction de la pertinence, du secret professionnel de l’avocat et de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C‑5); 2) une ébauche de la DPR. Le défendeur a par la suite retiré la majorité des passages caviardés de la fiche de renseignements. Une version entièrement non expurgée a été fournie à la Cour à la suite d’une ordonnance de la protonotaire Furlanetto datée du 23 juillet 2019.

[9] La DPR est adressée à Zeifmans à ses bureaux sur l’avenue Bridgeland à Toronto, en Ontario. À la rubrique « Objet », il est indiqué [traduction] « Demande péremptoire de renseignements concernant Marc Vaturi, Diana Vaturi (aussi appelée Diana Ghermezian) et Nader Ghermezian ». Les paragraphes d’introduction de la DPR ont donné lieu à une vive controverse entre les parties et sont ainsi rédigés :

[TRADUCTION]

Pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), Zeifmans LLP (« Zeifmans ») est tenue de fournir dans les trente (30) jours suivant la date de la présente mise en demeure conformément aux dispositions du paragraphe 231.2(1) de la Loi, les renseignements et documents suivants concernant la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017.

Pour les personnes désignées nommément susmentionnées, seules ou conjointement, et les entités détenues, exploitées, contrôlées ou autrement apparentées aux personnes susmentionnées, veuillez fournir :

[…]

[Caractères gras dans l’original]

[10] La DPR dresse une liste longue et détaillée des renseignements et des documents requis. Zeifmans doit fournir les renseignements [traduction] « [p]our une ou plusieurs personnes à qui la demande s’applique ». La DPR est signée par un gestionnaire de la vérification de l’ARC, Direction du secteur international et des grandes entreprises, à titre de délégué du ministre.

II. Questions en litige

[11] Zeifmans soutient que la décision du ministre de délivrer la DPR outrepasse la compétence de celui‑ci ou est contraire à la loi, et que la DPR contient des erreurs graves qui peuvent faire l’objet d’un contrôle, à l’égard, à tout le moins, d’une application rigoureuse des principes de la raisonnabilité :

  1. La DPR exigeait‑elle des « personnes non désignées nommément » des renseignements de sorte que le ministre devait demander une autorisation judiciaire conformément aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR?

  2. La DPR a‑t‑elle été imposée à une « personne » comme l’exige le paragraphe 231.2(1)?

  3. La DPR a‑t‑elle été délivrée à des fins autres que l’application ou l’exécution de la LIR?

  4. La DPR est‑elle déraisonnable en raison d’un manque de clarté ou parce que le ministre n’a pas demandé de renseignements ou de précisions à l’équipe de vérification de l’ARC avant sa délivrance?

III. Norme de contrôle

[12] Les parties soutiennent, et j’en conviens, que les questions décrites aux paragraphes 2, 3 et 4 ci‑dessus devraient faire l’objet d’un contrôle pour en déterminer le caractère raisonnable, conformément à la norme de contrôle présumée s’appliquer pour les décisions administratives depuis l’arrêt de la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Toutefois, Zeifmans soutient que, selon la DPR, elle doit fournir des renseignements concernant, en partie, une ou plusieurs personnes non désignées nommément et que la décision du ministre de délivrer la DPR sans demander d’autorisation judiciaire doit être évaluée selon la norme de la décision correcte. À son avis, une telle décision doit être juste et non pas simplement raisonnable.

[13] Zeifmans s’appuie sur deux des situations relevées par la Cour suprême dans lesquelles une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable est justifiée, soit sur le fondement de l’intention du législateur, soit dans le cas des questions de droit générales qui sont d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (Vavilov, aux para 17, 33, 53, 59 à 62). Zeifmans fait valoir que l’obligation de demander une autorisation judiciaire énoncée au paragraphe 231.2(2) indique l’intention du législateur qu’un juge prenne la décision définitive quant à la nécessité d’une autorisation. Zeifmans affirme que l’obligation est analogue à un droit d’appel ou à une norme de contrôle renforcée prévue par la loi. Zeifmans soutient aussi que la question de l’autorisation judiciaire est une question de droit d’une importance capitale pour le système juridique canadien. Elle décrit les dispositions qui envisagent l’approbation d’un juge comme des dispositions de protection. Les circonstances dans lesquelles les dispositions s’appliquent doivent être établies correctement, sinon la protection est perdue.

[14] J’ai examiné attentivement les arguments de Zeifmans, mais je conclus qu’il n’y a aucun motif de m’écarter de la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable dans mon contrôle de la décision du ministre de délivrer la DPR en vertu du paragraphe 231.2(1) sans demander l’autorisation d’un juge au préalable.

[15] La Cour suprême a relevé les situations suivantes qui justifient une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, soit sur le fondement de l’intention du législateur (les normes de contrôle établies par voie législative et les mécanismes d’appel prévus par la loi) et la primauté du droit (les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, ainsi que les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs) (Vavilov, au para 69). La Cour n’a pas écarté d’autres situations qui exigeraient un contrôle de la décision correcte, mais elle a rappelé que de telles catégories seraient exceptionnelles (Vavilov, au para 70) :

[70] […] Cela dit, la reconnaissance de tout nouveau fondement pour l’application de la norme de la décision correcte devrait revêtir un caractère exceptionnel et devrait respecter le cadre d’analyse et les principes prépondérants énoncés dans les présents motifs. Autrement dit, toute nouvelle catégorie de questions qui justifie une dérogation à la norme de la décision raisonnable sur le fondement de l’intention du législateur devrait comporter une indication de cette volonté tout aussi solide et convaincante que les indications mentionnées dans les présents motifs (c.‑à‑d. une norme de contrôle établie par voie législative ou un mécanisme d’appel prévu par la loi). De la même manière, la reconnaissance d’une nouvelle catégorie de questions qui commande l’application de la norme de la décision correcte sur le fondement de la primauté du droit ne serait justifiée que dans le cas où le défaut d’appliquer la norme de la décision correcte risquerait d’ébranler la primauté du droit et mettrait en péril le bon fonctionnement du système de justice d’une façon analogue aux trois situations décrites dans les présents motifs.

[16] J’estime que l’obligation du ministre de demander une autorisation judiciaire pour exiger des renseignements dans certaines circonstances n’est pas analogue à un droit d’appel ou à une intention non déclarée de contrôle en appel. Les paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR ne sont pas des dispositions exceptionnelles et je ne décèle aucune indication convaincante d’intention contraire du législateur. L’article 231.2 ne donne pas à penser que le législateur voulait qu’une décision de procéder sans autorisation judiciaire fasse l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, et il n’y a pas de disposition en ce sens ailleurs dans la LIR.

[17] Une décision quant à la nécessité de demander une autorisation conformément aux paragraphes 231.2(2) et (3) exige que le ministre aborde des questions d’interprétation des lois et qu’il examine l’application des paragraphes aux faits dont il est saisi. À mon avis, les arguments de Zeifmans sur l’importance des paragraphes 231.2(2) et (3) et leur but de restreindre les pouvoirs du ministre en matière de demande de renseignements sont dûment pris en compte dans le cadre d’analyse du caractère raisonnable énoncé dans l’arrêt Vavilov (voir Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 32 à 35 (Entertainment Software); Roofmart Ontario Inc. c Canada (Revenu national), 2020 CAF 85 au para 20).

