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Date : 20000914

Dossier : T-891-99

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

SZE NGA CECILIA FUNG

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         Il s'agit d'un appel d'une décision d'un juge de la citoyenneté qui a rejeté la demande de citoyenneté canadienne de la demanderesse.


[2]         La demanderesse est née le 27 septembre 1974. Elle est d'abord entrée au Canada le 19 août 1992, bénéficiant d'une autorisation d'étude délivrée en vertu du Règlement sur l'immigration de 1978, afin de poursuivre ses études à l'Université de Toronto. Le 26 mars 1994, elle est devenue résidente permanente alors que ce statut a été conféré à ses parents, de qui elle était dépendante.

[3]         La demanderesse raconte qu'elle rêvait de devenir dentiste mais que ses résultats scolaires n'étaient pas suffisamment élevés pour qu'elle soit admise dans une école de médecine dentaire canadienne. Elle a appris qu'elle serait probablement admise à l'école de médecine dentaire de Hong-Kong. Elle a présenté sa candidature et a été retenue. Elle a quitté le Canada le 20 août 1995 et est demeurée à Hong Kong pendant 314 jours; elle est revenue au Canada le 30 juin 1996. Le 1er septembre 1996, elle a encore quitté pour Hong Kong et elle y est restée pendant 303 jours; elle est revenue au Canada le 1er juillet 1997, à la fin de ses études. Elle a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 16 octobre 1997. La demanderesse était dépendante financièrement de ses parents pendant tout ce temps.

[4]         L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), prévoit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

[...]

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;


[5]         Le calcul des jours de présence au Canada dans les quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté établit que la demanderesse a été présente au Canada pendant 771 jours. Après avoir soustrait les jours passés au Canada avant qu'elle ait obtenu le statut de résidente permanente, on lui a attribué 691 jours de résidence au Canada dans la période de quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté. Elle a donc un manque à gagner de 404 jours au regard de la période prévue par la Loi.

[6]         Le dispositif de la lettre du juge de la citoyenneté avisant la demanderesse du rejet de sa demande se lit comme suit :

[traduction]

D'après les éléments de preuve dans votre dossier et qui m'ont été présentés à l'audience, vous avez été absente du Canada pendant 689 jours pendant les quatre ans ayant précédé votre demande de citoyenneté (en date du 16 octobre 1997). Pendant cette période, vous avez été présente au Canada pendant 691 jours. Dans ces circonstances, vous deviez me convaincre, afin de satisfaire à la condition de résidence, que vos absences du Canada (ou, du moins, une partie d'entre elles) pouvaient être prises en compte pour la durée de résidence au Canada.

La jurisprudence de la Cour fédérale exige qu'une personne, afin d'établir sa résidence, fasse preuve, en esprit et en fait, d'une centralisation de son mode de vie au Canada. Si la résidence est ainsi établie, les absences du Canada n'affectent pas cette résidence, pour autant qu'il soit démontré que la personne a quitté le Canada pour une raison temporaire et qu'elle a maintenu au Canada une forme réelle et concrète de résidence. J'ai donc attentivement examiné votre dossier afin de déterminer si vous aviez établi votre résidence au Canada avant de vous en absenter, en vue de savoir si ces périodes d'absences pourraient néanmoins être considérées comme des périodes de résidence.

Après avoir considéré la preuve testimoniale et documentaire qui m'a été fournie, je n'ai pu conclure que vous aviez établi une résidence au Canada en y centralisant votre mode de vie pendant les quatre ans qui ont précédé votre demande de résidence permanente.

Ma décision est étayée par l'arrêt de la Cour d'appel fédérale [sic] qui suit :

Dans l'arrêt Re Pourghasemi (T-80-92), le juge Muldoon a dit :

« Si le candidat ne peut trouver une école ou université à sa convenance au Canada, qu'il suive les études à l'étranger puis revienne au Canada pour satisfaire à la condition de résidence. »


[7]         Dans l'affaire Lam c. Canada, [1999] A.C.F. no 410; (1999), 164 F.T.R. 177, le juge Lutfy a examiné la norme de contrôle appropriée aux appels en matière de citoyenneté. Il a analysé la jurisprudence et a conclu que l'expertise du bureau de la citoyenneté n'était pas assez grande pour imposer un haut degré de retenue et que la norme de contrôle se rapprochait plus de celle de la décision correcte que de celle de la décision raisonnable. Pour la question de l'interprétation de la Loi sur la citoyenneté, qui est la loi constitutive du bureau, celui-ci ne sera à l'abri d'un contrôle judiciaire de la Cour que si son interprétation est correcte, étant donné qu'il s'agit d'une question de droit pour laquelle le bureau de la citoyenneté n'a pas une expertise particulière comparativement à celle de la Cour. Étant donné que la jurisprudence de la Cour est divisée, le problème est de savoir quelle est la bonne approche quant à la question de la résidence prévue à l'alinéa 5(1)c). Le caractère obligatoire et contraignant des décisions des différents juges de la Cour est le même pour les juges du bureau de la citoyenneté. Le juge Lutfy a conclu que si un juge de la citoyenneté adoptait une des approches sanctionnée par un juge la Cour et qu'il l'appliquait correctement, sa décision ne devrait pas être infirmée par un autre juge qui appliquerait une interprétation différente de la Loi.

Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence.

Lam c. Canada, précitée, au paragraphe 33.

[8]         Sans égard au fait que le juge de la citoyenneté ait accueilli ou rejeté la demande de citoyenneté, le critère est le même.


[9]         Dans la présente affaire, il n'apparaît pas que le juge de la citoyenneté a fait preuve d'une compréhension de la jurisprudence. Elle affirme à juste titre qu'une fois la résidence établie, elle peut être maintenue pendant les périodes d'absence temporaire. Elle indique avec raison qu'elle doit être convaincue que la résidence a été établie. Sans énoncer ses motifs, elle dit qu'elle a conclu que la résidence n'avait pas été établie. Elle cherche ensuite à étayer cette conclusion en faisant référence à la décision du juge Muldoon dans l'affaire Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232; (1993), 62 F.T.R. 122. L'extrait qu'elle cite réfutait l'argument selon lequel certains demandeurs subissaient un préjudice si leur absence du Canada, en vue de fréquenter un établissement d'enseignement, n'était pas prise en compte dans le calcul de la période de résidence exigée au Canada. Le juge Muldoon a dit simplement que la solution était de finir ses études, puis revenir au Canada et présenter une demande de citoyenneté une fois la condition de résidence satisfaite. Cet extrait ne porte pas sur la question de savoir si la résidence a été établie ou non.


[10]       En faisant référence à la décision Re Pourghasemi, précitée, le juge de la citoyenneté a créé un doute quant à savoir si elle appliquait l'approche qu'elle avait décrite dans les paragraphes précédents de sa décision, selon laquelle les périodes d'absence du Canada peuvent être prises en compte dans le calcul de la période de résidence, ou si elle appliquait l'approche établie dans la décision Re Pourghasemi, selon laquelle il faut être présent au Canada pendant 1095 jours et selon laquelle une absence du Canada de plus de 365 jours prévue par la Loi entraîne automatiquement le rejet de la demande. Le juge de la citoyenneté était libre d'appliquer l'un ou l'autre de ces critères et puisque les deux sont également valables, le fait de ne pas savoir laquelle des deux approches a été appliquée ne serait pas déterminant. Toutefois, le fait qu'il soit impossible de savoir pourquoi le juge de la citoyenneté a conclu que la résidence n'avait pas été établie est déterminant. Est-ce que la résidence n'a pas été établie parce que la demanderesse n'était pas présente au Canada, ou parce qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir que la demanderesse, au regard du critère habituel du lien avec le Canada, y avait centralisé son mode de vie?

[11]       Le paragraphe 14(3) de la Loi oblige le juge de la citoyenneté à fournir à la demanderesse les motifs qui l'ont mené à rejeter sa demande. Les motifs sont insuffisants s'il ne permettent pas à un demandeur de déterminer le fondement de la décision. Voir l'arrêt Boyle c. Nouveau-Brunswick (Commission de la santé, de la sécurité et de l'indemnisation des accidents au travail), [1996] A.N.-B. no 291; (1996), 99 Admin. L.R. (2d) 150, dont le sommaire résume la conclusion du juge d'appel Bastarache comme suit :

[traduction]

Il ne saurait être satisfait à l'obligation de motiver par une simple énumération des éléments de preuve pris en considération. La motivation doit expliquer aux parties pourquoi le Tribunal a pris la décision qu'il a rendue, et doit aussi être suffisante pour permettre à la Cour d'appel de s'acquitter de sa fonction d'organe d'appel. Le Tribunal doit donc indiquer les éléments de preuve étayant ses conclusions d'une façon suffisamment détaillée pour démontrer qu'il a agi dans le cadre de sa compétence et non pas en violation de la loi.

[12]       Cela n'a pas été fait en l'espèce, étant donné qu'il n'est pas possible de déterminer pourquoi le juge de la citoyenneté a conclu que la résidence n'avait pas été établie. Pour ce motif, la décision doit être annulée. L'appel est accueilli et la demande de la demanderesse est renvoyée pour un nouvel examen devant un autre juge du bureau de la citoyenneté.


ORDONNANCE

L'appel de la décision du juge de la citoyenneté Doreen Wicks, dont les motifs sont datés du 22 mars 1999, est accueilli et la demande de citoyenneté de Sze Nga Cecilia Fung est renvoyée pour un nouvel examen devant un autre juge du bureau de la citoyenneté.

          « J.D. Denis Pelletier »          

Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                   T-891-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Sze Nga Cecilia Fung c. Le ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 28 janvier 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                       14 septembre 2000

ONT COMPARU :

M. John Y.C. Lee                                                                          pour la demanderesse

M. Ian Hicks                                                                                   pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                       

M. John Y.C. Lee

Scarborough (Ontario)                                                     pour la demanderesse

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                            pour le défendeur

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