Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Majid Al-Kayssi et son épouse, Raja Yass, sont citoyens de l'Iraq, et ils ont fait une demande d'asile. Ils ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle elle a rejeté leur demande d'asile. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
CONTEXTE
[2] M. Al-Kayssi a maintenant 76 ans et son épouse 64 ans. Selon le formulaire de renseignements personnels de M. Al-Kayssi (FRP), il avait été chimiste, professeur et doyen d'université en Iraq. Il a pris sa retraite en 1986 et il a commencé à écrire des livres de chimie. Les demandeurs ont quatre enfants adultes, qui ont tous quitté l'Iraq entre 1990 et 1997, certains illégalement. M. Al-Kayssi prétend que, après que son deuxième enfant eut quitté l'Iraq, des représentants du gouvernement sont venus à son domicile et lui ont demandé de remplir des formulaires afin d'indiquer où lui-même se trouvait ainsi que son épouse et tous ses enfants. Ultérieurement, après que sa benjamine eut quitté l'Iraq, deux hommes, appartenant, selon M. Al-Kayssi, aux services de sécurité iraquiens, sont venus à son domicile et ils ont interrogé M. Al-Kayssi au sujet des allées et venues de sa fille, de son mari et de leurs enfants. Ces hommes avaient les originaux de leurs papiers d'identité et des photographies de sa fille et des membres de la famille de celle-ci, et ils ont exigé un pot-de-vin pour ne pas poursuivre M. Al-Kayssi relativement au départ illégal d'Iraq de ses enfants. M. Al-Kayssi a payé le pot-de-vin, mais il n'en a pas payé d'autres en dépit de leurs exigences, parce qu'il n'aurait plus eu assez d'argent.
[3] M. Al-Kayssi dit que, après cela, lui et sa femme ont été interrogés au quartier général du parti Baas et interrogés quatre ou cinq fois à leur domicile, ils ont subi des coupures de leur ligne téléphonique assez longues (qui ont pris fin après versement d'un pot-de-vin) et des coupures fréquentes d'électricité à leur domicile d'une durée de deux ou trois jours, et on leur a refusé des rations de nourriture. Au cours de cette période, M. Al-Kayssi et son épouse sont allés en Jordanie, où ils sont restés quatre mois, afin de rendre visite à deux de leurs enfants qui s'y étaient établis. Par la suite, M. Al-Kayssi et son épouse sont rentrés en Iraq. En fin de compte, ils ont définitivement quitté l'Iraq en avril 2002.
[4] Dans son FRP, M. Al-Kayssi a prétendu que si lui et sa femme étaient restés en Iraq, les interrogatoires n'auraient pas cessé et auraient abouti à l'emprisonnement de l'un ou de l'autre.
[5] Après que M. Al-Kayssi et son épouse eurent signé leurs FRP, l'Iraq s'est retrouvé dans un conflit militaire avec les États-Unis et d'autres pays, le régime de Saddam Hussein a pris fin avec la déposition de celui-ci. Dès le début du traitement de leur demande d'asile, les demandeurs ont informé la Commission qu'ils ne fondaient plus leur demande d'asile sur les faits exposés dans leurs FRP. Ils se fondaient plutôt sur les éléments suivants : M. Al-Kayssi était perçu comme une personne liée à l'ancien régime; ils craignaient les actes de vengeance de la part d'étudiants mécontents; M. Al-Kayssi est un intellectuel et un universitaire bien connu; ils craignaient que leur séjour au Canada ne donne l'impression qu'ils appuyaient les forces de la coalition.
LA DÉCISION DE LA COMMISSION
[6] La Commission a tiré les conclusions suivantes.
[7] Premièrement, la Commission a conclu que les allégations énoncées dans le FRP de M. Al-Kayssi étaient incroyables et concoctées. La Commission a conclu que M. Al-Kayssi n'avait probablement pas été harcelé comme il l'alléguait et elle s'est fondée sur les éléments suivants : M. Al-Kayssi avait travaillé pour le gouvernement, notamment à titre de conseiller au Ministère de l'éducation; il avait collaboré avec le parti Baas; le conseil de la révolution l'avait nommé à son poste de doyen à l'université; il a continué à habiter dans le secteur universitaire, dans le meilleur quartier de Bagdad.
[8] Deuxièmement, en ce qui concerne la prétendue crainte qu'inspiraient à M. Al-Kayssi les étudiants qui réclament vengeance parce qu'il était un doyen sévère, hostile aux syndicats étudiants, la Commission a tiré une inférence défavorable du fait que M. Al-Kayssi n'avait pas mentionné ces faits dans son FRP.