[18] Les questions d’interprétation des lois ne sont pas uniques et peuvent être examinées pour déterminer le caractère raisonnable (Vavilov, aux para 115 et 116) :

[115] Les questions d’interprétation de la loi ne reçoivent pas un traitement exceptionnel. Comme toute autre question de droit, on peut les évaluer en appliquant la norme de la décision raisonnable. Bien que la méthode générale de contrôle selon la norme de la décision raisonnable exposée précédemment s’applique dans ces cas, nous sommes conscients de la nécessité de fournir des indications supplémentaires aux cours de révision sur ce point. En effet, les cours de révision ont l’habitude de trancher les questions d’interprétation législative en première instance ou en appel, où elles doivent effectuer leurs propres analyses indépendantes et tirer leurs propres conclusions.

[116] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’effectue différemment. Si une question d’interprétation législative fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision ne procède pas à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande « ce qu’aurait été la décision correcte » : Ryan, au par. 50. Tout comme lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable dans l’examen de questions de fait ou de questions concernant un pouvoir discrétionnaire ou des politiques, la cour de justice doit plutôt examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu.

[19] Lorsque, comme en l’espèce, un décideur n’a pas examiné expressément les dispositions législatives en cause dans sa décision, la Cour se tourne vers l’interprétation implicite faite par le décideur qui est reflétée dans le dossier et évalue si l’interprétation était raisonnable (Vavilov, au para 123).

[20] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a décrit les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique comme étant celles qui nécessitent des réponses uniformes et cohérentes étant donné leurs répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble (Vavilov, au para 59). Dans ces cas, la norme de contrôle de la décision correcte s’impose parce que les questions en cause règlent des questions qui sont « d’une importance fondamentale, de grande portée » et susceptibles d’avoir des répercussions juridiques significatives sur le système de justice (Harrison c Canada (Revenu national), 2020 CF 772 au para 46).

[21] L’exigence selon laquelle le ministre doit obtenir l’approbation judiciaire pour obtenir des renseignements et des documents concernant un ou plusieurs contribuables non désignés nommément n’a aucune incidence sur l’administration du système de justice canadien dans son ensemble. L’effet de l’interprétation par le ministre des contraintes juridiques imposées quant à son pouvoir d’exiger des renseignements en vertu de l’article 231.2 se limite au destinataire et au contribuable en cause. En l’espèce, sa conclusion aura des répercussions principalement sur Zeifmans et les personnes désignées nommément faisant l’objet de la vérification, et peut toucher les entités liées aux personnes désignées nommément dans la DPR. La question de savoir si ces entités liées sont des « personnes non désignées nommément » pour l’application des paragraphes 231.2(2) et (3) est une question d’interprétation législative pour le ministre, assujettie au contrôle de la Cour. Il ne s’agit pas non plus d’une question qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble.

[22] Que suppose donc la norme du caractère raisonnable en l’espèce? La Cour suprême décrit une décision raisonnable de la façon suivante (Vavilov, au para 85) :

[85] […] une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision.

[23] En règle générale, la Cour examine d’abord les motifs fournis par le décideur à la lumière du dossier, des observations des parties et du régime législatif applicable (Vavilov, aux para 83, 86, 96 et 125). L’examen comporte deux aspects : le raisonnement du décideur doit être intelligible et logique et le résultat doit être justifié. Lorsque des motifs officiels ne sont pas fournis et ne sont pas requis, la Cour examine le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision et sa justification (Vavilov, aux para 123 et 137). La Cour examine également les contraintes pertinentes découlant de la loi, en l’espèce l’article 231.2, et doit nécessairement se centrer sur le résultat de la décision (Vavilov, au para 138). Dans la présente demande, le régime législatif régissant les pouvoirs du ministre d’obtenir des renseignements et des documents en vue de l’application et de l’exécution de la LIR est au cœur de mon examen de la DPR (Entertainment Software, aux para 34 et 35).

IV. Analyse

1. La DPR exigeait‑elle des « personnes non désignées nommément » des renseignements de sorte que le ministre devait d’abord demander une autorisation judiciaire conformément aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR?

[24] La DPR exige que Zeifmans produise des renseignements et des documents pour la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017 pour les personnes désignées nommément et les « entités détenues, exploitées, contrôlées ou autrement apparentées aux » personnes désignées nommément. J’appellerai ce groupe d’entités les « personnes non désignées nommément ».

[25] Selon la principale observation de Zeifmans dans la présente demande, la DPR impose, en partie, l’obligation de fournir des renseignements et des documents concernant des personnes non désignées nommément. Zeifmans soutient que, comme il s’agit d’un « tiers » qui n’est pas visé par la vérification, le ministre devait demander et obtenir une autorisation judiciaire pour délivrer la DPR, conformément aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR. Il ne l’a pas fait et sa décision de délivrer la DPR sans cette autorisation était déraisonnable.

[26] Zeifmans présente deux principaux arguments à l’appui de sa position, à savoir (A) qu’une demande d’autorisation judiciaire est toujours requise lorsque le ministre délivre une demande péremptoire à un tiers qui n’est pas lui‑même visé par une vérification si la demande a pour but d’obtenir des renseignements concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, si son but est de vérifier si les personnes non désignées nommément ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la LIR (paragraphe 231.2(2)); et (B) que dans tous les cas, en l’espèce, la DPR a été délivrée par le ministre pour vérifier si les personnes non désignées nommément ont respecté la LIR (paragraphe 231.2(3)).

[27] Le cadre législatif dans lequel le ministre a délivré la DPR est énoncé à l’article 231.2. Le paragraphe 231.2(1) autorise le ministre à exiger qu’une personne fournisse des renseignements ou des documents pour l’application ou l’exécution de la LIR. Les paragraphes 231.2(2) et (3) restreignent le vaste pouvoir du ministre lorsqu’il cherche à obtenir d’un tiers des renseignements concernant des personnes non désignées nommément. Dans ces cas, le ministre doit obtenir l’autorisation judiciaire de la Cour avant de procéder (paragraphe 231.2(2)) et la Cour doit être convaincue : a) que la personne ou le groupe de personnes non désignées nommément est identifiable; et b) que la fourniture de renseignements est exigée pour vérifier si la ou les personnes du groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la LIR (paragraphe 231.2(3)).

[28] Le ministre peut faire exécuter une demande péremptoire pour obtenir des renseignements en présentant à la Cour une demande sommaire d’ordonnance exécutoire en vertu de l’article 231.7 de la LIR. Si le destinataire de la demande péremptoire ne se conforme pas à l’ordonnance, le juge peut le déclarer coupable d’outrage au tribunal (paragraphe 231.7(4)).

[29] Par souci de commodité, je reproduis l’article 231.2 de la LIR :

Production de documents ou fourniture de renseignements

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

b) qu’elle produise des documents.

(b) any document.

Personnes non désignées nommément

Unnamed persons

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3)

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

Autorisation judiciaire

Judicial authorization

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou la production de documents prévues au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

(3) A judge of the Federal Court may, on application by the Minister and subject to any conditions that the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) if the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

(a) the person or group is ascertainable; and

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, 58(1)]

(A) L’autorisation judiciaire est‑elle toujours requise lorsque le tiers n’est pas visé par la vérification?

[30] Zeifmans soutient que le ministre était tenu de demander une autorisation judiciaire conformément au paragraphe 231.2(2) pour les raisons suivantes : a) il s’agit d’un tiers qui ne fait pas l’objet d’une enquête ou d’une vérification de la part de l’ARC; b) la DPR vise la fourniture de renseignements et la production de documents concernant des personnes non désignées nommément. Dans les faits, Zeifmans est d’avis que l’obligation de présenter une demande d’autorisation au paragraphe 231.2(2) est indépendante de l’application des deux conditions pour obtenir cette autorisation énoncée aux alinéas 231.2(3)a) et b). Zeifmans invoque l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (la CAF) Canada (Ministre du Revenu national) c Banque Toronto Dominion, 2004 CAF 359 (Banque TD).

[31] Le ministre n’est pas d’accord. Il soutient que les paragraphes 231.2(2) et (3) doivent être interprétés conjointement, de sorte qu’une demande à la Cour est requise seulement lorsque le ministre détermine que l’ARC cherche à vérifier si des personnes non désignées nommément ont respecté quelque devoir ou obligation prévu à la LIR. La question de savoir si le tiers destinataire de la demande péremptoire de renseignements fait l’objet d’une vérification n’est pas utile. Le ministre invoque la décision rendue en 2005 par la CAF dans l’arrêt Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68 (Artistic Ideas), et une série de décisions dans lesquelles notre Cour a adopté l’interprétation de l’article 231.2 de l’arrêt Artistic Ideas.

[32] Les observations de Zeifmans ne me convainquent pas. Ni l’objet, ni l’économie de l’article 231.2 de la LIR, ni la jurisprudence de la CAF et de notre Cour postérieure à l’arrêt Banque TD n’appuie le point de vue de Zeifmans selon lequel les paragraphes 231.2(2) et (3) doivent être interprétés comme des demandes distinctes. Je conviens avec le ministre que l’interprétation prédominante de l’article 231.2 est celle de la CAF dans Artistic Ideas et que les paragraphes 231.2(2) et (3) doivent être interprétés ensemble. Le ministre est tenu de demander une autorisation judiciaire pour délivrer une demande péremptoire de renseignements à un tiers si cette demande exige des renseignements et des documents concernant des personnes non désignées nommément identifiables afin de vérifier si ces personnes non désignées nommément ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la LIR.

[33] Pour décrire les parties en cause dans les deux affaires de la CAF et les affaires subséquentes de la Cour fédérale, et les relier aux faits dont je suis saisie, j’utiliserai les termes suivants : « personnes non désignées nommément », la ou les personnes au sujet desquelles les renseignements et les documents sont demandés; « tiers », la partie à qui une demande péremptoire est délivrée; et « la ou les personnes désignées nommément », la ou les personnes qui font l’objet d’une vérification par l’ARC. Dans certains cas, deux parties sont en causes, soit un tiers auprès duquel les renseignements sont demandés (qui peut être un vrai tiers qui ne fait pas l’objet d’une vérification ou qui peut aussi être une personne désignée nommément faisant l’objet d’une vérification, comme dans le cas de l’arrêt Artistic Ideas) et une ou des personnes non désignées nommément.

[34] Dans l’arrêt Banque TD, le ministre a envoyé une demande péremptoire à la Banque, un tiers qui ne fait pas l’objet d’une vérification, pour obtenir des renseignements concernant l’un de ses clients, une personne désignée nommément. La Banque a refusé de fournir des renseignements concernant « le nom du titulaire » d’un compte donné, une catégorie de renseignements demandés par le ministre dans le cadre de l’enquête concernant la personne désignée nommément et tout autre renseignement qui confirmerait l’identité du titulaire. La Banque a soutenu que le ministre doit procéder en vertu du paragraphe 231.2(2) pour obtenir des renseignements dans cette catégorie, et la CAF s’est dite d’accord. Le juge Décary a déclaré que le paragraphe 231.2(2) s’appliquait pour protéger à la fois le tiers et la personne non désignée nommément. La Banque devait s’assurer qu’elle était légalement tenue de communiquer des renseignements et que la personne non désignée nommément avait le droit de faire respecter sa vie privée (Banque TD, au para 7).

[35] Le ministre a déclaré qu’il ne savait pas si le titulaire du compte faisait l’objet d’une enquête ou d’une vérification (parce qu’il ne savait pas qui était le titulaire du compte). Par conséquent, il ne pourrait pas satisfaire à la condition énoncée à l’alinéa 231.2(3)b) et l’autorisation judiciaire ne serait pas accordée. Ce dilemme a amené le ministre à faire valoir qu’il ne devrait pas avoir à demander une telle autorisation. La CAF a conclu que l’argument du ministre aurait pour effet d’invalider les paragraphes 231.2(2) et (3) (Banque TD, au para 8) :

[8] […] En outre, accéder à son interprétation de l’article 231.2 aurait pour effet de rendre inopérants les paragraphes 231.2(2) et (3) et la protection qu’ils offrent puisque le ministre obtiendrait en vertu du paragraphe 231.2(1), et ce sans consentement judiciaire préalable, les informations concernant des personnes non identifiées dès lors qu’il n’enquête pas ou dirait ne pas enquêter sur ces personnes. Les paragraphes 231.2(2) et (3) existent précisément pour protéger les personnes non identifiées qui ne sont pas sous enquête tout en permettant, avec un contrôle judiciaire, que, dans l’intérêt de la justice, la collecte de renseignements puisse se faire à l’égard de celles qui sont, de fait, sous enquête.

[36] Quatre mois plus tard, le juge Rothstein, alors à la CAF, a rendu sa décision dans l’arrêt Artistic Ideas. Le ministre avait envoyé une demande de fourniture de renseignements à Artistic Ideas, un marchand d’art tiers faisant l’objet d’une vérification. Artistic a participé à un stratagème dans le cadre duquel elle a vendu des œuvres d’art à des contribuables qui, à leur tour, en ont fait don à des organismes de bienfaisance. Les donateurs et les organismes de bienfaisance étaient deux groupes de personnes non désignées nommément pour l’application de l’article 231.2. Les donateurs participants ont obtenu une déduction fiscale pour leur don fondée sur la valeur d’expertise des œuvres qui excédait le prix d’achat payé. Le ministre a demandé à Artistic de fournir des renseignements concernant les organismes de bienfaisance et les donateurs, mais elle a refusé de communiquer ces renseignements. Le juge Rothstein a souscrit à l’analyse de notre Cour sur l’article 231.2 et a confirmé que le ministre avait droit de connaître le nom des organismes de bienfaisance, mais non celui des donateurs.