[9] Troisièmement, même si M. Al-Kayssi a dit qu'il craignait d'être tué parce que les professeurs et les intellectuels se faisaient tuer, la Commission a conclu que, puisque M. Al-Kayssi avait pris sa retraite en 1986, les insurgés ne le percevraient pas comme une menace et il ne serait pas ciblé par eux.
[10] Enfin, la Commission a conclu qu'il n'y avait pas de preuves crédibles ou fiables indiquant que le Canada était considéré comme un ennemi par les factions ou groupes religieux qui s'opposent à la présence des troupes de la coalition. Aucun élément crédible ou fiable n'indiquait que M. Al-Kayssi s'était livré au Canada à des activités qui attirerait l'intérêt de quelque groupe que ce soit en Iraq.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[11] M. Al-Kayssi et son épouse soulèvent deux questions dans le cadre de la présente demande.
[12] Premièrement, ils disent que la conclusion implicite de la Commission, à savoir que M. Al-Kayssi ne serait plus considéré comme un universitaire ou un partisan du parti Baas, était contraire à la conclusion de fait qu'elle avait tirée relativement aux allégations que M. Al-Kayssi avait fait valoir à l'origine, à savoir qu'il avait travaillé pour le gouvernement, qu'il avait été professeur et doyen à l'université et qu'il avait collaboré avec le parti Baas.
[13] Deuxièmement, ils disent que la Commission a mal interprété l'ensemble de la preuve concernant la probabilité de persécution à laquelle était exposé M. Al-Kayssi en qualité d'universitaire et éventuellement de partisan apparent du parti Baas.
EXAMEN DES QUESTIONS EN LITIGE
[14] Je ne suis pas convaincue que la Commission a tiré des conclusions contradictoires sur la question de savoir si M. Al-Kayssi serait aujourd'hui soupçonné d'être professeur et partisan du parti Baas. La première conclusion avait trait à la profession exercée par M. Al-Kayssi au cours de la période allant des années 1950 aux années 1980, et au cours des années 1990 lorsque ses enfants ont quitté l'Iraq. La deuxième conclusion a trait à sa situation aujourd'hui, presque 20 ans après avoir pris sa retraite et 3 ans après avoir quitté l'Iraq. Comme cela fait presque 20 que M. Al-Kayssi n'est plus professeur ni partisan du parti Baas, la Commission a conclu qu'il ne serait pas nécessairement reconnu comme tel par la population. Il n'y pas là une conclusion factuelle manifestement déraisonnable qui justifie l'intervention de la Cour.
[15] En ce qui a trait au deuxième motif de contrôle, la preuve documentaire établit que, à l'heure actuelle, sont ciblés les universitaires, les scientifiques et autres intellectuels en Iraq. Elle est muette sur la question de savoir si les personnes qui ont quitté le monde universitaire depuis 20 ans courent un danger semblable. La preuve documentaire évoque bien l'identité possible des agresseurs. D'aucuns accusent les fidèles de Saddam, dont on dit qu'ils éliminent les personnes qui pourraient rendre publics des renseignements secrets concernant son régime (notamment des renseignements concernant des armes illégales), d'autres accusent les intégristes religieux dont on dit qu'ils s'opposent à l'approche séculaire des intellectuels, il y en a encore d'autres dont on dit qu'ils cherchent à se venger des intellectuels qui avaient adhéré au parti Baas. Dans sa déposition, M. Al-Kayssi a déclaré qu'il n'avait jamais adhéré au parti Baas et il n'a pas dit qu'il détenait des renseignements secrets concernant le régime ou qu'il appuyait l'idée d'un Iraq plus séculaire. Vu ces éléments et le fait que la preuve documentaire ne précise pas que les universitaires et les baasistes à la retraite sont ciblés, je suis incapable de conclure qu'il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission que M. Al-Kayssi ne serait probablement pas ciblé à l'heure actuelle.
[16] Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[17] Aucune partie n'a demandé que soit certifiée une question et je conviens que la présente affaire n'en soulève aucune.
ORDONNANCE
[18] LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Juge
Traduction certifiée conforme
François Brunet, LL.B., B.C.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9532-04
INTITULÉ : MAJID AL-KAYSSI et RAJA YASS
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE
L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 27 SEPTEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 4 JANVIER 2006
COMPARUTIONS :
Robert Young POUR LES DEMANDEURS
Stephen Jarvis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Sullivan, Festeryga, Lawlor and Arrell
Avocats
Hamilton (Ontario) POUR LES DEMANDEURS
John H. Sims, c.r.