[37] Le ministre a soutenu dans Artistic Ideas que les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent que si le tiers ne fait pas l’objet d’une enquête. Le juge Rothstein n’était pas de cet avis et s’est concentré sur la qualité des personnes non désignées nommément faisant l’objet d’une vérification (Artistic Ideas, au para 10). Il a déclaré que les donateurs étaient précisément les personnes auxquelles les deux paragraphes s’appliquent parce que le ministre avait l’intention d’enquêter sur les donateurs à partir des renseignements obtenus d’Artistic Ideas. À l’inverse, rien n’indiquait que le ministre avait l’intention de vérifier les organismes de bienfaisance qui ont participé au stratagème. Le juge Rothstein a déclaré (Artistic Ideas, au para 11) :

[11] Par contre, les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent pas si les personnes non désignées nommément ne font pas elles‑mêmes l’objet d’une enquête. On peut supposer que leur nom est alors nécessaire seulement pour l’enquête effectuée par le ministre sur le tiers. Dans un tel cas, le tiers à qui est signifiée une demande de fourniture de renseignements et de production de documents en vertu du paragraphe 231.2(1) doit fournir tous les renseignements et documents pertinents, y compris le nom de personnes non désignées nommément, vu que le paragraphe 231.2(2) vise seulement les personnes non désignées nommément à l’égard desquelles le ministre peut obtenir l’autorisation d’un juge en vertu du paragraphe 231.2(3).

[38] La Cour s’est penchée sur l’application de l’article 231.2 (et de la disposition équivalente de la Loi sur la taxe d’accise, LRC (1985), c E‑15) dans une série de décisions et a suivi le raisonnement du juge Rothstein dans Artistic Ideas (voir Canada (Revenu national) c Morton, 2007 CF 503 au para 11 (Morton); Canada (Revenu national) c Advantage Credit Union, 2008 CF 853 aux para 16 et 17 (Advantage Credit Union); Canada (Revenu national) c Banque Amex du Canada, 2008 CF 972 au para 54 (Amex Canada); London Life c Canada (Procureur général), 2009 CF 956 aux para 21 à 24 (London Life)).

[39] Les faits dans Morton, Advantage Credit Union, Amex Canada et London Life sont semblables à ceux de Banque TD et de la présente espèce. Ces affaires portaient sur la délivrance d’une demande péremptoire concernant des personnes non désignées nommément à un tiers qui ne faisait pas l’objet d’une vérification. La Cour a été saisie de certaines affaires à l’étape de l’ordonnance d’exécution où une demande péremptoire avait été délivrée en vertu du paragraphe 231.2(1), le tiers avait refusé de s’y conformer et le ministre a pris des mesures d’exécution en vertu de l’article 231.7 de la LIR. La Cour a adopté l’approche de l’arrêt Artistic Ideas quant à l’article 231.2 dans chacune des affaires. Dans Advantage Credit Union, le juge Mandamin, alors membre de notre Cour, a examiné les conclusions contradictoires de Banque TD et d’Artistic Ideas, a cité la décision dans Morton et a suivi Artistic Ideas (Advantage Credit Union, au para 17) :

[17] Je souscris à la conclusion du juge suppléant Strayer [dans Morton]. Le paragraphe 231.2(2) établit clairement entre « une ou plusieurs personnes non désignées nommément » et l’autorisation visée au paragraphe 231.2(3). Cette personne ou ces « personnes non désignées nommément » que vise le paragraphe 231.2(2) sont les personnes, dont parle le paragraphe 231.2(3), desquelles ‘la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi’. » Je conclus que l’interprétation donnée du paragraphe 231.2(2) par la Cour d’appel fédérale dans Artistic Ideas, précité, est celle qu’il convient d’appliquer à la présente espèce.

[40] Dans l’affaire London Life, l’ARC effectuait la vérification d’un courtier d’assurance dont le revenu comprenait la réception de paiements de commission de la London Life. Le ministre a délivré une demande péremptoire concernant la communication de renseignements à la London Life et a demandé des renseignements et des documents concernant des clients non désignés nommément du courtier d’assurance. Ni la London Life ni les clients non désignés nommément ne faisaient l’objet d’une vérification ou d’une enquête de l’ARC. La London Life s’est appuyée sur l’arrêt Banque TD et a refusé de communiquer des renseignements concernant des clients au motif que le ministre n’avait pas demandé d’autorisation judiciaire.

[41] La Cour a conclu que la demande signifiée à London Life était valide et a rejeté la demande de London Life. La Cour a fait référence aux arrêts Banque TD et à Artistic Ideas et a de nouveau suivi Artistic Ideas, liant l’obligation de procéder en vertu du paragraphe 231.2(2) à la condition énoncée au paragraphe 231.2(3)b) selon laquelle les renseignements concernant des personnes non désignées nommément doivent être demandés dans le but de vérifier si elles respectent leurs obligations fiscales. La Cour a déclaré que la CAF avait résolu toute contradiction entre ses deux affaires antérieures dans eBay Canada Ltd. c Canada (Revenu national), 2008 CAF 348 au para 23 :

[23] Il ressort à l’évidence de l’alinéa 231.2(3)b) que le paragraphe 231.2(2) est conçu pour permettre au ministre de vérifier si les personnes non désignées nommément, et non pas la personne à qui l’avis est signifié, se conforment aux obligations découlant pour elles de la Loi. Voir, par exemple, Bernick c Canada (Ministre du Revenu national), 2002 D.T.C. 7167, au paragraphe 10 (C.S.J. Ont.).

[42] Je suis aussi d’avis que l’approche adoptée dans l’arrêt Artistic Ideas à l’égard de l’article 231.2 est convaincante. L’obligation du ministre de demander une autorisation judiciaire énoncée au paragraphe 231.2(2) est inextricablement liée aux conditions d’autorisation énoncées au paragraphe 231.2(3). Le ministre est tenu de demander à la Cour, en vertu du paragraphe 231.2(2), l’autorisation de délivrer une demande péremptoire à un tiers qui ne fait pas l’objet d’une vérification lorsque la demande de renseignements concernant des personnes non désignées nommément a pour but de vérifier qu’elles se conforment à la LIR.

[43] Le paragraphe 231.2(1) accorde au ministre de vastes pouvoirs pour obtenir des renseignements et des documents afin de favoriser l’application et l’exécution de la LIR, y compris la poursuite d’une vérification. Le législateur a reconnu la nécessité de circonscrire ces pouvoirs pour empêcher la recherche à l’aveuglette en adoptant les paragraphes 231.2(2) et (3) lorsque le ministre cherche à obtenir des renseignements d’un tiers plutôt que directement d’un contribuable qui fait l’objet d’une vérification ou d’une enquête. Comme le juge Décary l’a déclaré dans l’arrêt Banque TD, les paragraphes ont un double objectif : protéger le tiers en s’assurant qu’il a l’obligation légale de communiquer les renseignements et protéger le droit à la vie privée des personnes non désignées nommément.

[44] Aucun des deux aspects de la protection prévue par le législateur ne dépend du fait que le tiers fait l’objet d’une vérification ou d’une enquête de la part de l’ARC. L’article 231.2 n’indique pas non plus que l’état de la vérification du tiers détermine la portée de l’obligation du ministre de demander une autorisation. L’état de la conformité du tiers à la LIR n’a aucune pertinence pour l’application des paragraphes 231.2(2) et (3). Ces paragraphes portent sur les personnes non désignées nommément. Si elles font l’objet d’une enquête, le ministre est autorisé à obtenir des renseignements les concernant d’un tiers par suite d’une autorisation judiciaire. Si ce n’est pas le cas, le ministre peut procéder sans autorisation en vertu du paragraphe 231.2(1) parce que la demande péremptoire vise principalement à vérifier si les personnes désignées nommément se conforment à la loi. Cette interprétation a été confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46 (Redeemer). Même si Redeemer ne portait pas sur l’article 231.2, la Cour suprême a eu l’occasion d’examiner la question de l’autorisation judiciaire et a conclu que le paragraphe 231.2(2) « ne devrait pas s’appliquer aux situations où les renseignements demandés sont nécessaires pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi » (Redeemer, au para 22).

[45] La position de Zeifmans selon laquelle les paragraphes 231.2(2) et (3) doivent être interprétés comme imposant des obligations distinctes au ministre n’est pas convaincante. Les affaires susmentionnées relient constamment les deux paragraphes (Artistic Ideas, au para 11; Advantage Credit Union, au para 17). Lorsqu’il n’y a pas de preuve que les personnes non désignées nommément elles‑mêmes font l’objet d’une vérification ou d’une enquête de la part de l’ARC pour vérifier si elles respectent la LIR, il n’y a aucune raison que le ministre procède en vertu du paragraphe 231.2(2). À mon avis, la suppression de tout examen initial par le ministre des conditions de fond énoncées au paragraphe 231.2(3) donnerait lieu à une prolifération de demandes inutiles devant les tribunaux.

[46] Zeifmans soutient que l’approche adoptée dans l’arrêt Artistic Ideas à l’égard de l’article 231.2 signifie que le ministre peut obtenir d’un tiers des renseignements concernant des personnes inconnues, que les personnes non désignées nommément fassent ou non l’objet d’une vérification. Si ce n’est pas le cas, le ministre peut invoquer le paragraphe 231.2(1) et, si elles font l’objet d’une vérification, il peut obtenir les renseignements en vertu des paragraphes 231.2(2) et (3) par suite d’une autorisation judiciaire.

[47] Il ne fait aucun doute que le législateur voulait que les pouvoirs du ministre d’obtenir des renseignements en se fondant sur l’article 231.2 soient vastes. Si un contribuable canadien organise ses affaires par l’intermédiaire d’une société ou d’autres entités, l’ARC a le droit d’obtenir des renseignements concernant ces entités pour effectuer une vérification et vérifier si le contribuable respecte la LIR. Si les livres et registres de l’entité sont mis en la possession de tiers, le ministre a le droit d’exiger que le tiers fournisse les renseignements demandés si les personnes non désignées nommément ne font pas l’objet d’une vérification. Les renseignements sont requis pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi et aucune demande d’autorisation judiciaire n’est requise (Redeemer, au para 22).

[48] Si la demande de renseignements concernant des personnes non désignées nommément a pour objet une enquête sur les entités non désignées nommément et non sur le contribuable désigné nommément, le ministre peut tout de même obtenir les renseignements demandés, mais seulement si le juge est convaincu que la demande ne constitue pas une tentative d’identifier un groupe indéterminé ou non identifiable de personnes non désignées nommément en vue d’une enquête possible. Bien que les conditions énoncées aux alinéas 231.2(3)a) et b) puissent sembler simples, il s’agit de conditions de fond.

[49] Le caractère raisonnable de la décision du ministre de procéder sans autorisation judiciaire dans chaque cas dépend de la question de savoir si la preuve au dossier établit que les personnes non désignées nommément font l’objet d’une enquête ou d’une vérification par l’ARC. Je traite cette question dans la prochaine partie du présent jugement.

[50] Enfin, Zeifmans renvoie à deux extraits du Manuel de la vérification de l’ARC (Chapitre 10 ‑ Déroulement de la vérification). Selon le premier extrait, les vérificateurs sont tenus de faire preuve de diligence si les demandes péremptoires en vertu du paragraphe 231.2(2) sont utilisées pour obtenir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément auprès de tiers qui ne font pas l’objet d’une vérification. Le Manuel prévoit que, dans ces circonstances, il faut obtenir une autorisation judiciaire. Zeifmans s’appuie sur un deuxième énoncé parallèle dans la section qui fournit des lignes directrices sur les demandes péremptoires.

[51] L’orientation donnée par l’ARC à ses vérificateurs dans le Manuel est quelque peu circulaire et les déclarations distinctes ne sont pas utiles. Par exemple, le Manuel cite Redeemer et indique aux vérificateurs ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il n’est pas nécessaire de délivrer une demande péremptoire en vertu du paragraphe 231.2(1) de la LIR ou d’obtenir une ordonnance judiciaire conformément au paragraphe 231.2(2) de la LIR, lorsque les renseignements demandés concernant des personnes non désignées nommément se rapportent seulement à la vérification du contribuable désigné nommément.

[52] De même, les lignes directrices sur les demandes péremptoires du Manuel indiquent qu’une demande en vertu des paragraphes 231.2(2) ou (3) doit être présentée à un juge lorsque les deux conditions du paragraphe (3) sont remplies.

[53] J’estime que, lorsqu’ils sont interprétés en contexte avec d’autres énoncés du Manuel, les extraits cités ne contredisent pas l’interprétation du juge Rothstein de l’article 231.2 dans Artistic Ideas. Il est également bien connu que le Manuel fournit des directives et ne peut remplacer les contraintes juridiques qui définissent les pouvoirs conférés au ministre en vertu de l’article 231.2. Néanmoins, Zeifmans a relevé des lacunes dans le Manuel qui pourraient entraîner de la confusion dans des cas futurs, et je recommanderais à l’ARC d’envisager de préciser les sections du Manuel qui décrivent l’interaction des paragraphes 231.2(2) et (3).

(B) Les personnes non désignées nommément sont‑elles visées par une enquête pour vérifier qu’elles respectent la LIR?

[54] Zeifmans soutient que le dossier contient suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les personnes non désignées nommément sont elles‑mêmes ciblées par l’enquête de l’ARC. Par conséquent, la décision du ministre de délivrer la DPR sans autorisation judiciaire a fait fi des paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR et était déraisonnable.

[55] Zeifmans s’appuie sur les éléments de preuve suivants tirés de la fiche de renseignements :

[traduction]

  • - Une première référence à un questionnaire envoyé par l’« équipe d’élaboration de la charge de travail de l’IREA » aux quatre frères Ghermezian avant le début de la vérification. « L’IREA » est un acronyme pour « initiative relative aux entités apparentées ». Le questionnaire demandait aux frères d’identifier toutes les entités qu’ils possédaient ou détenaient en fiducie ou dans lesquelles ils étaient administrateurs ou continuaient de l’être.

  • - À la rubrique « Raisons pour lesquelles les documents ou les renseignements sont demandés », l’une des raisons données pour la DPR était la suivante :

Vérifier si les entités à l’étranger sont gérées et contrôlées à partir du Canada (par les personnes canadiennes désignées nommément ci‑dessus) […]

[56] Zeifmans soutient que la référence à la gestion et au contrôle des personnes non désignées nommément est une référence au principe selon lequel l’imposition au Canada d’une société est fondée sur l’emplacement du site décisionnel et de la gestion de la société, qui, par ricochet, est fondée sur la résidence ou l’emplacement de ses administrateurs. Zeifmans soutient que l’ARC a l’intention d’utiliser les renseignements obtenus au moyen de la DPR concernant les personnes non désignées nommément et leurs administrateurs respectifs pour établir si les personnes non désignées nommément sont assujetties à l’impôt en vertu de la LIR.

[57] Le ministre soutient que la fiche de renseignements appuie la conclusion contraire puisqu’elle démontre que l’ARC se concentre sur sa vérification des personnes désignées nommément. La fiche de renseignements établit les manquements répétés des personnes désignées nommément à répondre aux démarches de l’ARC pour obtenir les renseignements requis directement de leur part et justifie le recours à un tiers. Le ministre affirme que la fiche de renseignements indique la réception par une ou plusieurs des personnes désignées nommément de transferts de revenus à l’étranger pendant la période de vérification et que l’inclusion des personnes non désignées nommément dans la DPR fait partie des démarches de l’ARC pour caractériser adéquatement ces transferts en application de la LIR et de la vérification existante.

[58] La fiche de renseignements commence par la liste des noms des contribuables faisant l’objet de la vérification, des personnes désignées nommément et des années d’imposition à l’étude, suivie d’un bref historique de la vérification. Elle se poursuit par une description des revenus présumés à l’étranger des personnes désignées nommément et des virements télégraphiques relevés par le ministre. Après avoir énuméré les documents et les renseignements qui devaient être demandés, la fiche de renseignements décrit le motif de la DPR qui, à l’exception du motif qui porte sur les entités à l’étranger, se rapporte aux personnes désignées nommément. La fiche de renseignements se termine par une liste des tentatives de l’ARC d’obtenir des renseignements directement auprès des personnes désignées nommément, de leurs banques et de Zeifmans.

[59] Je conclus que Zeifmans n’a pas établi que l’ARC s’était lancée dans une enquête pour vérifier que les personnes non désignées nommément respectent la LIR, de sorte que la décision du ministre de s’appuyer sur le paragraphe 231.2(1) était déraisonnable à la lumière du dossier. La seule mention dans la fiche de renseignements de la nécessité de vérifier l’emplacement du site décisionnel et de la gestion des entités étrangères non identifiées est conforme aux démarches de l’ARC pour vérifier les personnes désignées nommément et doit être interprétée dans le contexte du reste de la fiche de renseignements. La fiche de renseignements porte sur la vérification en cours. Que l’ARC puisse vérifier une ou plusieurs des personnes non désignées nommément à l’avenir, en partie en raison des renseignements obtenus, n’établit pas que le ministre a commis une erreur susceptible de contrôle en s’appuyant sur le paragraphe 231.2(1) pour délivrer la DPR.

[60] L’ensemble des faits contrastants dans les arrêts Redeemer et Artistic Ideas mettent en évidence la nature de la « recherche à l’aveuglette » que les paragraphes 231.2(2) et (3) visent à prévenir. La Fondation Redeemer était un organisme de bienfaisance enregistré faisant l’objet d’une vérification par l’ARC en raison de préoccupations selon lesquelles bon nombre des contributions qu’elle avait reçues n’étaient pas des dons de bienfaisance valides. L’ARC a demandé verbalement une liste de donateurs pour les années d’imposition 2001 et 2002 et la Fondation a fourni les renseignements. L’ARC a fini par établir des avis de nouvelle cotisation à l’égard de certains donateurs. Par la suite, l’ARC a demandé des listes de donateurs pour les années d’imposition 2002 et 2003 et la Fondation a refusé, puisque ses conseillers l’avaient informée que l’ARC devait obtenir une autorisation judiciaire en vertu des paragraphes 231.2(2) et (3).

[61] La Cour suprême n’était pas d’accord, déclarant que « les faits de la présente affaire confirment que l’ARC avait besoin de la liste pour enquêter sur les soupçons qu’elle entretenait quant à la légitimité [du programme de la Fondation]. L’établissement de nouvelles cotisations pour les donateurs de la Fondation ne constitue qu’une conséquence logique des soupçons de l’ARC voulant que [le programme de la Fondation] ne soit pas un programme de bienfaisance valide » (Redeemer, au para 16).

[62] La Cour suprême a conclu que le paragraphe 231.2(2) ne devrait pas s’appliquer si le ministre a besoin de renseignements pour vérifier que les contribuables visés par la vérification se conforment à la loi (Redeemer, au para 22) :

[22] […] Qu’il existe ou non une possibilité ou une probabilité que la vérification donne lieu à une enquête concernant d’autres contribuables non désignés nommément, l’ARC devrait pouvoir obtenir les renseignements dont elle pourrait autrement prendre connaissance dans le cadre d’une vérification.

[63] Dans l’arrêt Artistic Ideas, une autre affaire mettant en cause un organisme de bienfaisance enregistré et une demande de renseignements concernant des donateurs non identifiés, la CAF a fait remarquer que « ce sont les donateurs qui sont censés faire l’objet d’enquêtes de la part du ministre » (Artistic Ideas, au para 10). Le juge Rothstein a déclaré que les donateurs étaient précisément les personnes visées par les protections prévues aux paragraphes 231.2(2) et (3) et que le ministre devait obtenir une autorisation judiciaire pour avoir accès à leurs renseignements.

[64] En l’espèce, le dossier établit que les renseignements demandés dans la DPR, y compris ceux qui ont trait aux personnes non désignées nommément, sont nécessaires pour vérifier si les personnes désignées nommément respectent leurs obligations en vertu de la LIR. Il n’y a aucun élément de preuve dans le dossier indiquant que les personnes non désignées nommément sont visées par l’enquête actuelle. J’estime que la possibilité qu’une ou plusieurs des personnes non désignées nommément puissent faire l’objet d’une vérification à l’avenir n’est pas suffisante pour exiger une autorisation judiciaire pour la DPR et que le fait que le ministre s’appuie sur le paragraphe 231.2(1) était justifié.

[65] Zeifmans soutient également que la décision du ministre de délivrer la DPR sans autorisation judiciaire manque de transparence parce qu’il n’y a pas d’exposé dans la DPR ni dans la fiche de renseignements qui explique le raisonnement justifiant la procédure en vertu du paragraphe 231.2(1).

[66] La Cour suprême a reconnu dans l’arrêt Vavilov qu’il y aura des cas où un décideur n’aura pas inclus dans ses motifs une analyse des dispositions législatives qui sous‑tendent la décision. L’omission d’une telle analyse n’est pas fatale pour ce qui est du caractère raisonnable d’une décision administrative lorsque la cour de révision est en mesure de discerner l’interprétation implicite faite par le décideur à la lumière du dossier et du résultat de la décision (Vavilov, aux para 123 et 137 à 138). Je suis consciente à cet égard que Zeifmans met l’accent sur l’importance de la déclaration de la Cour suprême selon laquelle, s’il y a lieu de faire preuve de déférence envers l’interprétation que donne le décideur du pouvoir que lui confère la loi, l’exercice de ce pouvoir doit être justifié (Vavilov, au para 109). Cette mise en garde n’est pas moins pertinente lorsque l’interprétation doit être faite par la cour de révision.

[67] La décision du ministre de délivrer la DPR doit être examinée en fonction de l’historique du processus de vérification de l’ARC, comme l’indique la fiche de renseignements (Vavilov, aux para 94 à 98 et 125 et 126). Au risque de me répéter, la fiche de renseignements démontre que les motifs de l’ARC pour demander la DPR étaient axés sur sa vérification des personnes désignées nommément. Rien dans la fiche de renseignements n’indique que l’ARC a demandé la DPR pour d’autres fins que de poursuivre la vérification en cours (Vavilov, au para 137). Par conséquent, j’estime que le fait que le ministre se soit appuyé sur le paragraphe 231.2(1) était justifié au vu du dossier et de la DPR et est conforme à la jurisprudence concernant les paragraphes 231.2(2) et (3). L’absence dans la fiche de renseignements et la DPR d’un exposé sur le ou les paragraphes de l’article 231.2 ne rend pas déraisonnable la DPR ou la décision du ministre de délivrer la DPR sans autorisation judiciaire.

2. La DPR a‑t‑elle été imposée à une « personne » comme l’exige le paragraphe 231.2(1)?

[68] Le paragraphe 231.2(1) permet au ministre d’exiger « d’une personne » qu’elle fournisse tout renseignement ou tout document pour l’exécution de la LIR. La DPR a été délivrée à Zeifmans, une société de personnes en commandite, et n’a pas été adressée à un associé déterminé. Zeifmans soutient qu’une société de personnes ne peut être considérée comme une personne en droit, comme il ressort de l’article 96 de la LIR (Canada c Green, 2017 CAF 107 au para 5). Par conséquent, la DPR n’a pas été délivrée à une personne et le ministre a agi sans compétence.

[69] Le ministre soutient qu’en adressant la DPR à Zeifmans, il a en fait adressé la demande péremptoire à tous les associés de la société de personnes. Il soutient que le paragraphe 244(20) de la LIR lui permet de délivrer un avis ou un autre document à une société de personnes plutôt que d’avoir à remettre l’avis ou le document aux associés individuels. Le ministre soutient qu’il était raisonnable de délivrer la DPR de cette façon et que l’argument de Zeifmans l’empêcherait effectivement d’obtenir des renseignements et des documents d’une société de personnes.

[70] Le paragraphe 244(20) de la LIR est ainsi libellé :

Associés

Members of partnerships

(20) Les règles suivantes s’appliquent dans le cadre de la présente loi :

(20) For the purposes of this Act,

a) la mention de la dénomination d’une société de personnes dans un avis ou autre document vaut mention de tous les associés de la société de personnes;

(a) a reference in any notice or other document to the firm name of a partnership shall be read as a reference to all the members thereof; and

b) un avis ou autre document est réputé remis à chaque associé de la société de personnes si l’avis ou le document est posté, signifié ou autrement envoyé à la société de personnes :

(b) any notice or other document shall be deemed to have been provided to each member of a partnership if the notice or other document is mailed to, served on or otherwise sent to the partnership

(i) à sa dernière adresse connue ou à son dernier lieu d’affaires connu,

(i) at its latest known address or place of business, or

(ii) à la dernière adresse connue :

(ii) at the last address known

(A) s’il s’agit d’une société de personnes en commandite, de l’un de ses associés dont la responsabilité, à titre d’associé, n’est pas limitée,

(A) where it is a limited partnership, of any member thereof whose liability as a member is not limited, or

(B) dans les autres cas, d’un de ses associés.

(B) in any other case, of any member thereof.

[71] J’estime que le ministre n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en transmettant la DPR à Zeifmans pour deux raisons.

[72] D’une part, le libellé de l’alinéa 244(20)a) est simple. La mention de Zeifmans, la dénomination sociale d’une société de personnes dans la DPR, vaut mention de tous les associés de la société de personnes. Bien que je sois d’accord avec Zeifmans pour dire que le paragraphe ne transforme pas une société de personnes en personne, le paragraphe 244(20) a pour effet que la DPR était adressée à chaque associé pour l’application de la LIR. Comme les associés individuels de Zeifmans sont des « personnes » en vertu de la LIR, je conclus que le ministre a agi raisonnablement dans l’exercice de sa compétence en vertu du paragraphe 231.2(1) en délivrant la DPR à Zeifmans. La solution de rechange, c’est‑à‑dire l’obligation, que le ministre adresse la demande péremptoire à chaque associé d’une société de personnes, est lourde et met l’accent sur la forme plutôt que sur le fond.

[73] D’autre part, le fait que le ministre n’ait pas inclus une ligne indiquant que la DPR devait être portée à l’attention d’un associé en particulier n’était pas important. La DPR était correctement adressée au lieu d’affaires de Zeifmans. L’alinéa 244(20)b) suppose que la DPR a été remise à chaque associé de la société de personnes. L’inclusion du nom d’un associé déterminé est une question administrative seulement. Que le nom soit indiqué ou non ne modifie pas la responsabilité de chacun des associés de s’y conformer. La fiche de renseignements démontre que Zeifmans a eu des communications avec l’ARC au cours de la vérification des personnes désignées nommément. L’associé responsable est connu de l’ARC et de Zeifmans, et le cabinet est en mesure d’acheminer correctement la DPR vers l’associé responsable afin d’en assurer le respect et d’entamer des discussions avec l’ARC pour obtenir toute précision nécessaire. Si cet associé a quitté le cabinet ou a été réaffecté d’une autre façon, la DPR demeure valide. Les préoccupations de Zeifmans concernant l’exécution de la loi seront prises en compte dans toute mesure de conformité requise. Le ministre a agi de façon raisonnable en adressant la DPR à Zeifmans et en laissant la société de personnes déterminer l’associé adéquat pour répondre.

3. La DPR a‑t‑elle été délivrée à une fin autre que l’application ou l’exécution de la LIR?

[74] Zeifmans soutient que les demandes de renseignements et de documents contenues dans la DPR sont si vastes qu’elles n’ont aucun lien apparent avec la vérification des personnes désignées nommément par l’ARC ou tout objectif lié à l’application ou à l’exécution de la LIR. Il n’est pas possible de conclure que le ministre a raisonnablement exercé son pouvoir d’obtenir des renseignements dans les limites de son pouvoir en vertu de l’article 231.2. Zeifmans s’appuie sur l’arrêt BP Canada Energy Company c Canada (Revenu national), 2017 CAF 61 (BP Canada), dans laquelle le juge en chef de la CAF a demandé qu’on fasse preuve d’une certaine retenue dans l’interprétation de la portée de l’article 231.1 de la LIR lorsqu’il s’agit de documents de travail sur l’impôt couru (DTIC). Zeifmans affirme que la retenue est encore plus importante dans un cas portant sur l’article 231.2 où une demande est présentée à un tiers. Zeifmans soutient que le ministre a nié son attente légitime qu’il fasse preuve de retenue dans la rédaction de la DPR.

[75] Le ministre fait valoir que la DPR et la fiche de renseignements établissent que la DPR a été délivrée à une fin adéquate comme étape nécessaire de la vérification des personnes désignées nommément. Il distingue l’arrêt BP Canada du fait que les observations du juge en chef sur la retenue ont été formulées dans le contexte d’une demande de DTIC hors d’une vérification. Le ministre soutient que la théorie de l’attente légitime ne s’applique qu’au processus procédural et ne peut donner lieu à une attente de résultats sur le fond (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 97).

[76] J’estime qu’aucun élément de preuve dans le dossier n’indique que la DPR a été délivrée pour d’autres fins que la vérification des personnes désignées nommément, ce qui est tout à fait conforme à l’obligation du ministre d’appliquer et d’exécuter les dispositions de la LIR. La description par Zeifmans de divers paragraphes de la DPR comme étant trop générales ou indûment vagues ne suffit pas à miner l’objectif déclaré de la DPR, le contexte de la vérification fourni dans la fiche de renseignements et les raisons données pour exiger les renseignements et les documents énumérés dans la DPR. Les observations de la CAF sur la retenue doivent être interprétées dans le contexte de la distinction que le juge en chef a établie entre une demande ministérielle hors du contexte d’une vérification et une demande faite dans le cadre d’une vérification précise (BP Canada, au para 67). De plus, je conviens avec le ministre que la théorie de l’attente légitime n’est d’aucun secours pour Zeifmans quant à ses préoccupations de fond au sujet de la DPR.

4. La DPR était‑elle déraisonnable en raison d’un manque de clarté ou parce que le ministre n’a pas demandé de renseignements ou de précisions à l’équipe de vérification de l’ARC avant sa délivrance?

[77] Zeifmans fait valoir que la DPR n’est pas claire à bien des égards, notamment en ce qui a trait à sa définition des personnes non désignées nommément comme [traduction] « entités détenues, exploitées, contrôlées ou autrement apparentées » (Zeifmans souligne) aux personnes désignées nommément. Zeifmans affirme que les mots « autrement apparentées » sont intrinsèquement ambigus par rapport au résultat selon lequel la DPR pose un risque déraisonnable. Zeifmans fait valoir qu’elle pourrait subir de graves conséquences en cas de non‑conformité à la DPR, y compris une ordonnance d’exécution en vertu de l’article 231.7 ou les pénalités prévues à l’article 238 de la LIR. Il s’ensuit que la DPR doit être claire, précise pour permettre de s’y conformer de manière appropriée.

[78] Je conviens avec Zeifmans qu’une demande péremptoire de renseignements doit être formulée avec suffisamment de précisions pour permettre au destinataire de s’y conformer de manière appropriée (Succession Nadler) c Canada (Procureur général), 2005 CF 935 au para 9), mais je ne suis pas convaincue que la DPR ne respecte pas ce seuil. Le ministre a le devoir de veiller à ce que les contribuables se conforment à la LIR et doit être en mesure d’avoir accès à leurs livres et registres pour ce faire. Ni l’ARC ni le ministre ne peuvent s’attendre à connaître la structure des avoirs personnels et commerciaux de chaque contribuable. C’est l’une des raisons pour lesquelles le législateur a énoncé en termes généraux le pouvoir du ministre de recueillir des renseignements en vertu de la LIR.

[79] Les demandes péremptoires de renseignements qui ont fait l’objet des affaires citées ci‑dessus sont révélatrices. Voici des exemples de formulation de ces demandes péremptoires :

  • - Advantage Credit Union (au para 6) : La demande péremptoire demandait des renseignements concernant des personnes désignées nommément et « tous les comptes conjoints détenus par l’une quelconque de ces personnes et une autre ou d’autres, ainsi que la totalité des inscriptions de tous les autres comptes de votre succursale — notamment les comptes de prêts occasionnels, de gestionnaire, de frais divers et assimilés ». La demande péremptoire demandait également un état précisant le détail de toutes les opérations relativement aux personnes susnommées « prises individuellement ou collectivement, que ce soit avec elles, pour elles ou en leur nom, et qu’elles aient agi conjointement ou non avec une autre ou d’autres personnes, et relativement de même à toute(s) personne(s) qui, à votre connaissance, agit (agissent) ou a (ont) agi pour les personnes susnommées ou l’une quelconque d’entre elles ».

  • - Amex Canada (au para 1) : La demande péremptoire mentionnait une « entreprise associée à » une personne titulaire de carte.

[80] Les entités « autrement apparentées » et « exploitées par » les personnes désignées nommément ne sont pas aussi facilement définies que celles contrôlées par les personnes désignées nommément. Cependant, la connaissance de la structure d’entreprise du groupe et de la genèse du revenu étranger qui constitue un point central de la vérification de l’ARC relève des personnes désignées nommément et de Zeifmans. Le ministre sait seulement que les personnes désignées nommément exercent leurs activités par l’entremise d’entités et de fiducies étrangères. La fiche de renseignements expose les préoccupations du ministre au sujet de la structure d’exploitation et de l’historique des personnes désignées nommément, et fournit le contexte des mentions des personnes non désignées nommément.

[81] Compte tenu du cadre législatif de l’article 231.2 et de la fiche de renseignements, j’estime que la DPR décrit de façon raisonnable les entités qui font partie du groupe des personnes non désignées nommément en cause. J’estime également que la DPR détaille de façon intelligible les renseignements requis par le ministre lorsqu’elle est interprétée dans son ensemble, y compris les mentions soulignées par Zeifmans (Vavilov, aux para 94 et 97).

[82] Enfin, Zeifmans soutient que le délégué du ministre a agi de façon déraisonnable en ne posant pas de questions ou en ne demandant pas de précisions à l’équipe de vérification de l’ARC à la suite de son examen de la fiche de renseignements et de la lettre de DPR proposée. Par conséquent, le ministre n’a pas tenu compte de tous les faits pertinents ni effectué une analyse raisonnable avant de délivrer la DPR.

[83] Zeifmans n’a cité aucun précédent ni aucune disposition législative à l’appui de ses observations, et n’a pas relevé de faits précis dont le ministre n’avait pas été saisi. Je conviens que le ministre avait le devoir d’examiner tous les faits pertinents et importants, mais je conclus qu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant qu’il n’a pas tenu compte de ces faits. La fiche de renseignements fournit des renseignements complets concernant les personnes désignées nommément et les préoccupations de l’ARC concernant les revenus non déclarés à l’étranger et les opérations inexpliquées, l’historique de la vérification, les manquements des personnes désignées nommément à se conformer aux demandes antérieures et les motifs de la DPR. Zeifmans n’a signalé aucune erreur dans la fiche de renseignements.

[84] Je conclus que le ministre n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en s’appuyant sur les renseignements au dossier ou en procédant sans autre enquête (Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CAF 133 au para 64).

V. Dépens

[85] À l’audition relative à la présente demande, les parties ont convenu de discuter du montant des dépens à adjuger. Depuis, j’ai reçu et examiné la correspondance des parties et j’adopterai la proposition qu’elles ont négociée. Compte tenu de ma décision de rejeter la demande de Zeifmans, le ministre a droit à des dépens de Zeifmans au montant de 4 000 $, taxes et débours compris.


JUGEMENT rendu dans le dossier T‑400‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La défenderesse, Zeifmans LLP, doit payer au défendeur, le ministre du Revenu national, les dépens afférents à la présente demande au montant de 4 000 $, taxes et débours compris.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑400‑19

 

INTITULÉ :

ZEIFFMANS LLP c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

L’AUDIENCE A EU LIEU PAR VIDÉOCONFÉRENCE À CONCORD, TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SEPTEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Dominic Marciano

Raphael Rutman

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margaret McCabe

Rita Araujo

Jesse Epp‑Fransen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marciano Beckenstein LLP

Avocats

Concord (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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